Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Des étudiants réalisent un sketch théatral ou un clip vidéo pour faire évoluer leurs préconceptions

Un article publié au VIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Angers, 8 , 9 et 10 Juin 2011.

lien : http://www.colloque-pedagogie.org/?q=node/511 et http://www.colloque-pedagogie.org/


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DES ÉTUDIANTS RÉALISENT UN SKETCH THÉÂTRAL OU UN CLIP VIDÉO POUR FAIRE ÉVOLUER LEURS PRÉCONCEPTIONS

Pascale Corten-Gualtieri1, Olivier Fournout2, Marcel Lebrun3, Jim Plumat4, Jean-Didier Legat5, Roland Keunings5, Benoît Raucent5,Valérie Beaudouin2, Pierre Ollier2, Nicolas Flipo6, Isabelle Cojan6, Médard Thiry6 et Caroline Mehl6

1 Université Catholique de Louvain, Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias, IACCHOS, Louvain-la-Neuve, Belgique
2 Télécom ParisTech, Département des Sciences économiques et sociales, Paris, France
3 Université Catholique de Louvain, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation & Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias, IACCHOS, Louvain-la-Neuve, Belgique
4 Université Catholique de Louvain, Laboratoire de Didactique de la physique, Louvain-la-Neuve, Belgique
5 Université Catholique de Louvain, Ecole Polytechnique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique
6 École des Mines ParisTech, Centre de Géosciences, Fontainebleau, France

Pascale.corten@uclouvain.be

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Résumé

Des futurs ingénieurs abordent l’enseignement supérieur avec de nombreuses préconceptions erronées et/ou lacunaires à la fois au niveau des connaissances, des compétences et des attitudes. Pour éviter que celles-ci constituent des obstacles à un apprentissage scientifique durable, il est indispensable de faire éprouver aux étudiants les limites de leur cadre de référence et de les motiver à réaliser l’effort nécessaire pour le réorganiser et l’enrichir. Cet article présente deux dispositifs de formation d’étudiants ingénieurs, l’un en dynamique de groupe, l’autre en mécanique classique, qui font émerger les représentations initiales des étudiants, pour ensuite les transformer en profondeur, par le moyen de la création en petits groupes d’un sketch théâtral pour le premier dispositif, d’un clip vidéo pour le second.

Mots-clés :

Préconceptions, conflit socio-cognitif, séquence vidéo, théâtre, mécanique classique, dynamique de groupe

I. INTRODUCTION

De Brabandere et Mikolajczak [2009, p.24] expliquent que tout individu subit « [.] l’emprise du biais de disponibilité. Cette tendance consiste à utiliser de préférence des informations facilement disponibles, qui nous viennent le plus spontanément à l’esprit : les informations récentes, emmagasinés en mémoire il y a peu de temps, les éléments plus vivants, spectaculaires ou chargés d’émotions, les éléments bien connus, familiers ». L’apprentissage ne fait pas exception à cette règle : face à un problème, à une situation nouvelle, l’individu réagit sous l’emprise du biais de disponibilité et met tout en œuvre pour résoudre le problème sur la base de ce qu’il connaît déjà, sans chercher à apprendre.

Dès les années 80, c’est dans le domaine de l’enseignement des sciences que des didacticiens comme Martinand [1986], Giordan et de Vecchi [1990], Astolfi et Develay [2002], Viennot [1996], ou encore, dans la littérature anglo-saxonne, Posner et al [1990] ou Davis [2001], ont démontré que tout apprentissage interfère avec un « déjà là » conceptuel un cadre de référence pour raisonner, agir ou se comporter, élaboré à partir des expériences antérieures de l’apprenant.

Dans la littérature, de nombreuses appellations renvoient à ce savoir préalable et peuvent être utilisées indifféremment : préconceptions, conceptions ou représentations initiales, conceptions naïves, savoirs familiers, pensée naturelle ou encore sens commun... Ce système de compréhension, d’interprétation et de prédiction de la réalité s’est construit à partir des expériences de l’apprenant (expériences de vie et d’étude) il est donc cohérent et opérationnel. Cependant, par rapport aux connaissances, compétences et attitudes « savantes », il comporte des erreurs ou des lacunes, qui relèvent rarement de simples « méconnaissances d’un savoir ponctuel », mais plutôt d’une « façon de penser profondément enracinée » [Giordan, 1996]. Il en résulte que les conceptions initiales constituent fréquemment une entrave à un nouvel apprentissage.

Selon Giordan [1996], pour vaincre les représentations initiales de l’apprenant, il ne suffit pas de leur présenter le savoir correct, la méthode ou l’attitude adéquate. (D)énoncer les erreurs fréquentes, mettre en évidence les difficultés les plus courantes n’assure pas non plus, à l’enseignant, une action pédagogique efficace. En effet, dans le meilleur des cas, ces deux modes de présentation du savoir amènent l’apprenant à faire coexister, dans sa structure cognitive, son modèle familier et le modèle « savant ». Et ce dernier est voué à être rapidement oublié au profit du modèle plus ancien, mieux ancré, dès que l’apprenant sort du contexte d’apprentissage. Selon De Vecchi et Giordan [1989] et Giordan [1996], ignorer les conceptions préalables des apprenants (« faire sans ») ou les réfuter (« faire contre ») ne fournit donc qu’un faible « rendement didactique » (un faible rapport entre le savoir acquis par les apprenants et le temps passé à enseigner).

D’après les mêmes auteurs, la clé d’un enseignement-apprentissage durable consiste à faire émerger les préconceptions et à s’appuyer sur elles pour les transformer (« faire avec pour aller contre ») et remanier profondément la structure mentale de l’apprenant. Pour qu’il y ait apprentissage, il s’agit d’abord que l’élève trouve de l’intérêt, du sens à dépasser ses savoirs familiers : pour ce faire, « un ensemble d’éléments convergents et redondants » doit être mis en place par l’enseignant pour faire prendre conscience à l’élève des limites explicatives et prédictives de ses conceptions initiales [Giordan, 1996]. Il s’agit d’introduire une « dissonance » dans le réseau conceptuel de l’apprenant, afin de rompre certains liens (déconstruction), puis d’en créer de nouveaux (reconstruction) qui intègrent les informations nouvelles dont le champ de validité est plus important. Car « tout savoir maîtrisé se situe tout à la fois dans le prolongement des acquis antérieurs qui fournissent le cadre de questionnement, de référence et de signification, et dans le même temps par rupture avec eux, du moins par détour et transformation du questionnement. » [Giordan, 1996].

À l’heure actuelle, les pédagogues s’accordent à considérer que les facteurs qui influencent un changement conceptuel ne sont pas uniquement d’ordre cognitif, mais aussi contextuels, affectifs et sociaux, ce qui met en avant l’intérêt pédagogique des activités d’apprentissage de type coopératif [Hewson, Beeth et Thorley, 1998 ; Bourgeois et Chapelle, 2006].

L’efficience de l’action pédagogique relève donc des capacités du professeur à générer chez les apprenants un conflit cognitif - ou mieux, socio-cognitif -, et ensuite à gérer ce conflit pour faire en sorte que les apprenants intègrent l’information nouvelle dans leur cadre de référence [Giordan, 1996].

Ainsi, la question centrale revient à déterminer quelle activité mettre en place pour faire émerger les représentations initiales des apprenants et les amener à les confronter en équipe... Dans cet article, nous proposons deux exemples de traitement des préconceptions de futurs ingénieurs, au départ d’une situation- problème originale et ludique, consistant en la rédaction d’un scénario et sa mise en production.

II. SKETCH THÉÂTRAL ET DYNAMIQUE DE GROUPE

Dans le domaine de la dynamique de groupe, le travail sur les préconceptions des étudiants rencontre plusieurs difficultés propres au champ des relations humaines. D’une part, il est souvent impossible de porter un jugement de type vrai/faux. Les préconceptions ne sont pas identifiables à des erreurs. D’autre part, elles ne se laissent pas objectiver facilement. La situation initiale est un vécu sur les relations, plutôt qu’un ensemble de faits parfaitement visibles. Enfin, pour faire évoluer la préconception, la connaissance intellectuelle ne suffit pas. Il faut intégrer cette connaissance dans les comportements, dans les actions, dans les paroles, dans la communication non verbale, dans les manières d’interagir effectivement avec les autres, au quotidien.

Prenons quelques exemples de ces préconceptions que de jeunes étudiants
ingénieurs peuvent se faire des rapports humains :

1. « Il est naturel qu’il y ait dans les groupes un bouc émissaire, et cela peut même aider à forger le groupe. »

2. « Exercer une autorité, en gros, c’est faire faire des « corvées de chiottes » aux autres sans possibilité de discuter les ordres. »

3. « Il n’y a pas d’enjeu relationnel important dans un cours scientifique. »

4. « La rêverie individuelle dans un groupe est une fuite, en réaction à l’ennui ou pour échapper à l’emprise du leader. »

5. « L’implicite dans un groupe est une manière de cacher des choses à certaines personnes, voire de se liguer contre elles. »

6. « C’est mauvais d’avoir des conflits, et il faut tout faire pour les éviter. »

Ces affirmations sont discutables sous de multiples angles. L’enseignement peut faire évoluer ces préconceptions dans différentes directions :

1. évoquer les effets de ces préconceptions, éventuellement négatifs, montrer les effets de représentations alternatives ;

2. ouvrir la palette des comportements possibles à disposition des apprenants, être dans le « Oui, mais encore ? », plutôt que dans le « Non, mais. » ;

3. affiner les observations de la complexité ;

4. entraîner à la responsabilisation, c’est-à-dire : dénaturaliser les préconceptions (elles ne vont pas de soi), ouvrir le champ des possibles et s’exercer à un choix averti tant individuel que collectif.

Le Corps des Mines, au sein de l’école des Mines ParisTech et de Télécom ParisTech, délivre un enseignement de trois ans à une vingtaine d’élèves destinés à la haute fonction publique en France. La première semaine de cours est consacrée à un enseignement de géologie sur le terrain, assuré par l’équipe pédagogique Mines ParisTech. En 2009, l’équipe enseignante de « Formation Humaine » (compétences et éthique relationnelles) de Télécom ParisTech a été sollicitée pour enrichir cette semaine de formation d’un volet « dynamique de groupe ». La formule, proposée en 2009 et réitérée en 2010, repose sur une forte communauté de pédagogie entre l’enseignement de la géologie et l’enseignement de la dynamique de groupe : la pédagogie est inductive et participative, proche de ce qui est proposé en apprentissage par problèmes (APP). Les étudiants de chaque groupe « géologie » observent leur dynamique de groupe et leurs relations telles qu’elles émergent au cours de leur formation en géologie. Ils doivent décrire trois thèmes liés aux situations vécues. Puis, il leur est demandé de créer un sketch théâtral illustrant ces trois thèmes. D’une certaine façon, la scénarisation théâtrale est aux situations vécues de dynamique de groupe ce que le dessin d’observation est au terrain géologique. De plus, dans les deux cas, les points de vue individuels se confrontent les uns aux autres, soit par la discussion, soit par les dessins, soit par les jeux d’acteurs, débouchant sur une négociation. La déconstruction des a priori individuels s’engage dans une démarche d’intelligence collective.

1. La mise en œuvre du volet « dynamique de groupe » passe par un tutorat qui fournit des bases théâtrales aux étudiants, puis accompagne les sous-groupes tout au long du processus. Les étapes étalées sur deux jours sont les suivantes

2. une séance de trois heures est consacrée à des exercices de théâtre introduisant à l’expression de soi, corporelle et vocale, à l’écoute des autres, à la narration, à la mise en espace, aux règles de l’improvisation et au dialogue ;

3. les étudiants décident d’un scénario (un « pitch »), illustrant les thèmes observés, incluant un rôle pour tous les membres de leur sous-groupe et utilisant des objets trouvés dans la nature, comme accessoires, éléments de décors ou de costumes ;

4. ils répètent et réalisent au moins deux « filages » (c’est-à-dire deux présentations complètes du sketch joué, dans un état de travail intermédiaire) devant l’équipe encadrante. Cette dernière relève les points forts, marque quelques zones de progrès, suggère des idées. Les étudiants restent cependant maîtres de leur choix ;

5. les étudiants jouent devant tous leurs camarades et l’ensemble des encadrants (géologie, dynamique de groupe, direction du Corps de Mines) : ils présentent quatre sketchs de 15 min (qui sont par ailleurs filmés) ;

6. lors de la séance finale de débriefing en grand groupe (2h30), les thèmes traités sont réexaminés, généralisés, complétés et confrontés à des apports conceptuels, des références théoriques, des parallèles avec la vie dans les organisations. Les interprétations sont discutées, le champ des possibles validé, quand il n’est pas envisageable de trancher par un jugement de vérité.

Le passage par le sketch - qui désigne en anglais à la fois le « dessin » et la « saynète » théâtrale - présente plusieurs avantages pour travailler les préconceptions et les faire évoluer. Le théâtre fait voir les préconceptions. Il les rend manifestes, aux yeux de tous, en public, par un acte fort de représentation. Comme un jeu de rôle, il les fait vivre, et revivre, dans toute leur richesse, à la fois de l’intérieur et en interaction avec les autres. La mise en théâtre fait expérimenter des comportements émotionnels, corporels et cognitifs – qu’il s’agisse de clichés ou d’alternatives possibles à ces clichés. Le sketch théâtral entraîne une compréhension qui ne reste pas qu’intellectuelle. Celle-ci est dès lors mieux intégrée et retenue.

La mise en théâtre fait fortement évoluer les préconceptions, par l’improvisation et la créativité. Deux facteurs principaux expliquent les évolutions :

1. dans un premier temps, le processus de création est émaillé de discussions à propos des préconceptions : comment les mettre en scène, à quoi correspondent-elles, quels sont les effets qu’elles provoquent ? Déjà, par la discussion au début des répétitions, les positions évoluent, se complexifient, s’amendent, se diversifient ;

2. dans un second temps, les étudiants, pris par le processus créatif en répétition, oublient momentanément le thème de la dynamique de groupe. Ils se laissent guider par la logique théâtrale, par l’histoire, par leurs improvisations, par l’envie d’intéresser le public, par le plaisir. La logique théâtrale provoque des déplacements sur les préconceptions qui ne résultent pas d’un acte de volonté mûrement réfléchi, mais qui émergent des rebonds de la narration. Par exemple le bouc émissaire ne se laisse par faire, il prend le risque de s’opposer et peut, avec le temps, devenir le nouveau chef ; le petit dictateur affronte des révoltes et des scissions dans le groupe ; de nouveaux enjeux relationnels interdépendants apparaissent autour du thème illustré ; le conflit débouche sur une solution innovante et satisfaisante pour tous ; la rêverie apparaît comme un moment de détente qui prépare une phase plus productive du groupe ; le partage des rôles dans le groupe, qui s’annonçait au mieux, passe par une phase de chaos, etc.

Un point plus général à souligner est que la mise en fiction théâtrale libère certes l’imagination, mais une imagination qui se rapporte au possible du réel [Fournout, 2004]. Le destinataire découvre dans le récit fictionnel « une paraphrase de sa propre existence, au moins en partie » [Esquenazi, 2009]. Le sketch théâtral, comme le film long métrage, entre alors de plein droit dans les supports potentiels de formation [Fournout, 2005].

III. CLIP VIDÉO ET MÉCANIQUE CLASSIQUE

Depuis sa réforme pédagogique, mise en œuvre en 2000, l’École Polytechnique de Louvain (EPL) privilégie la pédagogie active, essentiellement au travers de l’apprentissage par problèmes (APP) et de travaux de groupes [Raucent et al., 2004]. À chaque rentrée académique, les quelque 360 étudiants qui intègrent la première année à l’EPL bénéficient d’un dispositif de formation particulier l’APP0. Les cours traditionnels sont remplacés par toute une semaine d’apprentissage par problème, en équipes de cinq à six étudiants [de Theux et al., 2006]. Il s’agit d’une semaine de socialisation des nouveaux étudiants, de découverte du contexte, ainsi que des méthodes pédagogiques et des exigences des études d’ingénierie civile dans lesquelles ils s’engagent. Mais les objectifs de cette semaine d’« immersion » sont plus ambitieux encore. Il s’agit en effet d’apprendre aux étudiants à travailler en équipe, à appliquer une méthodologie scientifique pour résoudre un problème, à communiquer les résultats d’un travail collaboratif et, par ailleurs, à (re)mettre à niveau des notions fondamentales (des prérequis disciplinaires) pour aborder leur formation universitaire.

D’une année à l’autre, les situations-problèmes proposées aux étudiants s’ancrent dans des champs disciplinaires différents. En septembre 2011, c’est la mécanique classique qui permettra de contextualiser cette première semaine de formation.
À leur entrée à l’université, les étudiants devraient maîtriser une série de lois et de concepts de la mécanique, dont celui de force et tous ceux lui étant associés (lois de Newton, force centripète et effet centrifuge, attraction, gravitation, frottement, chute libre, accélération, résultante de forces, etc.). Or, les enseignants de l’EPL constatent que ces concepts et ces lois sont fréquemment associés à des erreurs ou des lacunes. Dans l’optique de trouver un « remède » à cette situation, l’équipe d’enseignants en charge de la physique a conçu un projet innovant, en partenariat avec des enseignants de pédagogie, de didactique et d’épistémologie de la physique, ainsi qu’avec l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias de l’UCL.

III.1 Se faire piéger par des clips vidéo…

Le point de départ de ce projet consistera à projeter aux étudiants quelques clips vidéo pour : 1) faire émerger leurs conceptions initiales, 2) susciter des confrontations de celles-ci au sein des groupes et 3) prendre appui sur les conflits socio-cognitifs qui en résulteront, pour lancer les étudiants dans une démarche active d’apprentissage - « [.] une série d’investigations et de structurations progressives [.] » de connaissances nouvelles, telle que la préconise Giordan [1996].

III.2 Puis réaliser un clip destiné à piéger les copains

Là où le dispositif est réellement inédit à notre connaissance, c’est qu’il ne s’agira pas exclusivement de projeter des séquences vidéo aux étudiants, mais aussi de les outiller progressivement pour qu’ils puissent réaliser eux-mêmes, en équipe, un clip susceptible de déclencher l’explicitation des préconceptions de leurs camarades.
Ce projet se fonde sur l’hypothèse que le travail de scénarisation de ce clip vidéo sera l’occasion, pour chaque groupe, de faire le point sur leurs conceptions préalables, d’entrer en conflit à ce propos et de réaliser un apprentissage en profondeur. avant de mettre au point un scénario vidéo qui « tienne la route ».

L’objectif de production à atteindre en fin de semaine consistera, pour les groupes d’étudiants, à réaliser eux-mêmes un clip vidéo (prise de vue et montage compris) susceptible d’induire une « dissonance » cognitive chez les groupes travaillant sur une thématique et des concepts de mécanique différents. Cet objectif de production finale n’est, on l’aura compris, qu’un prétexte qui soutiendra les apprentissages des étudiants.

Au fil de la semaine, une succession de situations-problèmes amènera progressivement les étudiants à passer du rôle de spectateur d’un clip vidéo – un spectateur au regard critique –, à celui de scénariste puis de réalisateur. Les premières situations-problèmes seront construites autour de l’analyse de courtes séquences vidéo. Des vidéos qui présenteront différents « cas de figure », comme par exemple une situation qui semble possible mais qui entre en contradiction avec les lois de la physique, une situation apparemment fausse mais scientifiquement valide, une situations énigmatique par rapport à laquelle les étudiants devront prévoir le dénouement, etc. Il s’agira de développer le regard critique des étudiants, face à l’imagerie « populaire » - des extraits de films de (science) fiction, par exemple -, qui véhicule des conceptions naïves. Il s’agira aussi de développer chez les étudiants des aptitudes à la réflexivité leur faire prendre conscience qu’ils ont des préconceptions, et que les images « populaires » leur offrent des opportunités de questionner celles-ci et de les mettre en défaut. pour les faire évoluer. Les étudiants seront amenés à identifier ce qui peut constituer un obstacle cognitif, ce qui peut les amener à surmonter celui-ci et à intégrer de nouvelles connaissances scientifiques. Ce bilan réflexif leur permettra d’imaginer plusieurs grands types de scénarios vidéo possibles, pour stimuler les conceptions initiales de leurs camarades.

En fin de semaine, le meilleur clip - du point de vue de sa capacité à faire émerger les conceptions initiales des étudiants, et non pas du point de vue de la qualité de sa réalisation technique – sera projeté en grand groupe, pour permettre à l’enseignant d’introduire la séquence d’enseignement-apprentissage ultérieure.

Le dispositif en construction présente de multiples dimensions motivationnelles pour les étudiants, dont les principales sont :

1. l’intégration, dans le cadre d’un enseignement-apprentissage, d’images faisant partie de leur quotidien (films de fiction, clips publicitaires, extraits de journal télévisé, etc.) qu’il s’agira d’apprendre à regarder « autrement » ;

2. la possibilité de faire usage, dans le cadre d’un apprentissage, d’un outil technologique qui fait également partie de leur quotidien : leur GSM ou leur smartphone (pour filmer), à défaut d’un appareil photo numérique ou d’un caméscope ;

3. la possibilité de choisir les concepts de mécanique qui feront l’objet de leur clip vidéo, de les inscrire dans un contexte de leur choix (une thématique, un phénomène concret), d’écrire eux-mêmes le scénario et de réaliser la prise de vue et le montage à l’aide de logiciels opensource ou mis à leur disposition ;

4. le fait que le meilleur clip sera projeté en grand groupe à l’issue de la semaine, et que les étudiants eux-mêmes auront eu leur mot à dire dans la procédure de sélection.

IV. CONCLUSION

Les deux dispositifs de formation d’étudiants ingénieurs civils présentés dans cette communication s’ancrent dans des champs disciplinaires très différents : la dynamique de groupe d’une part, la mécanique classique d’autre part. Ils présentent cependant des points communs importants :

1. ils visent tous deux à faire émerger des préconceptions, en vue de lever l’obstacle à un apprentissage en profondeur par les étudiants ;

2. ils exploitent le groupe comme « résonateur », pour faire émerger les préconceptions de chacun des membres de l’équipe ;

3. ils proposent une tâche qui a du sens pour les étudiants, qui apprécient généralement inventer des sketchs et réaliser de courtes séquences filmées ;

4. ils familiarisent les étudiants avec des modes de médiatisation courants aujourd’hui, notamment sur internet, et qui font la part belle à la mise en scène du quotidien ;

5. et enfin, ils confèrent à l’enseignant un rôle différent il n’est plus un « magister » qui dénonce leurs erreurs et/ou leurs lacunes, mais un « metteur en scène » qui conçoit des situations d’apprentissage stimulantes et accompagne les étudiants dans leur résolution [de Theux et al, 2006].

Ces deux dispositifs sont complexes à mettre en œuvre, surtout lorsqu’ils concernent de grandes « cohortes » d’étudiants. Mais peut-on envisager sérieusement de construire une séquence d’enseignement-apprentissage durable sur des
« fondations » instables et douteuses, des conceptions familières ? Est-il réaliste de penser qu’il suffit d’informer les apprenants des limites de leurs préconceptions, pour que celles-ci évoluent ? N’est-il pas, enfin, utopiste de croire qu’un apprenant puisse seul donner du sens au travail long et douloureux qui consiste à faire évoluer radicalement ses préconceptions, condition sine qua non de tout apprentissage non superficiel ?

RÉFÉRENCES

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Bourgeois, E. et Chapelle, G. (2006). Apprendre et faire apprendre. Paris : Presses Universitaires de France.

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De Brabandere, L. et Mikolajczak, A. (2009). Petite philosophie de nos erreurs quotidiennes, Paris : Eyrolles.

De Theux, M.-N., Jacqmot, C., Wouters, P. et Raucent, B. (2006). « Comment préparer les étudiants à la pédagogie active ». In Vander Borght, C. et Raucent, B. (dir). Magister ? Metteur en scène ?, Louvain-la-Neuve De Boeck (Collection « Pédagogies en développement »), pp. 304-313.

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Esquenazi, J.-P. (2009). La vérité de la fiction. Comment peut-on croire que les récits de fiction nous parlent sérieusement de la réalité ?, Paris : Hermes, Lavoisier, p.18.

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