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Introduction numéro spécial : Le Québec urbain face aux défis socio- écologiques du 21e siècle

Un article repris de http://journals.openedition.org/ver...

Un article repris de Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement, une publication sous licence CC by sa nd

Éric Pineault et Louise Vandelac, « Introduction numéro spécial : Le Québec urbain face aux défis socio- écologiques du 21e siècle », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], | 2022, mis en ligne le 05 septembre 2022, consulté le 21 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/37744 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.37744

Les villes sont à la fois de puissantes sources de dégradation environnementale et d’importants laboratoires de transition et d’innovation socio-écologiques. Au fur et à mesure que la planète s’urbanise et que la majorité des êtres humains deviennent citadins, ces pressions s’accentuent tout comme l’urgence de repenser la ville. Le Québec n’échappe pas à cette dynamique globale qui se traduit trop souvent par une croissance de l’espace urbanisé au détriment des milieux naturels et agricoles, pour privilégier de nouveaux quartiers résidentiels ou de nouveaux districts industriels, centres commerciaux et infrastructures d’automobilité.

Historiquement les impacts environnementaux de l’urbanité se sont surtout présentés sous la forme de pollutions directes et immédiates générées par les activités urbaines : eaux usées, air vicié, amoncellement de déchets solides, ainsi qu’une demande en matières premières qui affectent et transforment les milieux de proximité. Cette connexion, voire subsomption, de l’arrière-pays à la dynamique urbaine a pu refaçonner des biomes entiers comme l’ont montré les travaux de William Cronon (1991)sur le développement de Chicago et l’artificialisation des prairies américaines en un anthrome de monocultures industrielles.

Au 20e siècle l’étalement urbain s’est ajouté à ces flux territorialisés comme pression environnementale supplémentaire. Les villes nord-américaines en particulier ont généralement un modèle de développement gourmand en espace avec une urbanisation « topophage » (Garçon et Navarro, 2012) axé sur l’étalement et la connexion des espaces par l’automobilité et le camionnage. Les villes ont également des impacts sur les écosystèmes lointains avec lesquelles elles sont couplées via les échanges massifs de matière et d’énergie qu’elles mobilisent dans leur reproduction biophysique. À ce titre, les résidents sont tout aussi exigeants que le sont les infrastructures urbaines et les artefacts - machines et bâtiments. Ce métabolisme urbain engendre des flux extractifs et dissipatifs qui, avec la mondialisation de la circulation et des échanges se déploient à une échelle globale. Ces configurations matérielles de l’urbanité et les pratiques sociales et pouvoirs qu’elles médiatisent, soutiennent et concentrent agissent comme de puissants verrous socio-écologiques qui se traduisent en émissions de gaz à effet de serre (GES) et en impacts sur la biodiversité. La capacité de transformer ces configurations et ces pratiques, notamment l’innovation sociale en particulier, peut faire des villes d’importants leviers de changement des rapports sociétés nature.

Les villes sont également des écosystèmes. Elles sont des habitats riches ou pauvres, elles sont des rouages biophysiques dans les cycles de l’eau, du carbone et d’autres éléments tels que le phosphore et l’azote. La qualité des écosystèmes urbains et leur contribution à la biodiversité sont extrêmement variables, et les sociétés urbaines ont prise sur ces variables via leurs structures de pouvoir politique, économique et les pratiques sociales des citadins.

Les décisions d’aménagement du territoire centrées sur l’étalement urbain ont un impact déterminant sur la nature et la viabilité des écosystèmes urbains ainsi que sur leurs connexions extérieures. Ce modèle de développement entre en conflit avec l’impératif de préservation d’habitats pour lutter contre la perte de biodiversité. Cependant les modèles de développement axés sur la densification et l’intensification de l’occupation de l’espace comportent également leurs propres défis environnementaux. La densification peut permettre la conservation et la restauration d’écosystèmes urbains riches et résilients, surtout si elle recourt aux infrastructures vertes, mais si elle implique la prolifération d’infrastructures grises elle peut alors se transformer en nouvelle contrainte et constituer une pression négative qui ne contribue pas à la résolution des défis socio-écologiques des villes.

Finalement, la transition socio-écologique des villes s’inscrit aussi dans un défi d’adaptation aux changements climatiques et plus globalement aux changements environnementaux engendrés par la croissance et la mondialisation. Populations concentrées, espaces artificialisés, artefacts et infrastructures technicisés, automatisés et exigeants de l’énergie, les villes contemporaines sont fragiles et peu résilientes, et trop souvent mal organisées pour faire face à ces défis. La transition socio-écologique des villes ne vise pas uniquement à les transformer en des vecteurs de pressions environnementales positives qui contribuent au rétablissement d’écosystèmes résilients, mais vise également à bâtir leur propre résilience sociale et écologique dans un monde qui s’annonce de plus en plus turbulent.

Les contributions réunies dans ce numéro explorent comment ces enjeux ont été abordés par différents chercheur-e-s de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans la dernière décennie.

Un premier article « Les systèmes alimentaires locaux ou comment transformer les villes par l’alimentation ? » par Béatrice Lefebvre examine comment les initiatives du mouvement communautaire montréalais dans le domaine alimentaire contribuent à faire de la ville un milieu qui allie éco-responsabilité et justice sociale. Les résultats de cette enquête de terrain se basent sur une analyse d’entretiens avec des acteurs du milieu.

Le second article, de Anne-Sophie Gousse Lessard et Jérôme Laviolette, examine plutôt le système de mobilité urbain québécois et son ancrage dans un système de pratiques et de représentations sociales où prédomine le paradigme de l’automobilité. L’article souligne la contribution essentielle des recherches psychosociales à côté des analyses portant sur les facteurs plus structuraux et sociodémographiques pour explorer comment les systèmes de transports peuvent être transformés dans une optique de lutte contre les changements climatiques.

La question de la mobilité est également au coeur des réflexions que propose Benoit Genest dans son article « Mobilité durable : réfléchir la responsabilité sociale des entreprises à partir de l’éthique des capabilités ». Enquête théorique, l’auteur explore le lien entre mobilité et justice sociale à la lueur de la théorie des capabilités de Rawls, Sen et Martha Nussbaum. Il pose la question de la contribution des entreprises privées à une offre de transport durable porteuse de justice sociale.

Les parcs et milieux protégés urbains sont des infrastructures vertes qui assurent des services écosystémiques essentiels à la vie urbaine. Pierre Drapeau et Maxime Allard évaluent la contribution du développement du réseau des parcs-nature sur l’Ile de Montréal à la biodiversité, sous l’angle spécifique de la faune aviaire. Leur étude relève d’une part le caractère essentiel de ces milieux pour le maintien de la biodiversité de la faune aviaire, mais les limites en particulier engendrées par la fragmentation du couvert forestier.

Cette ville de plus en plus connectée par des habitats et écosystèmes diversifiés explorée par Drapeau et Allard et dont on peut faire l’expérience dans les différents parcs nature, contraste avec l’idéologie de la ville connectée par les technologies numériques qu’examine d’un oeil critique Nicolas Merveille. Cette idéologie, Merveille la décortique dans un essai anthropologique qui porte sur le discours des promoteurs de la ville intelligente et de la cité numérisée. Son objectif est que ce devenir numérique de la cité et du citoyen soit débattu dans l’espace public.

Cette réflexion sur l’avenir sociopolitique de la ville est au coeur de plusieurs autres articles de ce numéro, dont celui de Marc-André Guertin qui porte sur la contribution des élus municipaux à la transformation des villes en milieux écoresponsable. Cette réflexion est adossée à une analyse empirique de l’offre de formation en environnement offerte aux élus qui porte notamment sur les représentations et les pratiques des formateurs dans une optique d’éducation relative à l’environnement. Jonathan Pelletier, Daniel Germain, Catherine Trudelle et Maryline Gaudette, examinent pour leur part les enjeux de gouvernance territoriale et de perception du risque qui ont émergé dans la foulée de la grande inondation de la rivière Richelieu en 2011. L’étude de la gouvernance se poursuit dans l’article « Territoires et urbanités autochtones face aux défis socio-écologiques au Canada. Enjeux d’inclusion et de gouvernance » où les auteurs examinent un point aveugle de la littérature sur la gouvernance autochtone qui souvent ignore les enjeux qui renvoient à la présence autochtone en milieu urbain. Ce point aveugle est également présent dans les écrits sur la gouvernance environnementale urbaine qui excluent les perspectives et expériences autochtones.

L’exclusion est aussi une réalité vécue par les mouvements sociaux de l’Est Montréal qui tente de penser la transformation de leur milieu de vie à l’extérieur du paradigme extractiviste – industriel qui a marqué le développement de ce territoire au 20e siècle. Juan-Luis Klein, Jean-Marc Fontan, René Audet, et Benoît Levesque examinent la contribution de l’Alliance pour l’Est de Montréal à l’émergence d’un modèle de développement socio-écologique alternatif basé sur l’imaginaire du « New Deal ».

Dans l’article « Un programme de recherche pour la transition sociale et écologique de Montréal » les auteurs montrent comment la Chaire de recherche de l’UQAM sur la transition écologique contribue par son travail de documentation et d’observation participative au foisonnement d’initiatives de transition structurantes sur le territoire montréalais dans trois chantiers : l’urgence climatique, les milieux de vie et les systèmes alimentaires.

Bibliographie

Cronon, W, 1991, Nature’s Metropolis : Chicago and the Great West, W. W. Norton, 530 p.

Garçon, L., Navarro, A., 2012, La Société des territorialistes ou la géographie italienne en mouvement, Tracés. Revue de Sciences humaines [En igne], 22 | 2012, Online since 21 May 2014, connection on 12 January 2023. URL : http://journals.openedition.org/traces/5465

Auteurs

Éric Pineault

Professeur, Département de sociologie et Président du comité scientifique, Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal (UQAM), Directeur scientifique du Pôle UQAM sur la ville résiliente, Québec, Canada, adresse courriel : pineault.eric@uqam.ca

Louise Vandelac

Professeure titulaire, Département de sociologie, Institut des sciences de l’environnement, Directrice du Collectif de recherche écosanté sur les pesticides, les politiques et les alternatives (CREPPA) et Co-rédactrice en chef de VertigO, Université du Québec à Montréal, Québec, Canada, adresse courriel : vandelac.louise@uqam.ca

Licence : CC by-nc-nd

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