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« Projet de formation » : accompagner vers la réussite universitaire et l’insertion professionnelle

Un article repris de http://journals.openedition.org/rip...

Les processus de transition et d’adaptation au monde universitaire, ainsi que l’orientation vers le monde professionnel constituent des défis majeurs pour les étudiants universitaires. Face à cette problématique, de nombreux dispositifs de soutien ont été proposés par les universités. Cependant, leur impact n’a pas souvent été évalué. L’objet de cette recherche vise précisément à présenter les résultats de l’évaluation d’un dispositif de soutien au projet d’études et au projet d’insertion socioprofessionnelle : le dispositif « Projet de formation ». Cette évaluation a été réalisée auprès de deux cohortes d’étudiants, à trois ans d’intervalle, selon trois niveaux d’analyses, inspirés du modèle d’évaluation de Kirkpatrick et Kirkpatrick. Les résultats de cette étude montrent une amélioration significative des bénéfices perçus du dispositif ainsi qu’une augmentation rapportée du transfert des compétences acquises. Après avoir situé les limites de notre étude, nous évoquons quelques perspectives au regard de l’approche évaluative employée.

Référence électronique

Mikaël De Clercq, Véronique Leroy, Florence Stinglhamber et Mariane Frenay, « « Projet de formation » : accompagner vers la réussite universitaire et l’insertion professionnelle », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 38(1) | 2022, mis en ligne le 10 juin 2022, consulté le 04 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/ripes/3808  ; DOI : https://doi.org/10.4000/ripes.3808

1. Introduction générale

Le passage vers le monde universitaire est une problématique largement étudiée dans la littérature en sciences de l’éducation, car elle est souvent considérée comme une des transitions éducatives les plus difficiles du jeune dans son parcours scolaire (Jacques, 2015). Ce dernier est alors confronté à un ensemble de changements et de défis tels que la confrontation à un enseignement plus anonyme, la nécessité de développer un apprentissage autonome, ou encore la difficulté de coordonner ses études avec d’autres sphères de sa vie (Chevrier, 2019 ; Credé et Niehorster, 2012 ; De Clercq et al., 2020). Cette adaptation au monde universitaire est entre autres décrite comme un processus d’adaptation nécessitant de l’étudiant [1] d’apprendre le métier d’étudiant et de surmonter les obstacles de ce nouvel environnement d’apprentissage (Coulon, 1997 ; Jenert et al., 2017 ; Trautwein et Bosse, 2017).

En parallèle à ce processus d’adaptation à l’environnement universitaire, un autre défi se présente à l’étudiant universitaire : celui de construire un projet professionnel clair qui facilitera sa future transition vers le monde de l’emploi. L’étudiant est alors amené à s’approprier son choix d’études, à développer des attentes réalistes et claires sur le monde professionnel et à poser un choix motivé de futures professions (Purnell, 2002). Ces différents éléments sont développés dans le modèle des cycles de transition de Nicholson (1990) qui pointe l’importance de ces tâches de préparation vers le monde professionnel pour faciliter la transition professionnelle.

En Belgique francophone, le contexte de cette étude, l’accompagnement du choix professionnel se pose tout particulièrement. En effet, l’entrée à l’université n’est pas conditionnée par un processus de sélection fort, ce qui a pour conséquence que le processus de choix d’études, initié parfois tardivement, se pose souvent avec moins de réflexion, ce qui peut le rendre moins solide et affirmé par l’étudiant (Boudrenghien et al., 2011 ; De Clercq et al., 2017). C’est cette complexité du processus de choix d’études et professionnel que développent particulièrement Germeijs et ses collègues dans leur conception multidimensionnelle du processus du choix de carrière (Germeijs et al., 2012 ; Germeijs et Verschueren, 2006). Ces auteurs précisent l’importance de poser un choix (1) ancré dans les buts et motivations du jeune, (2) basé sur une réelle exploration de la future profession et (3) reposant sur un réel engagement de l’étudiant (Germeijs et al., 2012).

Face à ce double enjeu d’adaptation aux études universitaires et d’orientation, un grand nombre d’étudiants se retrouve en difficulté, ce qui peut conduire à l’échec ou l’abandon de leur formation (Torenbeek et al., 2010) et qui engendre des coûts importants tant psychologiques que financiers (Roland et al., 2015). Les questions de l’échec et de la difficulté d’orientation à l’université se sont constituées en enjeux politiques pour l’enseignement supérieur, ayant conduit à l’introduction de nombreux dispositifs de soutien pour faciliter la transition vers le monde universitaire (dont celui développé dans cet article) ainsi que de structures au sein de l’enseignement supérieur qui coordonnent les initiatives. En Belgique francophone, ce renforcement de la préoccupation pour la transition secondaire-supérieur a mené à l’émergence de centres de pédagogie universitaire, à la mise sur pied de services d’aide à la réussite et a notamment motivé à la création d’un organisme centralisé : l’Académie de Recherche et de l’Enseignement Supérieur qui coordonne les actions de soutien aux étudiants entre les différents établissements de l’enseignement supérieur.

Un grand nombre de dispositifs a donc vu le jour. Néanmoins, plusieurs auteurs affirment que l’évaluation rigoureuse de ces dispositifs d’accompagnement est encore trop rare et se limite souvent à la satisfaction des étudiants (De Clercq et al., 2016 ; Stes et al.,2010). Dans cet article, nous viserons à évaluer l’efficacité d’un de ces dispositifs, appelé « Projet de formation » par la mesure de ses effets, allant au-delà de la seule satisfaction des étudiants à l’égard du dispositif.

2. Un dispositif de cours pour soutenir le développement du projet d’études et du projet professionnel

Ce dispositif « Projet de formation » vise à accompagner l’étudiant tout au long du bachelier (le premier cycle d’enseignement supérieur) dans la construction progressive de son projet professionnel en lien avec son programme d’études (choix de stages, de filières d’études dans le master) en vue de sa réussite académique et de son insertion socioprofessionnelle future. Il constitue une unité d’enseignement, déclinée sur les trois années du programme de Bachelier en sciences psychologiques et de l’éducation, pour un total de 9 crédits sur les 180 crédits. Il est à noter que ce programme de Bachelier compte un grand nombre d’étudiants. Ainsi, en 2019‑2020, 940 étudiants ont suivi ce cours dans l’une des trois années qui le constituent. Ce nombre important d’étudiants a des incidences sur l’organisation du dispositif. Il est également utile de préciser que ces étudiants ont des représentations et des attitudes concernant le métier de psychologue dès leur inscription à l’université (Gaither et Butler, 2005 ; Neuville et al., 2004 ; Pirot et De Ketele, 2000). En outre, ils ont tendance à percevoir leur faculté comme un lieu d’échange de savoirs et non de préparation à la réalité du monde professionnel (Dezauzier, 2010).

Une première spécificité de ce dispositif est son intégration complète dans le programme de cours de l’étudiant, comme unité d’enseignement conduisant à une validation de crédits comme tout autre élément constitutif du programme de l’étudiant (Frenay et Arnould, 2015 ; Frenay et al., 2018). De plus, la construction de ce dispositif intégré dans le programme de Bachelier s’est inscrite dans une approche programme : les différentes activités de ce dispositif en particulier sont étroitement articulées aux autres cours qui composent le programme de l’étudiant (Frenay et al., 2018 ; Prégent et al., 2009). L’offre du dispositif est donc ajustée aux spécificités du contexte de l’étudiant et s’organise dynamiquement pour répondre aux besoins qui ponctuent le processus d’adaptation à l’enseignement supérieur dans son contexte spécifique. A ce titre, l’étudiant réalise un certain nombre d’activités, certaines sont obligatoire alors que d’autre sont choisies par l’étudiant dans une offre proposée : cela nécessite son implication et permet d’offrir un accompagnement cohérent en fonction des besoins qu’il identifie. L’importance d’ajuster le dispositif d’accompagnement à la spécificité du contexte et du public est cohérente avec la littérature récente (De Clercq, 2019).

Plutôt que de considérer le développement du métier d’étudiant comme un prérequis implicite à son adaptation, il est envisagé comme une réelle compétence explicitement travaillée au sein du programme de cours, au même titre que toutes les compétences disciplinaires qui composent la formation. Autrement dit, le cours « Projet de formation » postule que l’accompagnement à l’adaptation de l’étudiant est progressif et essentiel au processus de formation. Il s’insère donc dans la catégorie de dispositifs transversaux et continus telle que développée par Robbins et ses collègues (Robbins et al., 2009), dans le sens où il n’a pas une visée unique et ponctuelle mais soutient l’étudiant de façon multiple et tout au long de son parcours. D’après ces auteurs, ce type de dispositif a un effet positif sur la performance de l’étudiant et la motivation de l’étudiant pour ces études.

La seconde spécificité majeure du cours « Projet de formation » est d’intégrer au volet classique de soutien à la réussite (ex. ateliers de méthodes de travail, de gestion du stress, …), un volet d’accompagnement à l’insertion socioprofessionnelle. Ce type de soutien de l’étudiant a d’ailleurs été pointé par Perret (2014) comme une dimension à part entière des dispositifs d’aide à la réussite. En effet, au seuil de l’enseignement supérieur, l’étudiant est amené à réaliser un choix d’études qui s’accompagne de l’élaboration d’un projet professionnel. Ce projet n’est pas sans influence sur l’implication de l’étudiant dans ses études. Il détermine, entre autres, une part significative de la valeur qu’il accorde aux tâches qui lui sont demandées (Eccles et Wigfield, 2002) et de son engagement tout au long du cursus (Boudrenghien et al., 2011 ; Boudrenghien et al., 2014). Préciser les principales caractéristiques du projet professionnel de l’étudiant semble donc indispensable pour renforcer son engagement dans les études supérieures (Neuville et al., 2004).

2.1. Une structuration triaxiale organisée autour de trois démarches

Le dispositif pédagogique adopté est construit autour de trois axes : la connaissance approfondie que l’étudiant a de lui-même (ex. la gestion de son étude), la connaissance de son parcours de formation (ex. la structuration et l’articulation des unités d’enseignement qui composent son programme d’études, la possibilité de réaliser des stages …) et la connaissance de la diversité du champ professionnel de la psychologie (ex. la diversité des lieux où le psychologue peut exercer). Au travers des activités proposées aux étudiants, ces trois axes sont mis en relation pour permettre l’émergence d’un projet personnel cohérent. Cette émergence est soutenue par la construction d’un portfolio par l’étudiant tout au long de son bachelier (Germeijs et Verschueren, 2006). En s’inspirant de la méthode du développement vocationnel et personnel (pour une revue, voir Guichard et Huteau, 2006), cette mise en relation des axes du cours se structure autour de trois démarches inter-reliées de façon dynamique : (1) découvrir, (2) questionner et (3) synthétiser. Il s’agit donc de pousser l’étudiant à réaliser une exploration forte de l’environnement professionnel (découvrir), d’orienter son choix en fonction de ses connaissances et motivations (questionner) et de renforcer son engagement le menant à une prise de décision finale (synthétiser) (Germeijs et Verschueren, 2006).
La construction d’un projet n’est en effet pas linéaire et ne se réalise pas au même rythme pour tous. Si une synthèse du projet est bien attendue en fin de baccalauréat, des phases de découvertes et de questionnements sont proposées de façon cyclique sur les trois années du bachelier et sont ponctuées de synthèses partielles. Ces démarches sont travaillées lors de séances magistrales en amphithéâtre et d’ateliers en petits groupes (obligatoires ou facultatifs), d’expériences sur le terrain et de travaux individuels à réaliser à domicile. Notons que le dispositif et l’ensemble des activités qui le composent sont détaillés dans un précédent article permettant d’encore mieux comprendre son fonctionnement (Leroy et al., 2021).

2.1.1. Découvrir

Lors de son entrée à l’université, l’étudiant va découvrir un mode de fonctionnement qui lui est peu connu. En considérant les travaux récents sur les déterminants de la réussite académique (pour une revue, voir les synthèses de Dupont et al., 2016 ; Frenay et al., 2019 ; Neuville et al., 2013 ; Parmentier, 2011), plusieurs ateliers abordant des questions méthodologiques transversales classiques sont proposés à des moments clés de l’année académique (ex. ateliers sur la prise de notes, les stratégies d’étude ou encore la gestion d’une session d’examen…). En cohérence avec l’approche programme visée dans le Bachelier, ces ateliers sont ancrés dans un contenu disciplinaire spécifique au contexte de l’étudiant (ex. étudier pour le cours de statistiques ou de psychologie générale).

Par ailleurs, l’accompagnement méthodologique inclut une attention particulière à l’affiliation et l’intégration sociale de l’étudiant (ex. activités en petits groupes très tôt dans l’année pour renforcer les échanges entre étudiants) et à la gestion de ses émotions (ex. : technique de relaxation à utiliser en période d’examens). Il s’agit en effet de deux difficultés particulièrement prégnantes pointées dans la littérature (De Clercq et al., 2019 ; Richardson et al., 2012 ; Schmitz et al., 2010). La découverte par rapport aux études se prolonge tout au long du baccalauréat, notamment par l’invitation à participer à des séances d’information sur les études (ex. la possibilité de partir en Erasmus ou les choix d’options).

Progressivement, l’étudiant va également découvrir les différentes facettes du métier de psychologue au travers d’ateliers de discussions autour de vidéos et de documents (ex. : descriptifs de fonction, offres d’emploi), d’échanges avec des étudiants de fin de master sur leur expérience de stage, des rencontres métiers avec des psychologues issus de secteurs professionnels différents, … Ainsi, l’étudiant va découvrir que le métier de psychologue varie en fonction de différents aspects déjà développés dans de précédentes recherches (Neuville et al., 2004). Ces aspects sont : le lieu où il exerce sa profession (ex. école, entreprise), l’objet sur lequel il travaille (ex. la délinquance, les apprentissages scolaires), les actions qu’il accomplit (ex. réaliser des bilans intellectuels, animer une formation) ou encore le secteur d’activité dans lequel il évolue (ex. secteur hospitalier, secteur carcéral). Découvrir cette diversité de projets possibles permet d’augmenter la motivation de l’étudiant car il peut directement percevoir l’utilité de ses cours pour sa profession future, comprendre l’importance de certaines compétences pour le métier et également augmenter son intérêt personnel pour certains métiers qui lui sont présentés (Boudrenghien et al., 2011 ; 2014 ; Neuville et al., 2004).

2.1.2. Questionner

L’étudiant est invité à questionner les informations découvertes sur les études et le métier afin d’évaluer si elles correspondent à ses buts professionnels (ex. Quel cours, options, stages, pour quel métier du psychologue ? Quels sont les acquis d’apprentissage à développer dans ses études en vue de sa future profession ?). Pour approfondir ce questionnement, il va rencontrer un psychologue de son choix pour confronter les représentations qu’il a du métier à la réalité du terrain, questionner les compétences nécessaires à l’exercice de ce métier et les acquis d’apprentissage développés dans le cursus universitaire. L’étudiant va également réaliser une activité d’immersion de minimum 40 heures avec un public particulier auquel il pourrait être confronté dans ce futur métier de psychologue (ex. enfant, personne âgée, …). A nouveau, cela lui permettra de questionner ce qu’il a appris de façon théorique dans ses cours universitaires et d’approfondir la connaissance qu’il a de lui-même en termes de savoirs (ex. En quoi le contenu de mes cours m’a-t-il été utile dans cette expérience ?), de savoir-faire (ex. Dans quelle mesure est-ce que je me suis senti capable de réaliser les tâches demandées ?) et de savoir-être (ex. Dans quelle mesure est-ce que je me suis senti à l’aise avec ce public ?).

2.1.3. Synthétiser

Tout au long du dispositif, l’étudiant est invité à synthétiser ce qu’il a découvert et questionné. Certaines synthèses sont réalisées en sous-groupes (ex. Réaliser une fiche métier qui synthétise un entretien réalisé avec un professionnel). A cela s’ajoute un travail réflexif individuel à produire à l’issue de chaque année du baccalauréat. Alors que ce travail est à réaliser par écrit en fin de Bloc 1 et 2, il est à réaliser oralement en fin de Bloc 3. Il est alors demandé à l’étudiant de rendre compte de l’évolution de la démarche réflexive qu’il pose sur son projet d’études en lien avec une meilleure connaissance de soi et des différents champs professionnels de la psychologie. L’objectif est de lui permettre de dégager un projet cohérent afin de choisir de façon éclairée son orientation pour la suite de son parcours (master, stage, emploi). Le projet doit donc intégrer les qualités et les atouts dont dispose l’étudiant (connaissance de soi), tout en étant cohérent avec le programme d’études et les possibilités du marché du travail. Ce n’est pas le projet de l’étudiant en tant que tel qui est évalué mais bien la réflexion qui le sous-tend et sa façon de le défendre.

Plusieurs ateliers (ex. optimiser son CV et sa lettre de motivation) lui sont proposés pour lui fournir des outils pour l’accompagner dans son travail de synthèse.

 lire la suite de l’article sur le site de RIPES

Licence : CC by-nc-sa

Notes

[1Les termes utilisés dans cet article doivent être entendus dans leur sens épicène, en sorte qu’ils visent les femmes et les hommes.}

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