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De la difficulté d’enseigner la modélisation à un public hétérogène de physiciens, de mécaniciens et de chimistes. Apprentissage par projet dans le contexte d’un module pluridisciplinaire en deuxième année de Master.

22 octobre 2019 QPES 2019 440 visites 0 commentaire

La mise en place d’un apprentissage de type par projet dans le cadre d’un enseignement pluridisciplinaire au niveau Master 2 est présentée dans cette communication. Cet enseignement concerne un public hétérogène de physiciens, mécaniciens et chimistes répartis sur 4 différentes filières de Master. Après une présentation de l’architecture du module, une critique de ce module est réalisée en se basant sur les résultats de trois ans d’évaluations par les étudiants. Il apparait que, bien que ce type d’approche pédagogique soit plutôt favorablement accepté et quelle favorise le développement de compétences plutôt transversales, sa mise en pratique peut s’avérer délicate si la collaboration ou la coopération au sein de l’équipe pédagogique n’est pas correctement mise en place.

Un article par Franck Jolibois, Patricia Cathalifaud, Nicolas Destainville, Mathieu Nodot, Marion Noël, communication au colloque QPES 2019, "(Faire) coopérer pour (faire) apprendre ?", une publication sous licence CC by sa nc

FRANCK JOLIBOIS, PATRICIA CATHALIFAUD, NICOLAS DESTAINVILLE
Université Toulouse III - Paul Sabatier
135 Avenue de Rangueil, 31077 Toulouse cedex 4 – franck.jolibois@univ-tlse3.fr

MATTHIEU NODOT, MARION NOEL
Service d’Appui à la Pédagogie, Université Toulouse III - Paul Sabatier

1. Introduction – Contexte

Enseigner une matière réputée difficile auprès des étudiants demeure une tâche délicate pour les enseignants que nous sommes. La notion de modèle et la nécessité de modéliser fait partie intégrante des sciences et l’importance de la modélisation en physique, en mécanique et en chimie et dans les filières scientifiques en général n’est plus à démontrer. Néanmoins, cette discipline attire encore peu d’étudiants et les filières proposant ces enseignements sont souvent en sous-effectif. Notre première tentative d’enseigner la modélisation à un public hétérogène de physiciens et de chimistes remonte à la précédente accréditation (2011-2016). Cet enseignement dispensé en deuxième année de Master s’adressait à des étudiants des filières « physique du vivant » et « chimie santé » de l’Université Toulouse 3 -Paul Sabatier. Basé sur un enseignement traditionnel incluant des cours magistraux et quelques travaux pratiques, la motivation des étudiants avaient du mal à être maintenue tout au long du semestre. De plus, combiné à des résultats souvent médiocres, l’engagement des étudiants dans cette matière était le plus souvent superficiel et l’enthousiasme des enseignants à faire vivre ce module était en déclin.

Dans un tel contexte, une réflexion a été menée afin d’améliorer cet enseignement et de le rendre plus attractif et plus motivant à la fois pour les étudiants mais aussi pour les enseignants. Dans cette réflexion, une contrainte supplémentaire est apparue:celle de mutualiser cet enseignement entre plusieurs masters,dont les effectifs sont régulièrement en tension,sous peine de voir ces derniers fermés faute d’un nombre suffisant d’étudiants. Les masters concernés sont le Master Chimie –parcours « Chimie –Santé » et « ChimieThéorique », le Master « Physique du Vivant » et le Master « Mécanique du Vivant ».

Plusieurs pistes ont été envisagées mais la volonté de rendre les étudiants acteurs de leur apprentissage a été un point central partant du constat que « l’étudiant ne s’approprie les savoirs qu’à travers une activité, suscitée par des conditions et des situations d’apprentissage. » (Perrenoud, 2012, p.73). D’autre part, le fait de devoir mutualiser cet enseignement nous a confrontés au problème que les objectifs pédagogiques ne sont pas forcément concordant entre les quatre filières de Master. Malgré l’existence de quelques objectifs pédagogiques communs (choisir le modèle de modélisation le plus adapté et le mettre en œuvre, présenter les résultats en adaptant son discours à son interlocuteur), le niveau attendu n’est pas le même selon les filières. C’est pourquoi, notre réflexion nous a conduits à envisager une méthode d’apprentissage par projet comme méthode de choix pour ce module. Même si d’autres approches ont été envisagées, l’apprentissage par projet nous permet de répondre à plusieurs 50
Apprentissage par projet dans le contexte d’un module d’enseignement pluridisciplinaire3objectifs pédagogiques. Du fait de certaines disparités conceptuelles dans l’approche de la modélisation selon les grands domaines scientifiques (Physique, Chimie, Mécanique), un enseignement standard semble difficile. Par contre, associer un nombre restreint d’étudiants à un projet et par conséquent à une thématique scientifique précise devrait permettre de gommer, au sein d’un groupe, ces grandes différences de concepts,de langages voire de méthodes. Ainsi, le cheminement de chacun et le niveau de résolution de problème sera variable selon les groupes. Au niveau de l’évaluation du module, le regard sera d’abord porté sur le cheminement et la progression des groupes d’étudiants.

Ainsi, les étudiants s’attachent à développer des compétences disciplinaires spécifiques plus ou moins différentes d’un groupe à l’autre. Afin de réduire l’écart d’apprentissage entre chaque groupe, des sessions de partage sous forme d’exposés oraux sont proposées (voir chapitre suivant pour plus de détails). Même si les apprentissages disciplinaires sont différents, des compétences transversales sont développées par les étudiants. En effet, un de nos objectifs communs est de tirer parti de la pluridisciplinarité et de l’hétérogénéité des étudiants pour les faire coopérer afin de les faire progresser dans leur apprentissage.Cette notion de travail d’équipe est au cœur de cette unité d’enseignement, en plus du développement de compétences de communication, ou encore de recherche d’information.

2.Dispositif

Ce module d’enseignement se déroule au cours du premier semestre de deuxième année de Master. Couvrant une période de 12 semaines, ilcompte pour 3 ECTS et est obligatoire pour les étudiants suivant les parcours Chimie-Santé, Chimie-Théorique, Physique du Vivant et Mécanique du Vivant.Ce module fonctionne intégralement par projet et,à l’exception d’une première séance plus ou moins traditionnelle, aucun cours « classique » n’est délivré, les apprentissages s’effectuant au fur et mesure de l’avancement de chaque projet. Si la première année, aucune règle n’a été imposée pour la constitution des équipes, sur lesdeux années suivantes, une mixité des profils a été rendue obligatoire au sein de chaque groupe-projet en fonction des effectifs étudiants de chaque filière. En effet, la première année, les étudiants se sont naturellement agrégés en deux groupes de physiciens-mécaniciens et trois groupes de chimistes faisant disparaitre l’intérêt de l’interdisciplinarité et de l’hétérogénéité des profils. Les groupes étant composés de 4 à 5 étudiants, 5 à 6 groupes sont constitués tous les ans. La répartition des effectifs pour chaque année universitaire est présentée dans le tableau suivant (Tableau 1). On observe une grande disparité des publics avec une majorité d’étudiants provenant de la filière « Chimie-Santé » en comparaison des autres filières présentant des effectifs tendus (entre 1 et 5 étudiants par an)

Tableau 1. Répartition du nombre d’étudiants par année.

Afin de couvrir un large éventail de connaissances et de pratiques dans le domaine de la modélisation, plusieurs sujets leur sont proposés. Une telle répartition des projets implique que, chaque groupe devant travailler sur un projet particulier (soit de physique, soit de mécanique soit de chimie), les apprentissages individuels sont différents. Afin de pallier cette déficience, une partie du retard est comblée par deux sessions d’oraux organisées à la 6èmeet à la dernière semaine. Comme préconisé (Proulx, 2005),la possibilité est aussi donnée aux étudiants de proposer leur propre projet. Ce projet est discuté, amendé et validé par un des enseignants.

A ce jour, sur trois ans de fonctionnement du module, seul un groupe a souhaité bénéficier de cette liberté intellectuelle.A chaque projet est attaché un enseignant référent, spécialiste de la thématique, qui devient le seul interlocuteur des étudiants ayant choisi ce projet.A notre sens, il est important de noter que, suite à des propositions recueillies au cours de l’évaluation du module par les étudiants, la majorité des étudiants qui suivent ce module de M2 (à l’exception des étudiants du Master « mécanique du vivant ») sont sensibilisés à l’approche par projet dans un module de première année de Master intitulé « modélisation des macromolécules du vivant ». Depuis deux ans, ce module de M1est découpé en deux séquences. Au cours de la première partie dite « classique », les savoirs fondamentaux sont délivrés par les enseignants. La deuxième partie est consacrée à l’approfondissement de notions partiellement abordées par les enseignants au cours de la séquence précédente. Cet approfondissement est réalisé en faisant travailler les étudiants en équipe sur des projets spécifiques.Pour ce qui est des étudiants provenant de la filière « mécanique du vivant », ils ne sont pas complètement étrangers à l’approche par projet. En effet au cours de leur formation, ils sont amenés à plusieurs reprises à expérimenter ce type de méthode d’apprentissage sur des projets de durée variable.

3.Evaluation des apprentissages

Le processus d’évaluation des apprentissages se compose de 2 parties : la rédaction d’un document de synthèse du projet et une présentation orale. La partie écrite repose sur la rédaction d’un rapport de taille limitée exposant essentiellement les bases scientifiques ayant permis de résoudre le problème posé et les résultats obtenus. Ce rapport est évalué par l’enseignant référent du projet et la note compte pour moitié dans l’évaluation globale. La présentation orale, d’une durée d’environ45 minutes, a pour but de présenter aux enseignants mais aussi à l’ensemble des étudiants du module, le projet : ces objectifs, les bases scientifiques et techniques sous-jacentes et les résultats obtenus. Une part importante est donnée à la pédagogie de l’exposé afin que tous les étudiants puissent bénéficier, dans une moindre mesure, des apprentissages réalisés par chaque groupe.L’évaluation de cet oral réalisée de manière collégiale par l’ensemble des enseignants se base sur 4 critères : la pédagogie/clarté de l’exposé, la forme/structure de l’exposé, le fond scientifique et les réponses aux questions, ces dernières étant posées à la fois par les enseignants et par les autres étudiants assistant obligatoirement à cette présentation. Il faut noter qu’il n’y a pas de réelle individualisation de la note sauf cas exceptionnel où il s’avère qu’un étudiant s’est particulièrement impliqué (ou non) dans le projet.

4.Scénario pédagogique du module

Nous pouvons expliciter l’évolution pédagogique du module tout au long du semestre via le scénario pédagogique présenté dans le schéma ci-avant.La première séance qui regroupe l’ensemble des étudiants et des enseignants a pour objectifde présenter le fonctionnement du module (attendus des enseignants, déroulement, contrôle des connaissances, ...). Cette séance est aussi l’occasion de présenter les différents projets et de permettre aux étudiants de débuter la constitution des groupes, constitution qui doit être finalisée au cours de la semaine qui suit. Au cours des 4 séances suivantes, chaque groupe d’étudiants travaille en présence de son enseignant. En fonction de chaque enseignant et de chaque groupe, le contenu des séances peut varier afin de s’adapter aux besoins des étudiants. Les séances 6 et 7 sont en général consacrées à la préparation (séance 6) et à la présentation (séance 7) d’un exposé oral d’étape durant lequel les étudiants présentent l’état d’avancement de leur projet aux enseignants et surtout aux autres étudiants. Cette septième séance est l’occasion d’échanges entre l’ensemble des étudiants et permet aux enseignants de faire une première évaluation, formative, des différents projets. La suite est consacrée à 4 nouvelles séances de travail durant lesquelles les étudiants font état de l’avancé de leurs travaux à l’enseignant référent et explicitent la manière dont ils vont lever les différents verrous de leur projet. Enfin, les deux dernières séances (séances 12 et 13) sont consacrées à l’oral terminal qui constitue une partie de l’évaluation sommative de leur projet.

5.Evaluations du module d’enseignement

Afin d’évaluer la pertinence de notre approche pédagogique, nous avons mis en place une évaluation annuelle de cet enseignement par les étudiants. De plus, dans le cadre de la rédaction de cette communication, une évaluation de ce module a aussi été réalisée auprès des trois enseignants. Les modalités d’évaluation ont été, dans ces deux cas, différentes et sont explicitées par la suite.

5.1.Evaluations par les étudiants

5.1.1.Description du questionnaire.

Un questionnaire est remis aux étudiants en fin de semestre. La première année, ce questionnaire a été remis sous format papier et 100% des étudiants ont répondu soit 21 étudiants. Au cours de la deuxième année, cette enquête a été portée sur la plateforme Moodle de l’université et moins de la moitié des étudiants a souhaité y répondre(10 étudiants). Malgré ce taux de retour décevant, nous avons maintenu ce dispositif en ligne au cours de la troisième année. Néanmoins, nous avons intensifié notre communication auprès des étudiants afin de les inciter à répondre. Le taux de réponse a donc été de 79%, soit un nombre d’étudiants ayant répondu égal à 15.

Le questionnaire proposé se compose de :

  • 9 questions d’appréciation globale
  • 5 questions sur la perception de l’acquisition de savoir-faire
  • 2 questions sur les conditions de travail
  • 1 question sur le temps de travail (hors présentiel)
  • 1 note d’appréciation globale
  • 3 questions ouvertes (points positifs, points négatifs et pistes d’améliorations)

5.1.2.Analyse des résultats.

D’une manière globale (Figure 1), si cette unité d’enseignement est plutôt bien perçue au cours des deux première sannées(environ 90-95% de satisfaits), l’appréciation globale est partagée pour la troisième année avec un ratio proche de 50/50 entre des étudiants jugeant cette UE correcte et ceux la jugeant inadaptée. Malgré cela, le temps de travail (Figure 2) consacré par les étudiants en dehors de séances en présence de l’enseignant est relativement stable, se situant en moyenne entre 2 et 3 heures par semaine.

Une analyse de critères d’évaluation plus spécifiques permet de mettre en évidence un certain nombre de tendances. Tout d’abord, l’hétérogénéité des profils étudiants au sein de chaque projet apparait au cours des années 2017 et 2018, années où la mixité des publics a été imposée par les règles de fonctionnement du module. Dans l’ensemble, ce dispositif d’apprentissage par projet demeure motivant pour les étudiants au cours des 3 années (Figure 4). Même si on observe une baisse globale de la motivation des étudiants au cours des trois années, le pourcentage d’étudiants répondant (très) favorablement à la question « le format de cet enseignement en mode projet vous a motivé dans votre travail » varie entre 80 et 67%.

En plus d’une diminution de la motivation, on observe une diminution de l’engagement des étudiants (Figure 5). En effet, à la question « Les projets ont permis de mobiliser les membres du groupe à charge de travail équivalente. », la tendance s’inverse au cours des 3 années. Si au cours de la première année, la charge de travail semble équitablement répartie au sein des groupes, cette répartition semble inversée en 2018, avec une large majorité ( 80%) pensant que le travail ne se fait pas à charge égale. Même si la baissede la motivation n’est pas aussi sévère, elle semble corréler aux désengagements de certains au sein des groupes projets. Il faut noter que la question portant sur la motivation est reliée spécifiquement au format d’enseignement. Une autre formulation de la question pourrait aboutir à une autre répartition des réponses, en particulier si on essaie de relier la motivation au sujet des projets suivis par les étudiants. Cette problématique apparait clairement dans un certain nombre de points négatifs remontés dans les questions ouvertes.Les résultats précédents peuvent sembler surprenant au regard des réponses à la question « Cet enseignement vous a permis de découvrir des connaissances riches et intéressantes dansle domaine de la modélisation en lien avec le vivant et la santé. » (Figure 6). En effet, dans ce cas, les étudiants répondent très favorablement avec une légère diminution moyenne observée pour 2018.

Une des causes possibles de motivation/démotivation des étudiants peut trouver sa source au niveau extrinsèque dans l’attitude des enseignants et leur engagement vis-à-vis des groupes projets (Viau, 2009). Nous avons tenté d’évaluer ces aspects en interrogeant les étudiants sur ces aspects (Figures 7 à 10). Aux questions portant sur « les indications des enseignants pour réaliser votre projet » (Figure 7) et sur « les indications des enseignants pour préparer l’évaluation » (Figure 8), les étudiants répondent très majoritairement (entre 70 et 85% selon les années) que les informations fournies sont claires et suffisantes.

Concernant la disponibilité des enseignants (Figure 9), une très large majorité (au-delà de 80%) est satisfaite de l’accompagnement fournis par l’enseignant-référent au cours de l’avancement des projets. Alors que les conditions d’accompagnement humain semblent remplies, les conditions matérielles (Figure 10) sont dans 2/3 des cas considérées comme adaptées à la bonne réalisation des projets. Il semble donc que l’environnement proposé par les enseignants que ce soit matériel ou d’un point de vue de l’accompagnement (disponibilité, indications, ...) soit convenable au regard de l’évaluation des étudiants. Ce critère ne semble donc pas pertinent pour expliquer la baisse de motivation et surtout d’engagement des étudiants.

Afin de mieux cerner la perception des apprentissages, les étudiants ont été amenés à s’exprimer sur les savoir-faire qu’ils sont susceptibles d’acquérir au cours de ce module.Sachant que les objectifs pédagogiques sont différents entre les 4 parcours, des disparités dans les réponses sont attendues en fonction des apprentissages évalués (Figures11 à 15). En effet, alors que l’acquisition de savoir-faire transversaux est évaluée plutôt positivement (Figures 11 et 12), l’évaluation de l’acquisition de certaines compétences spécifiques est plus nuancée.Notons toutefois que si les étudiants de 2017 et 2018 ont le sentiment d’avoir plus travailler la compétence « Discuter d’une question de modélisation avec des personnes de disciplines différentes » (Figure12) cela s’explique sans doute par le fait que les étudiants de filières différentes soient mélangés dans les groupes.Concernant les compétences en lien avec l’écriture ou l’utilisation de codes de calcul, celles-ci ne font pas partie des objectifs pédagogiques à atteindre pour les étudiants issus des filières chimiques.Peu d’étudiants sont donc concernés par ces compétences ce qui amène à une réponse plutôt négative quant à l’acquisition des savoir-faire associés (Figure 13). Pour ce qui est des savoir-faire en lien avec l’analyse bibliographique, les réponses sont, comme précédemment, partagées sur le fait qu’ils ont acquis un regard critique sur un certain type de publications scientifiques (Figure 15).

5.2.Evaluations par les enseignants

Durant l’année en cours (2018-2019), les 3 enseignants du module ont été questionné sur leur ressenti quant à l’approche pédagogique menée dans cette UE mais également sur l’organisation entre des enseignants de plusieurs disciplines pour animer cette UE. Cette évaluation a été menée pour des ingénieurs pédagogiques sous forme de questionnaire puis d’une mise en commun réalisée lors d’une réunion de groupe. Ce travail avait pour objectifs de mettre en lumière la démarche individuelle de chacun des enseignants et leur vision de l’UE en fonction de leur discipline.

5.2.1.Description du questionnaire.

Le questionnaire proposé se compose de10 questions ouvertes portant sur : Les objectifs d’apprentissage en fonction des filières et enseignants, les avantages et inconvénients du dispositif en mode projet pour les étudiants et pour l’équipe, la place de l’UE dans chacun des cursus (chimie, physique et mécanique), les compétences développées par les étudiants et les points d’amélioration potentiels de l’UE.

Les 3 enseignants ont répondu en ligne, de manière autonome, sans que les autres puissent avoir connaissance des réponses de chacun. Un bilan global a été fait par les ingénieurs pédagogiques et a servi de base à une discussion portant sur l’amélioration du dispositif pédagogique.

5.2.2.Analyse des résultats.

Globalement, si l’objectif pédagogique est partagée par les 3 enseignants, à savoir « choisir le modèle de modélisation le plus adapté et le mettre en œuvre, présenter les résultats en adaptant son discours à son interlocuteur », le niveau attendu n’est pas le même selon les filières. En mécanique du vivant et en chimie-santé,il s’agira surtout d’expérimenter le processus de modélisation en le reliant à un cas concret de santé, en physique l’intérêt est porté sur l’écriture d’un code (en partie car les étudiants de cette filière n’y sont pas confrontés dans les autres UE)et en chimie théorique,on se centre plutôt vers la conception de la stratégie en faisant appel à des méthodes de modélisation numérique. Selon le projet choisi (qui est encadré par un seul des enseignants), les objectifs ne sont pas identiques ; toutefois, ces objectifs sont présentés aux étudiants au début de l’UE lorsqu’ils sont amenés à choisir leur projet.

Les enseignants sont tous d’accord sur le fait que cette UE en mode projet offre aux étudiants la possibilité de travailler des compétences transversales particulièrement nécessaires pour le futur professionnel des étudiants :
 Travailler en mode projet au sein d’une équipe interdisciplinaire.
 Adapter son vocabulaire au caractère pluridisciplinaire des autres étudiants.
 Présenter clairement et pédagogiquement son travail à un public hétérogène.

Il est à noter que si ces compétences sont particulièrement valorisables pour une future embauche, ce n’est pas forcement pour les même raisons : certains futurs diplômés seront amenés à travailler en collaboration avec de nombreux professionnels de santé. Pour les théoriciens, la plus-value semble surtout être la confrontation avec l’expérience, les applications de la théorie sur le terrain. Le mode projet est dans tous les cas attendu que ce soit dans le milieu académique ou dans le milieu industriel (privé).

Il en est de même en ce qui concerne la collaboration et la capacité des étudiants à adapter leur discours en fonction des profils professionnels. Toutefois, force est de constater que les regards et les discours des 3 enseignants de disciplines différentes qui encadrent l’UE ne se croisent que peu au cours de l’UE, ce qui pourtant, ils en conviennent serait enrichissant pour les étudiants.

Concernant les perspectives d’améliorations de l’UE, peu d’idées communes ont émergé via les questionnaires. Ce n’est qu’une fois les enseignants réunis autour de la table pour discuter des perspectives de l’UE que des axes se sont dégagés. Les enseignants se sont très vite entendus sur l’idée d’harmoniser les sujets de projets, offrir des temps où les 3 enseignants sont réunis avec les étudiants pour discuter des projets où de thématiques particulières pour montrer aux étudiants que travailler et discuter entre disciplines peut être à la fois complexe et rich et ainsi redonner du sens à l’enseignement pour les étudiants des 3 disciplines.

6. Regard réflexif

Une première question peut se poser concernant ce dispositif : Pourquoi avoir choisi l’Apprentissage par projet (APP) ? Il y a trois raisons à ce changement de méthode pédagogique. Une première plutôt intrinsèque est le résultat d’une prise de conscience de la part du responsable de module. Les deux autres plutôt extrinsèques sont liées au constat de la méthode initialement employée (approche transmissive) : "nous partions en cours conférence, 50 ̈% des étudiants était présent, et 50% des présents faisait des Sudoku".Alors comment impliquer, engager et motiver les étudiants tout en s’adaptant au niveau de chaque profil scientifique ? L’APP répond à cet objectif d’engagement au travers le groupe et par ruissellement sur la discipline. L’APP répond également à cette adaptation aux étudiants par la différence de cheminement et de niveau de résolution de problème variable en fonction des groupes. C’est pourquoi nous fonctionnons sur ce modèle évolutif depuis 2016.

Au regard du fonctionnement de cette UE, il s’avère que notre philosophie de l’apprentissage par projet est plus proche de la collaboration que de la coopération, l’objectif étant également de montrer que collaborer n’est pas partager des taches mais œuvrer ensemble pour une solution négociée et consensuelle.

Pour cela nous prenons comme définitions celles proposées par France Henri, Karin Lundgren-Cayrol. Dans le cadre d’un travail collaboratif, « L’apprentissage résulte du travail individuel soutenu par des activités de groupe ou d’équipe. L’apprenant partage des ressources avec le groupe et utilise le travail réalisé en groupe pour apprendre » alors quand mode coopératif, « l’apprentissage se fait en équipe. Le travail réalisé par chaque équipe contribue à l’œuvre collective. La structure de l’activité pédagogique est imposée. L’exploration et la découverte du contenu sont guidées par le formateur selon une structure imposée. »(Henri et Lundgren-Cayrol, 2001, p.181, Tableaux p. 37-41).

Une telle différentiation est aussi mise en avant par l’université de Genève pour laquelle

dans le cadre d’un travail réalisé de façon coopérative, il y aura une répartition claire du travail entre ses participants. De façon concrète, il sera assigné à chaque élève une tâche claire et concrète. Par la suite, les travaux individuels de chaque élèves eront assemblés et formeront le travail final.

alors que

dans le cadre d’un travail réalisé de façon collaborative, il n’y aura aucune répartition du travail entre ses participants. En effet ces derniers travailleront tous ensemble à chaque étape de l’élaboration du travail. Il sera donc impossible, une fois le travail réalisé, d’identifier le travail fourni par chacun.

(Collaboratif s. d.)

Des résultats des enquêtes réalisées auprès des étudiants, il apparait qu’il n’est pas suffisant de regrouper des étudiants pour les amener à coopérer ou à collaborer.La réflexion sur la définition des projets et leur adéquation avec l’ensemble des participants est primordial dans notre contexte fortement pluridisciplinaire caractérisé par un public d’étudiants ayant des profils très hétérogènes. Par exemple, les projets à vocation chimique (proposés et encadrés par l’enseignant référent en chimie) n’intègrent pas de part de programmation. Les étudiants des autres filières (physique essentiellement) qui doivent réaliser de tels projets n’ont donc pas la possibilité de développer des apprentissages en lien avec les codes de calcul et d’acquérir les savoir-faire nécessaires à l’écriture ou à l’utilisation de tels codes. Dans ce cas, nous observons un mauvais alignement pédagogique entre le sujet des projets et les objectifs d’apprentissages qui leur sont spécifiques. A contrario, pour les étudiants des filières « chimie », l’alignement pédagogique est correct, les sujets de chimie ayant été réfléchis par un enseignant chimiste pour un public chimiste. Cette analyse vaut aussi pour les autres projets à caractère physique ou mécanique.

Ce manque de cohérence peut surement être une source de démotivation et de désengagement des étudiants éloignés. Motiver les étudiants via des projets plus intégrés afin que tout le monde y trouve son compte et puisse s’engager dans ses apprentissages semble une piste d’amélioration envisageable. Il apparait clairement que ce que nous demandons aux étudiants, nous ne le réalisons pas au sein de l’équipe pédagogique. En effet, nous demandons aux étudiants de réaliser un travail d’adaptation aux sujets, souvent très éloignés de leur préoccupation scientifique. Or ce travail d’adaptation n’est pas réalisé par les enseignants ce qui, si on tient compte du principe d’isomorphisme, n’est pas la meilleure des approches. Il apparait donc nécessaire que pour « faire coopérer pour faire apprendre », il y a une nécessité de« coopérer pour faire apprendre ». Ce besoin de cohésion au sein de l’équipe pédagogie est primordial que ce soit dans la définition des sujets, des objectifs pédagogiques communs, ...

Un étudiant a particulièrement bien résumé ce dernier point dans une des réponses libres mises à leur disposition dans l’évaluation : « Je trouve que la philosophie du module n’est pas assez assumée. Cela demande plus de travail au niveau organisation du module, et je suis conscient que ce n’est pas facile, mais il faudrait pouvoir trouver des projets impliquant des compétences en physique et en chimie à la fois. »

Références bibliographiques

Viau, R. (2009) La motivation en contexte scolaire.(5eéd.) Bruxelles, Belgique : De Boeck.Proulx, J. (2005) L’apprentissage par projet. Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec

Perrenoud, P. (2012) Développer la pratique réflexive. (6eéd.) Paris, France : ESF éditeurs.

HenriF., Lundgren-CayrolK.(2001) Apprentissage collaboratif à distance : pour comprendre et concevoir les environnements d’apprentissage virtuels. Sainte-Foy, Québec : Presses de l’Université du Québec.

Ministère de l’Éducation nationale, DGESco. Collaboratif/Coopératif : quelle différence ? Repéré à http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/archives/travail-apprentissage-collaboratifs/de-quoi-parle-t-on/notion-collaboratif/collaboratif-cooperatif-quelle-difference

Bucheton, D., & Soulé, Y. (2009). Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées. Éducation et didactique, 3(3), 29-48.

Licence : CC by-nc-sa

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