Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Comment la pandémie aggrave le mal-être des étudiants

Un article repris de https://theconversation.com/comment...

Préoccupante depuis un certain nombre d’années, la souffrance étudiante est actuellement sous les feux de l’actualité, la crise sanitaire accentuant l’isolement des jeunes et les problèmes de précarité mis à jour depuis l’immolation par le feu d’un étudiant à Lyon, en novembre 2009.

Y a-t-il des éléments qui contribuent au mal-être de la jeunesse, et qui sont spécifiques à l’Hexagone ?

Dans le modèle français valorisé du devenir adulte, on considère que l’indépendance économique de l’étudiant ne devrait pas relever de la responsabilité de la famille. Mais les aides de l’État envers les étudiants ne leur permettent pas de les prendre complètement en charge si les familles ne sont pas au rendez-vous.

Dans les pays nordiques, l’État finance l’autonomie des étudiants et dans des pays comme l’Espagne le modèle familialiste prédomine.

La pression du logement

Pendant la période de la jeunesse, en France, il est admis que, pour s’autonomiser, deux conditions doivent être réunies : la séparation physique de la famille et la vie en solo, au moins, pendant une période. Nous estimons à près de 40 % le nombre des étudiants qui habitent seuls (dans leur logement, en résidence universitaire ou dans un logement de la famille).

La construction des logements des étudiants du CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) a été pensée, depuis les années 1960, en adéquation avec ce modèle et la majorité des logements (plus de 90 %) sont de petites surfaces conçues pour des étudiants en solo, principalement des chambres individuelles. Le parc privé suit la même tendance.

En temps de pandémie, où apparaît plus que jamais l’importance de l’autre et du lien social dans la vie, la crise met en lumière les limites de ce modèle d’autonomisation de soi qui établit un lien entre bonheur individuel et vie en solo. Or nous assistons à une vie en solo H24.

Dans d’autres pays, par exemple en Espagne, il n’y a pas un lien établi et socialement valorisé entre devenir adulte et vivre seul, être seul physiquement – ni pendant l’enfance, ni pendant la jeunesse, ni au moment de la maladie ou du vieillissement.

Les étudiants choisissent les résidences étudiantes où les repas ont lieu collectivement, ou les appartements en colocation, sur le mode de l’auberge espagnole – n France, cela ne concerne que 11 % des étudiants, selon l’enquête OVE 2016. Ceci a comme conséquence qu’en temps de pandémie, bien qu’affrontant aussi les difficultés de l’enseignement à distance, les jeunes se sentent moins seuls.

Conditions d’études plus complexes

Un deuxième aspect central de la vie étudiante est la pression que subissent les étudiants, compte tenu de la valeur accordée au diplôme, garant et déterminant de la position que les jeunes occuperont dans leur vie professionnelle future, comme l’a montré Cécile Van de Velde dans son ouvrage Devenir adulte, ce qui ajoute une couche de stress à cette période de la vie où il faut subir pour grandir. Et la question se pose aujourd’hui de la valeur des diplômes de la génération Covid.

La France accueille de nombreux étudiants étrangers. Ceci est possible pour certains, compte tenu des tarifs d’inscription dans les universités, du prix des résidences du CROUS et de leur job étudiant. La plupart d’entre eux ont perdu ce travail, ils se retrouvent dans des chambres et des résidences pas toujours agréables.

À ceci s’ajoute qu’ils n’ont pas toujours le matériel informatique adéquat et se trouvent contraints de continuer l’année universitaire avec pour seul outil leur téléphone portable, comme nous l’avons observé dans notre université avant le prêt d’ordinateurs. Les données nationales sont inexistantes à ce jour.

S’y ajoutent d’autres problématiques plus globales de la jeunesse : trouver sa voie. C’est une période où de nombreux jeunes s’interrogent sur le choix de leurs études, leur avenir et où ils découvrent que finalement ils voudraient changer. D’où la création de nombreuses possibilités de bifurcation, par exemple à la fin du premier semestre et tout au long de certains parcours universitaires.

Le distanciel ajoute une difficulté supplémentaire pour échanger et rencontrer les interlocuteurs chargés de la réorientation. Puis, il y a la peur et l’insécurité pour affronter le marché du travail, après des années à entendre recommander l’importance des stages et à faire des projets tout en en stand-by.

Injonction à l’autonomie

L’injonction à l’autonomie est très importante au sein de la jeunesse. Certains ressentent aujourd’hui un sentiment d’échec, étant donné qu’ils ont préféré, ou ont été contraints, de retourner chez leurs parents, privés d’une autonomie censée s’apprendre progressivement, comme nous l’avons observé dans les entretiens auprès d’étudiants retournés chez leurs parents pendant le premier et le deuxième confinement.

Leur image d’eux-mêmes se détériore à l’idée de ne pas voir le moyen, ni le moment de s’éloigner de la famille. Sans compter que le départ pour les études avait permis à certain·e·s de quitter des environnements toxiques. Ces jeunes ne trouvent pas toujours dans le distanciel la force de volonté nécessaire pour s’organiser, pour préparer des travaux à présenter parfois six semaines plus tard, des textes à lire, etc.

Pour les autres, restés dans leur chambre ou dans leur studio, l’échec est celui de voir qu’ils vivent mal, que la vie en solo mais sans lien avec les autres, à la fac ou dans les soirées, est dure, voire déprimante. Même les étudiants en master trouvent ceci difficile. Leurs seules sorties se limitent à faire les courses ; ils n’ont pas la force de volonté de s’habiller pour les cours par visio et ils éprouvent le sentiment d’être les seuls confinés avec les personnes âgées.

La société continue à fonctionner et eux sont mis à l’écart. Le poids de la solitude s’accentue lorsqu’il y a un cumul des difficultés, notamment financières. Avant la pandémie, les jeunes avaient des stratégies pour y remédier, parmi lesquelles la fréquentation des amis était centrale. Aujourd’hui, elles ne peuvent plus être déployées comme le témoignent les étudiants interviewés.

Le jeune doit apprendre à être seul avec lui-même et à se sentir bien : il serait ainsi mieux armé pour affronter le monde des adultes et la société dans laquelle il vit. La souffrance pendant la jeunesse est souvent associée à la trop forte dépendance familiale, conjugale, professionnelle, et le bonheur à la liberté.

La crise montre que le modèle français du logement étudiant de taille réduite pour des étudiants seuls comme symbole de l’autonomie acquise pendant la jeunesse doit être repensé. Nous assistons à l’expérimentation réelle et collective de la limite de la vie en solo pendant la jeunesse en temps de pandémie.

The Conversation

Sandra Gaviria ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Licence : CC by-nd

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom