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L’espace expérientiel (E²)

15 novembre 2019 par Denis Bédard QPES 2019 1314 visites 1 commentaire

L’espace expérientiel (E²)

Un article, communication au colloque QPES 2019, "(Faire) coopérer pour (faire) apprendre ?", une publication sous licence CC by sa nc

DENIS BEDARD
Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation, Québec, Canada,
denis.bedard[at]usherbrooke.ca

JEAN BIBEAU
Université de Sherbrooke, École de gestion

CATHERINE PILON
Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation

ANDREANNE TURGEON
Université de Sherbrooke

RESUME
Ce texte présente l’Espace expérientiel, pour ensuite le situer parmi les pédagogies actives. Puis, la problématique et le contexte de la collecte de données sont énoncés. Enfin, une présentation de premiers résultats de la mise en pratique de l’E² est faite avant de relever certains constats dans la discussion et la conclusion.

MOTS-CLÉS
Savoir-être, pédagogies actives, approche par projets, entrepreneuriat, interactions étudiants-enseignants

1. Introduction

La coopération, la collaboration, voire le travail en équipe, sont des modalités d’apprentissage qui caractérisent de plus en plus la réalité des étudiants [1] en enseignement supérieur. Pour une bonne part, leur utilisation comme outils d’apprentissage est motivée par la prise en compte des réalités professionnelles des milieux de travail. En effet, c’est entre autres avec le souci de se rapprocher des modes opératoires de ces environnements que des pratiques pédagogiques coopératives ont été implantées en classe.
Force est de constater que ces outils ou méthodes ont principalement mis l’accent sur la maîtrise des savoir-faire, tout en s’appuyant sur l’acquisition des savoirs. Mais qu’en est-il des savoir-être ? Quelle place leur a été faite ? Les aspects relationnels, qui touchent davantage l’individu, sa subjectivité et son intersubjectivité, n’ont pas été l’objet d’autant d’attention. C’est dans cette perspective que la pédagogie de l’« espace expérientiel » (E²) a été développée, initialement dans un contexte de formation entrepreneuriale en gestion. Depuis, elle a été implantée dans différentes disciplines académiques : musique, génie, physique quantique, droit, éducation et kinésiologie. Le texte qui suit décrit d’abord cette pédagogie, pour ensuite la situer parmi les pédagogies actives. Puis, la problématique et le contexte de la collecte de données sont énoncés. Enfin, une présentation de premiers résultats de la mise en pratique de l’E² est faite avant de relever certains constats dans la discussion et la conclusion.

2. L’espace expérientiel (E²)

L’E² vise à créer un milieu d’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984 ; Mandeville, 2009). Dans ce contexte, cette pédagogie vise à créer un espace de découverte de soi, de la place des autres et de l’influence que les étudiants peuvent avoir les uns sur les autres. Ainsi, les étudiants sont invités à développer diverses compétences qui touchent les dimensions communicationnelle, relationnelle et identitaire. Par conséquent, l’approche pédagogique de l’E² se distingue par la mire qui est portée sur l’individu. En ce sens, les actions pédagogiques ciblent la personne et son développement, particulièrement sur le plan du savoir-être.
Un des socles sur lequel repose l’E² est le projet des étudiants. La réalisation d’un projet concret par un groupe d’étudiants représente ici le véhicule par lequel l’essentiel des apprentissages est réalisé. Dans la lignée des pédagogies qui prônent le learning by doing (Dewey, 1938), l’E² privilégie l’apprentissage axé sur l’agir. La centration sur le projet et son évolution permet de générer de nouveaux apprentissages et d’y accrocher les connaissances déjà acquises.
Cette approche pédagogique invite l’enseignant à changer la posture qu’il occupe dans la salle de classe et dans son rapport aux étudiants (Vierset, Bédard et Fodard, 2009). Vis-à-vis de ces derniers, l’enseignant provoque une constante interaction entre les participants pour faire émerger un espace propice aux rétroactions sur les projets discutés et les sujets qui émergent de l’expérience vécue. Ce faisant, il vise à les stimuler et à les accompagner dans le développement, entre autres, de leurs capacités : à réfléchir (dans et sur l’action), à formuler clairement cette réflexion, à s’autoévaluer (apprendre davantage qui ils sont) et à évaluer leurs pairs qui travaillent et évoluent avec eux. Ces façons de faire facilitent l’émergence d’une communauté de pratique, d’où se révèle un savoir expérientiel auquel vient se greffer le savoir formel. Dans cette situation, les savoirs théoriques sont au service de l’action. Ainsi, les échanges portant sur des sujets plus théoriques peuvent émerger de l’expérience vécue par les étudiants. Il revient donc à l’enseignant la tâche de relever et de mettre en relief ces moments d’émergence des savoirs sans pour autant enfreindre le climat interactif entre les étudiants. L’objectif phare étant toujours de développer les capacités réflexives et de formulation des réflexions auprès de leurs pairs.
Ce fait est déterminant alors que l’E² prend racine dans la collaboration et l’apprentissage par les pairs. Pour atteindre ces cibles, l’enseignant demeure à l’écoute et attentif à ce que le collectif des étudiants est capable de générer sur le plan du partage et de l’expression de soi. Ainsi, l’enseignant adopte une position exploratoire dans la manière d’interagir auprès des étudiants. Ses questions visent avant tout à alimenter les échanges et à inciter le plus grand nombre à la participation. En ce sens, il devient interrogateur de ce que le collectif a comme préoccupations et questionnements pour la réalisation des projets. Ses questions restent ouvertes, le langage utilisé se colle à celui des étudiants, tout comme les chemins empruntés afin de mener les apprentissages vers des savoirs plus théoriques.
Ce faisant, l’enseignant devient catalyseur de collaborations et d’échanges entre les étudiants. Il instaure un climat de partage, de transparence et d’engagement vers l’émergence d’un savoir collectif. Il assure ainsi une fluidité et une circulation des idées, comme des hypothèses soulevées. Au final, le développement de l’autonomie et de l’expression de soi des étudiants, de même que leur appropriation de l’espace d’apprentissage favorisent le transfert des savoirs liés à la discipline enseignée. Ce processus de transfert (Frenay et Bédard, 2006), fruit de l’interaction provoquée, fait émerger un savoir collectif. Parce que coconstruit, ce savoir collectif aura la particularité d’être à la fois situé et accessible à tous les étudiants.

3. Les pédagogies actives

L’E2 partage certains liens avec les pédagogies actives. Parmi celles-ci, l’approche par projets et la méthode des cas sont succinctement abordées ci-dessous.

3.1. L’approche par projets
L’approche par projets (APPj) est une « […] approche pédagogique qui permet à l’élève de s’engager pleinement dans la construction de ses savoirs en interaction avec ses pairs et son environnement et qui invite l’enseignant à agir en tant que médiateur pédagogique privilégié entre l’élève et les objets de connaissance que sont les savoirs à acquérir. » (Arpin et Capra, 2001, p. 7). Elle est un processus systématique d’acquisition et de transfert de connaissances au cours duquel l’apprenant anticipe, planifie et réalise, dans un temps déterminé, avec des pairs et sous la supervision d’un enseignant, une activité observable qui résulte, dans un contexte pédagogique, en un produit final évaluable, d’un point de vue formatif ou sommatif. C’est une approche pédagogique qui origine de la formation en ingénierie et qui a fait tache d’encre en éducation depuis. Avec l’APPj, le projet peut être considéré comme le vecteur de l’apprentissage des étudiants, que ce soit en termes de savoirs formels ou de savoirs expérientiels.
De l’approche par projet a émergé celui de l’enseignement juste à temps (Just in Time Teaching). Pour l’essentiel, ce concept, devenu une stratégie pédagogique, propose de présenter la matière aux étudiants en fonction des besoins perçus ou effectifs d’apprentissage. Ainsi, le déploiement et la réalisation d’un projet, sur plusieurs mois ou années, invitent les étudiants à mobiliser différents savoirs. Lorsque ces savoirs ne sont pas déjà acquis ou maîtrisés, le projet fait en sorte que les étudiants sont motivés à les découvrir. Les besoins d’apprendre, de comprendre et de savoir agir n’ont pas à être démontrés, ils s’imposent d’eux-mêmes. L’apprentissage devient alors hautement significatif.
Dans ce contexte, le rôle de l’enseignant est celui de facilitateur. Il est invité à mettre en place des conditions facilitant l’apprentissage et la réalisation du projet. Ceci est le cas, notamment, des programmes de formation en génie de l’Université de Sherbrooke (UdeS) qui ont implanté l’APPj au niveau d’un cours ou d’un programme.

3.2. La méthode des cas
Avec la MdC, il est plutôt question de « faire de la formation sans enseigner », c’est-à-dire sans transmettre des savoirs sous le mode plus habituel de l’exposé. La MdC propose de considérer la classe comme un théâtre où les étudiants sont les acteurs et où l’enseignant joue le rôle de metteur en scène. Le cas représente alors l’occasion de prendre en compte la réalité professionnelle et de s’interroger sur la façon de mobiliser les savoirs formels afin de les transformer en savoirs expérientiels. Cette approche incite les étudiants à développer leur autonomie, leur capacité à prendre des décisions et leur identité professionnelle. La MdC est bien connue dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur à travers le monde, en particulier dans les écoles de gestion et dans la formation en droit. En ce sens, le Harvard Law School est souvent cité comme précurseur de cette méthode.

4. L’E² et les pédagogies actives

Alors que la MdC évoque les référents d’acteurs et de metteur en scène, l’E2 propose d’aller plus loin en questionnant la vision traditionnelle de ce que signifie enseigner. D’une posture de l’enseignant metteur en scène, l’E² propose plutôt un partage de ce rôle entre tous les étudiants. L’enseignant devient alors un des participants qui s’invite, ici et là, à des moments de mise en scène. Chacun est appelé à prendre ce rôle selon le moment, l’expérience vécue et le désir personnel de partage auprès de ses pairs. Ainsi, la « scène des apprentissages » se déploie selon les sujets et les expériences vécues et partagées, et selon l’individu qui met de l’avant ce qui mérite questionnements et discussions. Sur cette scène, plutôt que d’y exposer les expériences (cas) des autres, ce sont les préoccupations liées aux projets des étudiants eux-mêmes qui sont mises en scène. L’E² propose donc un partage du rôle d’acteur sur la scène, et ce, davantage dans un esprit de « création collective » que de pièce déjà écrite que les étudiants-acteurs devraient jouer selon les indications de l’enseignant-metteur en scène. C’est un élément central de l’approche E² qui renforce le développement des savoir-être évoqués précédemment. Dans une perspective d’accueillir et de mobiliser le plus grand nombre, l’enseignant sollicite l’engagement de tous les étudiants.
Dans cette perspective, l’enseignant est appelé à remettre en question sa place et son rôle dans l’espace de formation qu’est la classe. Il en va de même avec son rapport au savoir et son identité professionnelle en tant qu’enseignant. En général, les pédagogies actives entrouvrent la porte au questionnement sur la valeur des savoirs et leur place dans la formation en enseignement supérieur. L’E² ouvre cette porte toute grande, ce qui peut avoir comme effet, du moins dans les premiers temps, d’indisposer certains enseignants pour qui la démonstration de leur maîtrise du savoir est fondamentale. Avec l’E², l’apprentissage des savoirs est proposé à travers le vecteur expérientiel et la mesure de leur pertinence est prise à partir de cette cible.
Cette expérience est celle du projet des étudiants. En cela, l’E² se rapproche beaucoup de l’APPj, à la différence près que la pertinence des projets mis de l’avant n’est pas avant tout évaluée sur la base de leur pertinence professionnelle, mais de leur pertinence par rapport à sa valeur personnelle. La perspective de l’étudiant est le premier point d’appréciation de la valeur, perçue et réelle, du projet ; il s’agit de « son » projet. Puis, vient s’y superposer la perspective professionnelle . Autant pour l’APPj que l’E², l’apprentissage par la pratique est un levier déterminant de la motivation et de l’engagement des étudiants dans leur projet. Cela dit, avec l’APPj, le projet est en bonne partie déterminée par les attentes du client et les obligations qui en découlent. Avec l’E², les conditions de réalisation du projet sont tributaires des limites que s’imposent les étudiants en fonction de possibles contraintes contextuelles. Enfin, dans les deux cas, le processus d’évolution du projet compte tout autant que le produit final. Les apprentissages se construisent tout au long de l’évolution de chaque projet à l’aide de la coopération des pairs.

5. Problématique et contexte

Au cours des deux dernières décennies, l’essor de l’éducation à l’entrepreneuriat s’est considérablement accéléré avec le développement de nombreux programmes de formation et de soutien dans plusieurs pays (Fayolle, Verzat et Wapshott, 2016). Bien que l’éducation à l’entrepreneuriat soit désormais présente à travers le monde, en plus d’être offerte dans une variété de disciplines et à différents cycles de formation (Valerio, Parton et Robb, 2014), elle n’en demeure pas moins confrontée à divers défis (Katz, 2008). Selon Fayolle et al. (2016), le principal défi repose sur la difficulté d’offrir une formation où les enseignements tirés de la pratique peuvent être enrichis par des éléments théoriques et méthodologiques visant à développer chez les étudiants un regard critique. Par conséquent, donner un sens à l’expérience d’apprentissage en entrepreneuriat dans un contexte académique est au coeur de la problématique soulevée.

Animée par la volonté de relever ce défi, l’UdeS offre, depuis 2015, une formation distinctive en entrepreneuriat, basée sur l’E². Offerte sous le sigle ACT [2], cette formation a été donnée, à ce jour, aux étudiants : 1) de 1er cycle et de 1re année en gestion (ACT101) ; 2) de 1er cycle en gestion inscrits dans la concentration en entrepreneuriat (ACT201, ACT402 et ACT601) ; 3) de 1er cycle en génie mécanique inscrits dans la concentration en entrepreneuriat (ACT651 à ACT656) ; 4) de 1er cycle de toutes les disciplines de l’UdeS (ACT111, ACT112, ACT113) et 5) de 2e cycle en musique (ACT750).
Dans le but de documenter l’expérience d’apprentissage et d’enseignement de certaines de ces formations et ainsi alimenter la recherche sur l’éducation à l’entrepreneuriat, des entretiens ont été menés auprès de participants étudiants et enseignants.

6. Évaluation du dispositif

L’entretien semi-dirigé est la méthode de collecte des données retenue auprès des étudiants et des enseignants. Les premiers résultats proviennent d’entretiens de onze (11) étudiants et de cinq (5) enseignants. Tous ont été rencontrés individuellement. Les entretiens ont été réalisés au cours de la période du 6 juillet au 16 septembre 2018. Ces entretiens n’ont pas encore fait l’objet d’analyse formelle selon les méthodes qualitatives d’analyse de contenu. Les données rapportées ici présentent plutôt un descriptif des constats les plus apparents qui ressortent de ces entretiens.

6.1. Entretiens auprès des étudiants
Selon les 11 étudiants rencontrés, l’expérience vécue en classe est unique, notamment sur le plan de la participation et de l’entraide. En ce sens, les mots suivants sont relevés lorsqu’ils décrivent l’expérience : « transparence, honnêteté, humilité, partage, développement d’une vision collective, vouloir faire une différence, devenir des agents/acteurs de changement ». La satisfaction des étudiants est telle qu’ils sont d’avis que l’approche pédagogique adoptée pour les cours ACT pourrait et devrait être adoptée dans d’autres cours du programme : « on croit en cette façon de faire », « c’est la bonne manière d’enseigner et d’apprendre ».
Ils définissent l’approche pédagogique comme étant : interactive, pragmatique et centrée sur les besoins des étudiants et leur valorisation. De plus, ils ajoutent que les apprentissages sont effectués « par et dans l’action », qu’« il y a moins de matière, mais on apprend beaucoup plus par l’expérience ». Enfin, ils précisent que l’E² est « une approche pour ouvrir les yeux sur les possibles », « une approche qui permet de travailler en fonction de ce qui fait sens pour la personne ». Selon eux, l’enseignant a un rôle de guide, de mentor, de coach. Il est, en quelque sorte, un catalyseur du potentiel des étudiants. La rétrospection qu’il offre aide ces derniers à trouver leur voix/voie : « l’enseignant ne t’apprend pas que de la matière, il t’apprend à réfléchir » ; « on se sent comme avec un sherpa à monter le Kilimandjaro ».
Les étudiants interviewés disent avoir le sentiment d’un partenariat avec les enseignants, de faire équipe avec eux, d’entretenir une relation de proximité, basée sur la franchise et le respect mutuel : « les rôles sont moins bien définis et c’est tellement plus stimulant ! ». De plus, ils indiquent aussi percevoir l’importance d’être actifs, impliqués et engagés dans leurs apprentissages : « tu développes un réel intérêt pour le cours, pas pour la note » ; « c’est très près de la réalité du marché du travail ».
Ce sentiment de partenariat pose également des défis. Parmi ceux-ci, les étudiants relèvent : « beaucoup de rencontres et de travail en équipe, être toujours proactif en classe comme à l’extérieur et lâcher prise par rapport à l’univers académique ». Certains soulèvent que ce dernier défi entraîne la dissolution des frontières entre les sphères académique, professionnelle et citoyenne.
Les étudiants ajoutent que cette approche les a amenés à sortir de leur zone de confort et en ressentent une grande fierté : « ce cours t’amène à vaincre tes peurs » ; « on ne sait pas toujours où on s’en va et j’aime ça ! ». Plus spécifiquement, ils disent avoir développé : « une découverte et un dépassement de soi, la confiance, la créativité, l’audace, le leadership, une capacité à recevoir la critique, un esprit d’analyse et une capacité à réfléchir. »

6.2. Entretiens auprès des enseignants
Les 5 enseignants interviewés ont tous des parcours atypiques en contexte universitaire. Ils privilégient donc une approche axée sur la pratique et sur l’humain plus que sur la théorie : « apprentissage par et dans l’action », « laisser émerger les savoirs ». Ils soulignent tous l’importance de sortir des murs de l’université pour vivre une expérience d’apprentissage significative. De façon cohérente avec les préceptes de l’E², les enseignants ont adopté une posture où ils ont davantage agi à titre de facilitateurs, d’animateurs et/ou de coachs. Dans cette perspective, ils affirment « apprendre autant que les étudiants » et « entretenir un lien de proximité avec les étudiants ».

Les enseignants soutiennent aussi que l’E² nécessite un sens de l’observation aiguisé, une écoute attentive, de même qu’une certaine ouverture d’esprit. De plus, le rôle d’accompagnateur exige une capacité à faire preuve d’humilité et de flexibilité. Certains soulignent d’ailleurs que ces habiletés ne sont pas toujours naturelles dans un contexte d’enseignement universitaire. Selon eux, ceci exige de réviser les paramètres usuels de l’espace d’enseignement. En ce sens, tous cherchent à responsabiliser les étudiants et à les faire réfléchir sur leur projet, leurs apprentissages, leur rôle en classe et leur impact dans la société. Ces enseignants mettent ainsi l’accent sur le développement de compétences relationnelles et communicationnelles, dans le respect des pairs, en cohérence avec le fait qu’ils favorisent les interactions et les apprentissages par les pairs. Enfin, ils offrent aux étudiants un espace de liberté, de création et de transformation.

7. Discussion et conclusion

Ces premiers entretiens sur l’expérience pédagogique vécue, les concepts définissant l’E² et le début de positionnement de cette approche parmi les pédagogies actives permettent de contribuer à des conversations en cours sur les défis que pose une pratiquede type coopérative sur le plan pédagogique. En ce sens, le peu d’attention sur les aspects touchant davantage l’individu, sa subjectivité et son intersubjectivité, postulés en introduction, trouve tout son sens à la lumière des données présentées. Sur cette base, quatre (4) constats sont relevés comme importants lors de la mise en oeuvre de l’E² :
1. Faire de l’individu la force motrice des apprentissages : la création d’un espace de partage relationnel où l’individu se voit offrir un lieu pour « être », en temps réel, et se définir dans l’interrelation, est déterminante. Des habilités de confiance en soi, de conscience de son influence sur les autres, de leadership, de transparence et d’humilité sont sollicitées.
2. Prioriser les habiletés communicationnelles : de ces espaces de partage, le passage de la réflexion à l’interaction suscite, auprès du participant, une capacité de communiquer ce qu’il veut contribuer à la définition des savoirs et une appropriation de ceux-ci. Des habiletés d’écoute, d’observation, d’expression adéquate et de défense des idées, de respect d’autrui, de pensée critique et de négociation sont sollicitées.
3. Réduire les frontières de l’expérience académique, professionnelle et citoyenne : de ces espaces dynamiques, le comportement requis des participants sort des habitus purement académiques pour emprunter des pratiques attendues en contexte professionnel et citoyen. Des habiletés de réflexion pragmatique et de prise de conscience des transferts de savoirs et de comportements au-delà de l’expérience académique sont sollicitées.
4. Passer d’une pédagogie active à une pédagogie interactive : de la création d’un espace de partage qui fait de l’individu le moteur des apprentissages, la pédagogie passe obligatoirement dans un champ de l’interaction. Ainsi, l’interaction est l’ingrédient qui permet l’éclosion des autres et qui tamise les rôles et les statuts entre les participants. Ce faisant, étudiants et enseignants coopèrent vers l’émergence de savoirs coconstruits, à la fois situés et accessibles à tous les étudiants.
Ces quatre constats perçus de l’expérience E² sont présentés dans la figure 1.

Figure 1 : Synthèse des constats perçus de l’expérience l’E².

Au final, cette analyse des données tient lieu de documentation d’une première expérience. Elle pose ainsi les bases d’une réflexion entamée et à poursuivre. D’autres lieux d’application de la pédagogie de l’E² permettront de mieux en définir les contours, comme ses points de tension et ses caractéristiques distinctives. De plus, la recherche permettra de mieux comprendre et d’expliquer en quoi cette pédagogie permet de soutenir le développement de l’individu, en particulier des savoir-être. Ce faisant, il sera possible de tracer un portrait où les différentes pédagogies actives pourront être situées et mises à profit afin de permettre la formation optimale des étudiants.

Références bibliographiques

Arpin, L. et Capra, L. (2001). L’apprentissage par projets. Montréal : Chenelière McGraw-Hill.
Dewey, J. (1938). Experience and education. New York : Simon and Schuster.
Fayolle A., Verzat C. et Wapshott R. (2016). In quest of legitimacy : The theoretical and methodological foundations of entrepreneurship education research. International Small Business Journal, 34(7), 895-904.
Frenay, M. et Bédard, D. (2006). Le transfert des apprentissages. In : E. Bourgeois et G. Chapelle (dir.), Apprendre et faire apprendre (p. 123-136). Paris : Presses Universitaires de France.
Kolb, D. A. (1984). Experiential Learning. Experience as the Source of Learning and Development. Englewood Cliffs (N.J.) : Prentice-Hall.
Katz J. A. (2008). Fully mature but not fully legitimate : A different perspective on the state of entrepreneurship education. Journal of Small Business Management, 46(4), 550-566.
Mandeville, L. (2009). Une expérience d’apprentissage significatif pour l’étudiant. In D. Bédard et J.-P. Béchard (dir.), Innover dans l’enseignement supérieur (pp. 125-138). Paris : Presses Universitaires de France.
Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2012). Référentiel de compétences. Entrepreneuriat et esprit d’entreprendre. Repéré à : https://www.enpc.fr/download/152954
Valerio, A., Parton, B., & Robb, A. (2014). Entrepreneurship education and training programs around the world : dimensions for success. World Bank Publications.
Vierset, V., Bédard, D. et Foidart, J.-M. (2009). La psychosociologie : un cadre interprétatif de la fonction de tuteur dans un dispositif d’apprentissage par problèmes. Pédagogie Médicale, 3(10), 211-228.

Licence : CC by-nc-sa

Notes

[1De façon à alléger le texte, la forme masculine a été privilégiée.

[2Cours offerts à l’Université de Sherbrooke, au Canada, visant à faire vivre aux étudiants l’expérience d’un projet entrepreneurial. Ils sont offerts selon différentes formules variant généralement d’un à trois crédits.

Vos commentaires

  • Le 12 janvier 2020 à 16:24, par Naomie Paquet En réponse à : L’espace expérientiel (E²)

    Je trouve que de mettre de l’avant le savoir-être est une très bonne méthode d’apprentissage et que cela va permettre de pousser nos limites en franchissant certaines barrières académique.

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