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Sécurité sociale de l’alimentation et expériences locales par Ingénieurs sans frontières

17 septembre 2020 par ISF-AgriSTA Ingénieurs sans frontières 397 visites 0 commentaire

Un article repris de https://isf-france.org/node/1481

Idées pour avancer vers une socialisation de l’agriculture et de l’alimentation à une autre échelle que le territoire national, avec des projets de terrain

Un articlerepris d’Ingénieurs sans frontières, une publication sous licence CC by

Le travail théorique que nous avons produit jusque-là sur la sécurité sociale de l’alimentation n’est pas terminé, loin de là. Nous continuons à le travailler, et vos contributions sont les bienvenues !

La sécurité sociale de santé a été construite en fusionnant plusieurs systèmes de sécurité sociale qui lui préexistaient, de différentes origines[2]. De la même manière, une des conditions pour qu’un projet de généralisation de l’accès de tous et toutes à une alimentation de qualité et choisie voit le jour nous paraît être que la réalisation du droit à l’alimentation soit déjà effective sur des parties du territoire, avec des citoyen·nes, des élu·es, mobilisé·es et conscient·es des enjeux, qui font vivre l’utopie. Ainsi, la mise en lumière et l’essaimage des initiatives existantes sont à la fois des objectifs de notre action et des conditions indispensable à sa réalisation totale. Ils participent pleinement à la nécessité de partager l’urgence de la mise en place d’une démocratie alimentaire.

Différentes initiatives nous ont contacté pour se former sur les enjeux agricoles et alimentaires et s’inspirer du projet de sécurité sociale de l’alimentation afin d’envisager des mesures à mettre en œuvre sur leurs territoires : à l’échelle d’un quartier, d’une municipalité, d’une communauté de commune... Dans la mesure du possible, ISF-Agrista est volontaire pour appuyer les démarches de mouvements qui souhaitent prendre en compte les enjeux soulevés dans le projet de sécurité sociale de l’alimentation.

De nombreuses initiatives nous permettent aujourd’hui de nous appuyer sur leurs expériences pour penser l’organisation d’une sécurité sociale de l’alimentation : l’existant est en partie déjà là, nous souhaitons participer à le mettre en avant, à valoriser ce qui est fait et à contribuer à l’essaimage de ces pratiques.

En revanche, expérimenter la mise en place concrète du système sur différents territoires ne pourra être une expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation en tant que telle : l’échelle nationale et son caractère universel, le financement mis en place par des cotisations ne sont pas envisageables à l’échelle locale. Néanmoins, se réapproprier cette question sur les territoires peut aussi se concrétiser par la mise en place d’actions, de projets qui avancent vers la démocratie alimentaire. Dans ce document, nous présentons quelques expériences, des projets portés par des collectifs ou des mesures politiques prises par des élu·es. Egalement, si vous souhaitez vous revendiquer d’une sécurité sociale de l’alimentation, n’hésitez pas à inclure cette « pensée globale » dans vos « actions locales » !

Attention cependant : l’alimentation est systémique, les politiques publiques d’alimentation aussi, et doivent le plus possible toucher l’ensemble du système alimentaire. Partir de ce que la population souhaite manger et donner à tous·tes l’accès à ces produits est la base de la remise en cause du système agroalimentaire industrialisé aujourd’hui et des politiques à envisager, même au niveau local.

Ainsi, nous espérons que vous pourrez trouver dans ce document une source d’inspiration, de mutualisation de pratiques ! Nous avons organisé ce document en quatre parties, avec un bref retour sur les enjeux et les propositions qui correspondent.

1) Revoir l’aide alimentaire

fournie par les associations ou centres sociaux de distribution locale. Souvent, les aliments distribués proviennent des surplus de l’agro-industrie, ce qui permet aux industries agro-alimentaires de justifier l’intérêt de leur surproduction par l’aide aux populations précaires et de bénéficier de réductions fiscales (loi Garot). Parallèlement, pour les personnes ayant recours à cette aide, récupérer des invendus dégrade encore un peu plus leur dignité[3]. La lutte contre le gaspillage alimentaire ne doit pas être réalisée par l’aide alimentaire, qui forcément gaspille d’autant plus, mais en amont en réfléchissant aux manières de produire.

Ce qu’il se fait sur des territoires face à cela :

 Inciter et donner les moyens (financier et matériel) aux associations d’aides alimentaires de fournir une alimentation choisie par les personnes qui en bénéficient, premier gage de la « qualité » de la nourriture. Ceci peut se faire en facilitant les liens entre producteur·rices et associations d’aide alimentaire (voirprojet alimentaire territoriale en terre de Lorraine).

 Promouvoir des systèmes d’aide alimentaire qui prennent en compte l’envie des personnes en termes d’alimentation, pour remettre le·la mangeur·euse au centre de son alimentation et avancer vers la démocratie alimentaire (voir le travail fait avec les épiceries solidaires en AURA – projet Accessible). Comme à Brest dans le quartier de Keredern (projet Accessible), des centres sociaux peuvent être organisateurs de lieux d’approvisionnements de produits de qualité. Ou encore, le travail fait avec l’association VRAC pour faciliter l’achat de produits alimentaires par des personnes en situation de précarité alimentaire.

 Créer de nouvelles formes de solidarités alimentaires à partir d’autres acteur·rices : AMAP, magasins de producteur·rices, biocoop, coopératives de consommateur·rices (ces dernières expérimentent déjà souvent la démocratie dans le choix des produits qu’elles vendent !)… La mise en place de paiements en fonction du quotient familial, ou de dons possibles à ces structures (parfois grâce à des alliances avec des organisations de l’aide alimentaire, qui permettent grâce à la défiscalisation des dons de démultiplier l’accès solidaires à ces produits, ou bien en récupérant un financement de l’aide alimentaire) permettent de réinventer de nouvelles formes de solidarité alimentaire (voir l’exemples des paniers marseillais ou d’Optim’ism à Lorient, financé par l’université de Bretagne et lesCCAS de certaines communes, ainsi que les actions du GAB65), . Attention, sur ce type d’initiatives, à la visibilisation des personnes, et aux critères pour qu’elles en bénéficient. La plus grande discrétion dans la gestion des données, et la confiance dans le système déclaratif sont à favoriser !

 Lors du confinement, une nouvelle actrice est venue organiser de nouvelles formes d’aides alimentaires : la CNAF, qui en lien avec des organisations agricoles, a décidé de financer des paniers de produits frais aux plus défavorisés. Une mise en place a eu lieu à Lille et à Brest, à démultiplier !

Acteur·rices à mobiliser :

Aide alimentaire : banques alimentaires, secours populaire, Resto du cœur ou Croix Rouge pour les principaux. Secours Catholique, ATD quart monde, SAMU social plus rarement. En fonction de la dynamique locale, ces acteur·rices seront plus ou moins enclin·es à s’impliquer pour transformer leur fonctionnement.

Centres sociaux : contactez les CCAS !

2) Palier aux non-recours et difficultés pour se nourrir avec des produits bruts.

Un certain nombre de travaux montrent aussi qu’une grande partie de personnes ne passent plus par les associations d’aide alimentaire et peuvent éprouver également des difficultés matérielles (accès aux matériels et temps) pour se préparer à manger et se nourrir.

Ce qu’il se fait sur les territoires :

 Mettre en place des espaces collectifs pour cuisiner (un peu comme les bains/douches municipaux). Ces espaces pourraient aussi être des lieux d’échanges de pratiques et de convivialité. Exemple de la cuisine collective au palais de la Femme (qui a complété ce dispositif avec une aide de 5€ par jour et par personne pour se nourrir).
 Avoir un restaurant collectif public ouvert le midi pour tous·tes, comme c’est le cas à Lons-le-Saunier dans le Jura. Le prix des repas pourrait être mesuré selon les niveaux de revenu des personnes, et on peut également penser son ouverture le soir. Le choix des menus et des approvisionnements pourrait dans l’idéal être décidé par des collectifs d’usager·ères, ce qui peut avoir un impact fort sur la production agricole locale.

3) Assurer la bonne rémunération et de bonnes conditions de travail aux acteur·rices de l’approvisionnement alimentaire.

Certain·es agriculteur·rices souffrent du manque ou de l’instabilité de débouchés sûrs et constants dans le temps. D’autres hésitent à effectuer des transitions de systèmes de production de par l’absence de débouchés sécurisés pour assurer l’écoulement de leurs productions. De plus, pour les jeunes agriculteur·rices cherchant à s’installer les difficultés d’accès à la terre sont immenses et sont accentuées par l’accaparement des terres par des fonds privés.

Ce qu’il se fait sur les territoires :

 Assurer la bonne rémunération pour les fournisseur·euses des produits alimentaires, de trois manières possibles :

  • En basant les marchés publics sur les principes du commerce équitable pour contractualiser avec les fournisseur·euses (contrat prix-volume garanti de façon pluriannuel et travail sur le prix à partir du coût de revient des produits, avec une prime de développement agricole)
    -* En investissant dans des structures associatives ou coopératives permettant d’approvisionner la collectivité tout en donnant la possibilité à chaque acteur·rice de la filière (des paysan·nes aux mangeur·euses en passant par les salarié·es de la structure et les élu·es de la collectivité - voir les structures du réseau Inpact) d’être entendu·e et de participer aux décisions (comme les SCIC manger bio créées par le réseau FNAB).
  • En salariant les producteur·rices de l’alimentation (agriculteur·rices et transformateur·rices, légumerie par exemple) qui fournissent les restaurants collectifs dans le cadre d’une régie publique de l’alimentation (voir la commune de Mouans Sartoux).

 Intégrer un volet foncier dans les projets alimentaires territoriaux. Par exemple en achetant des terres ou en soutenant des fonciers solidaires et environnementaux (ex : Terre de Liens, Lurzaindia, etc.) afin d’installer des agriculteur·rices à proximité qui pourraient ensuite les fournir.
 Assurer la préservation du foncier agricole plus généralement, en abandonnant tous les GP2I (grands projets inutiles et imposés) gourmands en terres agricoles. On peut mettre en œuvre volontairement le principe de zéro artificialisation prévu dans le plan biodiversité gouvernemental de 2018 (cf. Rapport France Stratégie de 2019).
- Mettre en œuvre une politique d’installation paysanne en collaboration avec les membres des réseaux de type Inpact et Fnab afin d’assurer le renouvellement des générations agricoles nécessaire à la production d’une alimentation de qualité sur les territoires.

Acteur·rices avec lesquels discuter : membres du réseau Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale (Inpact) – Réseau Civam, Afocg, Terre de liens, Fadear, Atelier paysan, Nature et Progrès, Miramap, Solidarité paysans -, Fédération d’agriculture biologique (Groupements d’agriculture biologique, Civam bio, etc.), syndicats agricoles (Confédération paysanne, Modef).

4) Améliorer l’appropriation des thématiques agricoles et alimentaires par les citoyen·nes.

Aujourd’hui les sociologues notent une distanciation importante entre les producteur·rices et les mangeur·euses. Cette distanciation provient en partie de l’industrialisation de l’agriculture. Il semble donc pertinent de permettre aux citoyen·nes de se réapproprier ces enjeux ainsi que leur alimentation pour pouvoir ensuite construire leur positionnement et leur avis.

Nous incitons toute personne motivée par une sécurité sociale de l’alimentation à :

 Collaborer et soutenir toutes les initiatives populaires permettant cette réappropriation, notamment les associations d’éducation populaire pour qu’elles puissent faire émerger les débats auprès de nombreux publics.
 Défendre les aides aux actions sociales et de prise en charge des maladies nutritionnelles et de malnutrition. En effet, les difficultés que rencontrent certaines familles pour se nourrir sont en grande partie liées à des difficultés sociales plus importantes que celles de ne pas connaître les principes de la nutrition. Il est selon nous très important de poursuivre l’accompagnement et le soutien de ces familles par les actions sociales et d’éviter d’utiliser l’alimentation comme un vecteur supplémentaire de discrimination.
 Proposer un accès pour toutes et tous, sans conditions de ressource, à des consultations gratuites ou à somme modique de nutritionnistes et/ou diététicien·nes afin de permettre de se construire une alimentation en rapport avec ses besoins propres.
- Mettre en place des débats publics sur les enjeux agricoles et alimentaires du territoire, et leur inscription dans des dynamiques territoriales plus larges.

Document rédigé par les membres d’ISF-Agrista
qui travaillent sur le projet de sécurité sociale de l’alimentation.

[1] Voir la page « Pour une sécurité sociale de l’alimentation » : https://www.isf-france.org/articles/pour-une-securite-sociale-de-lalimentation

[2] Voir notre article « Une histoire de la sécurité sociale » https://www.isf-france.org/articles/une-histoire-de-la-securite-sociale

[3] Voir les travaux d’ATD Quart Monde « Se nourrir lorsqu’on est pauvre »
15 septembre 2020

Licence : CC by-sa

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