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Apprendre à faire des choix dans un monde incertain

Un article repris de https://theconversation.com/apprend...

Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd

Depuis 2020, le monde a changé et d’aucuns disent qu’il est devenu incertain. Les règles du jeu ont en tout cas changé, et celles-ci ne sont plus claires. Comment l’être humain et la société peuvent-ils jouer avec ces nouvelles règles – ou cette absence de règles ? Et comment le fonctionnement propre aux jeux peut-il nous éclairer sur cette nouvelle situation ?

Rappelons d’abord que les règles sont une caractéristique fondamentale du jeu et que ce sont elles qui permettent au joueur d’être inventif. Roger Caillois l’écrit dès 1958 : « Le terme de jeu combine alors les idées de limites, de liberté et d’invention. ». Qu’il ait à deviner des mots sans en prononcer d’autres (dans le cas de Taboo) ou qu’il doive dessiner un concept dans un temps donné (dans le cas de Pictionary), c’est parce qu’il est contraint que le joueur devient créatif. C’est parce qu’il y a des règles qu’il doit se dépasser pour réussir à l’emporter.




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Outre son usage dans les séances de brainstorming, de créativité, dans les services innovation des entreprises, cette caractéristique du jeu se retrouve dans de nombreux domaines. En littérature, l’OuLiPo en a fait sa ligne de conduite : poser des règles pour solliciter la créativité. L’exemple le plus connu est celui de Georges Perec qui écrit un roman entier sans la lettre « e ». Cédric Villani, lauréat de la médaille Fields, le « Nobel » des mathématiques, évoque, lui aussi, cet équilibre entre règles et liberté dans son TedX sur la naissance des idées.

Pendant les périodes de confinement, nous avons d’ailleurs pu constater au quotidien combien la créativité humaine était exacerbée par les contraintes. Denis Cristol en a d’ailleurs recensé quelques exemples, qu’ils soient inventifs, drôles, solidaires, musicaux, voire médicaux ou issus de la EdTech.

Les règles et la liberté de choisir

Au-delà de la créativité, la contrainte liée aux règles confronte le joueur à la prise de décision. A chaque tour, en effet, il est sommé de faire des choix. Au Monopoly, il devra décider s’il achète ou non telle rue ou telle avenue par exemple. Dans des jeux plus vastes comme Catan, Carcassonne, Seven Wonders, Risk, les règles sont plus nombreuses et les joueurs sont donc encore plus libres car ils peuvent élaborer des stratégies très différentes. Chaque partie sera l’occasion de tester une autre manière de jouer.

Le jeu permet alors de voir – action après action – les conséquences des choix des participants. Ces feedbacks immédiats permettent de visualiser les stratégies mises en place. Ils accroissent la motivation du joueur et sa capacité à progresser.

Cette caractéristique intrinsèque du jeu qui permet à la fois de choisir et de visualiser les conséquences de ses choix a donc une influence sur le déroulement du jeu. Par extension, si le jeu inclut un scénario avec des personnages, il sera possible d’influencer le déroulement du scénario. L’univers du jeu vidéo s’en est d’ores et déjà saisi. C’est le cas du studio Quantic Dream qui propose à ses joueurs des choix qui influencent le cours de l’histoire.

Dans Detroit : Become Human l’auteur et directeur du studio, David Cage, a réalisé un scénario de plus 5000 pages afin d’obtenir un récit complexe avec plus de 65 000 possibilités. Le scénario change en fonction des décisions, des dialogues et des choix moraux du joueur. Au-delà de l’expérience du joueur, ce jeu vidéo pose des questions sur les relations, humain/robot.

De la nécessité de retrouver des règles (du jeu)

Appliqué à des sujets cruciaux, le jeu permet donc aux participants d’en découvrir les conséquences. Cette caractéristique explique notamment l’usage exponentiel du « serious game » dans les domaines de la pédagogie, de la formation, de la sensibilisation aux sujets complexes actuels.

Les joueurs peuvent ainsi visualiser les conséquences de leur agissement sur la planète par exemple comme dans Change Game réalisé par la fondation Euro-Mediterranean Center on Climate Change (CMCC). Ils peuvent aussi réfléchir à leur choix et à leur éthique au travers de jeux tels que Are You Sure ou Finethics.




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Vous l’aurez compris, dans un jeu, c’est en fait la règle qui rend l’être humain créatif et c’est la multiplicité des règles qui lui donne la liberté de faire des choix et d’établir une stratégie.

Ce qui explique, par exemple, que le Morpion soit un jeu qui lasse vite et dont on se détourne par ennui. Ce jeu qui n’est composé que d’une seule règle (aligner trois signes identiques en ligne sur la grille) n’est pas assez contraignant pour inciter le cerveau à se dépasser et ne sollicite donc pas sa créativité. Il ne comprend pas non plus assez de règles pour permettre d’effectuer d’établir une stratégie.

Dans un monde devenu incertain, les règles floues, inattendues, en apparence inexistantes, sont donc forcément déstabilisantes pour l’être humain. Peut-être qu’il nous faudra projeter de nouvelles règles à l’image de Red Team, apprendre à lire entre les lignes, à repérer les signaux faibles ; user peut-être de la prospective pour détecter les nouvelles règles et apprendre à jouer avec.

The Conversation

Isabelle Patroix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Licence : CC by-nd

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