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Deux regards sur les vidéos des MOOC : objet médiatique ou élément d’un scénario pédagogique ?

5 novembre 2017 par Daniel Peraya Retours d’expériences 410 visites 0 commentaire

Un article repris de http://dms.revues.org/1902

Dans le numéro précédent, la rubrique Débat-Discussion a accueilli trois contributions assez différentes tant par leurs contenus que par leurs approches. Rappelons brièvement quelques points saillants. O. Aim et A. Depoux traitent des formes d’énonciation des vidéos des MOOC à partir d’une approche dispositive qui implique la prise en compte des énoncés et des supports, des performances et des effets du support, enfin des normes industrielles de ces énonciations. Analysant les bandes-annonces de MOOC, les auteurs ont montré comment se développe une redistribution des rôles énonciatifs de l’enseignant et la mise en place d’un processus de « polyprésence » ou de « polytopie ». B. Campion et C. Peltier, quant à eux, fondent leur analyse dispositive des vidéos de MOOC sur les embrayeurs visuels et verbaux (dimension sémiopragmatique), sur les éléments caractéristiques du langage et de l’écriture cinématographiques (dimension discursive), enfin sur les opérations mentales sollicitées par la combinaison des différents éléments du dispositif audiovisuel (dimension cognitive). É. Bruillard, pour sa part, nous invitait à déplacer notre point de vue et de le déporter des vidéos aux MOOC, considérés dans leur globalité : il nous engageait alors à considérer les MOOC comme une nouvelle forme de livre.

Daniel Peraya, « Deux regards sur les vidéos des MOOC : objet médiatique ou élément d’un scénario pédagogique ? », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 19 | 2017, mis en ligne le 14 octobre 2017, consulté le 05 novembre 2017. URL : http://dms.revues.org/1902, un article rtepris de la recue publiée sous licence CC by sa

Jean Duvillard, enseignant chercheur et formateur d’enseignants (ESPE, Lyon), s’intéresse aux micro-gestes professionnels des enseignants. Il mène sa réflexion sur la voix et le corps considérés comme les instruments de travail de l’enseignant [1]. Dans ce débat, son point de vue paraissait bien évidemment pertinent. Il développe dans sa contribution son expérience du MOOC Insignis [2] (université de Lyon I) destiné aux futurs enseignants et qui vise à leur enseigner ces micro-gestes professionnels repérables à cinq marqueurs particuliers : la posture gestuée, la voix, le regard, le positionnement tactique ou stratégique (déplacement et occupation de l’espace) et enfin l’usage du mot. Il s’agit pour l’auteur « de mettre en évidence la portée symbolique des micro-gestes produits, afin de relever ceux plus ou moins opérants au regard des différentes situations et registres d’enseignement présentés » (§ 3). On le voit, la vidéo est un instrument privilégié tant pour l’observation de tels comportements verbaux et non verbaux que pour leur mise en œuvre, et le MOOC sur lequel se base l’auteur peut être réellement considéré comme un dispositif miroir ; on se souviendra du travail pionnier de M. Linard et d’I. Prax [3] à propos du dispositif d’autoscopie. À la lueur de son cadre d’analyse, J. Duvillard identifie quelques caractéristiques des MOOC (un « accélérateur de la lisibilité de la parole d’expertise » qu’instancie la vidéo), mais aussi de la vidéo elle-même dont, notamment, les rôles de capteur d’attention et de médiateur temporel. L’auteur analyse le fonctionnement sémiotique de la vidéo à partir des cinq marqueurs proposés, mais aussi les effets induits par les manipulations de l’image rendues possibles par les visionneuses actuelles. L’analyse ne peut éluder l’appropriation de la vidéo par l’apprenant. Le risque bien sûr est celui de l’industrialisation de la formation et de la transformation de la capsule vidéo en un produit apparenté à un produit de consommation courante. Pourtant, sans doute à cause de son insertion dans un dispositif de formation de type miroir, elle semble y échapper, car « la capsule vidéo en est le complément essentiel pour garantir, en formation, la crédibilité de l’analyse de la pratique professionnelle, dans la mesure où elle apporte le témoignage d’indices tangibles de l’action située et gestuée. En cela, elle démontre toute l’importance que la question du micro-geste comme témoin de l’intention véhiculée par l’enseignant peut avoir dans le cadre de la relation éducative. » (§ 17)

La contribution de N. Roland, chercheur en sciences de l’éducation et responsable de la cellule podcast de l’Université libre de Bruxelles (ULB Podcast) [4], prend comme point de départ l’une des questions initiales du texte de cadrage [5] : quelles sont les questions de recherche inédites que fait émerger la place prépondérante des vidéos dans les MOOC ? Il a pour objectif de montrer « toute la distance qui sépare ces médias actuels de la télévision éducative d’antan » (§ 21). L’auteur adopte un point de vue sociocognitif à partir duquel il observe et décrit le comportement d’appropriation des ressources pédagogiques audiovisuelles, et donc des vidéos, ainsi que les processus d’apprentissage mis en œuvre par les apprenants. Il se refuse donc à analyser la vidéo en tant que ressource isolée, évitant ainsi de se positionner dans le débat portant sur les traits caractéristiques des médias et leurs effets spécifiques. En référence aux travaux de Rabardel et de Boumaud [6], il considère la vidéo au sein d’un MOOC comme l’un des artefacts d’un système complexe d’instruments [7] envisagé comme l’environnement personnel d’apprentissage (EPA) de l’apprenant. De plus, il soutient l’idée que l’appropriation de toute ressource pédagogique médiatisée dépend des compétences en littératie médiatique de l’apprenant, la même ressource pouvant donc donner lieu à des processus d’appropriation différents selon les individus.

À partir de l’observation des participants au MOOC Spice up Your English, il observe que les participants perçoivent à travers la vidéo non seulement la fonction d’information, mais aussi les fonctions de soutien, d’awareness, de gestion/planification et d’auto-évaluation. Cette perception est par ailleurs largement influencée par les compétences médiatiques de l’apprenant : « Cette dernière, par exemple, s’avère particulièrement liée à leurs compétences en littératie médiatique : en maîtrisant les différentes dimensions (informationnelle, technique et sociale) de l’outil, le participant perçoit plus de possibilités d’appropriation : la vidéo est ainsi transformée en outil d’auto-évaluation de l’expression orale – l’apprenant compare sa prononciation avec celle de l’enseignant sur des segments similaires – ou d’auto-évaluation des connaissances acquises – l’apprenant arrête la vidéo pour anticiper le contenu qui suit. » (§ 19) On pourrait, dans ce cas précis, se demander quelle est l’incidence de la matière enseignée (l’apprentissage d’une langue seconde) sur l’attribution d’une fonction d’auto-évaluation à la vidéo, mais de toute évidence la télévision d’antan « n’offre pas, au téléspectateur, toutes les possibilités d’instrumentation, d’instrumentalisation, voire de catachrèse que permettent les artefacts audiovisuels au sein des MOOC. » (ibid.)

Nous rappelions dans la rubrique précédente la nécessité d’analyser les questions que se posent certes les chercheurs à propos des nouvelles pratiques de formation médiatisées, mais aussi les ingénieurs pédagogiques et les acteurs de terrain. F. Docq fait partie de cette catégorie d’acteurs puisqu’elle est cheffe du projet moocXperience porté par le Louvain Learning Lab [8] de l’Université catholique de Louvain. Sa contribution est donc d’un tout autre ordre, puisqu’elle est déterminée par sa posture et sa fonction professionnelles : l’auteure relate son expérience d’ingénieure pédagogique, expérience de la conception, de la production et de la diffusion de MOOC. Dans cette perspective, les vidéos constituent un des éléments d’un scénario plus global, celui du MOOC en tant qu’il est un dispositif de formation complexe : « Quand nous parlons de scénarisation avec nos enseignants, c’est que nous sommes en train de concevoir le scénario pédagogique du cours et non pas celui d’une vidéo » (§ 2). Sur ce point, F. Docq rejoint le point de vue de N. Roland, mais par un tout autre chemin. En tant que conceptrice, les critères de qualité d’un MOOC s’évaluent à l’aune de celle des activités d’apprentissage : signifiantes, motivantes et formatives (§ 3), tandis que les vidéos doivent atteindre une qualité « irréprochable » (§ 4) et offrir aux étudiants une « consultation, confortable, agréable et motivante » (§ 4). Peut-être que, dans cette perspective, certains résultats des recherches plus orientées « média » apporteraient une meilleure connaissance des facteurs susceptibles de déterminer les qualités recherchées.

L’auteure perçoit cependant une certaine ambiguïté, car si les vidéos produites sont destinées à s’intégrer dans un MOOC dans le cadre d’un scénario global, elles peuvent être diffusées comme ressources pédagogiques « en dehors du tout cohérent que représente le cours » (§ 7). Cette situation pose de nombreuses questions relatives à l’utilité d’une telle diffusion dans la mesure où les capsules ne sont pas scénarisées dans cette perspective. Les deux stratégies de diffusion se rencontrent parmi les enseignants, certains étant favorables, d’autres défavorables à cette mise à disposition de la vidéo isolée de son contexte. L’expérience et le temps trancheront.

Enfin, l’auteure se range à la proposition d’É. Bruillard, formulée lors de l’échange précédent. Pour lui, les MOOC s’apparenteraient plus à un nouveau format du manuel scolaire ou du livre et ne relèveraient, par leur format, nullement de la télévision scolaire.

Les trois contributions de ce numéro prolongent, chacune à sa manière, le débat et tissent un espace intertextuel où se déploient quelques axes principaux : une approche dispositive qui, quelles que soient ses particularités, s’intéresse aux aspects de la parole et de la posture médiatisées de l’enseignant d’une part, et, d’autre part, une approche plus globale qui s’intéresse au MOOC dans sa globalité, au sein duquel la vidéo ne constitue qu’un des éléments (dispositif particulier au sein d’un dispositif de formation complexe) ou artefact dans un système d’instruments. Cette dernière approche, tant au niveau de la production que de l’analyse des effets, semble d’ailleurs développée par les acteurs impliqués plus directement dans le développement institutionnel et dans le design de MOOC.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Notes

[3Linard, M. et Prax, I. (1984). Images vidéo images de soi ou Narcisse au travail. Paris : Dunod.

[5Peraya, D. (2017). Au centre des Mooc, les capsules vidéo : un renouveau de la télévision éducative ?, Distances et médiations des savoirs, 17. Repéré à http://dms.revues.org/1738

[6Bourmaud, G. (2007). L’organisation systémique des instruments : méthodes d’analyse, propriétés et perspectives de conception ouvertes. Dans C. Bourjot, N. Grégori, H. Schroeder et A. Berardi (dir.), Colloque de l’Association pour la recherche cognitive – ARCo’07 : Cognition – complexité – collectif, 61-76. Repéré à https://hal.inria.fr/ARCO07/search/index/q/authFullName_t%3A%28Bourmaud+Gaetan%29/

[7La distinction proposée entre un système complexe d’instruments et un ensemble de dispositifs particuliers articulés au sein d’un dispositif global mériterait par contre une véritable argumentation. Pour notre part, nous avons soutenu la convergence entre ces deux analyses, issues de champs disciplinaires différents. Voir Bonfils, P., Peraya, D. (2016). Processus décisionnels au sein de groupes d’étudiants en contexte de projet pédagogique : le cas d’étudiants à l’Ufr Ingémédia de l’Université de Toulon. Communication et organisation, 2016, 49, p. 57-72. Voir aussi Peraya, D. (à paraître, 2018). Les objets techniques dans la formation. Apport du concept de dispositif dans l’analyse des processus d’apprentissage médiatisé. Une mise en perspective des textes de M. Linard. Dans Albero, B., Eneau, J., Simonian, S., Hommage à Monique Linard, Actes du Colloque de Rennes, 2016 (titre provisoire).

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