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Comment la reconnaissance favorise-t-elle les apprentissages ?

La notion de reconnaissance, lorsqu’elle est reliée aux apprentissages universitaires, tend à déplaire. En effet, l’on tient souvent pour regrettable que des étudiants en âge d’être adultes ne puissent travailler gratuitement, de manière désintéressée, sans penser à recevoir une gratification en contrepartie. Si l’on accepte volontiers, pour nos écoliers, la distribution de bons points ou d’images en récompense d’un travail bien fait, toute expression de gratitude semble beaucoup moins spontanée quand elle est dirigée à l’attention des plus "grands".

Cette vision de la reconnaissance se justifie-t-elle ? Ne devrait-on pas, au contraire, lui accorder une place plus grande dans l’éducation des étudiants-adultes ?

Impact de la reconnaissance sur les apprentissages

Pris dans son sens commun, le mot "reconnaissance" désigne « l’acte par lequel on manifeste de la gratitude à quelqu’un ». Il s’arrime étroitement à l’idée d’identité, puisque reconnaître une personne, c’est lui « témoigner l’importance de son action » et ainsi l’aider à « s’identifier et être identifiée socialement » [1]. Simone de Beauvoir le notait avec sagacité : « L’individu ne reçoit une dimension humaine que par la reconnaissance d’autrui » [2].

Toutefois, et c’est là tout son intérêt, l’étymologie renseigne sur des éléments plus inattendus et profonds du concept. "Reconnaissance" se décompose en trois parties : re-co-naissance ; "re" voulant dire "à nouveau", "co" signifiant en latin "avec" ou "en collaboration avec", et "naissance" d’origine latine nascere, se traduisant par "naître" ou, par extension, "produire" [3].

À propos d’apprentissages, re-co-naissance signifierait donc "production toujours renouvelée d’une tâche, d’un exercice, en collaboration avec l’enseignant (l’agent de la reconnaissance)". Ainsi, au-delà de son sens courant, la "reconnaissance" s’interprète comme une condition fondamentale de la réussite, par l’activité dynamique qu’elle engendre.

La science moderne confirmera cette réalité inscrite dans le langage, en démontrant que le cerveau humain renferme une structure neuronale nommée faisceau de la récompense, fonctionnant ainsi : lorsqu’un sujet reçoit une gratification, celle-ci met en jeu le faisceau de la récompense qui déclenche chez lui un état de plaisir mais aussi, et surtout, le pousse à reproduire l’expérience gratifiante afin de retrouver la sensation de plaisir éprouvée [4].

S’agissant des études, l’on devine aisément l’avantage d’une telle disposition : si un élève réussit une tâche prescrite et si, dans la foulée, son professeur le gratifie par l’attribution d’une bonne note ou des paroles positives, la stimulation de son faisceau de la récompense créera un effet de plaisir ou de satisfaction qui l’incitera, plus tard, à réitérer ses efforts pour revivre les mêmes émotions. Lequel réinvestissement dans le travail sera évidemment excellent, voire décisif, pour consolider ses acquis ou apprendre quelque chose de nouveau.

Valeur de la récompense et performance

En 2011, des chercheurs de l’Inserm [5] ont découvert que l’apprentissage d’une tâche motrice simple pouvait dépendre de la valeur de la récompense offerte : les participants de l’étude – tous adultes volontaires – exécutaient plus vite l’épreuve lorsque la gratification était de dix euros que lorsqu’elle était moindre.

Pistant la cause du phénomène, ils mirent en évidence que le taux de sécrétion de dopamine (appelée aussi l’hormone du plaisir) dans le circuit de la récompense était corrélé à l’augmentation de la valeur de la rétribution : plus la récompense monétaire était élevée et plus la libération de dopamine dans le système de récompense était accrue.
La sécrétion de dopamine exerçait dans ce contexte un double effet positif pour apprendre : d’abord, motiver davantage les sujets [6] dans l’exécution de la tâche ; favoriser leur motricité, ensuite, la dopamine renforçant également le contrôle des fonctions motrices.

Reconnaissance et liens sociaux : des souris aux humains

Une expérimentation ancienne [7] consiste à placer deux groupes de souris, A et B, à l’entrée d’un labyrinthe afin qu’elles l’apprennent. Aux premières, une récompense est offerte sous forme de nourriture à chaque fois qu’elles sortent du labyrinthe ; aux secondes, en revanche, rien n’est donné.

Qu’observe-t-on d’un groupe à l’autre ? Les souris A, au début, commettent beaucoup d’erreurs (impasses) avant de trouver la sortie. Mais au fil des passages, les erreurs disparaissent jusqu’à ce qu’elles réussissent à traverser le labyrinthe sans la moindre hésitation. Les souris B, quant à elles, commencent par progresser mais rapidement atteignent un plafond de performance : leur apprentissage s’interrompt bien avant qu’elles sachent le labyrinthe par cœur. Preuve que la gratification détermine fortement l’issue de l’apprentissage, qu’elle agit comme un stimulant pour répéter la tâche en cherchant à retenir les essais utiles et éliminer les actes parasites [8].

Mais la vraie originalité de cette expérience tient dans son prolongement. Astucieusement, elle prévoit de regarder ce qui se passe quand les souris B deviennent, à leur tour, gratifiées.

Le résultat surprend. En effet, si, à partir de leur plafond de performance atteint pendant la première phase expérimentale (appelons-le niveau N), les souris B sont récompensées, elles rejoignent très vite la performance optimale, bien plus vite que les souris A ne l’avaient fait à partir de ce même niveau N. Les chercheurs interprétèrent cet événement ainsi : les souris B, que l’on pense limitées dans leur apprentissage faute de récompense, en réalité, apprennent le labyrinthe, mais elles le cachent ! Tout se passe comme si, finalement, elles cherchaient à dissimuler leurs progrès à celui qui ne prenait pas soin de reconnaître leurs efforts. À l’inverse, soudain valorisées, elles semblent promptement vouloir montrer ce qu’elles savent faire !

La reconnaissance, en plus d’entretenir la motivation à produire, agirait donc aussi comme un ferment relationnel, un ferment d’ouverture social en direction de celui qui vous reconnaît. « Quand la reconnaissance se fait, les confidences s’en suivent » [9], écrivait Alexandre Dumas. Ce qu’il est assez simple de vérifier, empiriquement. L’étudiant gratifié, valorisé, reconnu, – précisons authentiquement, car sans sincérité une récompense incommodera – sera enclin à communiquer plus intimement avec l’enseignant, lui montrer l’avancée de son travail, faire état de ses réussites ou de ses difficultés plutôt que de les garder pour lui-même, bref, s’ouvrira à des échanges sociaux qui l’aideront à progresser plus amplement encore.

La reconnaissance à tout âge

Nous venons de le voir, la reconnaissance est indissolublement liée à l’apprentissage. De trois manières. Elle le supporte moralement, en motivant par le plaisir induit et à reconquérir. Elle le supporte techniquement : on re-produit, on répète en mémorisant l’utile. Et puis, elle contribue à le socialiser : on re-produit avec, un avec qui ne renvoie pas seulement à celui qui gratifie, mais surtout à celui dont on se rapproche pour communiquer et collaborer véritablement.

Dès lors, loin d’y voir quelque puérilité, nous insisterons toujours pour que la reconnaissance trouve sa place dans les systèmes d’enseignement, notamment dans le supérieur. Certaines pédagogies émergentes, comme la gamification [10] des cours, en tiennent largement compte aujourd’hui. De ce point de vue, il faut en apprécier la pertinence.

Licence : CC by-sa

Notes

[2De Beauvoir, S. (1960). La force de l’âge. Gallimard, Édition Folio, 1982, p. 711.

[4Olds, J. et Milner, P. (1954). Positive reenforcement produced by electrical stimulation of septal area and other regions of rat brain. Journal of Comparative and Physiological Psychology, n° 47, pp. 419-427. /et/ Laborit, H. (1994). La légende des comportements. Flammarion.

[5Jeanblanc, A. (2011). Recevoir une récompense permet d’apprendre plus vite. Le Point.fr ; https://www.lepoint.fr/editos-du-point/anne-jeanblanc/recevoir-une-recompense-permet-d-apprendre-plus-vite-29-08-2011-1367690_57.php

[6Article / Les effets de la dopamine. http://dopamine.fr/effet-de-la-dopamine/

[7Cette expérimentation a été relevée sur les bancs de l’université. Malheureusement, j’ai perdu la trace de ses auteurs.

[8Reboul, O. (1995) Qu’est-ce qu’apprendre ? PUF

[9Dumas, A (1853). La comtesse de Charny. Volume II.

[10La gamification est un procédé pédagogique visant à faciliter l’apprentissage en prenant en compte une série de besoins psychosociaux pouvant être satisfaits par le jeu : le besoin de responsabilité, le besoin de défis et le besoin d’appartenance à un groupe. Il intègre un système attractif de niveaux à grimper, de feedbacks immédiats et de récompenses, augmentant la probabilité que les actions soient répétées dans un contexte d’apprentissage. (In Livret 2 - Milles et une façon d’engager vos étudiants dans vos enseignements, édité par GEM – LeD, mai 2019, p. 61)

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