Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa
Besma Ben Salah, « Les acteurs de l’ingénierie et de l’accompagnement pédagogique », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 35 | 2021, mis en ligne le 24 octobre 2021, consulté le 03 novembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/dms/6629 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.6629
Introduction
Accepter de contribuer à ce débat sur invitation de Daniel Peraya, est certainement l’occasion d’opérer une rétrospective sur une vingtaine d’années d’exercice d’ingénierie pédagogique (IP) dans les pays du Sud. Ces années ont été marquées par des événements importants, le dernier en date est une pandémie qui a bouleversé les modes de fonctionnement de tous les systèmes, surtout éducatifs et universitaires.
Mon ambition est aussi d’apporter un point de vue qui peut tantôt rejoindre celui de mes collègues du Nord, tantôt relater une réalité différente. Sans prétendre porter la voix des pays du Sud (vu leur diversité), je dirai que ma contribution concerne un contexte spécifique, de plusieurs points de vue : j’opère dans un établissement universitaire technologique relativement jeune (26 ans d’existence) dans un contexte social et politique mouvant depuis dix ans, suite à la révolution des jeunes tunisiens en quête de liberté et de dignité.
Mon intention est donc de réagir à divers éléments du texte de cadrage en faisant référence au contexte tunisien qui se caractérise déjà par l’absence du profil (ou métier) d’ingénieur ou conseiller pédagogique en enseignement supérieur, par opposition aux niveaux primaire et secondaire, là où le profil de conseiller existe avec une mission bien définie.
Notons tout d’abord que l’ingénieur [1] pédagogique que je vise est un profil qui allie pédagogie et technologie éducative, par conséquent, il est fortement impliqué dans la conception, la mise en œuvre, l’expérimentation, l’évaluation et la dissémination des dispositifs de formation intégrant les technologies, notamment les dispositifs hybrides et entièrement à distance. Ceci dit, je ne peux négliger l’impact de cette ingénierie même pour les dispositifs présentiels appelés, de plus en plus, à se centrer sur l’apprenant et à justifier leurs choix pédagogiques en fonction de leur efficacité sur l’apprentissage.
Dans sa contribution, Schaub (2021) aussi relie les aspects pédagogiques à ceux technologiques en soulignant que les « conseillers pédagogiques sont amenés d’une part, à soutenir les experts d’une discipline dans la conception d’expériences d’apprentissage innovantes, dans la conduite d’activités d’enseignement favorisant un apprentissage en profondeur et d’autre part, à tirer le meilleur profit des outils (numériques) dans ce but. »
Parcours professionnel
Agrégée d’informatique, je suis enseignante universitaire dans le domaine des technologies de l’Informatique depuis plus de 25 ans. Intéressée par la pédagogie, mais aussi par les technologies à usage éducatif, j’ai découvert les domaines du e-learning et de la formation à distance (FAD) au début des années 2000 en prenant part à des manifestations scientifiques (séminaires, symposiums, colloques, etc.).
J’ai suivi ensuite le Master en Utilisation des TIC en enseignement et formation (UTICEF) [2] dispensé entièrement à distance. Ce Master professionnel a complété ma formation pédagogique de préparation à l’agrégation (Pédagogie générale ; Pédagogie appliquée) et mes différents stages pédagogiques (6 mois) dans deux établissements canadiens, le Cégep de Sainte-Foy à Québec et l’Université de Montréal.
Vingt ans d’exercice d’IP m’ont prévalue une expertise qui a fait évoluer ma posture et mon statut en plus de mes activités. Je vous parle donc en tant qu’ingénieure pédagogique, conseillère technopédagogique et responsable d’une équipe de recherche en « Numérique et FAD [3] ».
Tâches et activités inhérentes à l’IP
Les compétences acquises par les formations initiale et continue ainsi que l’expérience sur le terrain m’ont permis d’opérer aussi bien en formation présentielle qu’en FAD. Pour les deux modalités, j’étais appelée à exercer des tâches inhérentes à l’IP pour mes propres prestations (en licences et masters), mais aussi en formation professionnelle continue et de reconversion. En effet, j’ai dirigé, pendant des années, le service Formation continue de mon établissement qui cible des professionnels, cadres d’entreprises. J’ai par ailleurs coordonné un programme de formation de reconversion au profit de jeunes diplômés du supérieur face à un souci de chômage à cause de leurs disciplines d’origine.
En liaison avec la formation des formateurs (FdF), j’ai scénarisé, préparé, animé, tutoré et géré des actions de formation en pédagogie universitaire (PU) et technologie éducative selon diverses modalités (présentiel, hybride, entièrement à distance). J’ai eu l’occasion également de coordonner un programme de formation en PU pour les jeunes recrutés de notre réseau d’établissements universitaires et ce pour deux années universitaires successives (de 2006 à 2008).
Ces activités riches et diversifiées montrent le large spectre d’intervention d’un ingénieur/conseiller (techno)pédagogique incluant des fonctions pédagogiques (scénarisation, animation, accompagnement) et non pédagogiques (production, gestion, pilotage). Cette vision concorde avec celle d’Henri et Kaye (1985) relativement aux choix organisationnels dans les systèmes de FAD et le rôle des ingénieurs pédagogiques qui s’appuient sur une division du travail et une spécialisation des tâches […] en assurant des fonctions pédagogiques (conception et encadrement) et des fonctions non pédagogiques (production et gestion). Cependant, cette vision se différencie de l’analyse du discours des acteurs institutionnels menée par François et Roland (2021). Les acteurs interrogés [4] attribuent en effet des fonctions différentes à chacun de ces métiers : les conseillers pédagogiques semblent plus centrés sur l’accompagnement humain des apprenants tandis que les ingénieurs techno-pédagogiques soutiendraient l’intégration du numérique à travers trois fonctions : de support, de développement professionnel des enseignants et d’inspiration.
D’un autre point de vue, ces activités sont nettement influencées par le contexte de leur réalisation. Amenée à intervenir sur le plan national (contexte tunisien), régional (Maghreb, Moyen orient) et international (pays francophones) à travers des projets de l’Agence Universitaire de Francophonie (AUF), je note que la mission de l’ingénieur pédagogique peut changer dans le sens de déléguer certaines tâches à des structures ou des professionnels.
Ce que je retiendrai de cette expérience est que la formation et l’accompagnement des enseignants évoluent vers une plaidoirie pour une démarche d’amélioration continue des pratiques pédagogiques et une incitation à l’innovation. Je me trouve assurer une veille aussi bien sur les questions pédagogiques que numériques pour informer et former.
Impact du contexte
Je disais dans l’introduction qu’en enseignement supérieur en Tunisie, le profil (ou le métier) d’ingénieur ou conseiller pédagogique n’existe pas de façon formelle. La première question à se poser est donc comment sont montés les dispositifs de formation dans les établissements universitaires tunisiens ?
Pour répondre à cette question, je me réfère aux travaux de Leclercq (2003), Carré (2011), Ardoin (2013), Vince et Martin (2014), Méliet (2017), cités par Peraya (2021), qui distinguent l’ingénierie des politiques (niveau macro), l’ingénierie des systèmes ou dispositifs de formation (niveau méso) et l’ingénierie pédagogique (niveau micro).
Au niveau macro, l’ingénierie des politiques relève du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de ses instances notamment la Direction générale de rénovation universitaire (DGRU) et le conseil des universités. Du moment où le texte de cadrage s’intéresse précisément aux acteurs des deux derniers niveaux (méso et micro), le développement qui suit portera sur ces deux niveaux, d’autant plus que la réalité du terrain montre que les travaux relatifs à ces niveaux sont assignés aux enseignants universitaires eux-mêmes. Au niveau méso, les questions liées à la définition des parcours de formation, des contenus des modules, des choix pédagogiques, des modalités d’évaluations, etc. sont traitées au sein de commissions sectorielles formées d’enseignants justifiant d’une certaine expérience (plusieurs années d’ancienneté). Au niveau micro, les enseignants reçoivent des fiches matières sommaires qu’ils utilisent comme base pour se décider du séquençage de leurs modules, des stratégies et outils pédagogiques, des activités d’apprentissage et d’évaluation. Cette situation que je qualifie de contraignante me parait contradictoire aux propos de Basque (2017) : « En milieu universitaire, le professeur dispose d’une liberté académique étendue, bien que des balises administratives (division des cours en périodes temporelles prédéterminées, règlements concernant l’évaluation des apprentissages, etc.) constituent des contraintes qu’il doit respecter. La plupart du temps, il réalise l’ensemble des tâches de conception et de développement de ses cours. »
S’agit-il vraiment d’une liberté ou d’une contrainte ? Alors que nos collègues des pays du Nord jouissent d’une grande liberté académique relativement aux contenus, les universitaires tunisiens se trouvent contraints d’enseigner un contenu défini à l’avance. Du côté des méthodes d’enseignement, aussi bien les enseignants universitaires du Nord que du Sud ont la liberté de choisir leurs méthodes, d’où la nécessité d’une formation et d’un accompagnement pour leur permettre de choisir les méthodes les plus adaptées en fonction du contexte, du contenu enseigné et des caractéristiques du public ciblé.
Dans le contexte tunisien, les enseignants universitaires (ou du moins leur majorité) n’ont pas été initiés à ces tâches (de conception et développement de cours) en l’absence d’une véritable formation initiale les préparant au métier d’enseignant universitaire, si on exclut un module de quelques heures dispensé aux étudiants des masters de recherche. Ces mêmes étudiants jugent le module insuffisant, d’autant plus qu’il est assuré par un enseignant de la discipline de formation et non pas un spécialiste de la pédagogie universitaire (PU). Le véritable apprentissage du métier d’enseignant universitaire se poursuit donc sur le tas, non sans conséquence pour les étudiants, les établissements et le système universitaire de façon générale.
Conscientes de l’impact d’un manque flagrant de compétences en IP chez leurs enseignants, les universités mettent en place des actions de formation en PU en guise de formation continue. Elles sont généralement assurées par des collègues, choisis dans la même université sur la base de leur ancienneté et de leur grade. L’expérience, démarrée en 2006, d’un Programme national de formation des jeunes enseignants s’est poursuivie quelques années, ensuite elle s’est heurtée à de nombreux problèmes.
L’absence du profil d’ingénieur pédagogique est aggravée par l’absence de structures (services ou cellules) de soutien à la pédagogie (pour la formation et l’accompagnement des enseignants) et de production de ressources médiatisées (pour décharger les enseignants amenés à penser plutôt pédagogie). Cette absence s’est fait sentir avec acuité pendant la pandémie du Covid-19 qui a démasqué les insuffisances d’un système présentant des maladies chroniques : l’absence de FdF en PU et le retard occasionné en matière de digitalisation.
L’UVT serait-elle la solution ?
Face au manque d’infrastructures TICE et du personnel d’accompagnement (en édition pédagogique, graphisme, médias, etc.) dans les universités présentielles, l’Université Virtuelle de Tunis (UVT), université à distance « native » est censée combler le vide en mettant ses équipes pédagogiques et techniques et ses équipements au service des autres universités pour les assister dans la transformation digitale.
Rappelons que la création de l’UVT en 2002 entre dans le cadre de la politique de modernisation de l’enseignement supérieur et son ouverture à tous les Tunisiens et vise de concrétiser le projet d’une formation ouverte et à distance (FOAD) axée fondamentalement sur l’exploitation des possibilités offertes par les TIC et couvrant une part planifiée de la formation initiale, de la formation continue et de l’apprentissage tout au long de la vie [5].
Parmi les projets de FdF assurés par l’UVT, je cite le programme IFeL pour « Ingénierie de la formation en ligne [6] » composée de sept cycles successifs ouverts à des enseignants qui répondent volontairement à un appel à inscription. Chaque cycle dure quatre semaines et chaque année universitaire, l’appel à inscription est ouvert au moins une fois. Les animateurs de ces cycles ont été préparés en partenariat avec l’AUF (Ateliers Transfer, Master ACREDITE) là où ils ont pu développer une certaine expertise en IP.
L’UVT dit avoir formé 690 [7]enseignants via ce programme, en plus de 196 formés en TICE et LMS. Quelques-uns des formés deviennent les référents de l’UVT dans leurs propres établissements [8]. Depuis février 2021, date de nomination d’une nouvelle équipe à la tête de l’UVT, le programme est suspendu en vue d’une refonte. Malgré des efforts louables, l’UVT n’a pas pu répondre à une demande grandissante des 13 autres universités surtout face aux circonstances exceptionnelles de la pandémie.
Les collectifs d’enseignants pourraient-ils faire l’affaire ?
Qu’ils soient créés à l’échelle d’un établissement (prenant la forme de comité pédagogique) ou d’une université ou d’un réseau d’établissements (à l’occasion d’événements scientifiques comme les forums [9], les colloques [10], etc.), ces collectifs prouvent une prise de conscience de la gravité de la situation et la nécessité de chercher des solutions alternatives par la création de communautés de pratique thématique et d’innovation autour de la PU. Les buts étant le partage des connaissances, l’apprentissage mutuel, la co-construction de compétences et la réalisation de projets communs.
L’AIPU-Tunisie, créée en 2017, est un autre exemple de communauté de pratique. Elle s’est donnée comme objectif de « Soutenir le développement professionnel des enseignants du supérieur pour innover leurs pratiques pédagogiques et mettre l’étudiant au centre du processus pédagogique ». Pour ce faire, elle a formé presque 400 enseignants à travers ses événements, les JPU (Journées de la Pédagogie universitaire) de l’AIPU-TN. Ces formations ont porté sur la pédagogie active ; le numérique en enseignement et formation ; l’évaluation ; l’hybridation des enseignements. Après ces événements, l’AIPU-TN a été approchée par des établissements universitaires (publics et privés) pour concocter des modules sur mesure comme la planification des enseignements, l’animation de leçons, la scénarisation d’un EAD, l’évaluation des travaux (projets, mémoires) de fin de formation, etc.
Au sein de l’AIPU-TN, les activités inhérentes à l’IP sont assumées de façon collégiale en incitant les enseignants à proposer des thèmes d’actions de formation, les scénariser, les préparer, les animer et les évaluer tout en étant accompagnés d’enseignants expérimentés qui assurent le soutien, proposent les correctifs et les compléments, attirent l’attention sur les incohérences, etc.
Certes, ces communautés de pratique forment des lieux privilégiés d’échange et d’apprentissage mutuel, mais elles ne peuvent atteindre tous les enseignants de toutes les universités. Indéniablement leur existence est un acquis, qui reste à renforcer par des structures formelles (centres pédagogiques) au niveau de chaque université sinon chaque établissement.
Place de la recherche
La recherche est venue comme prolongement aux activités d’IP. En tant que formatrice de formateurs et accompagnatrice, je devrais informer sur l’actualité de la recherche en PU et/ou TICE. Dans cet effort de « dissémination des résultats de la recherche en éducation […] je me trouve totalement dans le fait que nous [conseillers pédagogiques] sommes de très bons relais pour diffuser les résultats en pédagogie universitaire » (Schaub, 2021).
En tant qu’enseignante-chercheuse, mon intérêt était de décrire, analyser et comprendre pour expliquer et évaluer ce qui se passe dans mes dispositifs de formation afin d’agir sur les environnements pour un meilleur apprentissage.
Des types d’enjeux et des formes de recherche (Van Der Maren, 2007) se sont alors imposés :
– enjeux ontogéniques et recherche appliquée orientée vers soi : le changement autocentré. La recherche prend la forme de recherche en développement personnel : pratique réflexive, apprentissage dans l’action ;
– enjeux pragmatiques et recherche appliquée orientée vers l’objet : la solution fonctionnelle. La recherche prend la forme de recherche évaluation pour fin d’amélioration.
Au début, je me situais plutôt dans une pratique réflexive orientée « vers soi » pour essentiellement apprendre dans l’action. C’était alors l’occasion d’opérer une introspection de mes pratiques pédagogiques en me posant des questions sur les choix pédagogiques et leur cohérence avec les choix technologiques.
Ensuite, tout en poursuivant à travailler sur mes propres dispositifs de formation, mon intention était de les améliorer et les corriger en vue d’émettre des propositions transposables dans des contextes similaires, l’orientation a donc changé vers une évaluation adaptative pour fin d’amélioration selon une procédure d’évaluation adaptative interactive participative (Ben Salah, 2010).
L’évaluation adaptative pour fin d’amélioration s’effectue selon une procédure d’évaluation adaptative-interactive. Il ne s’agit pas de comparer à d’autres, mais bien de partir de ce dont on dispose et d’examiner comment on pourrait le corriger, l’adapter afin d’atteindre ce que l’on souhaite. On procède par des boucles de comparaisons et de modifications successives permettant des ajustements progressifs. Si l’on veut obtenir une amélioration, chaque correction envisagée doit faire l’objet d’une négociation avec les acteurs qui devront la vivre ; la correction imposée sans négociation est trop souvent boycottée par les acteurs. De plus, c’est souvent par une discussion avec les acteurs que l’on pourra mettre en place des modalités efficaces d’adaptation. Autrement dit, l’évaluation adaptative ne peut se réaliser qu’en interaction avec les acteurs : elle doit être participative. L’évaluateur ne peut pas se contenter d’établir le diagnostic et de prescrire le remède, il doit les élaborer avec la participation des acteurs et participer à l’application du traitement. C’est seulement en étant impliqué sur le terrain que les boucles évaluatives-adaptatives pourront être efficaces (Van Der Maren, 2004).
Quant à ma posture ou à ma position du chercheur, je me positionne plutôt, selon la classification de Charlier (2009) [11], en tant qu’enseignante-chercheuse, conceptrice, actrice sociale soucieuse de comprendre pour agir sur ses pratiques et sur l’environnement d’apprentissage qu’elle offre à ses apprenants.
Certes, la participation aux colloques et congrès autour des thématiques PU et/ou TICE ont contribué à capitaliser les pratiques quotidiennes et les projets concrets, discuter des tendances et des innovations expérimentées, accepter les critiques, parfaire la démarche et tâcher de se corriger.
Regardons ensemble vers l’avenir !
Il est certain que le contexte tunisien souffre de certaines lacunes, ne serait-ce que le manque de structures d’accompagnement des enseignants en PU et IP. Ceci dit, de nouvelles opportunités s’offrent aux 14 universités dans le cadre des Projets de modernisation de l’enseignement supérieur en soutien à l’employabilité – PROMESSE – financés par la Banque mondiale. Déjà, plusieurs universités ont annoncé leurs intentions, par exemple :
– l’Université de Jendouba envisage la création d’un Service universitaire de Pédagogie (SUP) doté d’un centre d’enseignement à distance (e-learning) [12] pour la généralisation de l’utilisation des TIC et la promotion de la PU chez tous ses enseignants ;
– l’Université de Gabès envisage d’implémenter, au profit de toutes ses institutions, un Centre d’ingénierie de la formation et d’innovation pédagogique (CIFIP) [13] et se propose de se doter d’un dispositif d’ingénierie de formation, d’innovation pédagogique et d’évaluation des enseignements permettant d’améliorer la qualité des formations ;
– l’Université de la Manouba envisage de former et certifier des référents pédagogiques en FdF [14] ;
– Ce réseau est l’équivalent d’une université technologique dans d’autres systèmes universitaires,
– le réseau [15] de 25 Instituts supérieurs des études technologiques (ISET)17 envisage l’aménagement d’un centre d’innovation pédagogique. Le lieu a été choisi (ISET de Kélibia) et l’appel à manifestation est déjà lancé.
Ces exemples sont donnés à titre indicatif, mais la PU, les TICE, l’IP et l’innovation pédagogique sont omniprésentes dans les projets des 14 universités et connaîtront une concrétisation prochaine.
Qu’on les appelle services, centres ou cellules d’accompagnement ou de soutien à la pédagogie, d’ingénierie et d’innovation pédagogiques, ces structures viendront soutenir les efforts des collectifs existants (comités pédagogiques, associations, communautés de pratique) à l’image de ce qui se passe dans les pays du Nord. Douzet (2021) l’a bien illustré avec le service ICAP de l’UCBL, le Centre de développement pédagogique (CDP) de l’Université de Nantes, le CIPE de l’UBFC, la Cellule PRAC-TICE de l’Université Libre de Bruxelles, le CDP et le Service d’appui pédagogique de l’UMONS, le réseau Canopé, l’IDIP de l’Université de Strasbourg. Leur rôle peut dépasser le développement professionnel des enseignants (par l’accompagnement et la formation) pour participer à l’évaluation des dispositifs et des enseignements, la valorisation des expérimentations pédagogiques et leur essaimage, la mobilisation des réseaux d’acteurs externes et la valorisation de la recherche (Douzet, 2021).
Par ailleurs, nous vivons depuis le 25 juillet 2021 l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire du pays ouvrant le champ devant des réformes importantes des systèmes éducatif et universitaire [16]. Le contexte politique, social et éducatif est donc favorable à un changement dans le sens de nouveaux horizons devant les universités tunisiennes et les enseignants du supérieur voulant agir sur la qualité des enseignements/apprentissages, la professionnalisation des formations et l’anticipation du chômage des diplômés.
Pourtours du profil d’ingénieur pédagogique
Alors que toutes les universités tunisiennes sont engagées dans la mise en place de structures ou d’actions ciblant la montée en compétences pédagogiques de ses enseignants, je juge pertinent de tenter de dessiner les pourtours du profil d’ingénieur pédagogique en partant de mon expérience personnelle, sans prétendre présenter un profil type parce qu’il n’y en a pas. L’ingénieur pédagogique serait une personne-ressource capable de créer une dynamique pédagogique et d’amener les enseignants à réfléchir sur leurs pratiques enseignantes dans une perspective d’instaurer une démarche d’amélioration continue. Son principal rôle serait d’accompagner, conseiller et aider à concrétiser des idées et des projets. Pour ce faire, il doit présenter des compétences technopédagogiques et transversales. Expert en pédagogie et en technologie éducative, il est désormais invité à s’ouvrir sur d’autres spécialités comme la psychologie cognitive et les avancées scientifiques des neurosciences. Du côté des compétences transversales, il doit en présenter plusieurs : communication, écoute, travail en équipe, ouverture d’esprit, autonomie, initiative et leadership, esprit d’analyse, organisation et structuration, capacité d’adaptation, etc.
Dans son témoignage, Batier (2021) ajoute « que les métiers autour de l’ingénierie pédagogique sont soumis à de fortes évolutions et qu’il faut faire preuve de flexibilité et il faut savoir s’adapter pour garder le cap vers nos missions ». Présenté comme un lien, une interface ou un relais entre l’administration et le corps enseignant (Batier, 2021), l’ingénieur pédagogique peut aussi être un relais vis-à-vis de la recherche en éducation. Il assure une médiation visant une transformation pédagogique via un interfaçage entre les connaissances des chercheurs et celles des praticiens et en jouant le rôle de facilitateur de liens, de relations, entre les communautés de recherche et de praticiens-enseignants (Douzet, 2021).
Conclusion : le questionnement continue !
La crise sanitaire du Covid-19 a obligé la majorité des enseignants universitaires à « faire avec, à bricoler et mettre en œuvre une ingénierie de crise, par manque de temps, de préparation, de compétences et peut-être d’intérêt, peu compatible avec ce l’on entend normalement par ingénierie pédagogique » (Peraya, 2020). Dans le contexte tunisien, des établissements ont imposé une transposition du cours présentiel en reproduisant la même organisation (le même emploi du temps) avec des classes virtuelles ! Des enseignants se sont trouvés replongés dans une véritable et ennuyeuse transmission de contenu via des outils de visioconférence (Teams, Zoom, Google Meet, Skype, …) induisant une surcharge cognitive et un désintéressement chez bon nombre d’apprenants !
Par ailleurs, cette crise a ouvert les yeux de tous les acteurs du système universitaire tunisien (enseignants, décideurs, étudiants et même parents) sur les défaillances et l’urgence d’agir. Des difficultés rencontrées et des échecs vécus, sommes-nous en mesure de déduire des pistes de changement réalistes et réalisables ? Sommes-nous prêts à assumer notre part de responsabilité dans une gestion de crise par moment chaotique ? Sommes-nous prêts à dépasser cette vision simpliste et techniciste pour aborder la problématique de façon globale ? Peut-on considérer l’ingénieur pédagogique, ce profil qui allie pédagogie et technologie éducative comme partie de la solution ? Pour ma part, vous l’aurez compris, ma réponse est oui et c’est ce que je souhaite.
Bibliographie
Basque, J. (2017). Introduction à l’ingénierie pédagogique. Texte rédigé pour le cours en ligne TED 6312 « Ingénierie pédagogique et technologies éducatives ». Université TÉLUQ. https://ted6313v2.teluq.ca/teluqDownload.php ?file =2014/04/19_TED6313_Texte_Intro_IP.pdf
Batier, C. (2021). Comment changer de métier tous les 6 mois en faisant la même chose ? Le paradoxe de l’accompagnement pédagogique. Distances et médiations des savoirs, 2021(34). https://journals.openedition.org/dms/6290
Ben Salah, B. (2010, juillet). Modalités de formation au tutorat à distance. Étude comparative, Frantice.net « Industries de la connaissance, éducation, formation et technologies pour le développement » 2010(1). http://www.frantice.netdocument.php/?id=149
Charlier, B. (2009). Conclusions. Dans C. Depover. C. (dir.), La recherche en technologie éducative. Un guide pour découvrir un domaine en émergence. Agence universitaire de la francophonie Éditions des archives contemporaines.
Douzet, C. (2021). Rapprocher terrain et recherche : quelles conditions organisationnelles et quel(s) rôle(s) des accompagnateurs pédagogiques ? Distances et médiations des savoirs, 2021(35).
François, N. et Roland, N. (2021). De l’influence des acteurs institutionnels sur les métiers du conseil pédagogique et techno-pédagogique, Distances et médiations des savoirs, 2021(35).
Henri, F. et Kaye, A. (1985). Le savoir à domicile. Pédagogie et problématique de la formation à distance. Presses de l’Université du Québec.
Leclercq, G. (2003). Quelques usages de l’activité d’ingénierie de formation. Savoirs, 2003(2), 71-104. https://www.cairn.info/revue-savoirs-2003-2-page-71.htm
Méliet, É. A. (2017). L’évolution des métiers de l’ingénierie pédagogique : quelle adéquation entre les nouveaux et conseillers et les formations proposées. Distances et médiations des savoirs, 2017(18). http://journals.openedition.org/dms/1881
Peraya, D. et Peltier, C. (2020). Ingénierie pédagogique : vingt fois sur le métier remettons notre ouvrage…, Distances et médiations des savoirs, 2020(29). https://journals.openedition.org/dms/4817
Peraya, D. (2020). L’ingénierie pédagogique en 2020 : au-delà de la crise sanitaire, faire une place à l’apprenant, Distances et médiations des savoirs, 2020(32). https://journals.openedition.org/dms/5908
Peraya, D. (2021). S’intéresser aux acteurs de l’ingénierie et de l’accompagnement pédagogique. Distances et médiations des savoirs, 2021(33). https://journals.openedition.org/dms/6211
Schaub, M. (2021). Quelle place à la recherche dans le métier de conseiller pédagogique en milieu universitaire ? Distances et médiations des savoirs, 2021(35).
Van Der Maren, J.-M. (2004). Méthodes de recherche pour l’éducation. De Boeck.
Van Der Maren, J.-M. (2007). La recherche appliquée en pédagogie. De Boeck.
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