Innovation Pédagogique et transition
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Rapprocher terrain et recherche : quelles conditions organisationnelles et quel(s) rôle(s) des accompagnateurs pédagogiques ?

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/6580

Dans son texte de cadrage, Daniel Peraya (2021) mentionne le peu de collaborations entre les chercheurs et les acteurs de l’accompagnement et de l’ingénierie pédagogique : comment dès lors, pouvais-je refuser sa proposition de contribuer à cet espace de débat-discussion ? Proposition qui en plus de créer une occasion de discussion entre nos communautés de praticiens et de chercheurs [1] m’offrait une opportunité de développement professionnel, via l’analyse réflexive et la veille à mener pour étayer mes expériences et mon propos.

Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa

Céline Douzet, « Rapprocher terrain et recherche : quelles conditions organisationnelles et quel(s) rôle(s) des accompagnateurs pédagogiques ? », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 35 | 2021, mis en ligne le 21 octobre 2021, consulté le 25 novembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/dms/6580 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.6580

Une fois la proposition acceptée, il m’a alors fallu du temps pour dépasser les difficultés rencontrées pour réaliser cet « exercice ». Certaines de ces difficultés sont d’ailleurs mentionnées par Peraya (2021) et par Schaub (2021) :

 trouver le temps de lecture et d’écriture vis-à-vis de mes missions : en quoi cet exercice fait-il partie de mes fonctions ? S’inscrit-il dans mes activités professionnelles ? Dois-je le faire pendant mon temps personnel ?

 dépasser mon sentiment d’illégitimité et ma crainte d’exposer mon point de vue : en quoi et comment mon point de vue peut-il intéresser ? Apporte-t-il quelque chose de nouveau ? Peut-il contribuer, dans une certaine mesure, à l’avancement des connaissances, dans la lignée des objectifs visés par les démarches de Scholarschip of Teaching and Learning (SoTL) ? Comment être à l’aise de « donner à voir » ce « moment ou cet endroit de réflexion où j’en suis dans mon propre développement » ? Comment « coller » aux exigences de la revue ou du moins de m’approprier des codes de l’écriture dans une revue ?

Enfin, il me restait également à trouver le sujet que je souhaitais développer et comment j’allais l’aborder.

Les métiers de l’ingénierie pédagogique et de l’accompagnement pédagogique se sont beaucoup développés ces dernières années, pour accompagner, au départ, la transformation des pratiques d’enseignement présentiel vers des formations à distance. De plus en plus, leurs champs d’intervention se sont étendus et leurs missions se sont diversifiées pour accompagner des transformations plus complexes dans la lignée des préconisations de différents rapports ministériels et de résultats de recherche concernant les transformations pédagogiques (Denouel, 2021). En effet, différents rapports (Taddei, Becchetti-Bizot et Houzel, 2017 ; Bejean et Monthubert, 2015 ; Bertrand, 2014) soulignent, entre autres, l’importance de s’adosser à la recherche pour soutenir le développement professionnel des acteurs de l’éducation ainsi que l’intérêt d’encourager le développement de collectifs pédagogiques « mixtes » pour améliorer la qualité et l’efficacité du système éducatif.

Mais quelles sont les conditions organisationnelles favorables pour concilier les approches de terrain et de recherche ? Les accompagnateurs1 peuvent-ils jouer un rôle dans le rapprochement des communautés d’enseignants et de chercheurs alors qu’ils peuvent être confrontés aux mêmes difficultés que les praticiens enseignants vis-à-vis de la recherche et que leurs collaborations avec des chercheurs sont rares (Peraya, 2021) ? Comment peuvent-ils eux-mêmes articuler leurs pratiques avec la recherche et collaborer avec ces différentes communautés ?

Au vu de mes différentes expériences professionnelles d’« accompagnement du développement pédagogique » (Frenay et al., 2010) dans l’enseignement supérieur principalement et également dans l’éducation nationale depuis peu, ce sont donc ces questions que je proposerai de développer dans ce texte.

Quelles conditions « organisationnelles » favorables pour concilier les approches pédagogiques de terrain et de recherche et pour soutenir la collaboration des acteurs ?

J’ai souhaité, pour introduire ma contribution, proposer un focus sur deux conditions organisationnelles qui me paraissent importantes pour soutenir le développement de ces collaborations « mixtes » et le rapprochement de la recherche et du terrain. Je commencerai par la valorisation des métiers de l’accompagnement, puis je poursuivrai par la valorisation de la recherche en éducation et l’encouragement à l’évaluation des retombées des dispositifs pédagogiques.

Valorisation et pérennisation des métiers de l’accompagnement

Il me parait intéressant de commencer par la mise en lumière et la (re-)connaissance des métiers de l’accompagnement, car ces métiers me semblent être le sujet central de notre débat, mais aussi car cela me permet de présenter mon parcours et de contextualiser mon propos. J’illustrerai certains résultats de la recherche par quelques exemples de mes expériences professionnelles.

Frenay et al. le mentionnaient déjà en 2010, et Peraya (2021) le rappelle également, : il n’y a pas de consensus sur les termes pour désigner ces accompagnateurs. Ainsi, il existe une pluralité de périmètres d’intervention, de missions à réaliser, de compétences à mobiliser… Pour illustrer ce premier constat, voici quelques-uns de mes intitulés de postes : ingénieure pédagogique à l’Université de Poitiers, conseillère pédagogique dans l’enseignement supérieur à l’Université Claude Bernard Lyon 1 (UCBL), chargée de développement pédagogique à l’Université de Nantes et, depuis peu, médiatrice de ressources et de services au Réseau Canopé. De même que les intitulés de mes postes témoignent de leurs diversités, mes missions et mes activités ont été très variées au sein d’un même établissement, mais également entre les différentes institutions : ingénierie pédagogique et de formation, accompagnement individuel et collectif, conduite de projets et d’évènements, évaluation et valorisation de dispositifs pédagogiques, contribution à des projets de recherche, développement de réseaux, publications et communications, etc.

Cette pluralité des intitulés de postes, des activités que je mène ou que j’ai menées n’est pas spécifique à ma propre expérience comme le développe Denouël (2021) et comme le mentionnent également François et Roland (2021). Cette diversité me semble dépendre, d’une part, des politiques et des stratégies des établissements, d’autre part, de la vision et de l’organisation des services de soutien auxquels sont rattachés les accompagnateurs, mais également, de leurs compétences comme de leurs appétences ainsi qu’aux différentes relations qu’ils ont pu développer avec les acteurs de leurs établissements et avec ceux de la recherche en éducation. Ces « facteurs d’hétérogénéité » sont aussi développés par François et al. (2021) qui témoignent de l’influence des acteurs institutionnels sur les missions des accompagnateurs pédagogiques et rappellent la marge de liberté dont les accompagnateurs peuvent bénéficier. Cette diversité des missions qui, comme le souligne Batier (2021), « donne de l’intérêt à nos métiers » me parait aussi présenter comme inconvénient majeur, le manque de lisibilité de nos actions.

La reconnaissance du métier, que ce soit à travers (1) une définition plus claire des compétences nécessaires et des missions attendues et (2) une inscription dans la durée grâce à des contrats plus longs ou une pérennisation des postes me semble indispensable pour ne pas limiter les sollicitations aux aspects techniques (Denouël, 2021) et pour soutenir les rapprochements recherche-terrain qui nécessite de s’inscrire dans un temps long et dans un espace de confiance entre les acteurs.
Encouragement de l’évaluation des retombées des dispositifs pédagogique, valorisation de la recherche en éducation et encouragement des projets collaboratifs

De la même manière qu’il me paraissait important de revenir sur la reconnaissance des métiers de l’accompagnement, je souhaite illustrer également en quoi la valorisation de la recherche en éducation, l’encouragement de l’évaluation des retombées des expérimentations pédagogiques et de leur essaimage me semblent être des leviers pour soutenir le rapprochement des communautés de chercheurs et de praticiens. Plusieurs rapports ministériels ainsi que des documents de synthèse de conférences de consensus soulignent ces leviers relatifs à la recherche pour améliorer la qualité des formations.

On peut mentionner, par exemple, la proposition 20 du rapport StraNES (2015, p. 105) « Prendre appui sur la recherche pour faire évoluer la pédagogie et les processus d’apprentissage ». Le rapport Bertrand (2014), de son côté également, rappelle l’intérêt de s’appuyer sur la recherche pour faire évoluer les pratiques pédagogiques « pour accompagner, documenter et évaluer les initiatives, diffuser les résultats ; pour produire des éléments de compréhension des phénomènes d’éducation dans l’enseignement supérieur ; pour aider à la décision » (p. 28). Ce rapport souligne aussi le nécessaire soutien pour structurer et encourager ce champ de recherche et précise enfin que les approches recherche-développement devraient être valorisées via notamment des appels à expérimentations pour « dépasser la dichotomie stérile théorie vs pratique » (p. 28). Enfin, on peut citer le dossier de synthèse de la conférence de consensus sur la formation continue et le développement professionnel des personnels d’éducation (Mons, Chesné et Piedfer-Quêney, 2021) qui présente, parmi les caractéristiques organisationnelles propres aux formations continues efficaces, « des liens forts avec la recherche » (p. 26) et préconise le développement d’appels à projets de recherche d’équipes mixtes de chercheurs et de praticiens (préconisation 9, p. 23).

Il me semble aussi intéressant de souligner que les encouragements et les soutiens peuvent ne pas se limiter pas au niveau national et ministériel. Les établissements d’enseignement, les services, mais également les acteurs peuvent également se saisir de ces leviers pour rapprocher ces communautés. A titre d’exemple, de nombreux établissements déploient des appels à expérimentations pédagogiques internes offrant soutiens technique, financier et humain pour encourager les innovations pédagogiques, leurs évaluations et leurs essaimages et parfois la collaboration entre acteurs de différentes disciplines et entre acteurs de terrain et de recherche. Citons par exemples, l’Appel à projets « Fonds d’initiatives pédagogiques » de l’Université de Nantes, l’appel à projets « Nouvelles pratiques pédagogiques » de l’Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC), le Fonds d’innovation pédagogique à l’Université de Lausanne, le Fonds de développement pédagogique à l’Université Catholique de Louvain, etc. Des établissements font également le choix d’afficher l’intérêt porté à la qualité des formations et au développement de liens forts avec la recherche via les missions qu’ils attribuent aux services de soutien pédagogique, par exemple, les quatre missions du Louvain Learning Lab (LLL) « Accompagner – Innover – Valoriser – Chercher » (Lebrun, 2021). De leurs côtés, de nombreux services de soutien et des acteurs de l’accompagnement pédagogique mobilisent certains leviers pour rapprocher terrain et recherche. Ils facilitent l’identification d’éléments de la littérature en soutien du développement des pratiques à travers leurs activités d’accompagnement et de formation. Certains services d’appui pédagogique participent à l’évaluation formative des dispositifs et des enseignements, comme le font par exemple, le service ICAP de l’UCBL, le Centre de développement pédagogique (CDP) de l’Université de Nantes, le CIPE de l’UBFC, la Cellule PRAC-TICE de l’Université Libre de Bruxelles, etc. D’autres identifient ou créent des espaces ou des ressources de valorisation des expérimentations pédagogiques : le CDP et le Service d’appui pédagogique de l’UMONS organisent, par exemple, des journées de partage d’expériences pédagogiques, le réseau Canopé et l’IDIP de l’Université de Strasbourg valorisent les expérimentations par des publications (production d’ouvrages ou d’articles liés aux recherches-actions, mise à disposition d’une plateforme en ligne dédiée de publications et de partage d’expériences, etc.). Les services peuvent également soutenir la constitution de collectifs mixtes de chercheurs et d’enseignants via leurs connaissances des acteurs de l’écosystème institutionnel et des problématiques rencontrées par les enseignants, mais aussi en mobilisant des réseaux d’acteurs externes qu’ils ont pu développer, comme en témoigne Schaub (2021).

La valorisation de la recherche en éducation et l’encouragement à l’évaluation des expérimentations pédagogiques à tous les niveaux d’intervention et portés par une multitude d’acteurs me paraissent donc être des leviers majeurs pour soutenir le rapprochement des communautés de chercheurs et de praticiens pédagogiques.
Rôle des accompagnateurs pour soutenir l’articulation terrain–recherche

Comme mentionné en amont, un des grands enjeux pour faire progresser l’éducation est d’intensifier la recherche (Taddei et al., 2017) et de rapprocher la recherche du terrain en éducation. Quel(s) rôle(s) peuvent jouer les acteurs de l’ingénierie et de l’accompagnement pédagogique dans cette conciliation des approches et des acteurs et comment eux-mêmes peuvent-ils également articuler leurs pratiques à la recherche ?

La médiation au cœur du métier

Peraya (2010) définit la médiation, dans le champ général des sciences humaines et sociales, comme une « relation, une interface entre deux termes, entre deux acteurs » qui vise à « modifier les représentations d’une situation, transformer les relations et les comportements » (pp. 40-41). Trois éléments me paraissent ressortir de cette définition : 1) la visée de transformation poursuivie par les activités de médiation ; 2) la fonction d’interface entre les connaissances et les savoirs des deux communautés ; 3) l’idée de faciliter les relations entre les acteurs de terrain et de recherche. Ce faisant, un des rôles des accompagnateurs pédagogiques ne serait-il pas d’assurer cette médiation entre le terrain et la recherche ?

Concernant le premier élément, la transformation pédagogique me semble être au cœur des objectifs poursuivis par les accompagnateurs pédagogiques. Ne visent-ils pas « la métamorphose » des enseignants ou à faciliter « une compréhension nouvelle d’une situation ou d’un projet » (Paul, 2015, p. 27-28) lorsqu’ils accompagnent le développement professionnel des enseignants ? Ne cherchent-ils pas à faire évoluer les dispositifs de formation lorsqu’ils accompagnent le développement de projets collectifs ? Ne poursuivent-ils pas un changement lorsqu’ils portent attention aux conditions favorables à l’engagement des acteurs dans leur projet de développement individuel ou collectif ?

Concernant le deuxième élément, parmi la pluralité d’activités menées par les accompagnateurs, plusieurs d’entre elles paraissent répondre à cette fonction d’interface entre les connaissances des chercheurs et celles des praticiens. Je pense, par exemple, aux actions de formation que de nombreux accompagnateurs conçoivent et animent pour faciliter l’identification, la compréhension et le transfert des concepts dans les pratiques professionnelles enseignantes. J’ai également en tête les accompagnements d’expérimentations pédagogiques pour guider, étayer ou documenter les choix pédagogiques. Enfin, je pense à l’organisation d’évènements thématiques qui articulent des retours d’expériences enseignants et des interventions d’experts pour favoriser le partage de connaissances entre ces deux communautés.

Enfin, concernant le dernier élément, il me semble que l’accompagnateur pédagogique pourrait être un facilitateur de liens, de relations, entre les communautés de recherche et de praticiens-enseignants de par 1) sa connaissance des problématiques rencontrées par les enseignants dans leurs pratiques professionnelles, 2) ses connaissances scientifiques en éducation et les réseaux qu’il a pu développer, et enfin par 3) sa capacité à regrouper des acteurs des communautés différentes autour de projets communs.

Un rôle de passeur ?

J’ai déjà évoqué l’intérêt que pouvaient présenter le développement de projets de recherche collaborative en éducation et Peraya (2021), tout comme Desgagné (1997), a mentionné l’importance d’identifier des agents médiateurs comme facilitateurs des recherches collaboratives sur les pratiques pédagogiques. Ils identifient tous les deux le chercheur ou l’enseignant-chercheur en éducation pour occuper ce rôle de « passeur » entre les « deux mondes ». Gaussel, Gibert, Joubaire et Rey (2017) identifient trois compétences spécifiques au rôle de passeur : « savoir identifier des travaux de recherche, savoir lire la complexité d’une situation éducative, et savoir discerner les recherches mobilisables pour répondre au caractère holistique d’une situation éducative » (p. 35). Ils rappellent aussi l’importance des contextes de médiation pour faciliter le transfert des connaissances : « il ne suffit pas d’avoir connaissance d’un élément de recherche efficace, il faut réunir les conditions nécessaires pour que les praticiens fassent évoluer leurs pratiques » (p. 37). Monod-Ansaldi, Vincent et Aldon (2019) ajoutent à ces compétences la crédibilité nécessaire dont le passeur doit bénéficier auprès des deux communautés pour les accompagner et précise également deux conditions nécessaires pour mettre en place ces recherches collaboratives : l’inscription de la recherche dans un temps long et le soutien institutionnel dont elle doit s’assurer.

Taddei et al., dans le rapport « Pour une société apprenante », préconisent de « former des passeurs pour créer plus de liens » (2017, p. 22). Pour eux, plusieurs profils pourraient occuper cette responsabilité de passeur : « des enseignants, des inspecteurs, des ingénieurs de formation, ou encore des chercheurs » du moment qu’ils ont été formés au préalable. Dans la même lignée, l’Institut français de l’éducation (IFé) lance cette année un nouveau diplôme d’établissement « Passeur de l’éducation » qui s’adresse à tous les acteurs de l’éducation et de la formation qui mobilisent la recherche dans le cadre de leurs fonctions.

À la lumière de ces éléments et au regard du rôle de médiateur que j’ai pu décrire dans les paragraphes précédents, il me semble que certains accompagnateurs pourraient également occuper ces rôles de « passeur », notamment dans l’accompagnement d’appels à expérimentations internes aux établissements. En effet, certains accompagnateurs n’ont-ils pas connaissance des « deux mondes » ? N’ont-ils pas tissé des relations de confiance avec les équipes pédagogiques de leurs établissements ? Certains n’ont-ils pas participé, au moins ponctuellement, à des travaux de recherche et développé des réseaux en pédagogie comme le souligne Peraya (2021) et comme en témoignent Batier (2021), Lebrun (2021) et Schaub (2021) ? Enfin, il me semble que le soutien institutionnel et organisationnel proposé derrière ces appels à projet, lorsque ceux-ci encouragent l’évaluation des retombées des dispositifs pédagogiques à mettre en œuvre, la collaboration avec des chercheurs et des laboratoires en éducation pour enrichir, déployer et évaluer ces dispositifs innovants peut assurer les conditions nécessaires aux recherches collaboratives soulignées par Monod-Ansaldi et al. (2019).

L’accompagnateur, s’il réunit les compétences nécessaires et bénéficie d’un soutien institutionnel fort et pérenne, pourrait ainsi rapprocher la recherche du terrain en s’emparant de ce rôle de passeur.

Quelles autres participations et contributions à la recherche ?

Certains accompagnateurs pédagogiques soutiennent les enseignants dans les démarches de développement professionnel de type SoTL (François et al. ; 2021 ; Lebrun, 2021 ; Schaub, 2021). Rege Colet, McAlpine, Fanghanel, et Weston (2011) définissent le SoTL comme « une démarche de questionnement systématique sur les apprentissages des étudiants qui permet d’améliorer la pratique enseignante en communiquant publiquement sur recherche ou questionnement » (p. 94). Belisle, Lison et Bédard (2016) ont décrit le rôle et les activités que les accompagnateurs peuvent mener pour accompagner les enseignants dans ces démarches SoTL autour d’un cycle en six étapes itératives. Parmi les activités décrites, on retrouve : le questionnement, la facilitation de l’analyse de la situation et de la problématisation, l’aide pour identifier des ressources pertinentes répondant à la situation, le soutien à la scénarisation et aux choix pédagogiques, l’accompagnement à la mise en œuvre et à l’évaluation des retombées du dispositifs, l’appui pour la communication et pour l’essaimage, etc.

Si l’on compare les objectifs des recherches collaboratives et des démarches SoTL, on retrouve cette même volonté de développer les expertises pédagogiques en prenant les pratiques comme objet de recherche (Lison, 2020). On observe également de grandes similitudes dans les compétences à mobiliser et dans les activités à mener pour accompagner individuellement ou collectivement les enseignants dans ces démarches de questionnement et de recherche sur leurs propres pratiques pédagogiques.

L’accompagnement au SoTL me parait dès lors être un levier intéressant à mobiliser par les accompagnateurs pédagogiques pour rapprocher la recherche de la pratique enseignante, mais également pour leur permettre eux-mêmes de développer leur « réflexion sur [leur] propre compétence à effectuer des recherches dans le champ de la pédagogie de l’enseignement supérieur, sur [leur] niveau de connaissances des fondements, des théories et des modèles existants en regard de l’enseignement et de l’apprentissage et, enfin, sur la conception de [leur] rôle d’accompagnement auprès des enseignants » (Belisle et al. 2016, p. 78).

Dans la continuité des démarches SoTL, le Scholarship of Academic Developement (SoAD) se développe depuis quelques années pour les accompagnateurs pédagogiques. Il consiste également en 1) l’« interrogation » des retombées des activités des accompagnateurs et des services de soutien en pédagogie sur le développement professionnel des publics et sur le développement des projets qu’ils accompagnent, 2) en l’étayage des choix pédagogiques et stratégiques qui guident leurs actions et 3) en la communication des résultats de leurs recherches ou expérimentations (Ricciardi Joos, Tormey et Daele, 2016, p. 287). Les démarches SoAD visent à soutenir le passage d’un praticien, à un praticien réflexif voire chercheur en se focalisant sur les pratiques d’accompagnement et leurs effets. En s’engageant dans ces démarches de développement professionnel, les accompagnateurs pédagogiques peuvent « faire d’une pierre deux coups » : améliorer leur expertise dans leur propre champ d’action mais également rapprocher leurs pratiques de la recherche.

Enfin, j’ai évoqué le rôle de passeur que pourrait occuper les accompagnateurs pédagogiques dans les recherches collaboratives dont les objets de recherche portent sur des pratiques d’enseignement. Les accompagnateurs pédagogiques eux-mêmes ne pourraient-ils pas également participer à des recherches collaboratives, mais en prenant cette fois-ci pour objet de « recherche-développement » leurs pratiques d’accompagnement ou « en constituant un terrain pour la recherche-action » (Blondeau, Dufour-Merle et Robert, 2021) ? Tout comme les recherches collaboratives entre enseignants et chercheurs sont encouragées dans les différents rapports nationaux, ne devrait-on pas faire de même avec des recherches collaboratives portant sur l’accompagnement du développement pédagogique et soutenir ainsi leurs coopérations avec les laboratoires et avec les chercheurs ? Mais qui pourrait alors accompagner ces recherches collaboratives et occuper le rôle de passeur ? Doit-on se limiter à envisager un passeur « unique » ou tout comme Monod-Ansaldi et al. (2019) et Nizet et Monod-Ansaldi (2017), peut-on interroger la personnification du passeur et considérer plutôt la notion d’épisodes de « brokering », pour rendre compte de la fonction endossée par une personne ou l’autre au cours des recherches collaboratives ?

Bibliographie

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Notes

[1Le générique masculin est utilisé sans discrimination et uniquement dans le but d’alléger le texte.

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