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N° 21 | Environnement, nature et communication à l’ère de l’anthropocène

Un article repris de http://journals.openedition.org/rfs...

« N° 21 | Environnement, nature et communication à l’ère de l’anthropocène », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 19 | 2020, mis en ligne le 18 mai 2020, consulté le 24 mai 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/9299 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.9299

Coordination Céline Pascual Espuny et Andrea Catellani

Inscrit dans l’espace public international dès les années 1970, l’environnement est aujourd’hui à la source de multiples écritures, récits et débats dans nos sociétés. Il couvre désormais un périmètre discursif large et matriciel, où des notions comme l’écologie, la transition écologique, le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises (RSE, qui inclut une dimension environnementale), l’anthropocène, et même l’effondrement, traduisent par prisme des réalités physiques, économiques, politiques, scientifiques mais aussi culturelles et symboliques liées mais différentes. Ces réalités sont repérables continuellement dans le champ de la communication, publique et privée, professionnelle, experte ou profane, stratégique ou spontanée. Les pratiques de communication ne sont pas seulement expression mais aussi vecteur et facteur de construction de la présence culturelle de la nature et de l’environnement, et des transformations de cette présence. Nos images de la nature, de l’environnement et de l’écologie sont (aussi) des « êtres communicationnels » et triviaux, pris dans l’interaction constante entre sciences, arts, économie, politique, spiritualités, société – et expérience sensible personnelle, plus ou moins médiatisée (celle des « mégafeux » et des événements météorologiques extrêmes, par exemple).

À l’heure où les pressions se coordonnent et se superposent, qu’elles soient anthropiques, climatiques, biologiques, sociales, politiques, économiques ou morales, les pratiques de la communication jouent un rôle clé. Interpellées de tous bords, invoquées pour susciter la sensibilisation, considérées comme nécessaires dans l’émergence de dispositifs participatifs et co-construits, ces pratiques – notamment du côté de la communication des organisations – traînent cependant le passif des suspicions de manipulation, et d’un « greenwashing » pratiqué dans la décennie précédente et toujours latent et résurgent. L’information médiatique sur l’environnement à l’heure des défis anthropogéniques est prise, elle, dans les tensions entre impératifs parfois différents d’ordre économique, politique, moral et sociétal, dans un contexte de sociétés souvent elles-mêmes en contradiction entre des valeurs différentes, et entre valeurs et pratiques (« values-action gap »). L’internet est depuis un certain temps le lieu de rencontre entre projets communicationnels (et sociétaux) différents, de sensibilisations, de polémiques et de mobilisations parfois contradictoires.

Au regard de ces contraintes et tensions, qu’est-ce que les sciences de l’information et de la communication peuvent dire aujourd’hui, de façon critique et scientifique, de cette réalité polymorphe constituée par les pratiques de la communication environnementale ? Comment sont saisis les liens entre Nature et Écologie, dès lors que la pratique communicationnelle s’exerce ? La communication environnementale présentent-elles un profil différent au sein du vaste champ des objets analysés par les sciences de l’information et de la communication, dès par leur nature particulièrement « triviale » de lieux d’intersection de toutes les tensions, les attentes et les déceptions ?

Dans ce dossier nous nous focaliserons en particulier sur les contributions scientifiques qui proposent une analyse des spécificités de la communication dite environnementale, basées sur une solide méthodologie et un ancrage en sciences de l’information et de la communication. L’objectif est explicitement celui de collecter les points de vue et les résultats plus récents pour les mettre en visibilité et montrer la solidification d’un véritable secteur de recherche, qui tende à dépasser la dispersion des contributions individuelles pour viser une forme d’institutionnalisation, par exemple sous forme d’association de chercheurs (IECA), de sections dans les grandes associations internationales (ICA, IAMCR), et en France avec un GER (groupe d’études et de recherche « Communication, environnement, science et société ») au sein de la société savante de l’information-communication (SFSIC).

Ce numéro se veut ouvert aux différentes tendances et approches théoriques et méthodologiques des chercheurs en information-communication qui s’occupent des thèmes de l’environnement en lien avec la communication. Les contributions pourront s’intégrer dans un ou plusieurs des axes suivants, ou avoir une nature transversale.

Controverses, polémiques et formes médiatiques

Les enjeux environnementaux sont à l’origine de tensions, polémiques et débats, qui s’expriment entre autres dans les médias et dans les différentes sphères des médias socio-numériques, mais aussi dans les événements, les mouvements et les affrontements plus « physiques ». Les défis du changement climatique, de la pollution, de la biodiversité et de l’habitabilité de la planète, et leurs déclinaisons dans des enjeux locaux et territoriaux, suscitent la prise de parole (et d’image) de multiples acteurs, à l’époque de la numérisation. Cet axe veut collecter les contributions des chercheurs qui observent et analysent, avec différentes méthodologies et approches, ces controverses et autres formes polémiques at agonistiques, pour en comprendre la dimension communicationnelle.

Acteurs sociaux et environnement : entreprises, militants, associations, gouvernements

Cet axe se focalise sur l’analyse des pratiques communicationnelles d’acteurs différentes qui entrent dans la sphère publique avec un agenda de revendication, de transformation ou de protection d’intérêt et/ou de valeurs par rapport aux enjeux environnementaux. Les entreprises et le monde économique prennent la parole sous forme de discours de responsabilité (RSE-CSR, discours sur la construction de valeur partagé, communication et publicité « verte », militantisme corporate), pour montrer leur alignement avec les normes et les tendances sociales, ou pour protéger leur modèle économique. Les ONG et associations, les mouvements militants, les « influenceurs » et lanceurs d’alerte, de leur côté, poursuivent des projets de transformation sociale et culturelle. Les gouvernements et les entités publiques aussi interviennent, entre sensibilisation et enjeux institutionnels et de communication publique. La liste, pas exhaustive, doit inclure aussi les scientifiques, pris entre la nécessité de l’objectivité et l’urgence de l’engagement, les organisations comme les églises et groupes religieux et spirituels, les « think tanks » et le monde des politiques et de la communication politique.

La vulgarisation scientifique et ses défis

Comment communiquer les sciences de l’environnement, par exemple concernant la destruction du vivant et de la biodiversité et le changement climatique ? Comment les savoirs scientifiques entrent dans l’espace publique, quelles dynamiques et distorsions, quelles remises en question de « l’autorité » de la science ? Les modèles de la vulgarisation et de la « popular science » – par exemple, le modèle du déficit – entrent en tension devant les enjeux de la « science post-normale » et participative, et devant l’ampleur de dynamismes et tendances « anthropocéniques » (le changement climatique, par exemple) qui dépassent les distinctions entre différentes disciplines et discours et tendent à créer des courts-circuits entre régime descriptif-analytique et régime normatif et engagé. De ce point de vue, la notion d’expertise est aussi à interroger, dans ses formes et apparitions.

Médias, journalisme, médiatisation de l’environnement

Les chercheurs en information-communication ont depuis longtemps, dans l’espace francophone comme ailleurs, sondé les façons que l’environnement a de « venir aux médias ». Cette présence est parfois fluctuante, focalisée sur l’événementiel, parfois partisane, dans un cadre de difficultés et de mutations technologiques et économiques du journalisme, à l’époque du numérique et des tensions autour de la vérité et du « désordre informationnel » (les « fake news », la perte de confiance envers les médias, les mutations de la consommation d’information). Il s’agit dans cet axe de montrer les dernières avancées et résultats de ces recherches, pour explorer les modalités (souvent différentes selon les pays) de « mise en information » de l’environnement. L’axe est ouvert aussi aux recherches sur la présence des enjeux environnementaux dans les cultures médiatiques en général, l’audiovisuel, et leur interaction avec les logiques des industries culturelles et les pratiques de consommation culturelle des individus.

Le vivant, sa représentation et sa mise en communication

L’anthropocène et la culture de ce début du xxie siècle voient une évolution de l’image du monde « naturel ». Les sciences sociales ont montré la nature culturelle et située des catégorisations des êtres et des relations entre naturel et culturel, entre homme et animal ou plante. Les discours scientifiques et philosophiques, comme ceux sur l’antispécisme ou sur l’intelligence des plantes, percolent dans la littérature et la presse, en interaction avec les recherches de nouvelles formes de relation (et résonance, pour citer un titre de Hartmut Rosa) avec le monde vivant et la création. Cet axe veut interroger les mutations et reconfigurations des formes culturelles qui encadrent la relation entre homme et vivant, vues du point de vue communicationnel.

Communication et transition écologique, entre critique et instrumentalisation

À l’heure de la « transition écologique », la communication (en tant qu’action signifiante persuasive et transformatrice des mentalités et des comportements) se retrouve dans une position ambiguë de « pharmacon » : en même temps, décriée comme source de manipulation (par exemple, dans le cas des « stratégies du doute », des négationnismes climatiques et des fake news) et invoquée comme levier nécessaire pour faire advenir une société plus durable (en connexion avec d’autres moyens de type marketing ou psychologique comme le « nudging »-coup de pouce). Cette position mérite une interrogation : comment interpréter de façon critique et éthique ce « rôle » d’instrument de la transition ? Comment déconstruire et identifier les risques, les limites, les problèmes de cette posture ? Sur un autre plan, quelles sont les dernières avancées dans la recherche de formes de communication engageante, transformative, capable d’opérer un « empowerment » (autonomisation, émancipation) des personnes face aux changements nécessaires ? Comment la communication peut contribuer à modifier les attitudes et les comportements, devant les « dragons of inaction » (dragons de l’inaction, Gifford 2011) qui empêchent de changer les comportements ?

Discours et narrations de l’environnement

À l’époque de l’anthropocène, « face à Gaia » (pour reprendre un titre de Bruno Latour), nos sociétés sont traversées par des formes discursives différentes, qui représentent des tentatives de synthèse d’une réalité complexe et hétérogène. C’est la nature propre de la mimésis narrative, comme le soulignait Paul Ricœur, mais c’est aussi l’effort des méta-narrations et plus globalement des grands discours qui s’organisent autour de valeurs et intérêts. Cet axe veut attirer les chercheurs qui s’interrogent sur l’analyse des « formations discursives » qui apparaissent aujourd’hui devant les défis et inquiétudes anthropocéniques, et qui manifestent des accents, des univers axiologiques et des structures narratives différentes et parfois opposées. Il suffit de penser ici aux discours sur la décroissance, sur la simplicité volontaire et heureuse, l’effondrement, l’écomodernisme, le développement durable. Des formules et des visions circulent, portées par différents acteurs avec des logiques et intérêts différents ; ces formations prennent corps dans les médias, les discours, les initiatives, les actions. Les approches en information-communication, par exemple d’inspiration narratologique, rhétorique et critique, ont ici un espace pour exprimer leur analyse de cette coprésence et tension entre des discours différents.

Calendrier

 Dossier publié dans le n° 21, parution : décembre 2020.

- Les articles sont attendus pour le : dernière semaine de juillet

 Retour aux auteurs-rices : dernière semaine d’octobre

 Retour des articles définitifs : dernière semaine de novembre

Les propositions d’articles (entre 30 000 et 40 000 signes espaces compris, bibliographie et notes de bas de page inclus) sont à adresser à :

 Céline Pascual Espuny : celine.pascual(at)univ-amu.fr

 Andrea Catellani : andrea.catellani(at)uclouvain.be

Le guide pour la rédaction des articles est à consulter sur le lien suivant : https://journals.openedition.org/​rfsic/​401

Bibliographie

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Les utilisateurs des institutions abonnées à l’un des programmes freemium d’OpenEdition peuvent télécharger les références bibliographiques pour lesquelles Bilbo a trouvé un DOI.

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Licence : CC by-nc-sa

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