Des "s" manquants, des participes passés incorrects, des accents envolés ou l’usage hasardeux de certaines règles grammaticales… Les rapports ou mémoires des étudiants regorgent souvent de fautes d’orthographe, à un point même impensable et inadmissible à ce niveau d’études !
Certes, mais une question se pose ici : à qui la faute ? Aux étudiants, prisonniers du dilettantisme ou de l’ignorance ? Aux enseignants, peu concernés par le problème et qui laisseraient bafouer sans vergogne l’excellence orthographique ? Ou aux uns comme aux autres, responsables à l’identique et, partant, un sursaut collectif pourrait-il éteindre cette attristante bérézina du français ?
La robustesse des faits
Suivant notre expérience, le phénomène affirme sa permanence et son ampleur. En effet, au tamis de nos propres statistiques, l’on dénombre invariablement 15 à 20 fautes en moyenne pour des écrits de 10 à 20 pages. Ni aggravation, ni amélioration au cours des années, cette réalité s’impose au fil des générations.
Le détail des fautes
Une récente analyse portant sur 572 fautes extraites de 34 rapports de stage, met en lumière cette typologie des inexactitudes, reliées pour :
– 18.30 % à des fautes de frappe aboutissant à des non-mots (scucture pour structure) ou des mots bien écrits mais inappropriés (une enquête de satisfait pour une enquête de satisfaction) ou encore à l’ajout/oubli malencontreux d’un mot dans la phrase (j’étais face à aux réalités sociales) ;
– 24 % à un mauvais accord du participe passé, après le verbe "avoir" (les compétences que j’ai mobilisé) ou le verbe être (cette mission est annulé) ;
– 20,4 % à des pluriels de substantifs oubliés (les client) ou ajoutés au singulier (l’entreprises) ; 10,90 % à de mauvaises terminaisons d’adjectifs qualificatifs, en genre (des tâches variés) ou en nombre (des offres orientée) ;
– 6,20 % à des terminaisons de verbes erronées (le domaine du luxe essaient de progresser) ;
– 20,20 % à des mots mal écrits dont 6,75 % à l’intérieur de leurs corps (palier pour pallier), 8 % à cause d’accents (grace pour grâce), 2,85 % faute de traits d’union (c’est à dire au lieu de c’est-à-dire) et 2,60 % en vertu de règles grammaticales mal appliquées (des tâches tels que les travaux administratifs pour des tâches telles que les travaux administratifs).
Une gravité toute relative
A vrai dire, cette radiographie lexicale s’inspire pas d’inquiétude. Une large majorité des fautes – en agrégeant les erreurs de frappe, le pluriel des noms, les terminaisons de verbes et les participes passés (à supposer que leur règle soit connue) – relève sûrement de l’inattention. Bien peu fréquentes sont les erreurs touchant le corps des mots : apporter avec un seul "p" ou schéma sans le "c" ne se trouvent guère. Et les mots rares tels que pérennité, hermétique, grief…, sont généralement bien écrits. Les chiffres démontrent ainsi, contre une opinion assez répandue, que les étudiants sont loin d’ignorer l’orthographe !
Quand l’expertise piège
Il existe même ce que l’on nomme des fautes d’experts, directement dépendantes des savoir-faire automatisés dans l’art d’écrire. Par exemple, l’habitude prise d’accorder le verbe avec le sujet qui le précède, pourra conduire à une conjugaison impropre, comme ici : La réflexion sur mes missions prenaient du temps, où le verbe s’accorde inopportunément avec missions qui le devance et non avec réflexion qui s’en trouve plus éloigné.
La difficulté ordinaire d’écrire
Lorsqu’un texte est saisi à l’ordinateur, il est "normal" qu’en toute fin il renferme quantités de mots "abîmés". A cela, deux principales raisons. D’abord, la difficulté de l’écrit qui « devient diabolique » quand il « se démultiplie en des milliers de règles » [1] que nul ne peut se prévaloir de connaître parfaitement. Ensuite, les capacités restreintes du cerveau humain qui dispose de ressources attentionnelles limitées [2] : en rédigeant, nous allouons beaucoup d’énergie attentionnelle à la construction du sens de sorte qu’il en reste peu pour la supervision de la forme et, qu’inconsciemment, beaucoup d’incorrections surviennent.
Relecture et doute orthographique
Ainsi, pour s’améliorer, faut-il retenir cette connaissance de soi : l’on n’est infaillible ni du côté du savoir, ni du côté de l’attention volontaire.
Afin de traquer nos scories orthographiques, le remède sera la relecture scrupuleuse. Non pas une, mais plusieurs. Et pour se donner plus de chances encore de les éliminer, prévoir une relecture par un tiers qui remarquera souvent ce qui aura échappé à notre vigilance.
Quant aux mots et règles grammaticales mal maîtrisés, l’idée ne sera pas de les assimiler complètement mais, plus raisonnablement, de cultiver le doute orthographique systématique : chaque dilemme devra être levé à l’aide d’un dictionnaire. C’est là une condition décisive du progrès.
Les aléas des correcteurs automatiques
Une solution généralement présentée comme radicale, est l’usage des logiciels correcteurs. Certes, il en existe de très performants. Mais aucun n’est parfaitement fiable. Ils peuvent buter sur la grammaire, la conjugaison, mal analyser les phrases trop ambiguës, parfois signaler des erreurs imaginaires et même transformer le sens des phrases par de mauvaises indications de corrections [3].
Et puis, adopter ces béquilles mentales, c’est lâcher la proie pour l’ombre car elles empêchent d’apprendre. A contrario, ce qui fait gagner en compétence et liberté, c’est la manipulation par soi-même des mots, assidue, persévérante. L’orthographe est un "exercice de l’œil", disait Victor Hugo : c’est bien à les triturer en tous sens que l’on finit par en fixer l’exacte photographie [4].
La responsabilité des étudiants
Le grand tort des étudiants est de délaisser l’orthographe, comme pris par le "syndrome du premier jet" : la relecture devient pour eux facultative, tout comme l’effort qui l’assaisonne. Si l’orthographe suppose moins un exercice d’intelligence que de volonté [5], comme le pensait Alain, c’est bien "vouloir" qui leur fait défaut ici !
La responsabilité des enseignants
Aux enseignants, nous pouvons faire grief d’oublier la nature des apprenants qui, dans l’ensemble, agissent suivant un principe de viabilité [6] : plutôt que de viser la performance, ils ajustent leur investissement au contexte dans lequel ils sont [7]. Autrement dit, s’ils négligent l’orthographe, c’est parce que leur environnement scolaire le permet et qu’ils ne risquent rien pour cela.
Pour endiguer le problème, il faut donc opposer aux étudiants un cadre contraignant faisant obstacle à leur laisser-aller : la première fois où nous avons instauré un système explicite de sanctions sur l’orthographe (des points retranchés sur la note d’évaluation), la moyenne des fautes a été divisée par deux !
Le rôle institutionnel
Mais l’affaire n’est pas simple, cela doit s’organiser ! D’abord en montrant, comme pour toute compétence engageant les étudiants dans l’action, l’importance du but aux yeux de l’institution [8], révélée ici par : l’enjeu du confort cognitif du lecteur car toute erreur ralentit ou stoppe le processus de lecture [9] [10] ; l’enjeu professionnel puisque mal orthographier peut faire échouer dans la compétition à l’embauche [11] ou dans l’entreprise [12].
Ensuite, en libérant les enseignants du contrôle de l’orthographe car leurs missions étant multiples [13], ils n’ont guère de temps pour de nouvelles tâches. Pour cela, les cellules pédagogiques doivent créer des équipes et des outils technologiques spécialement dédiés à l’évaluation de l’orthographe, les enseignants n’ayant plus qu’à en recueillir les données.
Si tel devient leur souhait, il sera alors indispensable d’y mettre le prix. Bernard Rentier, Recteur de l’université de Liège, souligne merveilleusement bien ce paradoxe : obtenir des étudiants qu’ils deviennent actifs et autonomes, nécessite beaucoup de gens et de moyens autour d’eux ! [14] Dans une perspective d’efficacité, intégrer cette réalité deviendra plus que nécessaire.
Symbiose pédagogique
El prblème ed l’ortohgrphe ne srea avincu que si stroi aprties s’mipliqeunt [15]. Les institutions, en inscrivant la maîtrise orthographique au panel des compétences larges à acquérir et en imaginant les moyens pour y parvenir. Les professeurs, ensuite, en relayant collectivement et avec autorité dans leurs classes l’attachement institutionnel pour la qualité de l’écrit. Les étudiants, enfin, en acceptant l’autorité coercitive des enseignants, non pas brutale mais pleine de bon sens et pour leur développement, à l’image de la colombe de Renaud Bosc : « Et si un obstacle s’avance, ne le laisse pas t’estourbir, prend le comme une chance, une occasion de te grandir. » [16]
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