Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Rencontres entre deux mondes : pratique et recherche

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/6864

Je tiens à remercier mon collègue Mario Richard pour sa contribution à la partie intitulée : « Partenariats entre la TÉLUQ et des Centres des services scolaires ».

Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa

Isabelle Savard, « Rencontres entre deux mondes : pratique et recherche », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 36 | 2021, mis en ligne le 19 décembre 2021, consulté le 31 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/dms/6864 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.6864

Entre pratique et recherche, mon cœur balance : bref récit d’un parcours personnel

La discussion que j’ai eue avec Daniel Peraya pour initier cette nouvelle collaboration m’a fait réaliser à quel point mon parcours en ingénierie pédagogique s’est déroulé par alternance entre recherche et pratique.

D’abord, j’ai terminé un baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire à une époque où, contrairement à aujoud’hui, le réseau d’éducation québécois subissait un surplus d’enseignants plutôt qu’une pénurie. En attendant de trouver un emploi d’enseignante, j’ai entrepris un certificat, puis une maîtrise en technologie éducative. Ce fut une révélation ! J’avais trouvé ma voie. J’avais la conviction que je réaliserais éventuellement un doctorat dans le domaine, mais je voulais me doter de quelques années de pratique sur le terrain d’abord. Après avoir complété différents mandats d’ingénierie pédagogique au Québec, à la fin des années 90, j’ai saisi une opportunité d’aller vivre en Afrique, plus particulièrement en Zambie, où j’ai notamment été « répétitrice » pour le CNED. J’ai donc lu avec intérêt les articles de ce numéro portant sur les coulisses du CNED. J’y enseignais la technologie, l’histoire et la géographie à des élèves de CE2, CM1, CM2 et de la 6e à la 2e. Par la même occasion, en collaboration avec le directeur de l’École française, mon collègue et maintenant grand ami Olivier Solé, nous avons équipé l’école d’une salle comprenant des ordinateurs branchés à Internet et une belle variété de cédéroms éducatifs. C’était, à l’époque et dans ce coin de pays, très avant-gardiste, mais cela s’avéra toute une aventure !

Les élèves venaient des quatre coins du monde, mais très peu de Français de France fréquentaient l’école, ce qui compliquait quelque peu l’enseignement, notamment de la géographie. Par exemple, les élèves à qui je devais enseigner les fleuves, les rivières et les ruisseaux n’avaient pour la plupart jamais mis les pieds sur le sol français et n’avaient jamais vu ni la Seine, ni la Loire, ni le Rhône. Or les matériels pédagogiques qui arrivaient du CNED faisaient exclusivement référence aux cours d’eau de l’Hexagone. Une adaptation de la matière enseignée s’avérait nécessaire pour permettre aux élèves de faire le parallèle entre les cours d’eau qu’ils voyaient en Zambie et ceux, français et inconnus de la plupart d’entre eux, dont il serait question à l’examen. De cette expérience a germé l’idée de mon sujet de doctorat : le développement d’outils facilitant l’adaptation aux variables culturelles et contextuelles en pédagogie. Dès mon retour au Québec, après sept années de pratique en enseignement et en ingénierie pédagogique, j’ai entamé un programme de doctorat en informatique cognitive et j’ai découvert la recherche basée sur le design (Design-Based Research, DBR), méthode qui m’encourageait, à mon grand plaisir, à combiner mes intérêts pour la recherche et pour la pratique de l’ingénierie pédagogique.

Encore une fois, après quelques années consacrées à la recherche, l’ingénierie pédagogique de terrain s’est mise à me manquer. J’ai alors accepté un poste de conseillère/ingénieure pédagogique à la Faculté de médecine de l’Université Laval où j’ai mené de front mes recherches doctorales et sept années de pratique d’ingénierie pédagogique. J’y ai accompagné le personnel enseignant, la direction de différents programmes et des vice-décanats dans les transformations majeures de programmes et dans la mise en œuvre d’innovations pédagogiques et technopédagogiques. J’ai eu la chance d’y vivre des défis passionnants au point où, même après avoir complété mon doctorat, alors que j’aurais pu obtenir un poste de chercheuse, j’ai poursuivi mon travail de professionnelle sur ce terrain motivant. Mais un jour, il m’a semblé que j’avais fait le tour des défis qu’offrait cette position, et l’impression d’avoir besoin de la recherche pour faire évoluer les pratiques s’est imposée à moi. C’est ce qui m’a menée à l’Université TÉLUQ, où j’occupe un poste de professeure en technologie éducative depuis 2017 et où je dirige les programmes en technologie éducative et en formation à distance. J’y occupe un poste classique qui combine trois volets : l’enseignement, la recherche et les services à la collectivité. Je travaille régulièrement avec des ingénieurs pédagogiques qui, tout comme moi à l’Université Laval, ont à cœur l’accompagnement des professeurs et la réputation de l’établissement.

Mes sources d’inspirations pour la préparation de ce texte s’avèrent donc multiples : d’abord je me base sur des bilans de mes expériences d’ingénieure pédagogique ; ensuite sur ma quête d’équilibre entre pratique et recherche en ingénierie pédagogique ; puis sur mes responsabilités liées à la formation des futurs ingénieurs pédagogiques à la TÉLUQ.

Écosystème interne : cohabitation des ingénieurs pédagogiques et des professeurs à la TÉLUQ

L’Université TÉLUQ fait partie des universités « natives » à distance, telles que l’Open University, au Royaume-Uni. Elle est la seule université francophone en Amérique du Nord à offrir tous ses programmes à distance, et elle fait partie des dix établissements du réseau de l’Université du Québec. Chaque année, 20 000 étudiants cheminent, du 1er au 3e cycle universitaire, dans les programmes offerts par quatre départements distincts : l’École des sciences de l’administration, le département de Science et technologie, le département de Sciences humaines, Lettres et Communications et le département d’Éducation. En tout, 103 professeurs y œuvrent et font vivre, en collaboration avec les tuteurs et les chargés de l’encadrement des étudiants, les quelque 135 programmes et 450 cours offerts aux étudiants, qui cheminent majoritairement à temps partiel. À la TÉLUQ, certains professeurs ont une tâche dite classique, dans laquelle ils partagent leur temps entre l’enseignement (40%), la recherche (40%) et les services à la collectivité (20%), alors que d’autres professeurs ont une tâche principalement axée sur l’enseignement (70 à 80%).

Les cours qui y sont produits résultent d’un ensemble de travaux, menés à la chaîne par différents acteurs parmi lesquels on retrouve les professeurs, les spécialistes en sciences de l’éducation [qui agissent comme des ingénieurs pédagogiques], les chargés de projets spécialistes en production de médias numériques, les réviseurs linguistiques et plusieurs autres. Il y a de ça quelques années, ces services étaient regroupés (et dupliqués) dans chacun des quatre départements. Mais depuis cinq ans, ils sont centralisés au Service technopédagogique qui comprend 14 spécialistes en sciences de l’éducation [ingénieurs pédagogiques] [1], huit chargés de projets spécialistes en production de médias numériques (dont certains ont une formation en ingénierie pédagogique), cinq réviseurs linguistiques, trois spécialistes en design d’édition pédagogique et quatre techniciens en arts graphiques. Et ce n’est là qu’une partie de notre écosystème interne.

D’ailleurs, je me suis amusée à aller consulter la définition d’écosystème fournie par Wikipédia et un lien intéressant peut être fait : « […] un écosystème est un ensemble formé par une communauté d’êtres vivants en interaction avec son environnement. Les composants de l’écosystème développent un dense réseau de dépendances, d’échanges d’énergie, d’information et de matière permettant le maintien et le développement de la vie. » Je vous invite à remplacer le mot « vie » par « meilleures pratiques en enseignement et en recherche en éducation » pour obtenir : « […] Les composants de l’écosystème développent un dense réseau de dépendances, d’échanges d’énergie, d’information et de matière permettant le maintien et le développement des meilleures pratiques en enseignement et en recherche en éducation ».

C’est précisément ce que nous nous visons à l’Université TÉLUQ et, dans la suite de ce texte, je vais tenter d’expliquer comment nous nous y prenons.

Collaborer pour améliorer l’offre de cours crédités offerts à la TÉLUQ

Dans un premier temps, chaque projet de nouveau cours ou de révision de cours émane du corps professoral. Les démarches débutent généralement par une analyse (de la population cible, du contexte, des besoins de formation) pour laquelle le professeur peut demander l’aide d’un ingénieur pédagogique. En effet, certains professeurs demandent un accompagnement dès cette étape alors que d’autres préfèrent la mener seuls ou en équipe-programme et entamer le travail de consultation avec l’ingénieur plus tard. Dans le cas d’une révision majeure de cours, la première étape peut être une évaluation, menée ou non en collaboration avec un ingénieur pédagogique. Cette évaluation est généralement suivie d’une analyse. Aux étapes d’analyse et d’évaluation succède une étape de conception pédagogique au cours de laquelle le professeur, avec ou sans l’aide d’un ingénieur pédagogique, prépare et organise les contenus de son cours. Il fait alors les choix médiatiques et technologiques, précise les modes d’accompagnement des étudiants et procède à la micro-conception des activités d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation des apprentissages.

Quand le développement des contenus est assez avancé, le Service technopédagogique forme une équipe de production. Cette dernière se compose d’un ingénieur pédagogique (celui qui, le cas échéant, accompagne déjà le professeur depuis le début), d’un gestionnaire de projet, d’un infographiste et d’un intégrateur Web. À partir de ce moment crucial, la collaboration avec un ingénieur pédagogique n’est plus vraiment facultative. Ce n’est que sur la base de rares exceptions que le professeur peut continuer à cheminer sans ce type d’expert. Cette collaboration avec l’équipe de production s’entame par une discussion au sujet du devis préparé à l’étape de conception. Si l’ingénieur pédagogique vient d’entamer sa collaboration avec le professeur, ils révisent d’abord l’ensemble des choix du devis de conception et s’assurent de leur cohérence avec les différents éléments de l’analyse ainsi qu’avec les cibles d’apprentissage, c’est le principe de l’alignement pédagogique auquel M. Lebrun (2021) faisait référence dans sa contribution.

Le gestionnaire de projet évalue ensuite si l’ampleur du projet est gérable et si les ressources humaines et matérielles pour le réaliser sont disponibles. Puis, les membres de l’équipe déterminent ensemble le calendrier de production. Une fois ce calendrier établi et le cahier des charges fixé, l’équipe de production prend en charge le développement du cours et le professeur valide, approuve ou demande des ajustements aux solutions proposées. Ces allers-retours entre le professeur et l’équipe de production se poursuivent jusqu’à la diffusion du cours.

Dans certains programmes, les cours sont élaborés ou révisés dans un contexte d’approche programme (Basque, 2017 ; Prégent et al., 2009 ; Savard, 2014). Des principes de cette approche guident alors le processus d’ingénierie pédagogique des cours et donc l’ensemble de ces étapes de travail. Dans une telle approche, les cours d’un programme sont pensés en fonction de leur complémentarité les uns avec les autres et, souvent, en fonction de leur contribution au développement des compétences visées, regroupées dans un référentiel programme adopté par l’équipe enseignante. Cette approche s’oppose à une approche dite « par cours » où les cours sont pensés en vase clos, souvent en fonction des intérêts des professeurs responsables des cours. Dans une approche programme, les décisions se prennent en collégialité et la collaboration entre les différents membres de l’équipe programme est absolument nécessaire. En outre, quand une telle approche est adoptée et qu’il faut viser la cohérence d’ensemble, il devient beaucoup plus efficace de travailler avec les mêmes ingénieurs pédagogiques d’un cours à l’autre, et au sein d’un même programme. Il peut toutefois devenir plus difficile de choisir ses collaborateurs lorsque les services sont centralisés. En effet, une fois un projet de cours terminé dans un programme, l’ingénieur pédagogique peut être affecté à un autre projet, dans un autre département. Le Service technopédagogique de la TÉLUQ se montre sensible à ces défis et invite les directeurs de programme à préciser dès que possible qu’une approche programme est adoptée pour que les assignations d’ingénieurs pédagogiques puissent être prévues en conséquence.

Collaborer pour développer des projets spéciaux

Il arrive également que des professeurs initient des projets spéciaux, qui diffèrent de la formation classique créditée, ou y collaborent. Dans de tels cas, ils travaillent avec l’équipe du Service du développement et avancement universitaire, responsable de la formation continue et des partenariats (et non avec l’équipe du Service technopédagogique). Cette équipe comprend deux ingénieurs pédagogiques, deux intégrateurs Web, une graphiste professionnelle et un chef de projet spécialiste en production de médias numérisés.

C’est notamment ainsi que nous procédons lorsque survient une commande spéciale du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, comme ce fut le cas, par exemple, pour la formation « J’enseigne à distance » (Papi et al. 2021, Savard 2020) élaborée dans l’urgence causée par la pandémie de COVID-19 pour former les enseignants, du préscolaire à l’université, aux bases de l’enseignement et de l’apprentissage à distance.

Des projets de recherche-développement impliquant des partenaires externes peuvent également être des occasions de collaborer avec l’équipe du Service du développement et avancement universitaire. C’est notamment le cas pour le projet FORCES, actuellement en cours, qui vise à outiller les patients et leurs proches pour la gestion de la douleur chronique. Ce projet nous a d’abord permis de développer, en partenariat avec le Réseau québécois de recherche sur la douleur (RQRD), un répertoire rassemblant des ressources indexées de façon à préciser si elles permettent d’acquérir des connaissances, de développer des stratégies, des habiletés, des attitudes ou d’intégrer de nouvelles compétences de gestion de la douleur. Par ailleurs, nous avons développé un environnement numérique d’apprentissage (ENA) dédié et un « laboratoire étudiant » au sein duquel nous développons des matériels d’apprentissage à l’attention des patients, de leurs proches et des professionnels de la santé, souvent dans une démarche de recherche basée sur le design (DBR). Ainsi, au sein de ce laboratoire virtuel, les étudiants mènent des projets de recherche-développement en ingénierie pédagogique et ils ont l’occasion de collaborer avec des ingénieurs pédagogiques professionnels. Par exemple, une étudiante a complété un essai portant sur une démarche de « Design pédagogique itératif et participatif d’une formation hybride visant à former des musiciens professionnels à la prévention des problèmes musculosquelettiques liés à leur emploi ». Pour ce faire, celle-ci a fait des recherches sur les cadres théoriques pertinents et elle les a appliqués dans sa démarche de conception. Ces cadres et les outils qu’elle a développés peuvent être réutilisés par les ingénieurs professionnels qui œuvrent à la TÉLUQ ou ailleurs. Finalement, nos travaux en cours dans le projet de recherche FORCE 3 (partie de FORCES) visent à développer des stratégies pour mieux exploiter les données (analytique de l’apprentissage) émanant de l’utilisation du répertoire, de l’ENA et des matériels qu’il regroupe afin de favoriser l’apprentissage des participants. Nous y développons des stratégies et des mécanismes qui permettront d’utiliser l’analytique d’apprentissage pour mieux baliser le parcours de l’apprenant, pour optimiser la collaboration interprofessionnelle et pour favoriser l’amélioration continue de l’offre de ressources dans le Portail Gérer ma douleur. Il est important de souligner également que de tels projets nous amènent à collaborer aussi avec les employés du Service des technologies de l’information (STI) de la TÉLUQ.

Un écosystème plus vaste, en évolution

En plus du milieu universitaire, les ingénieurs pédagogiques œuvrent dans différentes communautés : des entreprises privées, des gouvernements, des Centres de services scolaires, des Cégeps, etc. Il va sans dire que le développement de partenariats entre la communauté « téluquienne » et des représentants de ces autres communautés enrichit l’écosystème. De tels partenariats permettent de nourrir la recherche, d’améliorer les programmes de formation de façon à s’assurer qu’ils répondent à de réels besoins des milieux et aussi, en retour, d’améliorer les pratiques d’enseignement dans les milieux. Dans la suite du texte, nous utiliserons quelques exemples pour démontrer la richesse de l’écosystème que nous développons et entretenons.

Partenariats entre la TÉLUQ et des Centres des services scolaires

En éducation, on essaie depuis longtemps de réduire le fossé entre une formation universitaire (souvent qualifiée à tort ou à raison de trop théorique) et les réalités des milieux. Pour des enseignants habitués à intervenir en présence, par son appellation, la formation à distance (FAD) peut, à première vue, être considérée comme une modalité qui tend à isoler l’apprenant dans une démarche de formation individuelle, surtout lorsqu’elle se déroule de manière autonome. Toutefois, lorsqu’elle est conçue rigoureusement, elle permet, au contraire, d’offrir une flexibilité dans le cheminement qui peut ainsi être mieux adapté aux besoins et au rythme d’apprentissage des apprenants. Pour des intervenants en exercice, la formation en ligne permet d’offrir des cours qui favorisent le développement professionnel en facilitant l’accessibilité des savoirs en contexte de travail. Au lieu d’être dans une perspective d’éloignement, c’est davantage une démarche de proximité qui est mise en place.

S’appuyant sur un design pédagogique rigoureux et sur des contenus issus des données probantes, la FAD garantit la diffusion à large échelle des formations et permet ainsi un déploiement sur l’ensemble du territoire québécois. La mise en place de cours autoportants permet une évaluation exhaustive du contenu et de la démarche, car c’est l’entièreté de la formation qui peut être observée, analysée et validée. La formation en ligne peut devenir la modalité par excellence pour diffuser les résultats de recherche probants dans les milieux de pratique, permettant à la fois d’établir le pont entre les chercheurs et les praticiens tout en favorisant la contextualisation des données de la recherche en salle de classe.

Les études sur les cours à distance révèlent que la formule d’apprentissage autonome se voit grandement bonifiée lorsqu’on y insère des activités d’intégration interactives en groupe. C’est pourquoi à l’Université TÉLUQ, dans le cadre du Programme court de 2e cycle en efficacité de l’enseignement et des écoles (PCEEE) offert à l’intention des intervenants scolaires en exercice, nous avons élaboré une formule hybride qui mise à la fois sur des activités d’apprentissage virtuel, réalisées individuellement par les enseignants, et sur des rencontres collectives d’accompagnement en présence, animées par des personnes-ressources provenant des milieux de pratique que nous formons à cette fin. Pour les cours en enseignement efficace, nous avons mis au point une stratégie de déploiement systémique adaptée aux besoins des intervenants du milieu scolaire. Pour répondre aux principes d’efficacité du développement professionnel, des rencontres d’accompagnement en présence sont intégrées dans la démarche de formation.

Ainsi, notre stratégie de déploiement prévoit, dans un premier temps, de former les conseillers pédagogiques à l’accompagnement en enseignement efficace. Ceci autorise les centres de services scolaires à disposer de leurs propres ressources qui pourront, dans un deuxième temps, agir en tant que chargés d’encadrement pour accompagner les enseignants qui choisiront de s’inscrire en cohorte aux cours du PCEEE offert à la TÉLUQ. Cette formation en accompagnement est également disponible pour les directions d’école qui auront à assurer un leadership nécessaire à la transformation des pratiques. En assurant la supervision de l’encadrement offert par les conseillers pédagogiques aux enseignants qui suivent les cours en enseignement efficace et en impliquant les directions d’école dans cette démarche, nous pouvons ainsi garantir aux centres de services scolaires une formation de qualité. Il s’opère alors un transfert de connaissances du milieu universitaire vers les centres de services scolaires favorisant, par le fait même, le développement d’une expertise locale en enseignement efficace. Somme toute, en combinant la flexibilité du mode virtuel à la proximité du mode présentiel, ce modèle de formation hybride paraît offrir le meilleur des deux mondes. En ce sens, il apparaît comme un nouveau paradigme en formation continue des enseignants pour soutenir l’appropriation des données probantes par les milieux de pratique.

Partenariats inter-réseaux

De solides partenariats tels que celui développé avec le RQRD donnent des occasions en or à des étudiants en technologie éducative de collaborer avec des professionnels de l’ingénierie pédagogique, mais aussi avec des étudiants et professionnels d’autres domaines (Informatique, santé, sciences sociales, etc.). De telles opportunités favorisent le développement de compétences de collaboration interprofessionnelle, atouts aujourd’hui essentiels au métier d’ingénieur pédagogique comme le souligne Daniel Peraya dans son texte de cadrage (2021, p. 3).

Un autre partenariat enrichissant est actuellement en cours de développement dans le cadre de l’élaboration de la communauté Kwe [bonjour] l’Université ! qui s’articule autour d’un portail destiné aux Autochtones qui envisagent ou poursuivent des études universitaires. Ce portail co-construit avec des partenaires autochtones vise à :

 offrir d’abord trois modules de formation à distance (propédeutique) pour que les participants puissent se préparer à l’entrée à l’université en développant les compétences nécessaires au « métier d’étudiant », sans avoir à quitter leur communauté ;

 offrir un encadrement régulier aux Autochtones qui se préparent à entreprendre ou qui poursuivent des études universitaires ;

 favoriser la création d’une communauté d’apprentissage à distance réunissant les étudiants universitaires autochtones (futurs ou actuels) et d’une communauté d’appui au parcours d’apprentissage réunissant une diversité d’intervenants ;

 créer un « laboratoire étudiant rassembleur » où d’autres modules d’apprentissage pour favoriser la persévérance et la réussite des étudiants autochtones seront conçus, en suivant des démarches de recherche basées sur le design (DBR) participatif, par des étudiants (autochtones et allochtones) en technologie éducative, en informatique et en éducation ;

Ce projet résulte de la mise en commun des expertises de trois universités, soit l’UQAC (Centre des Premières Nations Nikanite) et l’UQAT (École d’études autochtones), en accompagnement des étudiants autochtones, et la TÉLUQ, en formation à distance et ingénierie pédagogique. De plus, trois communautés autochtones ont accepté de prendre part aux premières itérations du projet : Uashat Mak Mani-utenam, Kitcisakik, Mashteuiatsh.

Aussi, nous implantons actuellement ONE l’Observatoire du numérique en éducation, qui regroupe des chercheurs de différentes organisations, mais aussi des partenaires des différentes communautés. ONE a pour but ultime de contribuer à la recension et à l’essor des pratiques pédagogiques qui intègrent les technologies numériques dans l’enseignement et la formation, en classe et à distance. Nous adoptons dans ONE cette même philosophie écosystémique, valorisant l’enrichissement par les partenariats, qui devrait nous amener à co-construire ensemble des balises, des principes et des orientations, en fonction de besoins et de contextes qui évoluent. L’observatoire comprend dix axes de recherche : accompagnement, tutorat et dimensions humaines de l’éducation ; diversité et approches inclusives ; éthique, citoyenneté et numérique ; évaluation et technologies numériques ; gouvernance, administration et dimensions institutionnelles ; ingénierie pédagogique et dimensions technopédagogiques ; internationalisation de l’éducation ; modélisation du savoir-enseigner en formation à distance ; numérique et formation en santé ; usages pédagogiques du numérique et éducation aux compétences du 21e siècle.

Dans de tels écosystèmes, tout est en place pour que les résultats de la recherche puissent être transférés dans la pratique et que les situations problématiques vécues sur le terrain puissent nourrir la recherche. Des opportunités formatrices sont également offertes aux ingénieurs pédagogiques en devenir.

Ce que ces écosystèmes apportent à la formation des ingénieurs pédagogiques à l’Université TÉLUQ

Certes, nous réinvestissons les résultats de nos recherches dans nos cours et programmes. Aussi, comme je l’ai déjà mentionné dans une contribution précédente à Distances et médiations des savoirs (Savard, 2020), nous avons développé un référentiel des compétences en technologie éducative et en formation à distance qui sert de phare pour l’ensemble des développements pédagogiques au sein de nos programmes en technologie éducative et en formation à distance. Nous prévoyons faire évoluer ce référentiel, notamment en fonction des forces, des faiblesses et des besoins identifiés par nos partenaires des milieux. De plus, les partenariats créés sous ces écosystèmes et la flexibilité de la FAD (notamment par la possibilité de recourir à des enregistrements) nous permettent d’inviter plus facilement des praticiens dans les cours. Les étudiants sont ainsi plus à même de faire les liens nécessaires entre la théorie et la pratique. À titre d’exemple, deux cours (un de 1er cycle et un de 2e cycle) portant sur l’exploitation du numérique à des fins pédagogiques sont actuellement en production et bénéficient de l’apport de partenaires des centres de services scolaires, de l’entreprise privée et d’autres communautés de pratique des terrains (FADIO, Cadre 21, conseillers TIC, etc.). En outre, ces cours ont été conçus en étroite collaboration avec des conseillères pédagogiques de centres de services scolaires et avec une ingénieure pédagogique de la TÉLUQ.

Un autre développement important devrait nous amener à multiplier les rencontres entre le monde de la pratique et celui de la recherche. Nous préparons, en partenariat avec l’Université du Québec À Montréal (UQAM), un programme court de 3e cycle portant sur les usages pédagogiques du numérique. Les étudiants, dont bon nombre sont enseignants, ingénieurs ou conseillers pédagogiques, y mèneront une démarche SOTL (Scholarship of teaching and learning) qui vise à favoriser l’innovation dans les milieux, basée sur la littérature scientifique pertinente, et le partage d’expérience sous forme de communication et de publication scientifique. Cette façon de faire pourrait également contribuer à réduire l’écart entre la recherche et la pratique en éducation, à favoriser les transferts de résultats d’un monde à l’autre et à améliorer les pratiques.

Enfin, il convient également de souligner que des partenaires de notre réseau, tout comme de notre service technopédagogique, offrent des stages rémunérés à nos ingénieurs pédagogiques en devenir et qu’il n’est pas rare qu’un étudiant se voie offrir un emploi au terme de son stage. Cela permet également de tisser des liens durables entre nos programmes et les milieux de pratique.

Conclusion

Ce texte m’a permis de vous faire part de rencontres entre deux mondes : recherche et pratique. Il m’a également amenée à vous décrire des rencontres entre ingénieurs pédagogiques et professeurs. Ces descriptions illustrent bien la variété des tâches qui sont confiées aux ingénieurs et conseillers pédagogiques et la diversité de rôles qu’ils sont amenés à jouer (gestionnaire, communicateur, collaborateur, professionnel, conseiller, etc.), la « constellation de métiers » telle que soulignée par D. Peraya et par M. Lebrun.

J’ai raconté ici des exemples où de saines dépendances ont été établies, où des échanges d’énergies ont eu lieu. Des exemples où les résultats de la recherche ont pu servir la pratique et où les milieux de la pratique ont alimenté les recherches. Des exemples où des ingénieurs pédagogiques et des professeurs ont développé de belles et fructueuses complicités. Bien entendu, j’ai aussi en tête des exemples où ce ne fut pas le cas, des exemples où les ingénieurs pédagogiques se représentent les professeurs comme les enfants gâtés et capricieux et où les professeurs se représentent les ingénieurs pédagogiques comme étant les trouble-fête, qui mettent des bâtons dans les roues. Dans tous les cas, j’ai l’impression que l’établissement de synergies et d’enrichissantes complémentarités reposent en grande partie sur la capacité des membres d’une équipe à établir une relation de confiance.

Tout comme Julie Denouël (2021) et Besma Ben Salah (2021), je crois à la nécessité de la reconnaissance professionnelle pour bâtir de telles relations de confiance. De plus, j’encourage l’augmentation de la valorisation de la profession d’ingénieur pédagogique au sein des différents établissements, car elle ne peut que favoriser l’établissement de ces relations de confiance nécessaires. Pour l’instant, selon ce que j’ai compris, à la TÉLUQ comme ailleurs, on n’exige pas de formation en ingénierie pédagogique pour pourvoir les postes d’ingénieurs pédagogiques. De telles exigences seraient pourtant un bon pas vers une réelle reconnaissance.

Bibliographie

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Basque, J. (2017). L’approche-programme. Les multiples connaissances mobilisées dans un projet d’approche-programme en enseignement supérieur. Dans P. Pelletier et A. Huot (dir.), Construire l’expertise pédagogique et curriculaire en enseignement supérieur : connaissances, compétences et expériences (p. 161-181). Presses de l’Université du Québec.

Ben Salah, B. (2021). Les acteurs de l’ingénierie et de l’accompagnement pédagogique. Une autre réalité émane du contexte tunisien. Distances et médiations des savoirs, 2021(35).

Denouël, J. (2021). La reconnaissance professionnelle de l’ingénierie et du conseil pédagogique dans les universités françaises. Un processus en cours, mais en tension. Distances et médiations des savoirs, 2021(34).

Lebrun, M. (2021). Pédagogie universitaire toujours en développement. Un chemin partagé entre enseignants et conseillers. Distances et médiations des savoirs, 2021(34).

Peraya, D. (2021). S’intéresser aux acteurs de l’ingénierie et de l’accompagnement pédagogique. Distances et médiations des savoirs, 2021(33).
DOI : 10.4000/dms.6211

Prégent, R., Bernard, H. et Kozanitis, A. (2009). Enseigner à l’université dans une approche-programme. Guide à l’intention des nouveaux professeurs et chargés de cours. Presses internationales Polytechnique.

Savard, I. (2014). Soutenir la mise en place d’un programme de maîtrise en pédagogie universitaire des sciences de la santé offert à distance par et pour la diversité. Dans C. Potvin, M. Power et A. Ronchi, La formation en ligne  : Les conseillers et ingénieurs pédagogiques, 20 études de cas (p. 413‑428). Presses de l’Université Laval.

Savard, I. (2020). Évolution des pratiques en technologie éducative et en formation à distance. Adopter des pratiques inclusives, tant pour les enseignants que pour les apprenants. Distances et médiations des savoirs, 2020(31).

Licence : CC by-sa

Notes

[1Pour la suite de l’article, j’adhérerai au choix terminologique proposé par Daniel Peraya dans le texte de cadrage et « j’utiliserai dans ce texte, afin d’alléger l’écriture, le terme d’ingénieur pédagogique comme terme générique, incluant bien sûr les conseillers pédagogiques [et les spécialistes en sciences de l’éducation]. Cependant lorsque le texte concernera spécifiquement les conseillers pédagogiques, et uniquement dans ce cas, j’utiliserai la désignation précise de ce métier » (Peraya, 2021, p.5)

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