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Changer l’enseignement des maths : Peut-on s’inspirer de l’école allemande ?

Un article repris de https://theconversation.com/changer...

Les mathématiques sont censées donner aux jeunes des clés pour résoudre les problèmes qu’ils vont rencontrer au quotidien. Pourtant, dans leurs copies, les élèves français semblent souvent jongler avec les nombres sans conscience de leur signification concrète. Pour y remédier, peut-on s’inspirer du modèle scolaire allemand qui met plus l’accent sur la culture arithmétique ?


En mathématiques, lorsqu’on leur demande de résoudre des problèmes arithmétiques concrets, nombre d’élèves n’hésitent pas à proposer des réponses déconnectées de la réalité dans laquelle ils vivent.

« La cour de récréation mesure 13 mètres »,
« Il y a 102,7 personnes dans le bus »,
« La baignoire a une contenance de 35 centilitres »,

peut-on lire dans des cahiers de primaire.

Le fait que des enfants n’hésitent pas à rendre des copies comportant ce type de résultats interroge.

Quels sont les moyens mis en œuvre à l’école élémentaire pour amener les élèves à faire le lien entre la numérosité (c’est-à-dire ce qui peut y être appréhendé par comptage, mesurage, estimation…) du monde et les données numériques présentes dans les énoncés arithmétiques ? Poser cette question conduit à placer le sens au cœur de la réflexion.

Cette préoccupation se retrouve dans les évaluations internationales PISA, attachées à apprécier la capacité des jeunes à « utiliser et interpréter les mathématiques pour résoudre des problèmes dans une variété de contextes du monde réel ».

Si cet enjeu émerge, au moins à première vue, dans les programmes et dans les manuels de mathématiques, qu’en est-il sur le terrain ?

Réaliser la valeur signifiante des nombres

Revenons aux réponses fantaisistes des exercices de maths évoquées en début d’article. Comment expliquer que des élèves puissent, sans ciller, écrire sur leur cahier qu’une baignoire a une contenance de « 35 centilitres » ?

D’une part, les élèves semblent penser qu’en cours de mathématiques, les nombres perdent leur valeur signifiante, et qu’il devient alors possible d’affirmer ce que leur sens commun réfuterait immédiatement. Pour eux, tout se passe comme s’il n’était plus nécessaire de confronter les résultats à la réalité du monde.

L’exactitude numérique primerait sur la plausibilité des réponses, et l’exécution de calculs suffirait à valider les réponses.

D’autre part, les élèves semblent disposer d’une culture arithmétique insuffisante. En effet, quiconque sait qu’une canette de soda contient 33 centilitres perçoit aisément l’absurdité d’une réponse selon laquelle une baignoire domestique aurait une contenance de 35 centilitres.

L’excès de précision est également très révélateur : donner la masse d’un chien au gramme près n’a guère de sens. Le célèbre mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss (1777-1855) disait d’ailleurs :

« Rien ne montre plus le manque d’éducation mathématique qu’un calcul exagérément précis. »

Des problèmes de maths ancrés dans le quotidien

Il est cependant parfois utile de s’ouvrir à d’autres cultures, pour apercevoir certains aspects restés invisibilisés à l’intérieur d’un même système éducatif.

Parce que l’Allemagne est un pays voisin, notre attention s’est portée sur la manière dont les mathématiques y sont enseignées au niveau de l’école élémentaire. Ce choix est d’autant plus intéressant que la Lebenswelt (le monde de la vie) est profondément ancrée dans la tradition intellectuelle allemande, modelant les apprentissages autour de situations issues du quotidien des élèves et en phase avec la réalité du monde extérieur.

Or, dans la vie courante, la quantification du « monde de la vie » s’effectue le plus souvent de manière approximative, par le biais de notre perception visuelle (par exemple, à vue d’œil, la nuée d’oiseaux qui traverse le ciel compte environ une cinquantaine d’individus) ou en s’appuyant sur nos expériences de vie (par exemple, l’enjambée d’un enfant de 10-12 ans marchant au pas mesure environ 60 centimètres).


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Les élèves allemands sont formés à saisir les nombres par des modes naturels, grâce à la pratique de problèmes d’estimation de grandeurs ou de quantités. De telles activités ne contiennent aucune donnée numérique et se présentent comme des questions ouvertes : combien de personnes se trouvent en ce moment même dans ton école ? Quelle quantité d’eau est consommée quotidiennement par ta famille ?

Certes, les manuels de mathématiques allemands proposent aussi de nombreux problèmes concrets avec toutes les données numériques utiles, mais, une fois encore, la Lebenswelt agit. Les unités de mesure, comme le décamètre (dam) ou l’hectogramme (hg), ne sont pas des savoirs à enseigner ou à apprendre, tout simplement parce que ces unités ne sont pas couramment utilisées dans la vie (par exemple, on ne dit pas que « la largeur d’une main est de 1 dam », mais plutôt « de 10 cm » ; on ne dit pas qu’« une tablette de chocolat pèse 2 hg » mais « 200 g »).

Ces propos pourraient être illustrés de bien d’autres manières, mais s’achèveront par une dernière remarque. Un problème concret met en scène un contexte, autrement dit une situation narrative (par exemple, celle d’une maman qui fait ses courses). En Allemagne, le choix est fait d’opter pour des contextes familiers liés au vécu des élèves : les loisirs, le sport, les animaux, la vie à l’école ou à la maison… soit des domaines qui font sens aux enfants, mais aussi qui suscitent leur intérêt et leur engagement.

Savoir estimer des distances et des quantités

En France, l’école élémentaire est pensée autrement. Il s’agit d’abord de préparer les élèves à s’approprier les savoirs du cycle 3 (élèves de 9 ans à 11 ans), pour être prêts à recevoir ceux du cycle 4 (élèves de 12 ans à 14 ans). La Lebenswelt n’est pas totalement écartée, mais elle occupe une place bien moins centrale : les activités proposées priorisent les concepts mathématiques et la valeur didactique des données numériques.

Dans un tel système, les élèves sont rarement confrontés aux tâches d’estimation, alors que ces dernières sont pourtant sans cesse mobilisées dans la vie courante. Les données peuvent être déconnectées de la réalité du monde (par exemple, des marées noires sont mesurées en mètres carrés ou mètres cubes, et non en tonnes ; des durées sont représentées sous la forme de fractions).

« France : baisse “historique” du niveau en maths selon le classement international des élèves » (France 24, décembre 2023).

Les élèves découvrent des unités comme le décamètre, l’hectogramme ou le kilomètre cube, autant d’unités jamais utilisées dans la vie quotidienne. Quant aux contextes des problèmes concrets, ils peuvent concerner des thématiques très variées, y compris très éloignées des préoccupations des élèves, comme les acariens d’une salle de cinéma ou la composition précise des gaz à effet de serre.

Développer une culture arithmétique

Alors, l’école élémentaire allemande nous donne-t-elle une leçon ? La question est un peu provocatrice, d’autant que l’Allemagne effectue une importante sélection à l’issue du CM 1 (élèves de 9 ans), ce qui induit des logiques d’apprentissage différentes.

Il serait toutefois dommage de balayer d’un revers de main la question, au motif que les objectifs pédagogiques ne sont pas les mêmes.

Offrir aux élèves la possibilité de construire un catalogue de données numériques de référence, afin qu’ils puissent porter un regard critique sur les résultats obtenus dans le cadre de problèmes concrets, ne peut être que bénéfique.

La question du choix des contextes n’est pas non plus anodine. Le groupe de recherche GREFEM le confirme : « L’histoire à laquelle on se réfère a une influence sur le taux de réussite des élèves » ; en outre, « un problème mettant en scène des poissons dans des aquariums, par exemple, est plus familier aux élèves qu’un problème de même structure impliquant plutôt le taux de glucose chez les êtres humains ».

Or, en France, les enseignants sont d’abord formés à choisir des exercices pour leur intérêt didactique, beaucoup plus rarement pour leur pertinence en termes de construction d’une culture arithmétique en lien avec la Lebenswelt. Les énoncés abordent en effet une grande variété de thématiques (par exemple, l’histoire du train, les effets de la déforestation…). Dans une telle perspective, les contextes apparaissent comme de simples habillages d’exercices : il n’est pas attendu des élèves qu’ils mémorisent les données numériques pour une exploitation ultérieure.

Certainement, l’école élémentaire française pourrait-elle, tout en conservant ses objectifs, accorder une plus grande place au « monde de la vie » pour permettre aux élèves de prendre conscience qu’ils sont porteurs d’une culture arithmétique propre, qui ne demande qu’à être développée et activée en cours de mathématiques.

Une telle orientation contribuerait, au moins aux yeux des publics scolaires les plus fragiles, à transformer l’image des mathématiques : celles-ci cesseraient de prendre les traits d’un être abstrait et étranger à la vie pour devenir une compagne du quotidien, à la fois familière et stimulante.

The Conversation

Florence Soriano-Gafiuk a reçu des financements du CIERA (Centre International d’Études et de Recherche sur l’Allemagne).

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