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Pistes méthodologiques pour développer des compétences collaboratives en enseignement supérieur

11 octobre 2019 par Elzbieta Sanojca QPES 2019 2396 visites 0 commentaire

Cette communication s’appuie sur les résultats d’une recherche doctorale sur les compétences collaboratives et leur développement en formation des adultes. A partir d’une analyse des activités collaboratives, elle explicite le terme « compétences collaboratives » et décrit des contextes pédagogiques propices à leur développement. L’article croise l’apport théorique sur les processus collaboratifs avec les données empiriques issues de l’étude de cas d’une formation professionnalisante : « Animacoop, animer un projet collaboratif ». La modélisation de l’ingénierie de formation propose une approche transversale des compétences collaboratives, développées par des activités collectives dans des environnements suffisamment riches, permettant de donner lieu à de multiples combinaisons.

un article d’Elzbieta Sanojca, communication au colloque QPES 2019, "(Faire) coopérer pour (faire) apprendre ?", une publication sous licence CC by sa nc

ELZBIETA SANOJCA
Univ Rennes, CREAD - EA 2875, F-35000 Rennes, France, elzbieta.sanojca@univ-rennes2.fr

Bilan de recherche en pédagogie

MOTS-CLES :
formation des adultes, formation hybride, compétences collaboratives, coopération,

1. Introduction : faut-il développer des compétences collaboratives ?

L’essor du numérique accélère le développement des pratiques collaboratives dans tous les domaines d’activités (travail, éducation, actions associatives, loisirs...) ; des formes organisationnelles plus ouvertes, plus horizontales se développent et les modèles collaboratifs sont jugés plus efficaces pour conduire des projets complexes (Michinov & Michinov 2013) et innovants (Blomqvist & Levy, 2006). Le fonctionnement horizontal en réseau, l’inter-connectivité, et l’abondance d’internet participent à l’intensification de ces pratiques. Collaborer ou coopérer recouvrent une manière particulière de travailler à plusieurs qui peut être définie, en paraphrasant Dejours (1993), comme une capacité d’agir en créant les liens en vue de réaliser volontairement une œuvre commune.

L’importance d’une telle manière de travailler se reflète par la place centrale que la coopération et la collaboration occupent dans les référentiels des compétences du 21e siècle, élaborés par les grandes institutions éducatives (OCDE, UNESCO, Commission Européenne). Alternant les termes « savoir coopérer » ou « savoir collaborer », ces documents désignent tantôt une compétence complexe composée de plusieurs capacités, ou bien une spécificité transversale, inclue dans d’autres compétences. Des compétences qui, aujourd’hui, ont peu de place dans les programmes scolaires et dans les formations à visée professionnalisante en France.

C’est sous cet angle des capacités d’agir et des conditions de leur développement que la collaboration est abordée ici. L’apport théorique argumente la compréhension dynamique du processus de collaboration comme construit sur un continuum : « avant – pendant – et après » pour introduire le cadre d’analyse des données issues d’une recherche empirique, conduite auprès de trente-six professionnels, stagiaires d’une formation hybride « Animacoop : animer un projet collaboratif ». Si ce terrain est situé en formation professionnelle, les résultats concernent des contextes éducatifs plus larges dans le cadre des compétences transversales ou sociales de la formation tout au long de la vie.

2. Cadre de référence

Malgré de nombreux travaux sur la coopération et la collaboration [1], il n’existe pas de théorie unique pouvant expliquer la complexité de ce qui se joue dans ces dynamiques. Ce chapitre expose les apports théoriques étayant l’approche retenue selon laquelle la coopération et la collaboration recouvrent un processus dynamique qui évolue dans le temps et qui peut être analysé sur un axe temporel séquencé en « avant-pendant-après » (Thomson & Perry, 2006). Dans cette compréhension, l’avant correspond aux « antécédents » qui recouvrent des prédispositions individuelles facilitant l’établissement et le maintien de relations collaboratives ; le « pendant » se réfère au processus de la collaboration engagé par les acteurs impliqués. Les « résultats » se rapportent aux effets de la collaboration comme le partage des buts ou encore la création de nouvelles ressources.

2.1. La nature humaine profonde serait-elle coopérative ?

Si en sciences de l’éducation, la question de la « nature humaine profonde » est écartée au profit d’un processus de socialisation progressive, elle reste d’actualité pour les anthropologues ou les psychologues du développement. Des chercheurs ont pu y affirmer que les enfants rentrent dans la culture en étant « naturellement serviables ». Les racines de ce comportement altruiste « peuvent aller aussi loin que le dernier ancêtre commun des humains et des chimpanzés, il y a environ six millions d’années » (Warneken & Tomasello, 2009, p. 464).

S’il existe des études qui argumentent la présence de l’agressivité également chez les jeunes enfants, les recherches de Tomasello montrent l’axe de progrès réalisé par les individus dans la gestion de ses tensions. A partir des activités collectivement assumées, les humains ont développé des mécanismes cognitifs d’intentionnalité partagée pour interagir avec le monde. Des processus sociaux de partage de valeurs interpersonnelles et collectives sont apparus progressivement favorisant les liens affectifs (Tomasello, 2014).

L’idée que, dans un passé lointain, les activités collectives ont conduit l’humain à devenir un « animal ultra-social » amène une question éducative de fond. Serait-il envisageable de stimuler ces processus cognitifs profonds de partage et de reliance indispensables à l’activité collaborative ? En extrapolant les conclusions de Tomasello, on pourrait penser que cette remédiation –si elle était possible s’effectuerait, comme pour nos ancêtres par des activités collectives.

2.2. Le processus collaboratif construit dans des interactions et intercompréhensions

Les dynamiques du travail effectué de manière collective restent au cœur des études portant sur la coopération ou collaboration. Un premier courant, constitué dès 1984 autour d’une communauté scientifique pluridisciplinaire, le Computer Supported Collaborative Work (CSCW) traite le travail en collaboration en tant qu’action située ou contextualisée donnant lieu à une modélisation des activités collaboratives. Dans sa typologie, souvent reprise, McGrath, (1984) identifie quatre classes des taches collaboratives : (1) planification et création des idées ; (2) résolution de problèmes et de prise de décisions ; (3) des activités d’exécution et de performance de la tâche ; (4) négociation et gestion de conflits. Une classification que nous retrouverons dans ce que nous appelons les compétences collaboratives de mise en œuvre.

Le deuxième courant prend appui sur des approches de la cognition située ou distribuée. Dans cette approche, la situation affrontée en commun fait naitre un « nouvel agir en commun », la collaboration, qui repose sur le débat, le développement d’une rationalité interactive, un accord social construit dans les prises de parole et les expériences de confrontation. Des travaux récents révèlent une forme singulière de cognition collective, appelée la « mémoire transactive » (MT) décrite comme un système partagé pour l’encodage, le stockage et la récupération des informations liées à différents domaines de compétences (Michinov & Michinov 2013). Ce système se développe dans un groupe lorsque les membres savent identifier des connaissances détenues par d’autres qu’ils combiner avec les leurs. Par des interactions répétées, les membres du groupe construisent une compréhension plus précise de ce qu’ils savent (ou ne savent pas).

En périphérie des approches cognitivistes, la « théorie de l’esprit » est un objet de recherche en expansion, croisant les neurosciences et la psychologie cognitive et sociale. La prise de perspective (perspective taking) et l’empathie y éclairent la manière dont les personnes apprennent à comprendre les situations sociales, à résoudre des problèmes socio-émotionnels et à faire preuve d’adaptation sociale dans leurs relations quotidiennes (Paal & Bereczkey, 2007).

2.3. Le statut particulier d’une ressource produite collectivement

Parallèlement à l’essor des pratiques collaboratives amplifiées par le numérique, de nouvelles formes d’organisation en réseau se développent en soutien à ces modalités de production collaboratives. Formalisé par Benkler (2006) ce type de production implique que des individus mettent en commun leur temps, leur expérience, leurs connaissances et leur créativité, donnant naissance à de nouveaux biens relevant de la production d’information, de connaissance ou de culture. Le paradigme renouvelé des « communs » accompagne la nature des biens (ressources) ainsi produits. Définis par Ostrom (1990) comme modèle économique, les communs désignent à la fois une ressource partagée, un certain modèle de propriété - qui serait celui de « non-propriété » - et une gouvernance collective.

Les licences de partage telles les « Creative commons » définissent un statut juridique attribué aux ressources qui reflète une mutation produite par la production collaborative. De nouveaux modèles économiques de production émergent où les pratiques de coopération et collaboration dépassent le champ social de la solidarité et de l’entraide. Dans certaines conditions, ces agir collaboratifs permettent aux individus créatifs de travailler plus efficacement sur des projets que ne le feraient les mécanismes et organisations traditionnels (Benkler, 2006).

En s’appuyant sur la compréhension des conditions propices, notre écrit se focalise l’explicitation de ces « agir collaboratifs » : quelle est leur nature en terme d’habilités, d’aptitudes et d’attitudes et quelle manière un dispositif de formation peut-il permettre de les développer ?

3. Méthodologie

La méthodologie de recherche s’appuie sur l’étude de cas d’une formation professionnelle « Animacoop, animer un projet collaboratif ». Au moment de l’enquête, effectuée entre 2014 et 2015, 210 acteurs ont été concernés par cette formation, principalement des professionnels d’associations et de collectivités locales [2]. Le dispositif de formation articule des cours et des activités collaboratives, en présence et à distance, pour une centaine d’heures de formation, étalées sur 14 semaines.

La démarche de recherche relève des études empiriques à visée compréhensive, pouvant être assimilée à une démarche ethnographique. Le protocole de recherche associe différentes techniques de collectes des données (quantitatives et qualitatives) pour prendre en compte la dynamique progressive du développement des compétences collaboratives.

En préambule, 72 réponses au questionnaire ont permis de valider la sélection de 34 items de compétences collaboratives. Le choix de ces items résulte d’une synthèse des travaux sur les compétences collaboratives qui s’inscrivent dans l’approche temporelle de la collaboration (Morse & Stephens, 2012 ; Orchard et al. 2012). En complément, ces items ont été confrontés aux travaux majeurs sur sur la coopération ou la collaboration. (Axelrod, 1984 ; Dejours, 1993 ; Johnson & Johnson, 2009 ; Sennett, 2013).

Les données issues des 36 entretiens compréhensifs ont ensuite conduit à identifier 204 descripteurs de compétences collaboratives correspondant aux verbes ou expressions verbales utilisés par les enquêtés pour décrire leurs activités collaboratives.

Par la suite, l’observation participante (30 heures) effectuée lors des regroupements en présence, l’analyse des traces et des documents, des entretiens avec des apprenants (N=36) et formateurs (N=2), ont permis de comprendre les contextes de développement des compétences collaboratives.

Dans la dernière étape, les projets collaboratifs de 4 personnes ont été observés dans leurs contextes professionnels. Les observations s’accompagnaient des entretiens d’élicitation, une technique préconisée dans les recherches de type ethnographique et dans l’analyse de l’activité. Décrite par Johnson & Weller (2001), cette technique diffère de l’entretien compréhensif par sa tentative de révéler des compréhensions subjectives tacites dans un domaine culturel, ce qui comprend les croyances, les attitudes, les perceptions, les jugements, les émotions, les sentiments et les décisions des acteurs engagés dans l’activité.

Les données collectées ont été traitées selon une procédure inspirée du Knowledge Discovery in Databases (KDD) à l’aide de logiciels de traitement (Iramuteq et RQDA, tableur Excel). Les extraits des verbatim, décrivant des pratiques collaboratives ont été réduits en unité minimale porteuse de sens sous la forme d’un verbe d’action à l’infinitif, accompagné d’un complément. Ainsi condensées, ces significations ont été regroupées selon des catégories du processus collaboratif et mis en correspondance avec les items de l’échelle test validée par le questionnaire. Il en résulte une compréhension fine de deux dimensions observées dans l’étude de cas « Animacoop » : un processus de collaboration et une ingénierie pédagogique centrée sur des activités effectuées en commun. La prise en compte de cette double analyse apparait dans la présentation des résultats qui suit.

4. Les résultats : le « quoi » et le « comment » du développement des compétences collaboratives

4.1. La nature des compétences collaboratives : savoir sur quoi devrait porter la formation

La collecte systématique des verbes d’actions détaillant l’activité collaborative des enquêtés a donné lieu à la description fine des 34 items identifiés au préalable (Sanojca 2018). Ils sont présentés brièvement ici pour peindre une vue globale du processus en jeu (tableau 1).

Le groupe « antécédents » correspond aux attitudes développées au préalable qui facilitent l’adoption d’une posture collaborative tout au long du processus. L’item « avoir un état d’esprit collaboratif », le mieux représenté dans les données collectées, semble jouer un rôle pivot. Une personne dotée d’un tel état d’esprit, aurait une vision a priori positive de l’autre et du travail en commun. La réciprocité nourrie par les valeurs de solidarité et d’entraide serait un modus operandi privilégié dans les relations avec les autres. Cette personne, consciente de ses limites est bienveillante avec ses collaborateurs et sait reconnaitre l’apport des autres dans la construction de ses idées. Sans cette « compétence », les personnes ont mal à prendre part au travail collaboratif.

Les compétences d’évaluation sont peu décrites par les enquêtés car les personnes tentent de fonctionner en mode collaboratif avant même d’en évaluer la pertinence pour leur projet. A contrario, de nombreuses expressions détaillent les compétences de la catégorie démarrage, en particulier : « savoir engager des partenaires ». Si le cadre est prédéfini par un initiateur du projet, celui-ci mettra beaucoup d’énergie à faire participer d’autres. Une définition du projet travaillée collectivement induit un investissement des acteurs. Aussi « co-concevoir la structure du projet » serait un gage de l’engagement, en combinant : attention, échanges constructifs et ajustement des points de vue pour donner forme à un projet commun.

Les compétences d’animation : écoute, communication efficace, capacités de créer un climat de confiance prédominent dans les projets décrits par les enquêtés. L’item le plus présent « animer le groupe pour faciliter le travail collectif » traduit un ajustement habile des conduites entre souplesse et rigueur ; convivialité et sérieux ; leadership prononcé et effacement volontaire.

Cette facilitation fait appel aux compétences intuitives des personnes autant qu’à une connaissance des techniques et procédés structurés de production collective. Cette forme d’animation apparaît comme un corollaire du travail en mode collaboratif.

Le nombre de descriptions des compétences de la catégorie « mise en œuvre" est moindre parce que peu de projets arrivent à cette étape. Quand la collaboration s’appuie sur des outils numériques, l’item « gérer les informations en lien avec le projet » prend une place importante. Il englobe plusieurs savoir-faire : effectuer la veille, choisir les informations nécessaires à la construction collective, puis organiser, structurer et partager ces information avec le groupe pour les « rendre visible ». La communication écrite est une forme opérationnelle de cette compétence. Dans le contexte de numérisation généralisée des pratiques professionnelles, de nombreuses compétences de ce groupe s’appuient sur l’usage des outils numériques. Cela laisse à penser qu’ils seraient indispensables à la mise en œuvre de la collaboration et en particulier à la construction du réseau et au maintien de sa dynamique.

Dans la dernière catégorie des compétences liées au « résultat » deux items se remarquent : « agir pour atteindre les objectifs communs » et « avoir le souci du bien commun ». Le premier est un gage d’efficacité de la collaboration. Le second se manifeste par l’attribution d’une licence de partage telle les Creative Commons qui définissent les conditions de réutilisation des ressources produites. Les quelques projets où cette compétence se manifeste, se distinguent par la maturité des participants à travailler de manière collaborative et par la durabilité de projet. Il serait possible d’y voir la condition de l’engagement à long terme dans la collaboration.

Cette description des caractéristiques des compétences collaboratives identifiées dans l’étude empirique confirme le caractère multidimensionnel du processus collaboratif dans lequel ces compétences s’inscrivent. Les attitudes préalables « antécédents » peuvent être éclairées par des apports pluridisciplinaires croisant neurosciences et psychologie social ou encore psychologie du développement. En expliquant les notions d’empathie ; de bienveillance ou bien la spécificité de la trajectoire qui a conduit l’humain à devenir un « animal ultra-social » (Tomasello, 2014), ces apports soulignent l’importance des déterminants émotionnels rationnels ou de réciprocité, dans la coopération ou collaboration. Les avancées sur la cognition distribuée (mémoire translative (MT) ou CSCW, approfondissent la connaissance sur des groupes confrontés au traitement d’une grande quantité d’informations lors d’une pratique collaborative située ou faisant appel aux outils numériques. On retrouve bien des similitudes entre des classes d’activités proposées par McGrath (1984) et les compétences de mise en œuvre présentées ici. De même, en considérant des apports de sciences politiques, on comprend plus aisément le rôle que joue « un souci du commun » pour la durabilité de la collaboration.

Toutefois, la connaissance affinée de ces compétences dans la compréhension du processus collaboratif, n’implique aucunement un programme de formation où celles-ci seraient travaillées une à une. Comme l’illustre le chapitre suivant, un développement de ces compétences s’opère par une scénarisation des activités pouvant donner lieu à de multiples combinaisons.

4.2. Des ateliers collaboratifs plutôt qu’une séquence pour cibler le développement d’une compétence

Si les objectifs de la formation Animacoop ne font aucunement référence à la notion de « compétences collaboratives », les expressions des apprenants exprimées en bilan final suggèrent leur réelle progression dans la manière à travailler avec les autres. Cela soulève la question de comment la formation Animacoop conduit au développement de ces compétences.

L’analyse des contextes d’apprentissage y répond en partie. Le traitement du corpus des données isolait les verbes d’action pour rendre compte des pratiques des stagiaires en formation. Mis en corrélation avec les 34 items identifiés au préalable, les résultats font apparaitre que l’expérience d’apprentissage ne se raconte pas sous l’angle des items des compétences collaboratives. Il est aussi peu aisé de faire correspondre une séquence pédagogique à une compétence collaborative particulière. En revanche, les résultats suggèrent que des contextes tels les « groupe de codéveloppement » et « la production collective d’une ressource » sont plus propices que d’autres au développement des pratiques collaboratives. Ces séquences s’intègrent dans le parcours du groupe d’apprentissage scénarisé en une suite d’activités impliquant la mise en pratique progressive de la coopération et collaboration par un nombre croissant d’apprenants (figure 1).

Figure 1 : Scénarisation des activités collectives

Dans ces activités plusieurs compétences collaboratives peuvent s’exercer telles « l’apprentissage de l’écoute » et « l’ouverture d’esprit » pour le groupe de codéveloppement ou « construire un consensus », développer un plan d’action, « alterner les responsabilités », « agir pour atteindre les objectifs communs » pour l’atelier de production d’une ressource. Le temps de production est souvent désigné par les apprenants comme « éprouvant » puisque dans un délai très court (4 semaines) les stagiaires doivent s’accorder sur une idée commune, négocier des choix collectifs, produire à plusieurs une ressource, tout en travaillant à distance.
D’autres activités amènent à vivre ce que les formateurs appellent de « petites expériences irréversibles de coopération » tel l’usage des cartes heuristiques pour rendre visible les échanges en groupe ou des outils de gestion d’information pour se prémunir de « l’infobésité ».

Ces contextes ont en commun d’être ancrés dans une situation-problème à résoudre collectivement ; ce qui laisse à penser que les capacités à agir de manière collaborative se développent dans un environnement favorable au travail en commun plutôt que dans un exercice ciblé sur une tâche. Dans cet environnement, comparable à l’espace d’atelier décrit par Sennett (2013), s’exercent autant des habilités méthodologiques et des usages d’outils que la construction de relations socio-émotionnelles de respect, confiance et coopération.

5. Vers une ingénierie de formation pour le développement des compétences collaboratives.

L’absence apparente d’adéquation entre un item de compétence collaborative et une situation d’apprentissage questionne sur la méthode pertinente pour leur développement. Ne serons-nous pas devant une transversalité de compétences qui qui nécessite tout autant une transversalité des contextes éducatif ? L’approche de transversalité prenant en compte des microéléments dans la conception des macros situations où ces éléments pourraient se combiner, suggérée par Rey (2001) dans la conception de dispositifs de formation peut alors s’avérer pertinente. La modélisation illustrée par la figure ci-après, propose une manière de concevoir un dispositif de formation qui s’en inspire.

Figure 2 : Le modèle de l’ingénierie de formation pour le développement des compétences collaboratives

Dans la phase de conception, un formateur pourrait s’appuyer sur la connaissance de l’ensemble des items de compétences collaboratives (microéléments) pour comprendre le processus en jeu lors du travail collaboratif. La prise en compte des éléments à travailler se traduira par la conception de situations d’apprentissage basées sur des activités collectives complexes propices à des combinaisons de compétences en fonction des interactions et interdépendances construites au cours de l’activité.

La mise en œuvre nécessitera un accompagnement des activités collaboratives par la clarification de l’objet de travail, un cadrage méthodologique souple qui laisse la place à l’ajustement des moyens choisis par les apprenants, une valorisation des temps informels d’ajustement et de renforcement relationnel et une attention à l’erreur, source d’apprentissage.

La dernière étape de la formation requiert une analyse réflexive de l’expérience de collaboration vécue par les apprenants par une expression libre sur le processus vécu et la progression observée ou un auto-positionnement sur une grille de réflexivité .

Cette approche transversale qui s’opère par les activités collaboratives correspond au fait que dans le projet collaboratif, les compétences se combinent plus que ne se suivent (Morse & Stephens, 2012). Si l’on considère que l’apprentissage se réalise en situant l’élémentaire dans le complexe, la connaissance des items de compétences collaboratives contribue à appréhender la dynamique collaborative de manière globale et à en tirer profit dans la conception pédagogique.

Le point de vue argumenté dans cet écrit, est de considérer que l’agir de manière collaborative, loin d’être spontané, nécessite un apprentissage préalable. Cet apprentissage s’effectue justement par des activités collectives. Il s’agirait donc, en paraphrasant le titre du colloque de « faire coopérer pour apprendre à coopérer ».

6. Références bibliographiques

Axelrod, R. M. (1984). The evolution of cooperation. New York : Basic Books.

Benkler, Y. (2006). The Wealth of Networks. How Social Production Transforms Markets and Freedom. New Haven CT : Yale University Press.

Blomqvist, K. & Levy, J. (2006). Collaboration capability - a focal concept in knowledge creation and collaborative innovation in networks. International Journal of Management Concepts and Philosophy, 2(2), 31-48.

Dejours, C. (1993). Coopération et construction de l’identité en situation de travail. Multitudes, 2. Repéré à http://www.multitudes.net/Cooperation-et-construction-de-l
Henri, F., & Lundgren-Cayrol, K. (2001). Apprentissage collaboratif à distance : pour comprendre et concevoir les environnements d’apprentissage virtuels. Sainte-Foy : PUQ.

Johnson, J. C. & Weller, S.C. (2002). Elicitation Techniques for interviewing. Dans J. F Gubrium et J. A. Holstein, (dir.), Handbook of interview research : context & method, (p 488-514). Thousand Oaks, Californie : Sage Publications

Michinov, E. & Michinov, N. (2013). Travail collaboratif et mémoire transactive : revue critique et perspectives de recherche. Le Travail Humain, 76(1), 1-26.

Orchard, C. A., King, G. A., Khalili, H. & Bezzina, M. B. (2012). Assessment of Interprofessional Team Collaboration Scale (AITCS) : Development and Testing of the Instrument. Journal of Continuing Education in the Health Professions, 32(1), 58-67.

Ostrom, E. (1990). Governing the commons : the evolution of institutions for collective action. Cambridge, New York : Cambridge University Press.

Paal, T. & Bereczkei, T. (2007). Adult theory of mind, cooperation, Machiavellianism:The effect of mindreading on social relations. Personality and Individual Differences, 43, 541-551.

Rey, B. (1996). Les compétences transversales en question. Paris : ESF.
Sanojca, E. (2018). Les compétences collaboratives et leur développement en formation d’adultes. Le cas d’une formation hybride. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation. Rennes, Université Rennes 2.Sennett, R. (2013). Ensemble, pour une éthique de la coopération. Paris : Albain Michel.

Thomson, A. M., Perry, J. L. (2006). Collaboration Processes : Inside the Black Box. Public Administration Review, 66 (1), 20-32.

Tomasello, M. (2014). The ultra-social animal. European Journal of Social Psychology, 44, 187-194.

Warneken, F. & Tomasello, M. (2009). The roots of human altruism. British Journal of Psychology, 100, 455-47

Licence : CC by-nc-sa

Notes

[1En s’appuyant sur la distinction établie par Henri et Lundgren-Cayrol en 2001, le terme « collaboratif » est associé de manière privilégiée à la notion de compétence. Néanmoins, par reconnaissance du débat actuel et de l’emploi souvent interchangeable des mots coopératif et collaboratif, on maintient ici l’usage de ces deux termes.

[2La formation Animacoop initialement organisée à Brest et Montpellier, s’est diffusée aujourd’hui à Paris, Lyon, Toulouse, Tours et Gap dans un réseau de formateurs en « archipel ».

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