Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

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Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA)

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/3089

Un article de Nina Helga Ludin repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une revue sous licence CC by sa

En s’appuyant sur le concept d’« hypertélie » développé par Gilbert Simondon pour désigner une suradaptation d’un objet technique dans un milieu inadapté à son fonctionnement, cet article propose d’aborder le lancement de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) comme la survalorisation et l’introduction anticipée des TIC et de la culture numérique dans l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne par la Banque mondiale en 1997. Dans cette perspective, le lancement de l’UVA comme entreprise privée, suivi de son maintien par sa transformation en organisation intergouvernementale, correspond à un mode d’ « utilitarisation » de la technique permettant à la Banque mondiale d’influencer le processus d’adaptation des universités traditionnelles au milieu de l’enseignement en ligne et de favoriser l’émergence de nouveaux types d’institutions. Deux nouveaux types d’universités publiques s’observent, le premier avec la création en 2013 de l’Université Virtuelle du Sénégal, et le second avec le lancement en 2012 de l’Université Panafricaine qui présente le même modèle à échelle continentale d’implantation dans les universités traditionnelles existantes que l’UVA et qui est censée intégrer cette dernière comme sixième institut dédié à l’enseignement en ligne et devra donc articuler son idéologie panafricaine à l’idéologie néolibérale et techniciste de la Banque mondiale qui caractérise encore l’UVA aujourd’hui.

Introduction

Cet article propose d’appréhender le lancement de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) en 1997 comme une introduction anticipée des TIC et de la culture numérique par la Banque mondiale au sein d’universités traditionnelles d’Afrique subsaharienne avec pour objectif la transformation de l’enseignement supérieur et son rapprochement, en Afrique francophone, du modèle souhaité par la Banque mondiale et caractérisé par le fait d’être financièrement à la charge de l’étudiant.

Notre analyse s’appuie sur le concept d’« hypertélie » développé par Gilbert Simondon pour désigner la suradaptation d’un objet technique dans un milieu inadapté à son fonctionnement : « l’évolution des objets techniques manifeste des phénomènes d’hypertélie qui donnent à chaque objet technique une spécialisation exagérée et le désadaptent par rapport à un changement même léger survenant dans les conditions d’utilisation ou de fabrication » (Simondon, 1958, p. 50).

L’aspect propédeutique, et donc structurant de l’enseignement à distance pour l’enseignement supérieur traditionnel, est resitué dans le paradigme de l’industrialisation de l’éducation tel que défini par Moeglin (2016) à l’aide de trois marqueurs : « technologisation, rationalisation, idéologisation » (p. 234).

Dans cette perspective, la raison d’être de l’UVA est abordée non sous l’aspect de l’augmentation de l’accès à l’enseignement supérieur dans les pays d’Afrique subsaharienne, mais au regard des transformations auxquelles elle donne lieu. Ce faisant, une séparation apparaît entre la forme première de l’UVA et son fond idéologique, ce dernier étant ainsi rendu disponible pour se fixer sur d’autres formes et s’articuler avec d’autres idéologies comme en témoigne la décision prise par l’Union Africaine en 2017 de faire de l’UVA le sixième institut dédié à l’enseignement en ligne de l’Université Panafricaine (Union Africaine, 2017 ; Waruru, 2017).

Paradoxes de l’UVA, TIC en 2002 et impression d’anticipation

Lancée en 1997 par la Banque mondiale comme une start-up d’enseignement à distance supportée par les nouvelles technologies sans fil, l’UVA se présente comme un réseau de centres implantés dans les universités traditionnelles de 11 pays d’Afrique subsaharienne avec pour objectif d’améliorer significativement l’accès à l’enseignement supérieur.

Cependant, en raison de sa dépendance aux subventions de la Banque mondiale et de l’échec de son objectif d’autofinancement, l’UVA est transformée en 2003 en organisation intergouvernementale grâce à la ratification d’une charte par 15 pays d’Afrique subsaharienne.

Toutefois, en 2018, malgré les importants capitaux investis par plusieurs organisations internationales d’aide au développement au nom de la mission de bien public que représente l’enseignement supérieur, couplés à son implantation au sein de 53 institutions universitaires de 30 pays d’Afrique subsaharienne faisant de l’UVA le principal réseau panafricain en formation Ouverte, à Distance et eLearning (ODeL) (UVA, Rapport annuel 2014-2015, p. 8), l’UVA ne semble pas avoir permis d’accroitre significativement l’accès à l’enseignement supérieur d’Afrique subsaharienne.

En effet, selon l’Institut de Statistique de l’Unesco (2010), les effectifs d’inscrits dans l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne sont passés de moins de 200 000 en 1970 à plus de 4.5 millions en 2008. Ainsi, au regard des effectifs formés (et non diplômés) annoncés par l’UVA en 2017 sur son site web, soit 63 823 dans 53 institutions partenaires de 27 pays africains en 20 ans d’existence, il parait difficile de conclure à la contribution de l’UVA en termes d’accroissement significatif de l’accès des étudiants africains à l’enseignement supérieur. D’autant plus que ces effectifs font l’objet de controverses (Loiret, 2007) et sont difficilement vérifiables, ceux-ci ne faisant l’objet d’aucune publication régulière.

Un entretien mené auprès d’un ancien responsable de l’UVA (Lendrin, 2018) confirme ce paradoxe : l’UVA est un fournisseur d’enseignement à distance qui vise la « quantité » grâce à une technologie qui doit permettre de toucher un grand nombre d’étudiants, mais le dispositif n’aboutit pas à une augmentation du nombre d’étudiants dans les universités africaines. En revanche, l’apport et la sensibilisation technologiques constitueraient l’impact principal de l’UVA pour l’enseignement supérieur africain (Lendrin, 2018) dans le sens où l’UVA « est devenue le centre d’une culture TIC dans plusieurs universités africaines » (Prakash, 2003, p. 4).

Si l’implantation de l’UVA semble avoir été plus difficile en Afrique francophone, « Chez les anglophones, notamment d’Afrique, le scepticisme concernant l’impact de l’UVA s’exprime assez tôt » (Loiret, 2007, p. 169). L’entretien effectué confirme que le succès de l’implantation de l’UVA dépend surtout de la capacité de réception du milieu, y compris en Afrique anglophone puisque par exemple, pour l’université de Juba au Sud Soudan, qui est assez jeune et a peu de moyens, « le centre UVA n’a pas apporté grand-chose parce qu’ils n’arrivaient pas à mettre en œuvre le modèle alors que par exemple l’Université de Port Harcourt au Nigéria qui a beaucoup plus de moyens a eu beaucoup plus de facilité » (Lendrin, 2018).

Au regard des taux d’accès aux lignes téléphoniques et à Internet en Afrique à l’époque de son lancement, l’étude de cas de l’UVA donne ainsi une impression d’anticipation qui ne semble pas attribuable à une autonomie du déploiement de la technique au sens d’Ellul (1977), puisque les infrastructures faisaient défaut. En effet, en 2002, avec 18,5 lignes téléphoniques pour 1000 habitants (à comparer avec plus de 300 pour 1000 en Amérique du Nord et en Europe) et un taux d’accès à Internet de 1 pour 5000 habitants (à comparer au taux de 1 pour 6 en Amérique du Nord et en Europe, et de 1 pour 40 dans le monde) l’Afrique présente les plus faibles taux d’accès aux lignes téléphoniques et à Internet du monde, et ceux-ci sont par ailleurs concentrés en zones urbaines et en Afrique du Sud (Murphy, Anzalone, Bosch et Moulton, 2002).

De plus, l’UVA étant un projet de la Banque mondiale, son introduction dans les universités traditionnelles africaines n’est pas non plus attribuable aux pays africains eux-mêmes, ces derniers auraient probablement intégré les évolutions technologiques à leur développement, comme le montre le cas du Centre de Télé-enseignement de Madagascar, mais peut-être par d’autres chemins que celui impulsé par la Banque mondiale, et qui par ailleurs, c’est particulièrement perceptible en Afrique francophone, est teinté de l’idéologie néolibérale qui vise à faire de l’enseignement supérieur un service au moins partiellement à la charge des étudiants.

À cela s’ajoutent les aveux de la Banque mondiale qui reconnait que le projet de l’UVA n’était pas adapté au contexte technologique africain puisque le manque d’électricité et d’accès aux lignes téléphoniques était déjà problématique, ni au contexte économique dans lequel « La plupart des Africains n’ont pas les moyens de s’acheter un ordinateur personnel » (Prakash, 2003, p. 4). Selon une étude de 2001 du Commonwealth of Learning, le contexte africain et notamment les infrastructures de communication étaient en effet inadaptés aux ambitions de l’UVA qui est censée être une réponse rapide, apportée par la formation à distance supportée par les TIC, au problème de la massification et de l’engorgement des universités africaines (Loiret, 2007).

L’UVA apparait ainsi comme « un objet politique » dont la contribution concerne principalement l’étape de diffusion des techniques les plus récentes et de l’idéologie qui les accompagne : l’UVA a « permis une dissémination des concepts, même si le modèle de développement qu’elle avait choisi n’était pas adapté au terrain auquel il était destiné » (Loiret, 2007, p. 23).

En effet, l’inadaptation par rapport au milieu africain, si évidente qu’elle soit, n’est pas essentielle au regard du déploiement de la technique puisque « la nécessité de l’adaptation non à un milieu défini à titre exclusif, mais à la fonction de mise en relation de deux milieux l’un et l’autre en évolution, limite l’adaptation et la précise dans le sens de l’autonomie et de la concrétisation. Là est le véritable progrès technique » (Simondon, 1958, p. 53).

L’industrialisation de l’éducation comme processus de concrétisation

Selon Simondon (1958), l’objet technique « primitif » qui n’assume qu’une seule fonction donnée, évolue vers le stade d’objet technique « concret », c’est-à-dire industriel, par un processus de concrétisation au cours duquel, pour répondre à la multiplicité des usages, l’objet technique voit d’abord ses structures se diversifier. Puis, pour se perfectionner lui-même, les différentes formes de l’objet technique convergent vers une forme standardisée et industrialisable dans laquelle l’objet technique assume des fonctions plus nombreuses, mais synergiques.

En s’interrogeant sur « les raisons de cette convergence qui se manifeste dans l’évolution des structures techniques » (Simondon, 1958, p. 23), Simondon considère la standardisation comme une tendance convergente qui s’oppose à celle de « la multiplication des types, appropriée à la variété des besoins » (Simondon, 1958, p. 23). La diversification se poursuit jusqu’à une phase de saturation après laquelle l’objet technique se standardise pour devenir un objet concrétisé, c’est-à-dire produit de façon industrielle.

Ainsi, pour Simondon, le processus d’industrialisation constitue le processus de concrétisation, car la standardisation de l’objet technique est une nécessité intrinsèque à l’objet technique, elle ne vient pas du travail à la chaîne, mais au contraire, elle le rend possible : « L’industrialisation de la production est rendue possible par la formation de types stables » (Simondon, 1958, p. 24).

Genèse de l’institution scolaire comme organisation technique

En considérant l’éducation comme un « processus de fabrication », J.F. Bobbitt (1913) se réfère à ce qui se pratique dans le monde de l’industrie, où objectifs et moyens disponibles sont clairement définis dans un cahier des charges, permettant « de réaliser les ajustements nécessaires par comparaison instantanée entre le résultat atteint et le but recherché » (Moeglin, 2016, p. 82).

La technicité, qui selon Simondon « accentue la prise de conscience de l’action par l’être qui l’accomplit sous forme de résultats » (Simondon, 1958, p. 175), fait ainsi son entrée dans le domaine de l’éducation, apportant avec elle sa caractéristique de limitation de l’action à ses résultats : « La technicité suppose qu’une action est limitée à ses résultats ; elle ne s’occupe pas du sujet de l’action pris dans sa totalité réelle, ni même d’une action dans sa totalité, dans la mesure où la totalité de l’action est fondée sur l’unité du sujet » (Simondon, 1958, p. 176).

Toutefois, l’assimilation de l’institution scolaire à un « être » technique au sens ne semble pas évidente, car « La réalité humaine ne peut être objet de technique que lorsqu’elle est déjà engagée dans une relation technique » (Simondon, 1958, p. 226). Le paradigme de l’industrialisation de l’éducation (Moeglin, 2016) retrace un siècle d’évolution de cette relation technique qui se traduit par le développement des technologies éducatives.

En suivant également Desrosières (1993) selon qui « les outils statistiques permettent de découvrir ou de créer des êtres sur lesquels prendre appui pour décrire le monde et agir sur lui. De ces objets, on peut dire à la fois qu’ils sont réels et qu’ils ont été construits, dès lors qu’ils sont repris dans d’autres assemblages et circulent tels quels, coupés de leurs genèses » (p. 9), il semble possible (Lendrin, 2017), de considérer l’institution éducative comme un « objet » ou un « être » technique, selon la terminologie des deux auteurs (Desrosières, 1993 ; Simondon, 1958).

Dans cette perspective, le modèle industriel de l’éducation est considéré comme une médiation technique entre l’homme et son milieu, qui « s’institue au moyen d‘une chose qui devient objet technique » (Simondon, 1958, p. 173), tandis que l’institution scolaire, est la chose qui commence sa vie d’être technique en passant du stade d’« objet technique primitif », où elle « ne remplit qu’une seule fonction essentielle » (l’enseignement), au stade d’objet technique en voie de concrétisation dans lequel ses structures se diversifient tout en assumant des fonctions plus nombreuses, mais synergiques (enseignement, besoins économiques, progrès social), car selon Simondon, c’est essentiellement « la découverte des synergies fonctionnelles qui caractérise le progrès dans le développement de l’objet technique » (Simondon, 1958, p. 37).

Ainsi, la volonté de faire jouer plusieurs rôles à l’institution scolaire marque l’invention de cette dernière comme siège d’une activité non seulement productive, mais aussi technique lui conférant une « essence technique » qui l’engage dans une production de « structures et de fonctions par développement interne et saturation progressive » (Simondon, 1958, p. 43).

2es progrès de l’institution scolaire sur la voie de la saturation s’observent au travers d’une diversification de ses structures (écoles, collèges, lycées, universités) et, selon Piveteau (1973), d’une spécialisation de plus en plus poussée de ces dernières qui « se manifeste au sein du système où l’on retrouve comme dans l’industrie des ateliers nobles et des ateliers maudits (distinction entre lycées, CES, CEG et CET) » (Moeglin, 2016, p. 142).

Avancement de l’enseignement en ligne dans le processus de concrétisation

L’enseignement en ligne se caractérise par son recours à la technologie éducative et à la convergence de différentes théories (béhaviorisme, systémisme) dans une ingénierie pédagogique qui vise la production d’un « sur mesure de masse » (Perriault, 1996, cité par Moeglin, 2016).

L’apparition du systémisme comme deuxième cadre théorique du modèle industriel de l’éducation (Coombs, Berger, Paquette, 2016) correspond à un « bond », un « perfectionnement essentiel » (Simondon, 1958, p. 40), de la représentation de l’industrialisation comme processus de concrétisation de l’institution scolaire, constitutif d’une « mutation orientée » (Simondon, 1958, p. 40) par la dimension idéologique d’une « représentation systémique du monde » (Moeglin, 2016, p. 197). Ce bond se traduit par un nouveau type d’industrie que Perriault (1996) propose de qualifier de « type quaternaire, car elle travaille sur les productions de l’esprit. C’est une industrie qui se fonde sur la pensée, sur l’immatériel » (Moeglin, 2016, p. 180).

C’est pourquoi, en accord avec Lê Thành Khôi, Peters et Musselin, Perriault (1996) considère la formation à distance « comme propédeutique du processus d’industrialisation de l’éducation en général » en raison de son « souci de la modularisation » et de « celui de la distribution des contenus et la gestion des interactions avec les élèves » (Moeglin, 2016, p. 178).

Par ailleurs, l’enseignement en ligne a ceci de particulier qu’il se déroule dans un milieu technique et géographique qui est une condition sine qua non de son fonctionnement. Cette caractéristique permet, en suivant Simondon, de le considérer comme une invention qui, par un processus d’ « adaptation-concrétisation » - c’est-à-dire « un processus qui conditionne la naissance d’un milieu au lieu d’être conditionné par un milieu déjà donné » (Simondon, 1958, p. 55) - réalise la création d’un milieu technogéographique qui lui est associé en tant qu’il est « une condition de possibilité du fonctionnement de l’objet technique » (Simondon, 1958, p. 55). Selon Simondon, « il y a invention parce qu’il y a un saut qui s’effectue et se justifie par la relation qu’il institue à l’intérieur du milieu qu’il crée » (Simondon, 1958, p. 55).

Perfectionnement de l’objet technique chez Simondon : loi de relaxation et hypertélie

Si pour Simondon le problème technique est « plutôt celui de la convergence des fonctions dans une unité structurale que celui d’une recherche de compromis entre des exigences en conflit » (Simondon, 1958, p. 22), « L’objet technique est au point de rencontre de deux milieux […] pas nécessairement compatibles » (Simondon, 1958, p. 52), le milieu technique et le milieu humain, entre lesquels le choix humain essaye de réaliser le mieux possible un compromis. Ainsi, c’est la médiation humaine qui définit les synergies fonctionnelles et assure la fonction de régulation constituée par la causalité récurrente entre l’objet technique et le milieu dans lequel il est inséré.

Simondon nomme « loi de relaxation » le processus qui relie le « milieu technique » et le « milieu humain » et qui suit une ligne de causalité récurrente, mais non linéaire, « la même réalité existant sous forme d’éléments, puis de caractéristique de l’individu et enfin de caractéristique de l’ensemble » (Simondon, 1958, p. 66).

La loi de relaxation est constituée de deux cycles définissant le « temps technique propre » (Simondon, 1958, p. 67). Lors du premier cycle, les éléments techniques porteurs de la technicité (TIC) se concrétisent en individus techniques (UVA) caractérisés par le milieu associé qu’ils génèrent (eLearning) en même temps qu’ils en dépendent, et par là s’intègrent dans l’ensemble technique et humain (marché de l’enseignement supérieur africain) qui « se distingue des individus techniques en ce sens que la création d’un unique milieu associé est indésirable » (Simondon, 1958, p. 66), autrement dit, il existe plusieurs marchés de l’enseignement supérieur (africain, européen, américain, etc.).

Au cours du deuxième cycle, la technicité redescend de l’ensemble (marché de l’enseignement supérieur africain) aux nouveaux individus techniques (universités virtuelles et traditionnelles transformées) puis dans les éléments techniques. La redescente de la technicité dans les éléments techniques en fin de deuxième cycle suppose donc que le développement de l’enseignement en ligne et des universités virtuelles soit un moteur du perfectionnement des technologies éducatives, ce qui s’observe avec, par exemple, le développement par l’UVA d’applications mobiles pour l’accès aux contenus pédagogiques en ligne (m-learning) (UVA, Business Plan 2014-2019).

Selon la loi de relaxation, c’est au cours de la phase de perfectionnement de l’objet technique que « l’hypertélie survient lorsque l’adaptation est relative à un donné existant avant le processus d’adaptation » (Simondon, 1958, p. 56). Ainsi, si l’enseignement en ligne peut être considéré à l’origine d’un processus d’adaptation-concrétisation de l’enseignement supérieur au milieu associé qu’il génère, l’état des infrastructures lors du lancement de l’UVA témoigne du fait que le processus d’adaptation-concrétisation n’a pas encore débuté au sein des universités traditionnelles puisque qu’entre 1997 et 2003, l’UVA doit compléter l’insuffisant accès à Internet par un dispositif de vidéodiffusion par satellite de télévision avant d’opter, en 2004, pour un système de diffusion d’internet par satellite (VSAT) (Loiret, 2007).

UVA et Université Virtuelle Francophone (UVF), deux exemples d’hypertélies

Par rapport aux autres initiatives d’enseignement à distance existantes ou lancées à la même époque en Afrique subsaharienne, l’UVA se caractérise par le fait d’être une entreprise privée lancée par la Banque mondiale dont le modèle pédagogique vise avant tout l’utilisation des nouvelles technologies pour l’enseignement (Loiret, 2007) avec un modèle organisationnel d’implantation dans les universités traditionnelles existantes.

Toutefois, lancée la même année que l’UVA (1997), l’Université Virtuelle Francophone (UVF) de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF ex-AUPELF) décrite comme « une réponse politique des États partageant la langue française au lancement de l’Université virtuelle africaine, à influence anglo-saxonne » (Loiret, 2007, p. 247) présente certaines similitudes avec l’UVA, notamment le modèle d’implantation dans les universités existantes (Loiret, 2013) qui perdure après la transformation de leurs formes premières respectives.

Dispositifs technologiques

Selon Loiret (2013), « La principale similitude entre l’UVA et l’UVF réside dans une anticipation commune que les technologies vont bouleverser les méthodes d’enseignement et permettre de régler en partie les problèmes de l’Université africaine ». Mais contrairement à l’UVA qui s’inscrit « dans une volonté de rupture radicale avec le système académique traditionnel », l’UVF se veut un « concept fédérateur » des actions entreprises par l’AUF qui « ne prône pas de révolution technologique, mais une utilisation en juste proportion, avec un « optimisme raisonné » (Wallet, 2004), des technologies dans l’enseignement » (Loiret, 2013, p. 19-20).

En effet, l’UVA et l’UVF se distinguent sur le plan technologique puisque l’UVF s’appuie sur le réseau des centres SYFED (Système francophone d’édition et de diffusion) qui « utilisent d’abord le minitel, avant de passer à Internet » (Loiret, 2013, p. 8), tandis que l’UVA délivre des enseignements via un système de vidéodiffusion par satellite de télévision jusqu’en 2004 sans parvenir au transfert de cette technologie dans les universités traditionnelles (Loiret, 2007).

Des formes organisationnelles premières inadaptées et transformées

Toutefois, les formes premières de l’UVF comme de l’UVA se révèlent toutes deux inadaptées puisque l’UVF n’existera en tant que telle que de 1997 à 1999 avant d’être transformée en 2000 en réseau de Campus Numériques Francophones (CNF) de l’AUF (Loiret, 2007) tandis que l’UVA sera transformée en organisation intergouvernementale en 2003.

De ce point de vue, l’UVF et l’UVA en tant qu’entreprise privée, peuvent toutes deux être considérées comme une hypertélie correspondant à un fractionnement et à la perte d’autonomie des organisations techniques qu’elles constituent respectivement : « il existe deux types d’hypertélie : l’une qui correspond à une adaptation fine à des conditions définies, sans fractionnement de l’objet technique et sans perte d’autonomie, l’autre qui correspond à un fractionnement de l’objet technique […] Le premier cas conserve l’autonomie de l’objet technique, alors que le second le sacrifie » (Simondon, 1958, p. 51).

Toutefois, après leurs transformations respectives, l’UVA en tant qu’organisation internationale, et le réseau des CNF de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) constituent les deux plus importants dispositifs d’enseignement en ligne d’Afrique francophone (Saint, 1999) et ont en commun le modèle d’implantation de leurs centres au sein d’universités traditionnelles partenaires qui leur confère un rôle privilégié dans le processus d’« adaptation-concrétisation » des universités traditionnelles, ce qui se traduit par des activités encore communes aux deux dispositifs après leur transformations respectives : formation à l’intégration des TIC dans l’enseignement à destination des enseignants, production collaborative de contenus pédagogiques, formation de cadres spécialisés dans la gestion de l’offre de formation en ligne (Loiret, 2013 ; Loiret, 2007 ; UVA, rapport 2010-2011).

Dans cette perspective, l’UVA et l’UVF deviennent chacune « un cas mixte d’hypertélie […] qui correspond à une adaptation au milieu telle que l’objet nécessite une certaine espèce de milieu pour pouvoir fonctionner convenablement » (Simondon, 1958, p. 51) puisque le réseau des Campus Numériques Francophones de l’AUF et l’UVA nécessitent non seulement le milieu technique de l’enseignement en ligne comme milieu associé, mais aussi le modèle d’implantation dans les universités traditionnelles existantes permettant de mettre en œuvre leurs activités à une échelle internationale.

L’UVA : un exemple de mythe

Cependant, si l’UVF lancée par l’AUF disparait en tant que telle en réseau de Campus Numériques Francophones (CNF), celui-ci reste un dispositif de l’AUF ; la transformation de l’UVF n’implique donc pas de séparation entre son fond idéologique et sa nouvelle forme.

Au contraire, l’UVA en tant qu’organisation internationale africaine ne redevient pas un dispositif de la Banque mondiale alors que son fond idéologique se maintient : « Imaginés en 1997, les principes organisationnels de l’UVA sont toujours en œuvre dans les infrastructures de l’institution » (Loiret, 2007, p. 122).

Ainsi, le premier type d’hypertélie amenant à un fractionnement et une perte d’autonomie de l’organisation technique (UVA en tant qu’entreprise privée), donne lieu à la transformation de l’organisation technique (UVA en tant qu’organisation intergouvernementale) permettant la séparation (mais non la disparition) au sein de l’UVA de son fond idéologique et de sa forme première : « l’apparition de la distinction entre figure et fond provient d’un état de tension, d’incompatibilité du système par rapport à lui-même » (Simondon, 1958, p. 163).

Dans cette perspective, l’UVA se rapproche d’un mythe au sens de Barthes (1957) dans le sens où la forme première d’entreprise privée lancée par la Banque mondiale (le signifiant) exprime l’idéologie de la Banque mondiale (le signifié) et donne son sens à l’UVA qui est alors le signe sur lequel peut venir s’édifier le mythe de l’UVA avec sa transformation en organisation intergouvernementale.

Cette nouvelle forme de l’UVA est vidée de son sens, mais peut s’y alimenter : « c’est que la forme ne supprime pas le sens, elle ne fait que l’appauvrir, l’éloigner, elle le tient à sa disposition. On croit que le sens va mourir, mais c’est une mort en sursis : le sens perd sa valeur, mais garde la vie, dont la forme du mythe va se nourrir. Le sens sera pour la forme comme une réserve instantanée d’histoire, comme une richesse soumise, qu’il est possible de rappeler et d’éloigner dans une sorte d’alternance rapide : il faut sans cesse que la forme puisse reprendre racine dans le sens et s’y alimenter en nature ; il faut surtout qu’elle puisse s’y cacher. C’est ce jeu intéressant de cache-cache entre le sens et la forme qui définit le mythe. » (Barthes, 1957, p. 191)

En se rapportant au modèle de Barthes (1957), le signifié de l’UVA en tant qu’organisation intergouvernementale devient « cette histoire qui s’écoule hors de la forme, [et] c’est le concept qui va l’absorber toute » (p. 191). Or « Le concept, lui, est déterminé : il est à la fois historique et intentionnel ; il est le mobile qui fait proférer le mythe […] Contrairement à la forme, le concept n’est nullement abstrait : il est plein d’une situation » (Barthes, 1957, p. 191).

Dans le cas de l’UVA, le concept pourrait alors se traduire comme l’intention de répondre à la demande d’enseignement supérieur par un enseignement en ligne à la charge des étudiants puisque selon l’hypothèse soutenue par Loiret (2007), « le texte fondateur de l’UVA, traduit en projet opérationnel un projet politique, celui de la Banque mondiale, qui souhaite changer le mode de financement de l’enseignement supérieur, modifier en profondeur l’organisation des systèmes universitaires africains ; notamment en instaurant une concurrence entre secteur public et secteur privé et en faisant supporter une partie du coût des études aux familles. Il s’agit à travers l’UVA de démontrer la pertinence de ces principes » (p. 122).

Cela correspond également à la vision de Barthes (1957) selon laquelle « ce qui s’investit dans le concept, c’est moins le réel qu’une certaine connaissance du réel ; en passant du sens à la forme, l’image perd du savoir : c’est pour mieux recevoir celui du concept. En fait, le savoir contenu dans le concept mythique est un savoir confus, formé d’associations molles, illimitées. » (p. 192). Ainsi, pour Barthes (1957), la genèse d’un mythe est caractérisée par une séparation d’un fond et de sa forme, cette dernière devenant ainsi le réceptacle d’un concept qui « répond étroitement à une fonction, il se définit comme une tendance » (p. 192).

Perspective qui s’accorde avec celle de Simondon (1958), car « la figure se fragmente, tandis que les qualités et forces de fond s’universalisent » (Simondon, 1958, p. 168). Ainsi, cette séparation entre le fond et la forme première de l’UVA marque la possibilité pour le fond idéologique de l’UVA de se fixer à n’importe quelle autre forme, de fusionner avec d’autres fonds idéologiques, et de devenir une tendance générale.

Participation de l’UVA au processus d’adaptation-concrétisation des universités traditionnelles

En tant qu’entreprise privée implantée dans les universités traditionnelles, l’UVA a permis à la Banque mondiale d’expérimenter la technologie sans fil (Banque Africaine de Développement, 2004) pour la commercialisation des contenus pédagogiques et d’introduire le fractionnement du métier d’enseignant-chercheur puisque l’encadrement des cours de l’UVA s’appuie sur la nomination d’enseignants des universités africaines partenaires en tant que « modérateurs » chargés, dans le cadre de « directives additionnelles sur la façon de corriger les devoirs et les examens, sur la façon de noter et de transmettre des notes », d’accompagner, de corriger et de noter le travail des étudiants (Loiret, 2007, p. 148).

La transformation de l’UVA en organisation intergouvernementale amène d’importantes réorientations stratégiques, et selon la Banque Africaine de Développement (BAD) qui prend le relai de la Banque mondiale en 2004, « l’UVA continuera de renforcer son action en mettant un accent particulier sur la formation initiale et sur le tas des enseignants du secondaire » et jouera un « rôle de ressource et de catalyseur techniques en matière d’investissement dans le domaine des TIC au niveau de l’enseignement supérieur en Afrique » qu’elle aidera à se moderniser (BAD, 2004, p. 23).

Ainsi les activités initiales de l’UVA sont prolongées avec l’évolution en 2004 du dispositif technologique vers un système de diffusion d’internet par satellite (VSAT), la mise en place de diplômes internationaux d’universités d’Australie et du Canada, et la formation des enseignants.

Les diplômes internationaux proposés par l’UVA (2004-2009)

Les diplômes internationaux sont abandonnés en 2009 en raison de leur coût (UVA, Rapport 2007-2009), mais ils auront permis à la Banque mondiale de tester, en Afrique francophone, les capacités de financement de l’enseignement supérieur à distance des gouvernements et des familles des étudiants traditionnels (jeunes, sans emploi, issus de familles modestes) et d’élargir le public cible de l’enseignement à distance aux étudiants traditionnels et à la formation initiale.

Par exemple, contrairement au public habituel de l’enseignement à distance, généralement adulte et en emploi, le diplôme en Sciences Informatiques de l’Université de Laval proposé en Afrique francophone s’adresse aussi à des étudiants en formation initiale parmi lesquels se trouvent des primo-bacheliers automatiquement orientés vers les formations de l’UVA sans information supplémentaire sur le dispositif technologique ou le coût de la formation s’élevant alors à 583 dollars, soit à peu près le salaire mensuel d’un cadre moyen (Fournier Fall, 2006).

Par ailleurs, selon les directives de l’UVA, les étudiants devaient réaliser des travaux dirigés sous la direction d’un tuteur présent sur place. Toutefois, le cas du Sénégal témoigne du fait que le tuteur n’était pas toujours recruté ce qui constituait une difficulté supplémentaire pour les étudiants (Fournier Fall, 2006) dont le taux de réussite fût faible et auxquels aucune progression pédagogique ne fût proposée en cas de réussite (Loiret, 2007).

Développement local des contenus et formation des enseignants

Parallèlement, l’UVA se réoriente vers le développement local de contenus pédagogiques destinés à la formation à l’intégration des TIC dans l’enseignement pour laquelle l’UVA bénéficie, entre 2005 et 2011, d’un don de 7,66 millions de dollars de la BAD. La formation des enseignants proposée par l’UVA se caractérise par une application directe susceptible de participer à la création du besoin en matière de TIC et donc au public potentiel d’un enseignement en ligne puisque les programmes s’adressent aux enseignants en poste ou en cours de formation dans les écoles normales, ainsi qu’aux enseignants des écoles normales, et seront directement appliqués dans leurs activités d’enseignement : « le reformatage [des programmes de formation en mathématiques et en sciences] doit être effectué par les participants aux divers ateliers d’élaboration de programmes de formation qui mettront en pratique des aptitudes acquises au cours des ateliers » (BAD, 2004, p. 48). De plus, « l’UVA, en collaboration avec les universités, formuleront des politiques et des procédures qui régiront l’exécution du programme dans les écoles normales » (BAD, 2004, p. 34).

Ressources Éducatives Libres (REL)

L’UVA est également subventionnée par la BAD pour développer des contenus pédagogiques (y compris les Moocs à partir de 2013) qui doivent être produits en tant que Ressources Éducatives Libres (REL) pour justifier leur subventionnement.

Le développement des REL par l’UVA donne lieu à l’élaboration d’un Cadre d’Assurance Qualité (CAQ) qui, tout en se défendant d’être un document prescriptif, se veut transférable aux universités traditionnelles qui ont dû intégrer les critères de qualité proposés (UVA, CAQ, 2014, p. 6-7) afin que l’UVA soit « en mesure de vérifier la qualité de ces programmes et institutions qui ne disposent pas d’un CAQ » » (UVA, Rapport annuel 2014-2015, p. 26).

Or, le CAQ de l’UVA s’appuie sur les lignes directrices du Commonwealth of Learning (COL), organisation intergouvernementale qui œuvre à la promotion de l’éducation Ouverte, à Distance et du eLearning (ODeL) dans les États du Commonwealth, qui, selon l’UVA, intègrent les meilleures pratiques et normes employées par les commissions d’accréditation des États-Unis et des organismes d’Assurance Qualité dans les pays du Commonwealth (UVA, CAQ, 2014, p. 5). Ainsi, l’UVA se fait le vecteur des normes d’assurance qualité du COL dans les universités d’Afrique francophone.

Fractionnement du métier d’enseignant-chercheur

De plus, en cohérence avec le débat des années 2000 concernant les universités virtuelles, le CAQ du COL fait clairement état de rôles différenciés entre les concepteurs de contenus et les tuteurs ayant un rôle d’animateur, d’encadrant et de médiateur entre les ressources pédagogiques et les étudiants (COL, 2009).

Ce fractionnement du rôle de l’enseignant s’observe dès le lancement de l’UVA , puis dans le déroulement du diplôme en informatique de l’Université de Laval sur le site de Dakar au Sénégal, et enfin dans la production des REL puisque selon un entretien mené avec un ancien responsable d’un service de l’UVA (Lendrin, 2018), à partir de 2012, le développement local des contenus par les enseignants africains correspond à une approche collaborative qui réunit des enseignants de toutes les universités partenaires pour définir un curriculum dans une discipline donnée. Les enseignants sont rémunérés environ 1000 euros par module, cette modeste rémunération semblant justifiée par le fait que ces enseignants sont déjà salariés de leurs universités respectives. Puis, ces cours développés par l’UVA en tant que REL (financées par la BAD) sont livrés aux universités partenaires africaines qui les utilisent comme bon leur semble, certaines les ayant parfois intégrées aux unités d’enseignement existantes (Lendrin, 2018).

Modèles universitaires émergents

La participation de l’UVA au processus d’adaptation-concrétisation des universités traditionnelles s’observe également avec l’émergence de deux nouveaux types d’universités publiques, l’un prenant la forme d’une université virtuelle publique (l’Université Virtuelle du Sénégal créée en 2013), l’autre s’inspirant du modèle d’implantation dans les universités existantes à échelle continentale caractéristique de l’UVA (l’Université Panafricaine lancée en 2012).

En effet, selon Simondon, « pour qu’une réalité technique ait une postérité, il ne suffit pas qu’elle se perfectionne en elle-même : il faut encore qu’elle se réincarne et participe à ce devenir cyclique selon une formule de relaxation dans les niveaux de réalité » (Simondon, 1958, p. 66). Dans cette perspective, si les organismes internationaux poursuivent leurs investissements dans l’UVA malgré l’échec institutionnel et économique qu’elle représente, c’est parce qu’à travers l’UVA, c’est la réalité technique de son modèle d’organisation qui acquiert une postérité dans un milieu technogéographique associé plus vaste que le milieu de l’enseignement supérieur africain : celui des différents marchés de l’enseignement supérieur.

66Ainsi, en accord avec la BAD qui note que « l’émergence de nouveaux types d’institutions d’enseignement supérieur et de nouveaux systèmes de concurrence incite les anciennes institutions à modifier leurs modes de fonctionnement et méthodes d’enseignement et à tirer le meilleur parti des opportunités offertes par les TIC » (BAD, 2004, p. 19), de nouvelles organisations techniques doivent émerger.

Université virtuelle publique

Cela se confirme avec la création en 2013 de l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) comme sixième université publique du Sénégal que l’UVA a accompagné et qui est financée par la Banque mondiale et la BAD qui y trouvent « une source de connaissance sur la mise en place d’une université virtuelle dans un contexte national » (BAD, 2013 ; PAUVS, p. 28) qui vient compléter l’expérience acquise avec l’UVA (BAD, 2013, PAUVS).

Ainsi, l’UVA semble jouer un rôle en amont dans la formation des formateurs et des gestionnaires de programmes d’enseignement en ligne puisque, selon le rapport annuel 2010-2011 de l’UVA, ce sont 459 universitaires qui ont été formés à la gestion, la maintenance, la mise à niveau et à l’utilisation du système de gestion des programmes éducatifs en ligne, et selon un entretien mené auprès d’un gestionnaire de programme TIC au centre UVA de Dakar, une proportion non négligeable du personnel de l’UVS a été formée par l’UVA auparavant.

Par ailleurs, de par sa particularité d’université virtuelle, l’UVS est présentée comme « un maillon important dans l’opérationnalisation du PDESR [Plan de Développement de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche] » qui prévoit une diminution des dépenses liées aux bourses d’études et aux œuvres sociales universitaires et une augmentation des frais d’inscription et des ressources propres des universités (MESR Sénégal, 2013), autant d’aspects caractéristiques du modèle d’enseignement supérieur souhaité par la Banque mondiale.

Université publique continentale implantée dans l’existant

En 2011-2012, l’Union Africaine lance l’Université Panafricaine (UPA) dont les enseignements sont délivrés uniquement en présentiel, mais qui a en commun avec l’UVA le fait d’être une institution à échelle continentale qui ne dispose pas de ses propres infrastructures, mais est implantée dans les universités traditionnelles existantes (BAD, 2013).

En effet, l’UPA est une nouvelle institution universitaire bénéficiant du statut de Bien Public Régional qui « vise à créer en Afrique un nouveau modèle d’enseignement supérieur censé avoir un impact important sur les universités hôtes » (BAD, 2013, p. 17) et se présente comme « une université régionale qui ne propose que des programmes d’études universitaires de deuxième et troisième cycle (niveau master et doctorat). Elle vise à créer un réseau universitaire regroupant des institutions d’enseignement universitaire supérieur et de recherche qui existent déjà. » (BAD, 2013, p. 6).

En 2017, en réponse au projet d’Université virtuelle panafricaine formulé dans l’Agenda 2063 (Commission de l’Union Africaine, 2015, p. 32) avec l’objectif d’utiliser « la technologie pour fournir une éducation de masse post-secondaire » (Commission de l’Union Africaine, 2015, p. 32), l’Union Africaine décide de faire de l’UVA le sixième institut de l’UPA dédié à l’enseignement en ligne (Union Africaine, 2017 ; Waruru, 2017).

Ainsi, la transformation de l’UVA en tant qu’organisation intergouvernementale permet, environ 15 ans plus tard, au fond idéologique d’influence néolibérale et techniciste porté par l’UVA de s’intégrer à l’UPA qui a pour socle idéologique le courant du panafricanisme prônant le développement de l’Afrique par les africains (BAD, 2013).

D’autre part, l’UPA serait une université de recherche et d’excellence, dont les enseignements sont exclusivement délivrés en présentiel à un petit nombre d’étudiants3 boursiers de l’Union Africaine, tandis que l’UVA, renommée Pan African Virtual University (PAVU) (Commission de l’Union Africaine, 2015), viendrait répondre au problème de la massification de l’enseignement supérieur reprenant ainsi sa mission initiale [1].

Conclusion

La raison d’être de l’UVA semble donc à chercher ailleurs que dans l’amélioration de l’accès à l’enseignement supérieur et s’apparente plutôt à des « graines qui véhiculent les propriétés de l’espèce et vont refaire des individus nouveaux » (Simondon, 1958, p. 73).

Se pose alors la question de savoir jusqu’à quel point la technologie est mise au service de la libéralisation du marché de l’enseignement supérieur : la notion d’hypertélie peut-elle se comprendre comme un mode d’utilitarisation de la technique au moyen de la survalorisation (Moeglin et Tremblay, 2008) et de l’introduction anticipée d’un objet technique dans un milieu inadapté à son fonctionnement, mais qui engendre dans le milieu social de nouvelles formes organisationnelles structurantes pour le système d’enseignement supérieur africain ?

En effet, en intégrant l’UVA, l’UPA deviendra une université hybride, concrétisée, donnant corps à l’hypothèse formulée par Orivel (1991) selon laquelle la « stratégie de reconstruction du système d’enseignement supérieur dans l’ensemble francophone africain subsaharien » serait possible moyennant une structuration en « deux secteurs, un secteur d’excellence, dont l’ambition serait la reconnaissance académique internationale, et un secteur régulé par la demande » (p. 52).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nina Helga Lendrin, « Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 24 | 2018, mis en ligne le 17 décembre 2018, consulté le 02 janvier 2019. URL : http://journals.openedition.org/dms/3089 ; DOI : 10.4000/dms.3089

Auteur

Nina Helga Lendrin

Laboratoire COSTECH (EA 2223, groupe EPIN), Université de Technologie de Compiègne (UTC)

nina.lendrin@utc.fr

Licence : CC by-sa

Notes

[1Selon le site de l’UPA (https://pau-au.net/en/about-us) consulté le 9 novembre 2017, depuis son ouverture en 2012, l’UPA a inscrit 1015 étudiants en Master et 308 en Doctorat, soit un total de 1323 étudiants.))

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