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Bulletin de veille no.6 - février 2016 - L’évaluation et la rétroaction par les pairs en enseignement supérieur

Un article repris de http://pedagogie.uquebec.ca/portail...

Rédigé par Claude Boucher, conseillère en pédagogie universitaire et chargée de cours à l’UQAT.

La question de l’évaluation des apprentissages, et plus spécifiquement, la rétroaction qui y est intimement liée, sont souvent considérés comme des sujets épineux en enseignement supérieur (Berthiaume et Rege Colet, 2013 ; Nicol, Thomson et Breslin, 2014). En effet, bien que la rétroaction soit reconnue comme un élément essentiel au processus d’apprentissage, plusieurs études révèlent que les étudiants sont moins satisfaits de la rétroaction reçue, que de tout autre aspect lié à leurs cours (Nicole, Thomson et Breslin, 2014, p. 102). La façon de palier la plus fréquente observée consiste à tenter d’améliorer la qualité de la rétroaction donnée par les enseignants, contexte qui prend tout de même souvent l’allure d’un monologue. Or, Nicol (2010) suggère plutôt que la rétroaction soit abordée comme un dialogue entre l’enseignant et les étudiants. De plus, l’approche socioconstructiviste qui insiste sur le rôle des interactions entre les étudiants et le processus actif permettant le développement de leurs connaissances et compétences (Legendre, 2005), incite les enseignants universitaires à faire participer davantage les étudiants dans le processus d’évaluation, notamment sous la forme de l’évaluation par les pairs. Cette pratique est d’ailleurs de plus en plus fréquente en enseignement supérieur et représente une alternative importante à la rétroaction de la part des enseignants. D’autant plus que la recherche indique que l’évaluation par les pairs peut améliorer les apprentissages des étudiants, et ce, sans augmenter la charge de travail de l’enseignant (Landry, Jacobs et Newton, 2015).

Ce bulletin de veille portera sur deux articles traitant de l’évaluation et la rétroaction par les pairs, soit Rethinking Feedback Practices in Higher Education : A Peer Review Perspective de David Nicol, Avril Thomson et Caroline Breslin, publié en 2014 dans la revue Assessment & Evaluation in Higher Education, et Effective Use of Peer Assessment in a Graduate Level Writing Assignment : A Case Study par Ashley Landry, Shoshanah Jacobs et Genevieve Newton de l’Université de Guelph, publié en 2015 dans International Journal of Higher Education.

 

Définissons tout d’abord l’évaluation et la révision par les pairs, tel que précisé dans le premier article, Rethinking Feedback Practices in Higher Education : A Peer Review Perspective. Pour Nicol, Thomson et Breslin, il s’agit d’un processus où les étudiants évaluent et portent un jugement sur le travail de leurs collègues, et rédigent une rétroaction écrite. Ce processus implique que les étudiants produisent et reçoivent de la rétroaction pour et par leurs pairs.

Les auteurs de cet article soulignent des bénéfices d’apprentissage identifiés à travers différents travaux de recherches en ce qui concerne la réception de rétroactions entre pairs, notamment celles de Topping (1998) et Falchikov (2005) qui indiquent qu’elle est souvent perçue de la part des étudiants comme étant plus facile à comprendre et utile que la rétroaction des enseignants. Tel que soulignée par Topping (1998), il appert que lorsque plusieurs pairs sont impliqués dans la révision et l’évaluation, la quantité et la variété des rétroactions est supérieure, tandis que Cho et MacArthur (2010), dans Nicol, Thomson et Breslin (2015) rapportent que lorsque les étudiants ont reçu de la rétroaction de la part de plus d’un de leurs pairs, ils ont davantage amélioré la qualité de leur travail initial (premier jet soumis) que lorsqu’ils n’ont eu qu’une seule rétroaction de la part d’un pair ou de l’enseignant. Nicol, Thomson et Breslin (2015) indiquent également que la plupart de recherches se sont intéressées aux bénéfices d’apprentissage reliés à la réception de rétroactions de la part de pairs, telles celles de Topping (1998) et Falchicov (2005), mais peu ont investigué les bénéfices d’apprentissages pour les étudiants qui révisent, évaluent et rédigent de la rétroaction pour leurs pairs, et tout particulièrement, la nature des apprentissages réalisés.

Les questions de cette recherche sont :

  1. Quelles sont les expériences et les attitudes des étudiants à l’égard de l’évaluation par les pairs en général ?
  2. Quelles sont les perceptions des étudiants à l’égard des bénéfices d’apprentissage associés aux différentes composantes du processus d’évaluation par les pairs, soit donner et recevoir de la rétroaction, et comment ces processus influencent leur propre travail à remettre ?
  3. Quels sont les processus mentaux utilisés par les étudiants lorsqu’ils évaluent les travaux de leurs pairs et rédigent les rétroactions ?

Les sujets qui ont fait partie de l’étude sont un groupe de 82 étudiants de première année en génie à l’Université de Stranthclyde, à Glasgow en Écosse. Le travail demandé est un projet de recherche et de conception comprenant un devis de spécification de produit, ainsi que le design détaillé du produit, nommé PDS (Product Design Specification) dans l’article. Il s’agit d’une tâche individuelle, qui s’avère complexe et de nature authentique de l’ingénieur.

Tous les étudiants devaient remettre une première version de leur travail, et chaque étudiant révisait le travail de deux de leurs collègues à partir des critères d’évaluation soumis par l’enseignant et de questions facilitant la rédaction de la rétroaction, par exemple : « Considérez-vous que le PDS est complet selon les éléments à couvrir ? Si non, pouvez-vous faire des suggestions d’éléments qui contribueraient à améliorer la qualité du PDS et expliquez pourquoi ils sont importants. ». Les étudiants pouvaient ensuite faire toutes les modifications souhaitées avant de soumettre leur version finale à l’enseignant.

Le taux de participation aux activités de révision a été élevé puisque que 62 des 82 étudiants ont réalisé les trois étapes de révision, soit les deux évaluations de leurs pairs et une autoévaluation et la révision de leur propre travail avant de le soumettre en version finale.

Un questionnaire en ligne comprenant 21 items a été proposé aux étudiants suite à l’activité d’évaluation par les pairs, dont treize énoncés portant sur les trois questions de recherche selon une échelle d’appréciation de type Likert à cinq niveaux, et huit questions ouvertes permettant aux étudiants d’émettre leurs commentaires. Au total, ce sont 64 des 82 étudiants qui ont rempli le questionnaire anonyme, pour un taux de participation de 78 %.

Par la suite, des groupes de discussion ont été organisés visant à approfondir les commentaires recueillis à partir des questions ouvertes du questionnaire, mais surtout, afin d’avoir une meilleure compréhension de leur processus mental lors de la révision et la rédaction de la rétroaction à soumettre à leurs pairs, soit la troisième question de recherche.

Les résultats quant à l’attitude des étudiants : 86 % des étudiants ont confirmé que l’activité avait été positive pour eux, 76 % choisiraient définitivement d’y participer à nouveau, et ce bien que cette expérience était nouvelle pour 55 % des répondants. Parmi les répondants, 53 % ont qualifié les commentaires reçus de leurs pairs d’excellents ou très bons.

Les résultats quant au point d’intérêt central de cette recherche, soit les apprentissages réalisés suite à la rédaction et la réception de rétroactions de la part des pairs, s’avèrent également très intéressants :

  • Parmi les répondants, 93% considèrent qu’ils ont réalisé des apprentissages par ce processus d’évaluation par les pairs, dont 55 % des répondants autant en donnant qu’en recevant de la rétroaction ;
  • Au total, 76 % ont indiqué avoir modifié leur travail suite aux rétroactions, soit données, soit reçues, et que cette démarche les a aidés à apprendre. Les étudiants considèrent également que les changements apportés à leur version finale sont des améliorations ;
  • Parmi les répondants, 15 % ont également mentionné que l’exercice leur a appris à développer leur jugement critique et à regarder le travail de leurs collègues dans une perspective d’évaluateur.

Les résultats de cette étude semblent indiquer que réviser le travail de collègues et émettre des rétroactions amène les étudiants à poser et à développer un regard critique sur le travail d’autrui.  De plus, un processus de comparaison s’établit et amène une réflexion critique sur leur propre travail, et leur permet de réaliser des apprentissages importants.

Cette étude nous amène à considérer de nouvelles perspectives de bonnes pratiques en évaluation en enseignement supérieur en permettant aux étudiants de devenir des parties prenantes du processus d’évaluation en révisant et en offrant de la rétroaction à leurs pairs. Les auteurs soulignent que d’autres recherches sont nécessaires sur l’évaluation par les pairs, notamment en ce qui concerne les expériences, les perceptions et les réponses aux diverses activités mises en place afin d’impliquer les étudiants dans la démarche d’évaluation de leurs pairs.

C’est justement sur un de ces éléments que la prochaine étude s’est penchée, soit Effective Use of Peer Assessment in a Graduate Level Writing Assisgnment : A Case Study par un groupe de chercheurs de l’Université de Guelph en Ontario, en 2015.

Landry, Shoshanah et Newton mentionnent que parmi les principaux avantages de cette pratique évaluative se retrouvent les apprentissages réalisés par les étudiants, l’amélioration de leurs résultats ainsi que le temps minimal investi par le professeur permettant ces bénéfices. Par contre, l’une des préoccupations fréquentes liées à l’évaluation par les pairs est leur capacité à évaluer de façon juste leurs collègues. Les auteurs ont également constaté que peu d’études se sont penchées sur l’évaluation par les pairs chez les étudiants des cycles supérieurs.

Les buts de leur recherche étaient les suivants :

  1. Mieux connaître les perceptions des étudiants gradués à l’égard d’une activité d’évaluation par les pairs d’un travail écrit ;
  2. Déterminer si les étudiants sont en mesure d’attribuer une note juste et fiable, en l’occurrence, qui concorde avec celle de l’enseignant évaluateur ;
  3. Déterminer si l’évaluation par les pairs permet d’améliorer la qualité des travaux remis (résultat supérieur), notamment par les changements apportés suite aux rétroactions émises par leurs collègues.

Les sujets qui ont fait partie de cette étude les étudiants de 2e et 3e cycles dans un des programmes en nutrition de l’Université de Guelph. Ces derniers avaient à rédiger la critique de cinq à huit articles scientifiques, notamment quant aux forces et aux faiblesses des différentes recherches consultées, avec une attention particulière portée à la méthodologie utilisée dans chacune ainsi qu’aux différences méthodologiques. Les étudiants avaient également à faire des liens entre les éléments des résultats des recherches ciblées.

Les étudiants soumettaient une première version de leur travail à l’aide d’une plateforme d’évaluation par les pairs (PEAR – Peer Evaluation Assessment and Review) qui gère les aspects logistiques de l’évaluation, attribuant de façon anonyme les travaux entre les étudiants, intègre la grille d’évaluation proposée, compile les résultats attribués et tient un registre des activités. Chaque étudiant avait à évaluer le travail de deux de ses collègues, à attribuer une note sur 100 et à émettre une rétroaction écrite selon trois catégories : commentaires positifs, corrections à apporter selon les critères de la grille d’évaluation et suggestions d’amélioration. Les étudiants recevaient ensuite les évaluations et rétroactions de leurs collègues de façon anonyme et avaient trois semaines pour apporter des corrections et soumettre leur version finale à l’enseignant.

Avant de soumettre leur première version et d’évaluer leurs pairs, les étudiants avaient bénéficié d’une formation où leur était rappelé des stratégies d’écriture efficaces pour la rédaction critique, ils s’étaient approprié la grille d’évaluation, avaient reçu des indications sur la rétroaction constructive et efficace et s’étaient pratiqué en équipes à évaluer des travaux similaires.

Un questionnaire en ligne visant à mieux comprendre l’appréciation des étudiants de leur expérience d’évaluation par les pairs leur a été proposé. Le questionnaire comportait 24 questions sur une échelle de type Likert à 5 niveaux, et 9 questions ouvertes. Au total, 44 étudiants ont rempli le questionnaire sur une possibilité de 70 étudiants inscrits aux programmes, ce qui représente un taux de participation de 62,9 %. De ces 44 répondants, 90 % étudient au 2e cycle.

Afin de déterminer la justesse des notes accordées par les étudiants à leurs pairs, on a comparé ces dernières à celle attribuée par le professeur au premier jet soumis. Et finalement, afin de déterminer si les étudiants avaient amélioré leurs résultats suite à l’activité d’évaluation par les pairs, les chercheurs ont comparé le résultat attribué par le professeur à la première version et celui accordé à la version finale.

Les résultats indiquent que les perceptions des étudiants à l’égard de l’activité d’évaluation par leurs pairs se sont avérées très positives, notamment puisqu’elle leur a permis d’améliorer leur travail avant de soumettre la version finale. Les étudiants considèrent qu’ils ont réalisé des apprentissages et que cet exercice leur a permis d’améliorer leur esprit critique et leur capacité à s’autoévaluer.

Il n’y a pas eu non plus de différence significative entre les résultats attribués par les étudiants et le professeur, ce qui permet de penser que les étudiants sont en mesure d’évaluer de façon juste leurs collègues, bien que les données semblent démontrer que plus d’un étudiant évaluateur doit réviser le travail de collègues. Finalement, les étudiants ont amélioré leur résultat entre la première version et la version finale de 3,4 % et que les améliorations apportées étaient directement associées aux commentaires émis par leurs collègues.

Cette étude indique que l’évaluation par les pairs de travaux écrits est une avenue fort intéressante aux cycles supérieurs puisque les étudiants sont en mesure d’évaluer leurs collègues de façon juste, de réaliser des apprentissages importants et d’améliorer leurs propres résultats. Landry, Jacobs et Newton rappellent toutefois l’importance de bien structurer ce type d’activité d’évaluation afin de s’assurer d’en tirer les bénéfices souhaités. La promotion d’un climat de confiance, l’évaluation par plus d’un pair et du professeur, l’utilisation d’une grille d’évaluation claire et comprise par les étudiants, un entrainement préalable, des exemples de commentaires positifs et constructifs à émettre à leurs collègues sont des pratiques à mettre en place pour une évaluation par les pairs bénéfiques pour tous. 


Références

Berthiaume, D., & Rege Colet, N. (2013). La pédagogie de l’enseignement supérieur : repères théoriques et applications pratiques. Tome 1 : Enseigner au supérieur. Berne : Peter Lang.

Landry, A., Jacobs, S., & Newton, G. (2015). Effective Use of Peer Assessment in a Graduate Level Writing Assignment : A Case Study. Internation Journal of Higher Education, 4(1), pp. 38-51.

Legendre, R. (2005). Dictionnaire actuel de l’éducation (éd. 3e). Montréal : Guérin.

Nicol, D. (2010). From Monologue to Dialogue : Improving Writtent Feedback in Mass Higher Education. Assessment & Evaluation in Higher Education, 35(5), pp. 501-517.

Nicol, D., Thomson, A., & Breslin, C. (2014). Rethinking Feedback Practices in Higher Education : A Peer Review Perspective. Assessment & Evaluation in Higher Education, 39(1), pp. 102-122.

 

Licence : CC by-nc-sa

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