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Il y a 21 ans, la création de Tela Botanica, le réseau collaboratif des botanistes francophones

1er septembre 2021 Coopérations 330 visites 0 commentaire

un texte bilan de Daniel Mathieu

Une longue histoire, déjà...

Le 14 décembre 1999, la préfecture de l’Hérault accusait réception de la demande de création de l’association Tela Botanica. Créateur, quelques années auparavant, du site Internet et du bulletin de la Société Botanique du Vaucluse, je découvrais les capacités de ce nouveau média pour communiquer au-delà du cercle de proximité trop restreint des associations naturalistes locales.

En m’appuyant sur les travaux d’Edgar Morin (La Méthode), Jean-Louis Lemoigne (Théorie du Système Général) et de Jean-Michel Penalva (méthode Sagace [1]) je disposais des éléments théoriques pour aborder la conception d’une organisation nouvelle, fondée sur une approche systémique des réseaux d’acteurs. L’objectif était de créer du lien entre les botanistes à l’échelle de la francophonie, quel que soit leur niveau de compétence, leur activité ou leur situation géographique, et de les inviter à partager leurs pratiques et leurs savoirs de façon organisée.

Profitant d’un détachement professionnel de plusieurs années à l’ANVAR [2] j’avais eu l’opportunité d’acquérir une bonne formation en gestion de projet (propriété intellectuelle, gestion du personnel, comptabilité). Détaché à Montpellier, je rencontrai alors, par l’entremise des Ecologistes de l’Euzière, deux passionnés de botanique : Joël Mathez (1940-2018), professeur à l’université et conservateur de l’herbier de Montpellier, devenu mon mentor, et James Molina, responsable de l’antenne montpelliéraine du Conservatoire botanique méditerranéen de Porquerolles. Leur faisant part de mon idée de créer un réseau des botanistes francophones, ils me permirent d’élargir le cercle des compétences susceptibles d’accompagner ce projet avec notamment la rencontre de Bernard Descoings, alors président de la Société Botanique de France, de René Delpech (1922-2012) également membre de la SBF, de François Breton et Pierre Sellenet, de la Garance voyageuse, de Michel Chauvet chercheur à l’INRA...

Commençait alors à se constituer un petit groupe de proximité intéressé par ce projet, bientôt complété par un autre personnage marquant, Frédéric Melki, directeur de la toute jeune société d’études BIOTOPE. Je n’oublie pas non plus mon adhésion de cœur et de pratique à l’association des Ecologistes de l’Euzière et la rencontre avec son fondateur, Benoît Garrone, qui procéderont à mon éducation naturaliste. Communauté de proximité à la fois suffisamment motivée et éclectique pour créer quelque chose d’original et de pertinent dans le monde de la botanique.

Il n’en fallait pas plus pour commencer à rédiger les statuts originaux d’une structure associative locale, mais dont les participants seraient mondialement répartis et communiqueraient en langue française par Internet. Association dont l’éthique reposerait sur le libre partage des connaissances et le travail collaboratif (dont Jean Michel Cornu et Michel Briand étaient des inspirateurs), en bref une communauté épistémique comme la dénommera Serge Proulx, sociologue à l’UQAM [3] au Québec qui nous accompagnera sur le plan méthodologique. Un challenge au début de ces années 2000, alors que la botanique francophone n’avait alors aucune présence sur Internet !

Le pilotage de l’association serait assuré par un conseil d’administration limité à quatre entités, dont trois personnes morales : la Société botanique de France, la Garance voyageuse et la société Biotope, et une personne physique, moi-même, qui en assurerai la présidence jusqu’en 2021. En 2007 sera créé un Conseil Scientifique et Technique missionné pour conseiller, orienter, critiquer les projets animés par Tela Botanica.

Sur le plan opérationnel le projet consisterait principalement à créer un site Internet permettant de rendre accessible à l’échelle de la francophonie, et de façon libre et gratuite trois dispositifs principaux :

  • un espace de dialogue et d’échange sous forme de forums ou de listes de discussion permettant de faire émerger des projets collaboratifs,
  • une base de données botaniques articulée autour d’un index taxonomique permettant d’agréger tous types de données fournis par les membres du réseau,
  • un outil partagé de collecte d’observations de terrain permettant de relever et de cartographier la répartition des plantes.

En 2005, le dispositif sera complété par une lettre d’actualités permettant de faire circuler l’information entre les botanistes et d’informer la francophonie des nouveaux projets, des emplois, des publications, des congrès, etc. Elle totalise aujourd’hui plus de 40.000 abonnés...

Pour cela, il fallait disposer des moyens techniques pour lancer ces dispositifs… Tout d’abord des locaux. Ils ont été mis à notre disposition gracieusement par le Lycée agricole d’Agropolis (aujourd’hui Lycée Frédéric Bazille-Agropolis) avec l’accompagnement bienveillant de ses animateurs socio-culturels. Les premiers financements nous ont été accordés de façon spontanée par les entreprises Yves Rocher et les jardineries Botanic, séduites par notre projet. Agropolis International nous offrait d’héberger notre serveur informatique et nous permettait d’utiliser le réseau Internet RENATER [4]. Nous avions les instruments pour démarrer notre activité, restait à trouver les personnes compétentes pour jouer la partition...

C’est grâce au dispositif “emplois jeunes” mis en place par le gouvernement Jospin que nous avons pu créer notre premier emploi financé à 100% sur la base du SMIC pendant 4 ans. Le Réseau des botanistes francophones (dont le nom Tela, la toile en latin, est l’équivalent du Web en anglais, nous a été suggéré par Pierre Texier (1927-2010), latiniste et ami avignonnais) était lancé. C’était en l’an 2000 !
Depuis, de nombreux salariés se sont succédé au sein d’une équipe très dynamique, aux compétences multiples, qui constitue le moteur sans lequel Tela Botanica n’existerait pas. Trop nombreux, je ne peux évidemment pas tous les énumérer, aussi je me contenterai de mentionner les trois directrices qui ont assuré le pilotage de cette équipe avec beaucoup de talents : Annabelle Mengin (2007-2008 ), Elise Mouysset (2008-2012 ) et Christel VIGNAU (2012-2021).

S’il est fort aujourd’hui de 55 000 personnes inscrites, les débuts de Tela Botanica n’en n’ont pas moins été difficiles. Plusieurs institutions pensaient que Tela pouvait les concurrencer. Il a fallu du temps pour qu’elles comprennent que Tela apportait en fait de nouvelles fonctionnalités et leur serait ainsi complémentaire.
Mais bientôt cette initiative rencontra des adeptes très motivés, notamment autour de la constitution de l’index synonymique et taxonomique de la flore de France sur la base des travaux initiaux de Michel Kerguélen (1928-1999). Repris par Benoît Bock sous l’œil vigilant de Valéry Malécot et des membres de la liste de discussion ISFF, cet index deviendra, non sans difficultés, la source du référentiel TAXREF diffusé plus tard par le MNHN.

La mise en place du groupe de travail très actif sur la phytosociologie (synusiale et intégrée) autour de Philippe Julve, avec ses tableaux CATMINAT, fournissait une source de données importante et en accès libre aux phytosociologues, source de données qui sera à l’origine du site eVeg créé plus tard par Stéphane Delplanque. Philippe Julve est aussi le créateur de la table des valences écologiques des plantes de métropole et de la cartographie botanique des départements. Mentionnons pour finir la liste des noms vernaculaires de Jean-François Léger et Pierre SEBA (en 2017 pour les noms grecs) qui permettent de nommer les plantes de façon plus populaire que sous leur nom scientifique. Données qui seront ensuite consultées par David Mercier pour son projet en cours d’attribuer sur des bases rationnelles, un nom français normalisé à l’ensemble des taxons de la flore de France métropolitaine.
Cheville ouvrière de l’Université pour la numérisation des types de l’herbier de Montpellier, Tela Botanica prend sa place en 2005 dans le projet de la fondation Andrew Mellon (USA) de mise à disposition d’images en haute définition aux botanistes du monde entier. L’extension de ce projet au Maroc nous a permis de lier des relations d’amicale collaboration avec Jalal El Oualidi et Mohamed Fennane de l’Institut Scientifique de l’Université Mohammed V de Rabat.

En quelques années, Tela Botanica est ainsi devenu un site de référence avec la mise à disposition de données sur la flore (observations, nomenclature, cartes, noms populaires, et illustrations du projet eFlore) auxquelles chacun pouvait contribuer, un réseau social entre les botanistes et une instance de dialogue entre professionnels et amateurs, entre spécialistes et débutants. La capacité d’animation de Tela permet ainsi à plusieurs projets de recherche de trouver les moyens de collecter des données et de diffuser leurs travaux.

Les actualités hebdomadaires, produites en grande partie par les membres du réseau, deviennent rapidement le moyen incontournable de s’informer et/ou faire connaître les publications francophones en rapport avec la botanique, les projets et les initiatives en cours, les offres d’emploi, les activités de terrain, les conférences, etc.

Ainsi, en une dizaine d’années avec une croissance régulière de ses effectifs (salariés, membres inscrits, administrateurs), Tela Botanica avait validé son titre anticipé de Réseau des botanistes francophones…

Depuis, Tela Botanica poursuit son chemin en participant à des projets de recherche (pensons au projet Floris’Tic qui a permis l’évolution du très populaire Pl@ntNet mobile), des projets collaboratifs et d’animation qui font son actualité grâce à une équipe salariée très dynamique.

Tela Botanica déploie également, depuis 2015 et de façon très remarquée, son projet de diffusion de la connaissance botanique auprès d’un très large public avec sa plateforme MOOC Tela Formation qui totalise à ce jour près de 130 000 apprenants.

Mais je ne détaillerai pas plus avant cette actualité que tout un chacun peut suivre au jour le jour et qui est résumée dans nos comptes rendus annuels.
De cette brève histoire initiale de Tela Botanica, il me reste à me présenter. Né en 1950 dans une famille de paysans et de viticulteurs du Haut Beaujolais, j’ai acquis une formation d’ingénieur en chimie à l’Ecole centrale de Paris. J’ai œuvré les trois quarts de ma vie professionnelle au Commissariat à l’Energie Atomique à mettre au point des installations pour le retraitement et le stockage des déchets nucléaires. En 2000, je me mets en disponibilité un jour par semaine pour assurer le lancement du projet Tela Botanica, une reconversion improbable en prévision de la retraite...
Après 21 ans à la présidence de cette belle association qui depuis s’est fortement ancrée dans le paysage régional et national, je passe la main à plus jeune que moi pour accompagner Tela Botanica dans ses nouveaux défis…

Daniel Mathieu, août 2021
dmathieu@tela-botanica.org


Bibliographie relative à la création et l’histoire de Tela Botanica

Ouvrages généraux
CORNU, J.-M., 2004. La coopération, nouvelles approches. Jean-Michel CORNU.
MORIN, E., 1997. La Méthode. 1. La Nature de la Nature, Essais. ed. SEUIL, 400 p.
Le MOIGNE, J.-L., 1977. La théorie du système général. Théorie de la modélisation. PUF.

Travaux relatifs à Tela Botanica

HEATON, L., MILLERAND, F., CRESPEL, E., PROULX, S., 2011. La réactualisation de la contribution des amateurs à la botanique. Le collectif en ligne Tela Botanica. Terrains & travaux, ENS Cachan 1, 155–173.

MATHEZ, J., MALECOT, V., 2005. Les échantillons “types” des herbiers.
MATHIEU, D., MOUYSSET, E., CORNU, J.-M., 2011. Organisation et pilotage d’une association en charge d’un réseau collaboratif  : l’exemple de Tela Botanica.

MATHIEU, D., 2017a. Intégrer les données de réseaux amateurs. Espaces naturels 32.

MATHIEU, D., 2017b. La fiabilité des données collaboratives. Revue Espaces naturels ATEN.

MATHIEU, D., 2014a. Tela Botanica élargit son action à l’échelle internationale.

MATHIEU, D., 2014b. Vous avez dit référentiel  ? Quésaco  ?

MATHIEU, D., 2002. Les réseaux coopératifs - L’expérience de Tela Botanica. Analyse du fonctionnement après trois années d’activités.

MATHIEU, D., MATHEZ, J., MALECOT, V., MERCIER, D., BOCK, B., 2019. Les référentiels en botanique. Notions de base permettant de comprendre comment sont constitués les référentiels et comment sont organisées ceux de Tela Botanica.

MATHIEU, D., BOCK, B., MALÉCOT, V., n.d. Historique du référentiel nomenclatural de la flore de France de 1993 à 2008.

MATHIEU, D., DURECU, M., MERCIER, D., MATHEZ, J., CHAUVET, M., 2015. Guide de nomenclature des noms normalisés en français pour les plantes trachéophytes de France métropolitaine. Code NFN Version 2.4 - novembre 2014. J. Bot. Soc. Bot. France 70.

MATHIEU, D., MOUYSSET, E., PICARD, M., ROCHE, V., 2012. Sciences participatives  : dynamique des réseaux d’observateurs.

MILLERAND, F., HEATON, L., PROULX, S., 2011. Émergence d’une communauté épistémique : création et partage du savoir botanique en réseau. Connexions : communication numérique et lien social, Presses universitaires de Namur.

PROULX, S., 2015. Tela Botanica, une communauté épistémique. Dictionnaire des communs 3.

PROULX, S., 2014 « Usages ‘participatifs’ du Web social », conférence publique, Institut Méditerranéen de Recherches Avancées (IMéRA), Aix-Marseille Université, Marseille, 25 septembre 2014.

PROULX, S., 2010. Hybrid Organisational Innovation  : The Case of Tela Botanica. Presented at the Association of Internet Researchers (AoIR 2010), Gothenburg, Australie.

PROULX, S., MATHIEU, D., 2017. Du réseau numérique au réseau de communautés épistémiques  : Tela Botanica, le collectif francophone des botanistes. Dialogue entre le fondateur et un sociologue.

Enquête menée sur les botanistes de France. Sous l’égide de la Société Botanique de France en coopération avec Tela Botanica et La Garance Voyageuse, 2006.

Licence : CC by-sa

Notes

[1méthode Sagace : méthode matricielle permettant de représenter un système complexe, une organisation par exemple, pour en présenter les composantes et le fonctionnement.

[2ANVAR : Agence nationale pour la valorisation de la recherche aujourd’hui dénommé OSEO ANVAR

[3UQAM : Université du Québec à Montréal

[4RENATER : Le REseau NAtional de Télécommunications pour la technologie, l’Enseignement et la Recherche est le réseau de télécommunications français reliant les différents établissements d’enseignement et de recherche en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Il a été créé en 1993

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