Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

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Schémas, présentation et rétention de l’information : Trois études dans le contexte des MOOC

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/3326

Cet article se propose d’établir une taxonomie des schémas à partir de la psychologie de l’éducation et de la sémiotique. Nous avons choisi les MOOC comme terrain d’étude, car ils représentent aujourd’hui une des nombreuses modalités d’accès à l’information. Cette dernière requiert de la part des apprenants des capacités de hiérarchisation en fonction de la pertinence de l’information, ainsi que sa rétention. À l’issue de notre première enquête, qui a consisté à relever systématiquement les schémas présents dans 50 MOOC, nous avons dégagé deux natures différentes de contenus représentés par les schémas (descriptives et prescriptives) ainsi que deux types différents d’agencement graphique de ces informations (en ordonnancement séquencé et en plan de contenu). Notre seconde enquête menée auprès de concepteurs de contenus pour le MOOC « CerticeScol » confirme cette taxonomie. Enfin, une expérimentation menée auprès d’étudiants en ESPE (N=62) révèle que les schémas de type ordonnancement séquencé ont permis une meilleure rétention de l’information que le type plan de contenu (p = 0,024 ; η2p = 0,081).

Un articlede Rawad Chaker repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une publication sous licence CC by sa

Introduction

Témoins et acteurs d’une société où l’information et la connaissance sont massivement accessibles en ligne, nous sommes confrontés à la grande volatilité de cette information digitale parfois désordonnée, et éphémère (Smyrnaios, 2005). D’où le besoin d’en trier l’essentiel et de hiérarchiser selon un schéma d’ordre. Dans le domaine de l’éducation, les MOOC constituent en ce sens un exemple de répertoire d’information et de connaissances massives et ouvertes. En 2016, plus de 35 millions de personnes se sont inscrites à un ou plusieurs MOOC, délivrés par plus de 500 universités (Cobos, Wilde et Zaluska, 2017). Des études (Guo, Kim et Rubin, 2015) montrent que l’attention est perdue au-delà des 6 premières minutes d’une séquence vidéo pédagogique en ligne. La nécessité de la formalisation des contenus informationnels pose la question de la représentation graphique et textuelle des savoirs en ligne. Ces derniers prennent notamment la forme de schémas et sémantiques graphiques (illustration, dessins, visuels, etc.). Le faible taux de persistance chez les inscrits aux MOOC, les phénomènes de pérégrinations, navigations, passages éphémères (Cisel, 2016) témoignent d’une forte volatilité de la consultation des contenus. Quelle réponse pédagogique pourrions-nous alors proposer afin de répondre au besoin de cristallisation des connaissances et de rétention de l’information ? La question porte en effet autant sur la présentation des informations que sur leur traitement cognitif par l’apprenant, à travers la formalisation et la hiérarchisation. Les MOOC constituent notre contexte de recherche, afin, dans un premier temps, de constituer un corpus d’étude taxonomique sur les schémas pédagogiques présents dans les contenus en ligne. Une deuxième étude porte sur la manière dont les concepteurs de contenus d’un MOOC répondent à une demande de production de schémas explicatifs. Enfin, nous terminons par une expérimentation exploratoire dans un contexte universitaire, questionnant le rôle des schémas fixes dans la rétention de l’information, selon la typologie de schémas relevée dans les deux premières parties.

Un contexte numérique et informationnel

Des informations dans un contexte réticulaire

L’heure numérique conduit les concepteurs de contenus et de parcours d’apprentissage en ligne à repenser la manière de présenter les connaissances (Siemens, 2005). Le passage vers ce nouvel âge économique, décrit par Boltanski et Chiapello (1999) comme « connexionniste », s’est accompagné de réflexions théoriques nouvelles, abordant de manière critique et compréhensive cette rapide évolution, qui concerne également celle des connaissances (certains auteurs évoquent la société de la connaissance et le capitalisme cognitif, comme Moullier-Boutang, 2007, ou l’apprenance, comme Carré, 2005). C’est dans ce contexte que Siemens (2005) et Downes (2012) ont tenté une approche compréhensive des apprentissages dans une société connectée. Le « connectivisme », en se basant notamment sur les théories de l’activité, propose d’aborder les connaissances et les compétences en prenant en compte les interconnexions multiples auxquelles sont soumis les apprenants aujourd’hui : les réseaux locaux, sociaux, de communautés d’intérêt et de partage, etc. Siemens considère que parce que les principales théories de l’éducation furent développées dans un contexte technologique tout à fait différent du nôtre, nous devons aujourd’hui aborder la pédagogie en prenant en compte la nouvelle organisation de l’activité humaine telle que transformée par les technologies de l’information et de la communication (TIC).

MOOC et contexte informationnel volatile

Siemens (2005), en évoquant la communication des connaissances à l’ère numérique, parle de « half-life knowledge » : le savoir et les informations sont faciles d’accès, mais diffus, éphémères. Dans de précédentes recherches (Chaker, 2011 ; 2013), nous avons expliqué que les compétences informationnelles permettent à l’individu d’aller chercher les connaissances dont il estime avoir besoin par un tri sélectif sur Internet. De la même manière, un apprenant peut personnaliser son apprentissage formel. Les MOOC comme dispositifs de formations à distance, n’échappent guère au phénomène de volatilité de l’accès à l’information et aux connaissances, observée par la non-persistance observée chez les inscrits : l’étude faite par Jordan (2015) sur 250000 inscrits à 279 MOOC montre un taux de complétion (obtention du certificat) de 6,5%. C’est ce que Doug Clow (2013) appelle « l’entonnoir de participation » : au fur et à mesure que le MOOC avance, le nombre d’inscrits s’amenuise, jusqu’à se réduire à un léger pourcentage des effectifs de départ qui valident le cours et obtiennent la certification. Par ailleurs, l’étude de Guo et Reinecke (2014) sur quatre MOOC de la plateforme www.edx.org, montre qu’en moyenne, les lauréats des certificats visitent moins de 22% des séquences d’apprentissage. Ainsi, même s’ils ont validé le cours, les apprenants ne consultent qu’une fraction mineure du contenu proposé. Il est toutefois important de souligner que leur étude démontre une corrélation positive entre la découverte des contenus (temps passé par page, nombre de pages visitées, heures de vidéos visionnées, etc.) et la note finale obtenue. Ils expliquent ce paradoxe par le fait que l’évaluation formative est « ouverte », c’est-à-dire qu’il est possible de recommencer plusieurs fois (et que les tests sont accessibles tout au long du déroulement du MOOC), et, une fois publiée sur le site du cours, peut être visualisée avec le reste des contenus proposés. Effectivement, il leur apparaît que les usagers du MOOC font des allers-retours : ceux qui obtiennent le certificat accèdent plus souvent à un contenu antérieur (linéairement) après avoir accédé à une évaluation, qu’après avoir accédé à une autre séquence de lecture. Les étudiants recherchent ainsi les informations qui leur sont nécessaires pour répondre correctement aux questions d’évaluation. D’après les auteurs, ils peuvent, justement via les évaluations, identifier de manière détaillée les objectifs d’apprentissage du cours et concentrer leurs lectures sur les parties concernées. C’est pourquoi ils proposent de remplacer les certificats actuels, qui témoignent uniquement de la réussite ou de l’échec, par des certificats plus riches indiquant l’engagement des apprenants dans les contenus proposés dans le MOOC.

Le schéma et la présentation des connaissances

Un schéma est une manière de représenter graphiquement les connaissances et les informations. Dans une perspective éducative, le schéma aurait ainsi pour fonction de réifier, ou fixer, des objectifs d’apprentissage ou opérationnels selon un ordre graphique. Ce dernier est un système sémiotique (Goody, 1979) : il ne fait pas qu’informer, il a une existence autonome, parce qu’il stabilise un système de relations entre signifiants et signifiés, au-delà de la compréhension qu’en a chaque individu. Un schéma ne reproduit pas les objets, mais un système de fonctionnement, de raisonnement ou de pratiques à suivre (Cuny et Boyé, 1981). Autrement dit, il symbolise des idées ou des concepts, il représente sous forme de signifiant un objet existant (il le substitue sous forme graphique), et met en exergue les types de liens entre les deux catégories de représentation (pensée représentée sous forme graphique et objet signifié). La réification et la signification (au sens d’usage d’un signifiant) se font sous forme graphique : la relation entre eux également. Le schéma emprunte donc au système sémiotique auquel appartient chaque signifié les signifiants correspondants. Il assemble au sein d’un même objet (le schéma), différents systèmes sémiotiques en organisant leur agencement. Cette organisation modélisée graphiquement en agencement de signes est un substitut d’une organisation déjà présente dans le monde vécu d’objets et d’idées. Plusieurs systèmes sémiotiques sont alors mobilisés au sein d’un schéma : c’est en cela que l’on peut considérer ce dernier comme un métalangage stabilisé. En se basant sur l’approche sémiologique de Hjelmslev (1968), nous pouvons classifier les schémas dans la catégorie des métalangages scientifiques puisqu’ils correspondent aux caractéristiques qu’il en donne : ils sont construits et tous les termes qui les composent sont au préalable définis et confrontés. Définis parce que les auteurs de schémas choisissent consciemment les signifiants d’objets parmi les possibles (et les connus), pour qu’ils soient compris par le plus grand nombre. Confrontés si on considère le schéma comme format de présentation optimisé pour l’appréhension. Un schéma pédagogique, par exemple, tente d’optimiser son efficacité. L’exemple que l’on peut donner est le schéma électronique dont les différents éléments sont normés. On apprend d’abord le schéma pour lui-même, avant de passer tout de suite à l’apprentissage de l’objet représenté par le schéma. Ce dernier est ainsi perçu comme « un langage [constitué] à partir des données de la formalisation sémiologique du système-schéma » (Cuny et Boyé, 1981).

Afin d’aborder la question du schéma du point de vue des apprentissages, nous proposons comme point d’entrée une approche psychologique et cognitive traitant du rôle de la représentation graphique dans la communication du sens. L’écrit permet de fixer la pensée pour la livrer à un libre examen (Goody, 1979). En parlant de la liste, Goody affirme qu’elle réarrange les idées selon un ordre logique pas forcément apparent dans le langage parlé. En effet, entendre ou dire qu’il faut faire quelque chose est différent du fait de le lire dans un agencement logique particulier propre à la schématisation. Le langage oral, lui, pour reprendre la terminologie sémiotique de E.T. Hall (1984), obéit à un schéma d’ordre – ici syntaxique, alors que la pensée écrite peut être agencée selon une logique formelle prenant des formes différentes de présentation telles que les listes de procédures à suivre, les schémas, les formules ou les tableaux. La théorie de la charge cognitive (Sweller, 1988) prise en compte dans la construction des environnements pédagogiques, aide à repenser les manières d’organiser la présentation d’un contenu, par des effets de redondance, de modalité ou de juxtaposition. Il peut s’agir de schémas commentés, de textes, parfois accompagnés de signal audio. Cette idée rejoint ce que Norman (1991) nomme l’artefact cognitif. Dessus (2004) donne la définition suivante du schéma : « [C’est] une représentation générique d’une action, pouvant être exécutée en tenant compte d’éventuelles particularités du contexte, via la particularisation de certaines variables. [...] De tels schémas [...] facilitent grandement la charge cognitive de l’exécutant, qui peut ainsi se consacrer à des éléments plus complexes de la situation ». Vallacher et Wegner (1987, cités par Dessus, 2004) expliquent les relations entre cognition et action : ces dernières, lorsqu’elles sont mises en œuvre, ont une structure hiérarchique pouvant être représentée mentalement. « Une personne réalisant une action en a donc une représentation cognitive organisée (c’est-à-dire un ou des buts, une représentation des moyens matériels pour y parvenir, etc.) ». Nous sommes ici dans une logique procédurale, où le schéma produit est relatif à une compétence et renvoie vers un savoir-faire et indique une succession d’étapes à suivre afin de parvenir à un résultat. Cet objet graphique peut également prendre la forme d’une présentation synthétique d’une idée, d’une notion, d’un concept, et de l’agencement des sous-éléments qui les composent, la nature de leurs interrelations étant explicitée selon des codes visuels : la carte mentale. Cette démarche serait heuristique : « les schémas décrivent des actions à un bas niveau et nécessitent un mécanisme de plus haut niveau pour les activer, les heuristiques » (Dessus, 2004). Afin de participer à la compréhension de la faible persistance et du butinage des informations dans les MOOC, nous proposons une piste de recherche par « le contenu ». Nous allons nous intéresser non pas aux phénomènes socio-économiques ou institutionnels qui pourraient contribuer aux explications, mais à l’ingénierie pédagogique (instructional design) propre aux MOOC : comment les schémas sont-ils conçus et utilisés ?

Enquête n°1 : étude des schémas dans 50 MOOC

Le terrain d’enquête

Nous avons d’abord procédé à une analyse exploratoire de l’existant. À savoir, comment et dans quelle mesure sont présentés les schémas en illustration des contenus textuels des MOOC ? Répondre à cette question nous permettra de vérifier s’il existe un usage systématique de schémas lors de la conception des MOOC, et d’en dresser un tableau taxonomique heuristique, en nous basant sur la modalité informationnelle procédurale et conceptuelle abordée dans le paragraphe précédent. Nous avons exploré 50 MOOC et retenu quatre indicateurs sur lesquels nous basons nos analyses :

 1 Le nombre de schémas dans chaque MOOC : un indicateur quantitatif.

 2 Leur positionnement : un indicateur de la fonction du schéma. Comme présentation d’un cours (en début), comme contenu d’un cours (au milieu) ou en résumé (à la fin).

- 3 Leur nature, autrement dit s’ils décrivent un concept (une idée ou une notion théorique), ou prescrivent un savoir-faire (une procédure à suivre) : un indicateur de la nature du contenu que le schéma est censé véhiculer.

 4 Leur type graphique, autrement dit s’ils représentent un plan de contenu (à plat, sans ordre de lecture indiqué) ou un ordonnancement séquencé par étapes (avec un ordre de lecture) : un indicateur de la forme graphique que prend le schéma.

Nous utilisons ces quatre indicateurs afin de caractériser les schémas que nous avons listés à travers notre observation : chaque indicateur renvoie à la méthode utilisée pour communiquer le sens à travers la formalisation graphique. Autrement dit, il s’agit d’analyser comment sont exposés les notions et éléments d’apprentissage. Nous pourrions intuitivement penser que les contenus procéduraux sont représentés en ordonnancement séquencé, c’est-à-dire que les étapes à suivre en vue de la réalisation d’une tâche ou pour atteindre un objectif sont présentées selon un ordre à respecter. De la même manière, les contenus conceptuels pourraient être présentés selon une logique « carte mentale », ou « mindmap », sans sens de lecture imposé. Toutefois, un concepteur peut très bien décider de décrire un processus en agencement par étapes, et, à l’inverse, proposer une procédure à suivre sans ordre précis. C’est pourquoi nous avons proposé de classer les schémas trouvés selon un cinquième indicateur combinant toutes les possibilités (voir tableau 1 plus bas).

Méthodologie d’analyse

Les schémas que nous avons comptabilisés sont situés dans le corps du texte, ou alors dans des documents intégrés dans le cours, apparaissant à l’intérieur d’un cadre (à l’aide d’une balise