Un article de Nkontchou Tchinkap, Jean-Yves et Jaillet, Alain (2018). Usage d’un artefact numérique dans le processus d’enseignement/apprentissage des langues secondes, Une analyse de l’activité des acteurs en situation de classe. Adjectif.net Mis en ligne vendredi 7 septembre 2018 sous licence CC by sa nc
Introduction
Notre étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche heuristique ayant pour finalité de comprendre finement les types d’usages des Technologies de l’Information et de la Communication dans le processus d’enseignement/apprentissage des langues secondes (langues héritées de la colonisation).
Notre travail part d’un constat lié au bilinguisme institutionnel de l’Etat camerounais et des curricula dans les établissements formels (primaire, secondaire, supérieur) qui produisent des apprenants ne disposant pas des compétences communicationnelles (écrire, parler couramment). Ebogue (2014) montre que le problème se situe au niveau du processus d’enseignement/apprentissage, qui ne favorise pas l’acquisition des habiletés langagières (l’écrire, la comprendre, la parler, la lire), mettant en exergue que la méthode d’enseignement utilisée est plus centrée sur le contenu, dans un style traditionnel, où l’enseignant est dépositaire du savoir et le délivre aux apprenants, se préoccupant très peu de l’apprenant, qui s’investit moins dans les activités.
Ce manque d’intérêt est abordé par les travaux de Bandura (2003) et Quintin (2008) qui traitent des aspects psycho-affectifs influençant le processus d’enseignement/apprentissage, notamment au niveau de la motivation pour l’apprentissage.
Nous nous intéressons à la population d’un établissement de formation en langues vivantes offrant une formation continue à ses participants, ayant une autre approche intégrant des outils techno-pédagogiques (supports numérisés sous format audio/vidéo et des ressources sur le web) pour essayer de comprendre ce qui explique et facilite l’acquisition des compétences langagières des apprenants de ce centre de formation linguistique bilingue, accueillant une population cosmopolite constituée d’étudiants, d’élèves, de cadres de la fonction publique, d’expatriés des deux sexes et ayant des niveaux de scolarité hétérogènes.
Les enseignants de cette institution sont, pour la plupart, des professeurs de lycée ou des universitaires ayant une certaine expérience dans l’enseignement et utilisant au quotidien des outils techno-pédagogiques dans l’exercice de leur fonction.
Cadrage théorique
Martinez et Alvarez (2008) affirment que dans les classes de langue étrangère où les TICE (Technologies de l’Information et la Communication pour l’Enseignement) sont utilisées, les apprenants et les enseignants adoptent de nouveaux rôles : par exemple, l’enseignant devient un guide qui oriente. Demaizière (2007), citée dans le même article, reprend le concept « d’aider l’apprenant » et ajoute que cette aide implique une réflexion sur ce dont l’apprenant a ou aura besoin, ce que sont les langues et la culture dont on veut orienter l’appropriation, l’influence des contraintes, du contexte d’apprentissage considéré. Cette aide peut se matérialiser par les différentes stratégies mises en œuvre par l’enseignant, non seulement pour présenter l’information mais aussi pour faciliter l’encodage de cette information en savoir, ce que Goigoux (2007) a appelé « aide didactique ».
On peut noter que ce ne sont probablement pas les artefacts technologiques qui sont à la base des effets positifs sur l’apprentissage. Les travaux de Depover, Karsenti et Komis (2008) mettent en évidence que le facteur humain, à travers les choix de scénarisation pédagogique, représentent une variable clef pour obtenir un impact positif des technologies sur l’apprentissage. De plus, par rapport à l’apprentissage, beaucoup d’autres facteurs interviennent : la perception des apprenants de l’outil technologique, l’intérêt pour la formation et l’activité, mais aussi les caractéristiques individuelles, etc. C’est dans cette perspective que notre recherche s’inscrit et vise à analyser l’activité des acteurs, à déceler les stratégies mises en œuvre dans le processus d’enseignement/apprentissage.
Pour cette étude, nous nous adossons à la théorie de situation de Brousseau (1998) qui définit une situation comme l’ensemble des circonstances dans lesquelles une personne se trouve, et des relations qui l’unissent à son milieu. Cette théorie distingue une situation didactique d’une situations adidactique. La situation didactique est une situation où l’on peut repérer un projet social : l’élève doit s’approprier un savoir constitué ou en voie de constitution (ibid.), il s’agit de s’intéresser à l’organisation didactique d’une leçon en termes d’activités et tâches proposées. La situation adidactique renvoie à l’environnement d’apprentissage, les interactions qui s’y passent, le lieu de dévolution du savoir, la chronologie des activités.
Les travaux de Leontiev (1975) montrent par ailleurs que les activités, dans une situation, sont en relation étroite avec un but conscient, une motivation et peuvent donner lieu à une multiplicité d’actions.
Des études montrent que les aspects psycho-affectifs peuvent avoir un impact sur le processus d’enseignement/apprentissage. Bandura (2003) montre par exemple que l’auto-efficacité a un effet sur l’action humaine à travers trois mécanismes : cognitif (se fixer des objectifs), motivationnel (adapter ses pratiques), affectif (contrôler de l’anxiété et du comportement d’évitement). Quintin (2008) étudie les critères de régulation des mécanismes conversationnels à l’aide des modalités interactives socio-affectives, spécifiquement la modalité de sollicitation et la modalité d’encouragement. Ces modalités régulent les interactions en situation de classe des acteurs présents dans le milieu didactique et pourraient être l’une des sources de motivation des apprenants à s’engager dans une activité (engagement cognitif) et à persévérer dans son accomplissement. Il s’agit de s’intéresser à l’impact de ces indicateurs (engagement cognitif, persévérance) sur l’appropriation des connaissances et, par ricochet, sur la performance des apprenants, tout au long du processus d’enseignement/apprentissage.
Enfin, étudiant la médiatisation de l’information dans un dispositif technique, Peraya (1999) montre que le dispositif présente l’information à l’apprenant qui doit le traiter pour le transformer en savoir. Les outils numériques utilisés dans le processus d’enseignement médiatisent les informations que les apprenants traitent pour se les approprier.
Notre étude se démarque par le fait qu’en plus de nous intéresser aux processus cognitifs mis en œuvre dans le processus d’apprentissage, nous allons nous intéresser également à l’aspect psychoaffectif qui est une caractéristique individuelle qui peut conditionner l’apprentissage.
Questions de recherche
– Quelles sont les mécanismes didactiques mis en œuvre par les enseignants pendant la séquence didactique pour faciliter chez les apprenants l’encodage des informations en savoir ?
– Quels sont les processus cognitifs élaborés par les apprenants pour faciliter l’apprentissage ?
– Y a-t-il une relation entre les modalités d’accompagnement et la motivation pour apprendre des apprenants ?
– Les artefacts technologiques mobilisés influencent-ils le processus d’apprentissage ?
Hypothèse
L’organisation d’une séquence didactique mobilisant certains artefacts numériques peut susciter l’intérêt des apprenants et soutenir la mise en œuvre de processus cognitifs susceptibles de faciliter l’acquisition des habiletés langagières.
Méthodologie
Dans le cadre notre étude, nous avons analysé des observations directes avec captation vidéo. La technique est celle de l’échantillonnage complet et continu qui consiste à faire des enregistrements de toute la classe comprenant 25 apprenants et trois enseignants du niveau intermédiaire A et B.
Ces techniques nous ont permis de faire beaucoup de mesures que nous avons décryptées après le cours en transcrivant la vidéo et l’encodant par catégories prédéfinies, liées aux observables listés dans notre grille d’observation qui s’intéresse au style d’enseignement (style de consigne), aux indicateurs de l’engagement cognitif (la participation des apprenants, l’assiduité, la réalisation des tâches prescrites, les interactions). Cette grille se voulait utile pour l’analyse cognitive et didactique de l’activité des acteurs.
- L’analyse cognitive vise à donner une signification à toutes les situations liées à l’apprentissage en décrivant toutes les activités cognitives (décryptage, transcription, lecture, interaction entre pairs…) coordonnées (Goigoux, 2007) pour résoudre une situation ponctuelle.
- L’analyse didactique vise à donner du sens à l’enchaînement des activités et tâches proposées, en observant l’organisation d’une séquence didactique notamment le style d’enseignement, les modalités d’accompagnement du professionnel, pour faciliter l’apprentissage. Précisons que, dans l’organisation curriculaire, on distingue deux types de cours complémentaires :
- les cours audio (théorique) dont l’objectif principal est d’aborder des thèmes liés à l’environnement immédiat des apprenants, intégrer des éléments linguistiques (lexicaux, grammaticaux) : pour cela l’artefact pivot est le manuel au programme auquel on ajoute des extraits audio complémentaires, liés au thème.
- Les cours vidéo qui traitent du même thème que le cours audio : l’objectif est de pratiquer la langue (situation communicationnelle), c’est-à-dire qu’à travers des extraits vidéo (matériel pivot), l’enseignant met en place une modalité d’accompagnement qui encourage les apprenants à se mettre en situation d’interaction entre pairs ou avec l’enseignant et d’accéder à des contextes communicationnels en anglais/français en relation avec le thème du jour.
Dans les deux cours il existe des supports papiers complémentaires (fiche à compléter par décryptage des extraits audio/vidéos) à remplir pendant l’activité de décryptage des extraits audio/vidéo.
Notre travail a consisté à observer trois cours. Nos observations des séances sans prise de vue ont été réalisées pendant les deux heures de cours (cours audio et cours vidéo). Et pour les prises de vue, nous avons tenu compte d’une séquence de 35 minutes de cours observé. Notre analyse va se centrer sur l’analyse cognitive et didactique de l’activité enseignante et apprenante.
Résultats, analyse et interprétation de l’observation des acteurs
Analyse de l’activité enseignante
Types de consigne
L’observation de l’activité enseignante montre deux types d’enseignants : les techno-centrés qui utilisent exclusivement l’outil technologique (exclusivement un ordinateur connecté à écran plasma) et ceux moins techno-centrés qui n’utilisent que le tableau blanc, l’ordinateur étant utilisé seulement pour présenter l’information pendant le cours.
S’agissant des types de consignes, nous avons étudié des indicateurs verbaux et non verbaux. Parmi les indicateurs verbaux, nous avons observé que l’enseignant discute avec les apprenants, prescrit les tâches précises, oriente les apprenants. Les indicateurs non verbaux sont souvent écrits, soit sur un tableau blanc, soit sur un écran plasma relié à l’unité centrale de l’ordinateur. Les enseignants techno-centrés utilisent des indicateurs textuels (majuscule, surlignage…) pour susciter et focaliser l’attention des apprenants sur un objet précis (la terminaison d’un mot, orthographe…). Ceci corrobore l’analyse de Goigoux (2002) qui dit que les indicateurs textuels ont pour principale préoccupation d’assurer la focalisation de l’attention de tous les élèves sur une cible unique.
D’autre part, l’enseignant, pendant plus de 9 minutes dans une séquence de 35 minutes, sollicite les apprenants pour co-construire une phrase et la lire à haute voix et chaque fois demande de changer de vocabulaire utilisé. Ces consignes et le temps mis pour la conduite d’une activité sont des indicateurs de l’activité enseignante qui fournissent des clés utiles en vue de motiver les apprenants à atteindre un but d’apprentissage, une sorte d’étayage, pour réduire la surcharge cognitive en début d’activité.
Artefacts mobilisés
Il ressort de nos observations l’existence d’invariants dans l’activité enseignante. Pour les deux cours, tous les enseignants des niveaux observés utilisent le manuel prescrit qui constitue le matériel pivot, auquel sont associés des supports audio/vidéo pour présenter l’information aux apprenants. Ces artefacts numériques médiatisent l’information, les outils multimédias sont utilisés comme moyen de communication de l’information et la rendent disponible pour l’apprentissage ce résultat corrobore celui obtenu par les travaux de (Peraya, 1999). Ces artefacts mobilisés sont complémentaires et pourraient susciter chez les apprenants l’acquisition de certaines habiletés langagières telles que l’écoute et l’écrit. De plus, la conduite d’une séquence se fait suivant les mêmes schèmes d’action pour un cours précis.
Dans le cadre des deux cours, l’enseignant sollicite d’entrée les représentations des apprenants par la présentation d’une image sur un sujet pour introduire la leçon : il s’agit des structurants antérieurs qui ont pour but, au début d’un apprentissage, de présenter et d’organiser l’information nouvelle en une structure unifiée (Gérard et Roegiers, 2003). Les enseignants techno-centrés utilisent les moteurs de recherche pour rechercher une information sur Internet pour repréciser une notion en vue de renforcer la représentation des apprenants, la rapprocher du savoir à acquérir, qui pourrait favoriser l’acquisition des compétences langagières (la compréhension de l’oral et la production de l’écrit), par le processus de redécouverte. Ensuite l’enseignant fait écouter une ressource sonore aux apprenants, relative au sujet traité qu’il peut reprendre deux à trois fois selon que les apprenants se sont familiarisés avec le son à décrypter, qu’ils transcrivent sur un support papier complémentaire au son diffusé.
Cette activité d’écoute et de décryptage dure environ cinq à dix minutes en fonction des difficultés rencontrées. Et, dans l’agencement de la séquence didactique, l’enseignant peut revenir sur un fragment précis du son lors de la correction, stratégie susceptible de faciliter à un apprenant le décryptage et transcription de l’information, ou alors apporter des correctifs.
Ce processus de rediffusion d’un extrait sonore est une technique utilisée par l’enseignant pour réduire la surcharge cognitive, qui peut susciter l’implication des apprenants pour cette activité (écoute, écriture, lecture...). Pour les apprenants qui ne réussissent pas la tâche, ils peuvent être aidés par les pairs avancés.
Nous avons rarement observé l’effet « Topaze », c’est-à-dire des cas où l’enseignant réalise la tâche des apprenants lorsqu’ils sont dépassés par la tâche prescrite. Dans ces cas (situations où certains apprenants rencontrent des difficultés de décryptage par exemple), nous avons observé une redéfinition de la tâche pour orienter les apprenants en partant de leur zone proximale de développement (réduite), en vue d’atteindre leur niveau potentiel de restitution du savoir. C’est de l’ajustement didactique, c’est-à-dire la capacité du maître à modifier son comportement en fonction de l’activité et à lui apporter une réponse appropriée d’une manière relativement régulière (Goigoux, 2007).
Attitude de l’enseignant
L’attitude de l’enseignant pourrait être un facteur capital pour la motivation des apprenants et nous nous sommes intéressé à relever quelques modalités socio-affectives, notamment celle de sollicitation et d’encouragement (Quintin, 2008). A ceci, nous avons ajouté d’autres modalités comme la qualité de l’enseignant à être accueillant, à être autoritaire, à être conciliant, à être moqueur.
De nos observations nous avons décelé certaines de ces qualités pour les enseignants en général. Pour la plupart, ils sont accueillants et courtois avec les apprenants du centre qui sont cosmopolites et proviennent de toutes les couches sociales. Dans les salles de classes, lors du déroulement des séquences didactiques, nous avons observé que les enseignants utilisent régulièrement les modalités socio-affectives pour susciter la participation des apprenants à une activité. Par exemple, lors de l’activité de lecture, qui est une activité silencieuse, l’enseignant peut, selon le but qu’il désire atteindre, solliciter un apprenant pour faire une lecture à haute voix, ce lui permettra de déceler s’il y a des erreurs de prononciation ou lexicales, ce qui rejoint le constat de Bernié (2002).
Interactivité des acteurs
La relation pédagogique est matérialisée par les interactions entre les enseignants et les apprenants, qui s’observent à travers les sollicitations de l’enseignant proposant des exercices, des activités de remédiation et qui les corrige, mais aussi des interactions avec les outils techno-pédagogiques.
Nous entendons par « type de soutien », les orientations et/ou aide que l’enseignant apporte à l’apprenant soit individuellement, soit collectivement. Nous avons observé s’il répond aux questions, s’il pose régulièrement des questions et à quelle fréquence lors d’une séquence de 35 minutes, ainsi que le nombre de sollicitations. Combien de sollicitations ou (interventions) fait-il envers les apprenants ?
Nos critères de mesure étaient les suivants : cette quantité d’intervention est dite élevée pour un ensemble de plus de 5 tâches, moyenne pour 2-4 tâches, faible pour 1 tâche. En fonction de notre codification, nous avons constaté que les interactions sont élevées entre les enseignants et les apprenants, car ils proposent plus de cinq tâches différentes, dans le cas des cours audio (théorique), cette technique voulant permettre l’implication de la majorité des apprenants et l’enseignant s’assurant que chacun prenne la parole et en cherchant à éviter que les pairs avancés monopolisent la parole.
Nous avons observé un enseignant du cours avec vidéo qui ne pose pas beaucoup de questions mais qui interagit avec les apprenants en rediffusant plusieurs fois l’élément vidéo et, pendant ce temps, les apprenants écoutent l’extrait sonore pour décrypter et transcrire le message sur un support papier dédié. Cette rediffusion répondait d’ailleurs, à chaque fois, à une demande de la majorité des apprenants.
La réussite de l’activité de décryptage est, dans nos observations, liée à cette technique de rediffusion, parce qu’elle semble apporter une solution aux problèmes d’ordre phonologique rencontrés par les apprenants, au vu des bonnes réponses proposées. Les diffusions multiples permises par l’outil multimédia permettent aux apprenants de mieux intégrer les informations reçues.
L’enseignant est le régulateur qui apporte un autre type d’accompagnement : il anticipe sur la tâche en donnant à l’avance à l’apprenant des canevas en vue de décrypter rapidement et il est alors proactif. Cette posture d’encadrement est un étayage pour non seulement amener chaque apprenant à s’investir pour accomplir la tâche prescrite, en construisant individuellement son savoir, mais davantage, à réduire la surcharge cognitive liée aux aspects phonologiques des extraits sonores diffusés.
A d’autres moments, l’enseignant est réactif en fonction des réponses que l’apprenant donne, en vue de confirmer ou d’infirmer les réponses. Enfin en corrigeant les exercices proposés et en apportant des explications complémentaires aux apprenants, l’enseignant adopte une posture rétroactive.
Toutes les postures communicatives et interactives observées constituent également de l’ajustement didactique (Goigoux, 2007) en vue de soutenir le développement de certaines habiletés langagières. Cet ajustement didactique renverrait à une certaine expérience des enseignants dans l’exercice de leur fonction, une sorte d’adaptation à la pratique (Bandura, 2003), où l’enseignant en fonction de son vécu et de la nature des difficultés de ses apprenants, est obligé soit de redéfinir la tâche, soit d’apporter des soutiens adaptés pour surmonter les difficultés. Nous avons observé que les enseignants sont pour la plupart dotés de compétences dans la manipulation des outils techno-pédagogiques.
Dans la pratique, nos observations montrent que les enseignants se focalisent davantage sur le contenu et sur l’apprenant. Le style d’enseignement mis en exergue ici renvoie au style incitatif dans la classification de Therer et Willemart (1984). S’agissant du mode d’organisation du travail, le cours audio est le cours où l’enseignant sollicite davantage le travail individuel des apprenants et permet à chaque apprenant de construire son savoir, surtout parce que les habiletés langagières sont des compétences individuelles.
Ainsi, l’organisation et la prescription des activités (correction des exercices, décryptage des extraits audio/vidéo, activités de compréhension orales et écrites et la pratique de langue…) contribuent aux buts d’apprentissage, car nous avons observé une implication des apprenants dans toutes les activités, une assiduité lors des déroulements des séquences didactiques, des interactions élevées avec les pairs et avec les artefacts, indicateurs de l’engagement cognitif des apprenants. Les travaux de Dweck et Leggett (1988) mettent en évidence que les élèves qui poursuivent des buts d’apprentissage (en réalisant les tâches prescrites, en s’impliquant de manière active lors des séquences didactiques, en tirant profit de leurs erreurs) ont plus de chances de réussir une activité que les apprenants qui ont un but de performance.
Conclusion
Notre travail consistait à déceler les mécanismes didactiques mis en œuvre par les enseignants dans le processus d’enseignement en vue de faire acquérir aux apprenants les habiletés langagières telles que la lecture, l’écrit (produit de la transcription), l’écoute (décryptage de l’information sonore), l’expression (produit des interactions entre pairs et enseignants). Nous remarquons que le style incitatif est le mode d’enseignement qui émerge le plus, puisque l’enseignant met un accent particulier sur l’apprenant et le savoir.
Les artefacts mobilisés sont complémentaires et leur instrumentalisation par l’enseignant est une source de motivation pour les apprenants car ils apprécient le mécanisme de rediffusion des extraits audio/vidéo, qui semble réduire le problème de la surcharge cognitive.
La motivation est illustrée par la concentration de l’apprenant (haut niveau d’engagement cognitif) lors de diffusion des supports vidéos/audio et autres médias (Internet), pour décrypter les informations, les transcrire sur les supports papiers complémentaires à ces supports numériques, mettant en relation le processus et les résultats de l’activité. Ce type d’interaction avec l’outil technologique peut s’observer chez les apprenants avec la réussite à cette activité de décryptage de l’extrait (gain lié à l’apprentissage par découverte et par ricochet, l’acquisition de certaines habiletés langagières telles que : l’écoute, l’écriture et la lecture). Nous pouvons remarquer que la mobilisation des artefacts numériques pourrait avoir un impact sur le processus d’apprentissage.
Il était également question de déceler les processus cognitifs mis en œuvre par les apprenants. Il ressort de nos observations l’existence de plusieurs indicateurs de l’engagement cognitif : l’implication dans le décryptage et transcription des extraits audio/vidéo, la co-construction des phrases, les interactions avec les pairs et les enseignants. Les apprenants observés prennent des notes et sont concentrés à la réalisation des tâches proposées par l’enseignant.
Notre travail montre que l’attitude (aspect psycho-affectif, modalités d’accompagnement, etc.) de l’enseignant pourrait avoir une influence sur la motivation des apprenants à s’investir dans un but d’apprentissage, matérialisée ici par la participation effective aux tâches prescrites. L’enseignant jouait le rôle de guide, d’accompagnateur et de médiateur dans le processus d’apprentissage.
Nous n’avons toutefois pas pris en compte toutes les étapes de l’organisation d’une séquence, et nous n’avons pas décrit les schèmes et stratégies d’apprentissages développés par les apprenants : dans nos travaux futurs, nous comptons les étudier, avec d’autres outils.
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