Innovation Pédagogique et transition
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Le questionnement réciproque guidé

Comment engager ses élèves dans une réelle réflexion lorsque l’on enseigne ? La recherche a montré que lorsqu’on leur demandait simplement d’écouter ce que l’on dit, alors ceux-ci apprenaient superficiellement. Au contraire, lorsqu’on leur proposait des activités leur demandant explicitement de donner du sens aux nouvelles informations transmises, alors l’apprentissage était bien meilleur. Et si en plus les élèves interagissent entre eux à propos des notions présentées, c’est encore mieux (Chi et al., 2018 ; Chi & Wylie, 2014). Mais comment faire cela en pratique ?

La méthode du questionnement réciproque guidé est issue de la recherche et a démontré son efficacité dans des contextes allant du collège à l’enseignement supérieur (King, 1994, 2008). Celle-ci demande très peu de temps de préparation, dure environ 15 minutes, est facile à mettre en œuvre et s’applique pour des groupes jusqu’à 40 élèves. Le cœur de cette technique est de faire discuter les élèves entre eux à partir de questions qu’ils vont devoir écrire eux-mêmes en suivant des modèles types.

Principe

La méthode se déroule en 4 étapes et débute généralement après une phase où l’enseignant a exposé de nouvelles notions.

  1. L’enseignant propose une liste d’une dizaine de questions types à compléter. Par exemple : “Quelle est la différence entre … et … ?”, ou “Quelle est la cause de … ?”.
  2. À partir de cette liste, chaque élève va générer 2 ou 3 questions spécifiques en lien avec le contenu présenté en cours en sélectionnant et complétant celles qu’il souhaite. Ce travail est individuel et dure généralement 2 à 3 min.
  3. En groupes de 2 à 4, les élèves vont s’interroger entre eux à partir des questions qu’ils auront créées. L’enseignant circule entre les groupes pour écouter les discussions et éventuellement relancer les débats. Cette phase dure environ 10 min.
  4. L’enseignant réalise une synthèse collective en partant des éléments qu’il a entendus durant les discussions. Il peut se focaliser sur certaines erreurs récurrentes ou approfondir sur certains éléments.

La méthode s’achève alors et l’enseignant poursuit son cours comme il le souhaite.

Les questions types

Les questions types déterminent l’efficacité de la méthode : de bonnes questions conduisent à de bonnes discussions. On peut les classer en trois niveaux en fonction de la profondeur des réflexions qui en découlent :

  • Niveau 1 : les questions factuelles. Celles-ci demandent de répéter à l’identique ce qui a été présenté précédemment. Par exemple, “Quelle est la capitale de la France ?” ou “Quels sont les principaux organes du système circulatoire ?”
  • Niveau 2 : les questions de compréhension. Celles-ci demandent de reformuler avec ses propres mots quelque chose qui a déjà été présenté. C’est-à-dire expliquer ce que cela signifie pour nous, comment nous l’avons compris, interprété. Par exemple : “Expliquez avec vos propres mots comment fonctionne le système circulatoire".
  • Niveau 3 : les questions de connexion. Celles-ci demandent de relier deux notions vues précédemment. Par exemple, "Quelle est la différence entre les artères et les veines ?", ou "Expliquez comment ce qui se passe dans le cœur affecte ce qui se passe dans les artères". Les réponses aux questions de niveau 3 n’ont encore jamais été présentées et l’élève doit inférer les réponses à partir des éléments vus en cours.

Dans cette méthode, seules les questions de niveau 2 et 3 sont utilisées, car celles de niveau 1 ne permettent pas d’engager des discussions intéressantes.

Voici une liste de questions types (traduit de King, 2008) :

Questions de compréhension

  • Que signifie ... ?
  • Quelle est la cause de ... ?
  • Décrivez ... avec vos propres mots.
  • Résumez ... avec vos propres mots.

Questions de connexions

  • Expliquez pourquoi . . .
  • Expliquez comment . . .
  • Comment utiliseriez-vous ... pour... ?
  • Quelle est la signification de ... ?
  • Quelle est la différence entre ... et ... ?
  • En quoi ... et ... sont-elles similaires ?
  • Quel est un nouvel exemple de . . . ?
  • A votre avis, que se passerait-il si . . . ?
  • Quelles conclusions pouvez-vous tirer de . . . ?
  • Comparez . . . et . . . au regard de . . . .
  • A votre avis, qu’est-ce qui cause ... ? Pourquoi ?
  • Comment . . . pourrait-il affecter . . . ?
  • Quelles sont les forces et les faiblesses de... ?
  • Selon vous, quelle est la meilleure solution et pourquoi ?
  • Quel est le lien entre ... et ... que nous avons étudié précédemment ?
  • Êtes-vous d’accord ou non avec l’affirmation suivante : ... ?
  • Quelles sont les preuves à l’appui de votre réponse ?

On utilise généralement qu’une petite dizaine de questions types. Les questions de compréhension ne sont pas difficiles à écrire et peuvent être créées "à la volée", mais les questions de connexion prennent du temps à produire. Il faut compter une dizaine de minutes pour que les élèves rédigent individuellement deux ou trois questions bien réfléchies et portant le contenu précis du cours.

La phase de questionnement

Durant la phase de questionnement réciproque, il est pertinent de faire commencer les discussions par les questions de compréhension avant d’entamer celles de connexions. Il est aussi nécessaire de clarifier aux étudiants qu’ils ne doivent pas se contenter de poser leurs questions et d’y répondre de manière rigide, à tour de rôle, mais qu’ils doivent s’engager dans des discussions approfondies, où les réponses des uns complètent celles des autres.

Le but de cette phase n’est pas que tous les élèves puissent chacun poser toutes leurs questions, mais seulement de créer des discussions riches et pertinentes entre eux. Il arrive donc parfois qu’un groupe n’ait pu traiter qu’une seule question durant les 10 minutes imparties, et ce n’est pas un problème. Les questions non traitées peuvent être récupérées pour alimenter le cours à d’autres moments (travail en ligne, séances de synthèses, etc.).

Le rôle de l’enseignant durant cette phase est essentiellement d’écouter et de noter ce qui se dit en vue d’en faire une synthèse ensuite. Il n’intervient que de manière très ponctuelle pour relancer une discussion ou clarifier un point essentiel. C’est aux élèves de réfléchir et répondre aux questions, et non à l’enseignant.

Apprentissage de la méthode

Comme toute méthode pédagogique, celle-ci doit être utilisée correctement pour être efficace et les élèves en particulier doivent “jouer le jeu”. Une première étape pour cela est de leur expliquer les bénéfices de la méthode sur leur apprentissage. Mais il est aussi essentiel de leur apprendre à écrire des questions, ainsi qu’à y répondre.

Concernant l’écriture de questions, les élèves doivent apprendre à distinguer les 3 niveaux (factuelles, compréhension et connexion). Ceci peut se faire par exemple en leur présentant des questions déjà écrites et en leur demandant de les ranger dans la bonne catégorie. Le point essentiel est qu’ils distinguent bien le niveau 1, factuel, qui demande simplement de répéter, des niveaux 2 et 3, qui demandent d’interpréter, et donc d’aller au-delà de ce qui a été strictement présenté en cours.

L’enseignant peut aussi montrer comment il ferait lui-même pour générer des questions spécifiques à partir de la liste de questions types. Ceci peut s’effectuer en faisant l’exercice devant eux et en verbalisant ses pensées.

Un entraînement à l’écriture de questions peut être mis en place, en proposant par exemple aux élèves d’écrire des questions à partir d’une liste de questions types, puis d’échanger entre eux sur la pertinence des questions (mais sans tenter d’y répondre). Un retour en classe entière peut ensuite s’effectuer. Une erreur classique consiste à n’utiliser que les deux premières questions types de la liste au lieu de choisir de manière réfléchie celles qui seraient les plus adaptées au contenu précis du cours.

Il est aussi nécessaire d’enseigner aux élèves comment répondre aux questions. La première étape consiste à percevoir la différence entre décrire quelque chose, c’est-à-dire raconter le “quoi”, et l’expliquer, c’est-à-dire dire raconter le “pourquoi” et le “comment”. De plus, une explication nécessite d’utiliser ses propres mots. Et enfin cela nécessite de relier la notion que l’on tente d’expliquer à quelque chose de déjà connu, pour soi et pour ses auditeurs. Les bonnes explications utilisent des mots tels que "parce que", "donc", "en conséquence", "afin de", etc. Ces mots relient les idées entre elles et indiquent clairement la nature de cette relation (par exemple causale ou comparative). Toutes ces notions doivent être enseignées aux élèves et il est intéressant de les faire travailler sur un exemple réel qui compare la différence entre une description et une explication, tel que celui-ci (traduit et résumé de King, 1994) :

Exemple de description du système circulatoire

Le système circulatoire est composé du cœur, des veines, des artères et du sang. Certaines artères et veines sont petites, d’autres sont grandes. Le cœur pompe le sang dans les artères et les veines.

Exemple d’explication du système circulatoire

Toutes les parties du corps ont besoin d’oxygène pour se développer et fonctionner. Le système circulatoire n’est qu’un moyen de faire circuler cet oxygène. Les tubes dans lesquels le sang se déplace sont les artères et les veines. Les artères et les veines sont toutes reliées entre elles de sorte qu’elles peuvent transporter le sang à n’importe quel endroit du corps, tout comme des autoroutes et des routes. Près du cœur, les artères et les veines sont grosses car elles ont beaucoup de sang à transporter, et à mesure qu’elles se rapprochent d’une partie du corps ou d’une cellule, elles deviennent beaucoup plus petites (comme les autoroutes, les routes, les rues et les chemins de terre). Le cœur est une pompe et il pompe le sang pour qu’il continue à circuler dans le réseau d’artères et de veines en comprimant puis en relâchant le sang, encore et encore (comme si on serrait le poing et qu’on le relâchait).

Pour terminer

Pour terminer, voici un bref récapitulatif des 4 étapes pour utiliser cette technique :

  1. L’enseignant affiche la liste des questions types.
  2. Chaque élève crée individuellement 2 ou 3 questions à partir de cette liste.
  3. Les élèves s’interrogent entre eux par groupe de 2 à 4 et l’enseignant écoute les discussions.
  4. L’enseignant effectue une synthèse en classe entière.

Bibliographie

Chi, M. T. H., Adams, J., Bogusch, E. B., Bruchok, C., Kang, S., Lancaster, M., Levy, R., Li, N., McEldoon, K. L., Stump, G. S., Wylie, R., Xu, D., & Yaghmourian, D. L. (2018). Translating the ICAP Theory of Cognitive Engagement Into Practice. Cognitive Science, 42(6), 1777‑1832. https://doi.org/10.1111/cogs.12626

Chi, M. T. H., & Wylie, R. (2014). The ICAP Framework  : Linking Cognitive Engagement to Active Learning Outcomes. Educational Psychologist, 49(4), 219‑243. https://doi.org/10.1080/00461520.2014.965823

King, A. (1994). Guiding Knowledge Construction in the Classroom  : Effects of Teaching Children How to Question and How to Explain. American Educational Research Journal, 31(2), 338‑368. https://doi.org/10.3102/00028312031002338

King, A. (2008). Structuring Peer Interaction to Promote Higher-Order Thinking and Complex Learning in Cooperating Groups. In The Teacher’s Role in Implementing Cooperative Learning in the Classroom (p. 73‑91). Springer, Boston, MA. https://doi.org/10.1007/978-0-387-70892-8_4

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