Jean-François Céci, « Enrichissement du concept d’hybridation éducative : 10 formes d’hybridation pour innover en formation », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 51 | 3e trimestre, mis en ligne le 07 octobre 2025, consulté le 14 octobre 2025. URL : http://journals.openedition.org/dms/11966
Le concept d’hybridation des formations s’est imposé comme un sujet de recherche et d’innovation pédagogique (Peltier et Séguin, 2021). Ce phénomène, bien qu’étudié depuis plusieurs décennies, a gagné en acuité et en complexité, notamment sous l’impulsion de l’intégration croissante du numérique en éducation (le multimédia, les TICE, puis le numérique) et des bouleversements induits par des événements récents, comme la pandémie de Covid-19. Cette crise sanitaire a notamment vulgarisé le concept d’hybridation en mettant en exergue l’articulation des dimensions spatiotemporelles de la formation. Face à une terminologie souvent hétérogène et un manque de consensus définitionnel, la nécessité d’élargir ce concept et de développer des cadres d’analyse plus robustes est devenue essentielle (Charlier et Peltier, 2024 ; Massou, 2025 ; Peltier et Séguin, 2021).
Cet article vise ainsi à brosser – en première partie – un rapide tableau du contexte définitoire de la recherche sur l’hybridation des formations, en s’appuyant sur les contributions de plusieurs travaux fondamentaux, puis – en deuxième partie – à apporter des dimensions nouvelles au concept d’hybridation éducative. Ainsi, nous explorerons d’abord l’empreinte du projet européen Hy-Sup, une référence majeure dans le champ francophone, et les évolutions de la pensée postpandémique. Ensuite, nous expliciterons l’apport de notre taxonomie « augmentée » des formes d’hybridation éducative (Céci, 2023), en définissant chacune des dix dimensions distinctes qu’elle propose. Enfin, nous conclurons autour de la complémentarité de ces travaux en matière d’intelligibilité de l’hybridation dans le domaine de la formation et de l’innovation pédagogique.
Contexte de la recherche sur l’hybridation des formations
Le terme « hybridation » est polysémique, s’étant étendu de son champ lexical originel à celui des dispositifs de formation avec l’avènement du numérique en éducation. Cette polysémie est une source de confusion entre les différents acteurs du système éducatif. La littérature scientifique, tant francophone qu’anglophone, témoigne de cette diversité terminologique, utilisant des expressions comme « hybrid course », « blended learning », ou « dispositifs hybrides de formation ». Le concept d’hybridation peut être étudié à trois niveaux (ou échelles) : celui du dispositif (niveau macro), de la formation (niveau méso) et des dimensions de la formation (niveau micro). Claire Peltier et Catherine Séguin (2021) évoquent cette distinction en privilégiant le terme « dispositifs hybrides de formation », car l’hybridation porte sur l’ensemble du dispositif et non seulement sur la formation elle-même, vu comme un sous-ensemble du dispositif. Pour notre part (Céci, 2023), nous envisageons l’hybridation principalement à l’échelle micro des dimensions de la formation, comme – par exemple – le degré d’articulation présence/distance, ou encore le degré de contrôle de l’apprentissage, dans un rapport dynamique au scénario pédagogique plutôt qu’au dispositif, ce qui permet de faire cohabiter de multiples formes d’hybridations éducatives au sein du même dispositif et de les faire varier au fil du temps pédagogique. Cette dernière approche sera discutée en troisième partie, après un passage en revue de l’hybridation aux niveaux principalement macro et méso.
L’empreinte du projet Hy-Sup : un cadre de référence fondamental
Dans le contexte francophone, le projet de recherche européen Hy-Sup (Deschryver et Charlier, 2012) est reconnu comme une référence majeure dans l’étude des dispositifs hybrides de formation. Ses travaux ont permis de développer un cadre théorique et d’analyse pour décrire, identifier et étudier les effets de ces dispositifs dans l’enseignement supérieur. La définition initiale de Hy-Sup (Charlier et al., 2006, p. 481) caractérise un dispositif de formation hybride par la « présence de dimensions innovantes liées à la mise à distance ». Ce dispositif, nécessitant l’utilisation d’un environnement technopédagogique, repose sur des formes complexes de médiatisation et de médiation. Il est important de noter que tout dispositif de formation utilisant une plateforme d’enseignement et d’apprentissage en ligne (comme Moodle) est, de fait, considéré comme hybride, même si l’enseignant ne considère pas explicitement la mise à distance comme un degré d’hybridité.
Une définition enrichie (Peraya et Peltier, 2012) est apparue par la suite, mettant l’accent sur le potentiel d’innovation pédagogique que les dispositifs hybrides intègrent via les technologies. Ce potentiel s’exprime par l’exploitation de dimensions innovantes (notamment la mise à distance de fonctions génériques) et est influencé par les choix des concepteurs concernant l’apprentissage, l’enseignement, le contrôle, l’ouverture du dispositif, l’organisation spatio-temporelle et le rôle des médias. Sur ces bases, le modèle Hy-Sup identifie cinq dimensions constitutives des dispositifs hybrides de formation : 1) l’articulation présence/distance, 2) la médiatisation, 3) la médiation, 4) l’accompagnement, et 5) l’ouverture. Ces dimensions sont déclinées en 14 composantes [1] qui ont permis de décrire empiriquement six types de dispositifs, certains centrés sur l’enseignement et les contenus, d’autres sur l’apprentissage et l’activité des étudiants (Charlier et Peltier, 2024). Bien que sous un vocable différent, ces cinq dimensions se retrouvent dans notre taxonomie.
L’hybridation à l’ère postpandémique et les perspectives actuelles
Pour la période prépandémique, Claire Peltier et Catherine Séguin (2021) ont analysé la littérature de 2012 à 2020 pour clarifier la terminologie et les définitions de l’hybridation. Elles ont identifié quatre catégories de définitions, celles :
- centrées sur les modalités d’organisation : elles décrivent l’hybridation comme une répartition d’activités à distance (soutenues par la technologie) et en présence ;
- centrées sur le processus d’ingénierie : elles mettent l’accent sur la conception du dispositif pour atteindre des objectifs d’apprentissage spécifiques ;
- centrées sur une dimension spécifique : elles définissent l’hybridation par une caractéristique particulière, comme les interactions entre acteurs ;
- considérant l’hybridation comme un paradigme pédagogique propre : elles perçoivent l’hybridation comme un modèle pédagogique ayant des effets spécifiques sur l’apprentissage.
Bien que notre approche de l’hybridation au niveau micro peut irriguer l’ensemble de ces catégories au prisme de ses 10 dimensions, la troisième catégorie nous intéressera plus particulièrement ici.
Par la suite, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a eu un impact majeur sur les pratiques éducatives, entraînant une généralisation de « l’enseignement à distance d’urgence » (ERE ou ERT en anglais). [2] Luc Massou (2025) souligne l’importance de ne pas confondre cette réponse contrainte avec l’hybridation planifiée. L’expérience difficile vécue durant cette période (Céci, 2020, p. 401) a même pu, dans certains cas, freiner le développement d’usages raisonnés du numérique en pédagogie. Pour autant, la question de l’hybridation éducative postpandémique et de son impact demeure posée. Luc Massou (2025) ajoute que les recherches actuelles doivent notamment prendre en compte les interfaces hybrides de nouvelle génération (hybridation embarquée ou par jumelage) et la téléprésence numérique (réalité virtuelle, augmentée, hologrammes, campus virtuels, robots). Selon lui, ces avancées questionnent des dimensions non couvertes par les cadres traditionnels, comme l’aménagement des espaces, les interactions humain-machine ou la médiation sensorimotrice. Enfin, il cite des projets nationaux, comme l’appel à projets « Hybridation des formations de l’enseignement supérieur » lancé en France en 2020, les Campus Connectés, ou les Alliances européennes, qui illustrent l’ampleur des initiatives pré et postpandémiques où l’hybridation est jugée primordiale.
C’est dans ce contexte scientifique et postpandémique que Bernadette Charlier et Claire Peltier (2024) proposent un cadre d’analyse pour comprendre la dynamique de co-construction des environnements d’apprentissage hybrides. Elles adoptent une approche constructiviste et interactionniste, considérant que l’environnement d’apprentissage est coconstruit par l’étudiant et le concepteur. Pour ce faire, elles s’intéressent à un « entre-deux » dynamique que représente l’activité d’apprentissage, associant intentions, stratégies, actions de l’apprenant et ses ressources dans un contexte précis. Leur cadre identifie quatre ensembles de variables : les caractéristiques individuelles de l’étudiant, l’environnement d’enseignement et d’apprentissage conçu, les représentations et comportements émergents de leurs interactions, et les apprentissages (perçus ou objectivés) issus de ces interactions. Elles proposent notamment d’enrichir le modèle Hy-Sup en intégrant de nouvelles dimensions, comme l’évaluation des apprentissages et l’évaluation des dispositifs. La comodalité (HyFlex), où l’étudiant peut choisir sa modalité de participation (présentiel, distance synchrone ou asynchrone), est également mise en avant comme une nouvelle forme d’articulation présence/distance. Ce focus – plus micro – sur l’activité (voire l’expérience) d’apprentissage, cumulé au troisième niveau de définitions (centré sur des dimensions spécifiques du dispositif de formation) de Claire Peltier et Catherine Séguin (2021), illustre notre approche.
L’apport de la taxonomie augmentée
C’est dans ce contexte de clarification et à l’échelle micro des dimensions du dispositif de formation que s’inscrit l’apport de notre taxonomie augmentée des formes d’hybridation pédagogique (Céci, 2023). Cette étude est le fruit d’une analyse de littérature plurielle sur une période de dix ans, incluant des articles scientifiques, de presse et des blogs pédagogiques, afin de saisir la diversité des représentations des acteurs du terrain pédagogique (des scientifiques, journalistes, institutionnels, enseignants, etc.). L’objectif est de brosser un portrait objectivé de l’innovation (ou transformation) pédagogique instrumentée.
Notre méthodologie [3] a permis d’identifier une combinatoire de 25 scénarios pédagogiques, 17 catégories d’artefacts numériques, 14 catégories de logiciels, et 7 espaces d’apprentissage. Cette étude a mis en évidence neuf critères (ou dimensions) pour lesquels le numérique apporte une plus-value, ou – dit autrement – une « amplification » : distance, temps, nombre d’étudiants, individualisation, équité, interaction, conceptualisation, créativité, engagement. À partir de ce portrait de l’innovation pédagogique instrumentée, nous avons pu révéler dix formes distinctes d’hybridation de la formation que nous détaillons plus bas.
Concernant l’apport spécifique de notre taxonomie de l’hybridation, elle ne prétend pas remplacer les modèles existants comme Hy-Sup, mais plutôt apporter une complémentarité de définition de l’hybridation éducative. En effet, tandis qu’Hy-Sup cherche à analyser des dispositifs hybrides (au niveau macro) dans l’articulation de leurs dimensions constitutives en une configuration singulière, notre taxonomie (Céci, 2023) vise à décrire les diverses formes d’hybridations qui peuvent y cohabiter (au niveau micro) dans une relation dynamique au scénario pédagogique et évolutive au fil du temps pédagogique, certaines n’ayant pas été révélées ou mises en exergue auparavant. Il s’agit ainsi plutôt de fournir une base augmentée pour avancer dans la compréhension de l’hybridation éducative en fonction de l’échelle d’étude.
Les dix formes d’hybridation
Les dix formes d’hybridation que nous avons identifiées offrent une grille de lecture des manières dont les activités d’apprentissage, les formations ou les dispositifs de formation (selon l’échelle) peuvent être hybridés autour de leurs dimensions constitutives. Certaines peuvent se retrouver dans les travaux précédemment évoqués, d’autres représentent des nouveautés potentielles :
1. Hybridation spatiale
Elle se définit par l’articulation de divers espaces d’apprentissage au sein d’un scénario de formation, parmi les sept recensés dans notre étude (Céci, 2023). L’objectif est de tirer parti de la « didacticité » (pouvoir de soutien à la didactisation) de chaque lieu, qu’il s’agisse d’une salle de cours, d’un amphithéâtre, d’une bibliothèque, d’un laboratoire, d’un tiers-lieu (fablab, learninglab), d’un espace extérieur (sortie scolaire, entreprise), ou même du foyer de l’apprenant. Cette hybridation soulève la question des inégalités socio-spatiales, notamment lorsque le domicile est mobilisé pour l’étude, accentuant les disparités liées à l’accompagnement familial et aux conditions de travail.
2. Hybridation temporelle
Cette forme s’intéresse au séquençage explicite des temps scolaires, extrascolaires et périscolaires au sein d’un même dispositif pédagogique. L’apprenant doit s’organiser et planifier ses tâches en dehors du temps de classe. Des exemples typiques incluent la classe inversée, qui articule différemment les temps de présence en classe et les travaux extrascolaires pour un meilleur accompagnement, ou encore les formations en ligne avec des activités ponctuelles en présence. Tout comme l’hybridation spatiale, elle met en lumière les inégalités d’accès et d’accompagnement liées à l’usage du temps privé.
3. Hybridation des publics d’apprenants
Elle se manifeste par la flexibilisation des parcours de formation, rendue possible par les technologies qui suppriment les contraintes spatiales et temporelles liées au nombre d’apprenants. L’objectif est de permettre à l’apprenant de personnaliser son parcours et d’accéder à des formations qui seraient autrement inaccessibles (loin, chères, complètes). Pour les enseignants, elle facilite la formation de groupes hétérogènes (en termes de parcours ou d’âge), de tailles variées, ou géographiquement dispersés. Pour l’institution, cette hybridation répond à des logiques de rationalité et d’efficience, par exemple en permettant la constitution de troncs communs en amphithéâtre ou la gestion des rattrapages pour les étudiants empêchés.
4. Hybridation entre méthode sociocentrée et individualisée
Cette forme positionne le dispositif hybride de formation (ou la tâche d’apprentissage selon l’échelle) sur un curseur entre l’apprentissage à plusieurs (sociocentré) et l’apprentissage seul (individualisé). L’enjeu est d’articuler des activités de travail individuel (rythme personnel, gestion des difficultés propres) avec des activités de groupe, favorisant l’altérité et le conflit socio-cognitif selon la théorie vygotskienne. Cette dimension est l’une des trois dimensions de la typologie de Gilles Chamberland, Louisette Lavoie et Danielle Marquis (2003) sur les dispositifs pédagogiques.
5. Hybridation du degré de contrôle de l’apprentissage
Elle se définit par le degré de contrôle laissé aux apprenants sur leur processus d’apprentissage. En classe, elle oscille entre un dispositif magistrocentré (l’enseignant est l’acteur principal) et pédocentré (l’élève a les rôles principaux). Hors classe (en formation à distance ou autoformation), elle peut évoluer entre un dispositif hétérostructuré (parcours prédéterminé, peu d’initiatives) et des apprentissages autodirigés (grande marge de manœuvre et de choix des contenus et activités). L’interaction avec l’environnement d’apprentissage est essentielle pour cette hybridation. Cette dimension est également issue de la typologie des dispositifs pédagogiques (Chamberland et al., 2003).
6. Hybridation selon l’importance des médias et outils technopédagogiques
Cette hybridation concerne le degré de médiatisation technique d’un dispositif de formation ou l’alternance entre méthodes très médiatisées et non (ou peu) médiatisées. La médiatisation (mise en médias tels que son, vidéo, animation 3D, métavers, robot de téléprésence…) permet l’immersion, une meilleure compréhension de phénomènes complexes ou la simulation de situations dangereuses/difficiles à reproduire. L’objectif est d’exploiter au mieux l’affordance (entendue comme pouvoir d’agir avec) des instruments mobilisés au service des apprentissages, offrant des opportunités inédites d’apprendre autrement et plus efficacement. Il s’agit de la troisième dimension de la typologie de Gilles Chamberland, Louisette Lavoie et Danielle Marquis (2003).
7. Hybridation entre équité et égalité
Cette forme se concentre sur le positionnement du dispositif (ou de l’activité) entre une logique d’égalité (soutien identique pour tous) et une logique d’équité (accompagnement différencié et personnalisé pour la réussite de tous). Le numérique joue un rôle clé dans cette équité en facilitant l’accès facile et gratuit aux savoirs, leur archivage, et en offrant un soutien (tutorat numérique et physique) plus quantitatif et régulier aux apprenants en difficulté, contrairement à un accompagnement identique qui favoriserait la reproduction des inégalités.
8. Hybridation entre les différents niveaux d’engagements
Elle vise, pour les apprenants, à varier et diversifier les niveaux d’engagement mobilisés en formation. S’appuyant sur des modèles comme ICAP à quatre niveaux (interactif, constructif, actif, passif) de Michelene T. H. Chi et Ruth Wylie (2014), ou son adaptation aux cinq niveaux d’usage des TIC de Margarida Romero (2015), cette hybridation repose sur le fait qu’un engagement plus fort (notamment par le travail collaboratif et la cocréation) conduit à un apprentissage plus profond et à une meilleure capacité de transfert des connaissances. Les activités créatives et de cocréation sont jugées particulièrement efficaces pour l’engagement et les apprentissages, mais peuvent être alternées avec des activités moins engageantes, possiblement plus reposantes.
9. Hybridation des scénarios ou des approches pédagogiques
Cette forme consiste à combiner soit (1) divers scénarios pédagogiques parmi les 25 que nous avons recensés (Céci, 2023), tels que le cours magistral, l’exposé, la classe inversée, l’apprentissage par problèmes, le jeu, etc. ; ou bien (2) différentes approches pédagogiques alternatives (comme Montessori, Freinet, etc.) au sein du même dispositif (Zerika et al., 2022). L’objectif est de varier les méthodes et les objectifs d’apprentissage, tout en développant des compétences transversales, psychosociales et émotionnelles, sans opposer cela aux apprentissages disciplinaires fondamentaux.
10. Hybridation des thématiques
Cette forme implique l’intercalation de diverses thématiques d’apprentissage (par exemple divers chapitres de cours comme l’algèbre et la géométrie), en étalant la formation de chacune sur une période plus longue. Elle vise à limiter la lassitude des apprenants, à améliorer leur engagement et leur motivation, et à favoriser un meilleur ancrage mémoriel par la répétition. Cette approche est notamment étayée par des découvertes assez récentes en neurosciences qui soulignent l’importance de la distribution de l’apprentissage sur le temps long pour la consolidation des acquis (Dehaene, 2013 ; Tardif et al., 2016).
Convergences et divergences : vers une innovation complémentaire
Comme évoqué plus haut, notre taxonomie augmentée des formes d’hybridation pédagogique (Céci, 2023) ne se positionne pas comme un remplacement ou une réactualisation des travaux antérieurs, mais plutôt comme une forme de complémentarité féconde. Si les objectifs, les approches méthodologiques et les niveaux d’analyses diffèrent, un dialogue entre les études est possible pour enrichir la compréhension de l’hybridation. Certaines des dix dimensions évoquées (constituant autant de formes d’hybridation singulières) s’arriment de manière significative aux 14 composantes fondamentales du modèle Hy-Sup, par exemple. D’autres feront figure de nouveaux éléments qui enrichiront alors le champ de la recherche sur l’hybridation, en s’intéressant davantage au niveau micro de l’activité d’apprentissage. Le principal point de divergence réside dans l’objectif. Tandis qu’Hy-Sup a cherché à modéliser des dispositifs hybrides et leurs configurations spécifiques à travers l’articulation des dimensions globales, notre étude se concentre sur la description des diverses formes d’hybridation qui peuvent y coexister autour de dix dimensions spécifiques.
Au-delà de la recherche Hy-Sup, cette étude participe ainsi à la « révision des dimensions à considérer » appelée par le texte – ici discuté – de Bernadette Charlier et Claire Peltier (2024, p. 42) et permettant d’identifier les nouveaux types de dispositifs par leurs dimensions caractéristiques de « learning design ». Nous en spécifions dix parmi lesquelles cinq peuvent se retrouver dans le texte des deux auteures : hybridation spatiale, hybridation temporelle, hybridation des publics d’apprenants, hybridation du degré de contrôle de l’apprentissage, hybridation selon l’importance des médias et outils technopédagogiques. Aucun lien évident avec ce texte ne permet la prise en compte des cinq autres formes d’hybridations proposées : hybridation entre méthode sociocentrée et individualisée, hybridation entre équité et égalité, hybridation entre les différents niveaux d’engagements, hybridation des scénarios ou des approches pédagogiques, et hybridation des thématiques. Il y a là potentiellement matière à réflexion dans le cadre de la réactualisation de la recherche Hy-Sup en cours (par le projet ANR-FNR HyPES [4] auquel les deux auteures contribuent actuellement) et de l’étude de l’hybridation éducative de manière plus générale, particulièrement au niveau micro évoqué.
Conclusion
Le concept d’hybridation des formations est un champ de recherche dynamique et complexe, marqué par une recherche constante de clarification et de modélisation. Les travaux du projet Hy-Sup ont posé des fondations solides en définissant les dispositifs hybrides et leurs dimensions constitutives. Cependant, la nécessité d’enrichir ce modèle et d’intégrer de nouvelles formes d’hybridation demeure (Peltier et Séguin, 2021 ; Charlier et Peltier, 2024). Le concept d’hybridation continue ainsi d’évoluer, portée par les avancées technologiques (interfaces hybrides, téléprésence) et les besoins des apprenants et des institutions (flexibilisation, équité, massification). La recherche dans ce domaine doit donc rester ouverte, dialoguer entre les différentes traditions et modèles, et accepter la complexité des phénomènes étudiés pour mieux les éclairer et soutenir une innovation pédagogique pertinente et efficace.
C’est précisément là que réside l’apport de notre taxonomie augmentée (Céci, 2023), composée de dix formes distinctes d’hybridation. Cette taxonomie de l’hybridation éducative ne vise pas à se substituer aux cadres existants, mais à les compléter, en contribuant à une compréhension plus fine de ce concept, essentielle pour les chercheurs et les praticiens en ingénierie pédagogique.
Bibliographie
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