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Comment l’IA influence nos façons d’apprendre – et pourquoi se méfier de la facilité

Un article repris de https://theconversation.com/comment...

Les chatbots peuvent nous délester de certaines charges cognitives. Mais ces raccourcis peuvent-ils nuire à long terme à l’acquisition de compétences ? Comment faire de l’IA un outil réellement utile à l’apprentissage ?


Lorsqu’OpenAI a lancé son « mode étude » en juillet 2025, l’entreprise a vanté les avantages pédagogiques de ChatGPT. « Lorsque ChatGPT est utilisé pour enseigner ou donner des cours particuliers, il peut améliorer considérablement les résultats scolaires », a déclaré le vice-président « éducation » de la société aux journalistes lors du lancement du produit. Mais tout enseignant impliqué dans son métier est en droit de se demander : s’agit-il simplement d’un argument marketing ou ces affirmations sont-elles réellement étayées par des recherches scientifiques ?

Alors que les outils d’IA générative font leur apparition à une vitesse fulgurante dans les salles de classe, les recherches sur la question progressent à un rythme beaucoup plus raisonnable. Certaines études préliminaires ont fait état d’avantages pour certains groupes, tels que les étudiants en programmation informatique et les apprenants de la langue anglaise. D’autres études optimistes ont également été menées sur l’IA dans l’éducation, comme celle publiée dans la revue Nature en mai 2025, qui suggère que les chatbots peuvent faciliter l’apprentissage et la réflexion à un haut niveau. Mais les chercheurs dans ce domaine ont souligné d’importantes faiblesses méthodologiques dans bon nombre de ces articles de recherche.

D’autres études ont brossé un tableau plus sombre, suggérant que l’IA pourrait nuire aux performances ou aux capacités cognitives telles que les compétences de pensée critique. Un article a montré que plus un élève utilisait ChatGPT pendant son apprentissage, moins il réussissait par la suite des tâches similaires lorsque ChatGPT n’était pas disponible.

En d’autres termes, les premières recherches commencent seulement à effleurer le sujet pour nous éclairer sur la manière dont cette technologie affectera réellement l’apprentissage et la cognition à long terme. Où pouvons-nous trouver d’autres indices ? En tant que psychologue cognitif ayant étudié l’utilisation de l’IA par les étudiants universitaires, j’ai découvert que mon domaine offre des indications précieuses pour déterminer quand l’IA peut stimuler le cerveau et quand elle risque de le vider de son énergie.

Le talent vient de l’effort

Les psychologues cognitifs ont avancé que nos pensées et nos décisions sont le résultat de deux modes de traitement, communément appelés Système 1 et Système 2.

Le premier est un système basé sur la reconnaissance de schémas, l’intuition et les habitudes. Il est rapide et automatique, ne nécessitant que peu d’attention consciente ou d’effort cognitif. Bon nombre de nos activités quotidiennes routinières (s’habiller, préparer le café, se rendre au travail ou à l’école à vélo) entrent dans cette catégorie. Le système 2, en revanche, est généralement lent et délibératif, nécessitant davantage d’attention consciente et parfois un effort cognitif pénible, mais il produit souvent des résultats plus solides.

Nous avons besoin de ces deux systèmes, mais l’acquisition de connaissances et la maîtrise de nouvelles compétences dépendent fortement du système 2. Les difficultés, les frictions et les efforts mentaux sont essentiels à l’apprentissage, à la mémorisation et au renforcement des connexions dans le cerveau. Chaque fois qu’un cycliste confiant enfourche son vélo, il s’appuie sur la reconnaissance des schémas acquise à grand-peine dans son système 1, qu’il a développée au fil de nombreuses heures d’efforts dans son système 2 pour apprendre à faire du vélo. Vous ne pouvez pas atteindre la maîtrise de compétences et vous ne pouvez pas recouper efficacement les informations pour un traitement de plus haut niveau sans avoir d’abord fourni un effort cognitif.

Je dis à mes élèves que le cerveau ressemble beaucoup à un muscle : il faut vraiment travailler dur pour obtenir des résultats. Sans sollicitation, il ne peut pas se développer.

Et si une machine faisait le travail à votre place ?

Imaginez maintenant un robot qui vous accompagne à la salle de sport et soulève les poids à votre place, sans que vous ayez à fournir le moindre effort. En peu de temps, vos muscles s’atrophieront et vous deviendrez dépendant de ce robot, même pour des tâches simples comme déplacer une boîte lourde.

Une IA mal utilisée, par exemple pour répondre à un questionnaire ou rédiger une dissertation, empêche les élèves de développer les connaissances et les compétences dont ils ont besoin. Elle les prive d’un entraînement mental.

L’utilisation de la technologie pour se décharger d’exercices cognitifs peut avoir un effet néfaste sur l’apprentissage et la mémoire et amener les gens à mal évaluer leur propre capacité de compréhension ou leurs compétences en général, ce qui conduit à ce que les psychologues appellent des erreurs métacognitives. Des recherches ont montré que le fait de confier systématiquement la navigation automobile au GPS peut altérer la mémoire spatiale et que le recours à une source externe telle que Google pour répondre aux questions qu’ils se posent incite les gens à surévaluer leurs propres connaissances et leur mémoire.

Y a-t-il des risques similaires lorsque les étudiants confient des tâches cognitives à l’IA ? Une étude a montré que les étudiants qui effectuaient des recherches sur un sujet à l’aide de ChatGPT plutôt qu’avec un moteur de recherche traditionnel avaient une charge cognitive moindre pendant la tâche (ils n’avaient pas à réfléchir autant) et produisaient un raisonnement moins pertinent sur le sujet qu’ils avaient étudié. Une utilisation superficielle de l’IA peut réduire la charge cognitive sur le moment, mais cela revient à laisser un robot faire vos exercices de gym à votre place. Au final, cela conduit à une détérioration des capacités de réflexion.

Dans une autre étude, les étudiants utilisant l’IA pour réviser leurs dissertations ont obtenu de meilleurs résultats que ceux qui révisaient sans IA, souvent en copiant-collant simplement des phrases provenant de ChatGPT. Mais il n’apparaît pas que ces étudiants ont acquis ou assimilé plus de connaissances que leurs pairs qui travaillaient sans IA. Le groupe utilisant l’IA s’est également engagé dans des processus de réflexion moins rigoureux. Les auteurs avertissent qu’une telle « paresse métacognitive » peut entraîner des améliorations à court terme des performances, certes, mais aussi conduire à une stagnation des compétences à long terme.

Se décharger d’une tâche peut être utile une fois que les bases sont en place. Mais ces bases ne peuvent se créer que si votre cerveau effectue le travail initial nécessaire pour encoder, relier et comprendre les questions que vous essayez de maîtriser.

Utiliser l’IA pour soutenir l’apprentissage

Pour en revenir à la métaphore de la salle de sport, il peut être utile pour les étudiants de considérer l’IA comme un entraîneur personnel capable de les aider à rester concentrés sur leur objectif en les suivant, en les encadrant et en les poussant à travailler plus dur. L’IA présente un grand potentiel en tant qu’outil modulable d’apprentissage, tuteur personnalisé, doté d’une vaste base de connaissances… et n’ayant jamais besoin de sommeil.

C’est justement ce que les entreprises spécialisées dans les technologies d’IA cherchent à concevoir : le tuteur idéal. Outre l’entrée d’OpenAI dans le domaine éducatif, Anthropic a lancé en avril 2025 son mode « apprentissage » pour Claude. Ces modèles sont censés engager un dialogue socratique avec les utilisateurs, leur poser des questions et leur fournir des indices, plutôt que de se contenter de donner des réponses.

Les premières recherches indiquent que, s’ils peuvent être bénéfiques, les tuteurs IA posent également des problèmes. Par exemple, une étude a révélé que les lycéens qui révisaient leurs mathématiques avec ChatGPT obtenaient de moins bons résultats que ceux qui n’utilisaient pas l’IA. Certains élèves utilisaient la version de base, tandis que d’autres utilisaient une version personnalisée du tuteur qui donnait des indices sans révéler les réponses. Lorsque les élèves ont passé un examen sans accès à l’IA, ceux qui avaient utilisé la version de base de ChatGPT ont obtenu des résultats bien inférieurs à ceux du groupe qui avait étudié sans IA, sans toutefois se rendre compte que leurs performances étaient moins bonnes. Ceux qui avaient étudié avec le tuteur robotisé n’ont pas obtenu de meilleurs résultats que les élèves qui avaient révisé sans IA, mais ils pensaient à tort avoir mieux réussi. L’IA n’a donc pas été utile et a introduit des erreurs métacognitives.

Même si les modes tutoriels doivent être affinés et améliorés, il est préférable pour les étudiants de sélectionner ce mode et de jouer le jeu, en fournissant avec précision le contexte de leur question et en évitant les requêtes inutiles ou trop simplistes, comme la flagornerie.

Les derniers problèmes des tuteurs par IA peuvent être résolus en ajustant le design et les interfaces des outils. Mais la tentation d’utiliser l’IA générative en mode par défaut restera un problème plus fondamental et classique de la conception des cours et de la motivation des étudiants.

Comme pour d’autres technologies complexes telles que les smartphones, Internet ou même [l’écriture], il faudra du temps aux chercheurs pour comprendre pleinement l’étendue réelle des effets de l’IA sur la cognition et l’apprentissage. Au final, le tableau sera probablement nuancé et dépendra fortement du contexte et des cas d’utilisation.

Mais ce que nous savons des processus d’apprentissage nous indique que la connaissance approfondie et la maîtrise d’une compétence nécessiteront toujours un véritable entraînement cognitif, avec ou sans IA.

The Conversation

Brian W. Stone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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