Ces paroles, les moins de 20 ans ne les connaissent peut-être pas. Mais à l’image de ce que chantait Francis Cabrel dans un titre de 1981, les bacheliers qui n’ont pas encore d’affectation dans l’enseignement supérieur pour la rentrée 2019 cherchent à prendre « leur place dans le trafic »… Et ce avant que le site Parcoursup, dont la phase complémentaire a ouvert le 25 juin, ne ferme ses portes le 11 septembre prochain.
Ce compte à rebours est l’occasion de revenir sur la philosophie qui sous-tend cette plate-forme d’affectation dans les universités, écoles et classes préparatoires, lancée en 2018 avec la promesse d’un meilleur accompagnement des jeunes dans leurs choix.
Une analyse sémantique (des mots) et sémiotique (des signes) indique qu’elle emprunte de nombreux codes à l’univers du GPS automobile. Sans réussir pour autant à en adopter le système intuitif d’orientation.
Nouveau référentiel
Depuis deux ans, la plate-forme doit orienter un peu plus de 600 000 bacheliers chaque année vers plus de 14 000 formations. Pas étonnant qu’il y ait quelques bouchons sur les routes de la rentrée. Pourtant le nouveau système avait justement été mis en place pour éviter les ralentissements.
L’ancienne plate-forme Admission Post-Bac, dite APB, a été remplacée par Parcoursup le 15 janvier 2018, suite au « Plan etudiants » et à la loi ORE du 8 mars 2018. La première lettre de cette loi souligne d’emblée que l’orientation post-bac est bien un enjeu majeur du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Or, pour changer de cap, il fallait aussi un changement de codes. En suivant les chemins tracés par Algirdas Julien Greimas et Roland Barthes, décryptons les évolutions des symboles visuels opérés d’APB à Parcoursup, pour comprendre ce qui se joue derrière cette notion de « parcours ».
Processus de choix
L’ancienne appellation mettait l’accent sur l’admission, étape administrative officialisant l’inscription à un établissement. Le mot « bac » y était encore présent. Le nouveau nom quant à lui substitue le processus au point d’étape.
Doublée de la mention « Entrez dans l’enseignement supérieur », la nouvelle signature invite au mouvement. Le libellé « post bac » était inclus dans un phylactère bleu, comme la bulle d’une BD. Ou plus probablement dans la tête des jeunes bacheliers comme celle des SMS réceptionnés ! Cela renvoyait graphiquement à un jeu de questions et réponses.
Alors que le logotype d’APB évoquait le dialogue, celui de Parcoursup adopte une typographie plus lisible et moins anxiogène. La casse minuscule est plus cohérente avec l’environnement de l’écriture électronique en vogue sur tout l’univers graphique du web. La minuscule est à la fois l’écriture par défaut sur un clavier, plus naturelle et informelle, tandis que la majuscule évoque parfois l’urgence, voire le danger.
Le logotype de Parcoursup est composé aux deux tiers d’une couleur froide, sérieuse. Par opposition, une couleur chaude vient trancher la lettre « s » au cœur du mot. Le rouge orangé rappelle l’importance de l’enjeu, attire l’attention. Le « s » bicolore est une lettre de transition chromatique. Sa forme évoque à elle seule un chemin serpentant. Et finalement sa double couleur permet au « up » un statut à part. « Up » signifie aussi « vers le haut » en anglais. S’agit-il discrètement d’inviter à une transition vers la langue anglaise ?
L’alternance de couleurs, que l’on retrouve dans les trois petites flèches, annonce une démarche en étapes. On peut aussi y voir trois marches d’escalier, une grimpette progressive vers les études supérieures. Un rythme ternaire calqué sur la première tranche de la réforme européenne dite LMD (licence, bac +3, master, bac +5, doctorat, bac +8).
Critères de navigation flous
Habituellement, sur un GPS automobile, il convient d’indiquer cinq variables importantes pour lui permettre d’optimiser un parcours : un lieu de départ, un lieu d’arrivée, des dates, des préférences personnelles de trajet, des règles économiques.
Ironiquement, les mêmes questions peuvent se poser au candidat de Parcoursup pour optimiser son trajet dans l’enseignement supérieur. Mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un GPS difficile à utiliser :
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Un lieu de départ qui ressemble à une ligne d’arrivée : Peu de bacheliers réalisent qu’ils sont à l’aube d’un nouvel épisode. Le baccalauréat n’était donc pas une fin en soi. C’est un « passeport », mais vers quelle contrée inconnue ?
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Un lieu d’arrivée difficile à indiquer : Peu de bacheliers savent d’ores et déjà exprimer un choix professionnel.
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Des dates qui obligent à rester dans le rythme : Si certains bacheliers seraient bien tentés par une année de césure après la terminale, la plupart n’osent pas manquer la traditionnelle rentrée de septembre. Et la procédure de Parcoursup est cadrée au plan national.
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Des préférences qui demandent réflexion : Un GPS permet généralement d’indiquer si on privilégie la vitesse, le coût du déplacement, la distance parcourue, ou le passage par certaines étapes… Sur Parcoursup, il n’est pas possible de filtrer les réponses selon des préférences personnelles d’apprentissage – cours en face à face, des cours en ligne, travaux pratiques… Face à ces questions, nombre de bacheliers restent perplexes. Certains s’expriment encore en évoquant les matières qu’ils aimaient au lycée. Rares sont ceux qui se connaissent profondément, et identifient bien les modes d’apprentissage qui leur correspondent.
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Des règles économiques… taboues dans le secteur de l’éducation : Un paramètre économique dans un GPS de l’orientation universitaire semblerait bien cynique. De fait, ce filtre important des GPS automobiles ne fait pas partie des critères évoqués sur Parcoursup. Il ne s’agit pas ici de privilégier les autoroutes à péage ou les chemins de traverses gratuits. Pourtant, le coût des études est une question clé pour les familles.
Aucun des cinq paramètres d’un GPS habituel ne semble évident à renseigner sur Parcoursup pour trouver son parcours universitaire, de sorte que le site, à l’instar d’Admissions Post-Bac, reste plus une plate-forme d’inscription qu’il ne se rapproche d’un outil d’aide à la navigation.
Alors pour trouver sa voie, on a toujours la possibilité de baisser sa vitre et de demander son chemin au premier venu. De nos jours, cela revient à se tourner vers les réseaux sociaux. Le jeune bachelier peut tenter une incursion dans la cacophonie de YouTube et des forums, ou jongler entre les différents sites institutionnels. Cela suffira-t-il à l’aider à vraiment à se construire un parcours sur mesure ?
Parallèlement à ses activités de professeur et de chercheuse, Alice RIOU a fondé l’agence web de Randonnées "Pedestria" en 2003.
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