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Pédagogies alternatives : une galaxie aux finalités politiques variées

Un article repris de http://theconversation.com/pedagogi...

Les pédagogies alternatives se revendiquent des courants d’éducation nouvelle, comme la pédagogie Montessori. Shutterstock

Sur les douze millions d’enfants et adolescents scolarisés en France, seules quelques dizaines de milliers de jeunes seraient inscrits dans des cursus revendiquant des pédagogies alternatives. Des sites de diffusion des militants comme le printemps de l’éducation avancent le chiffre de 60 000 enfants concernés. Un chiffre « officiel » de 24 851 enfants est donné par le rapport de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) pour les enfants non-scolarisés en famille ou à distance.

Si l’on s’arrête aux statistiques, le phénomène peut donc sembler marginal. Néanmoins leur progression est réelle et les discours des militants de ces pédagogies rencontrent un grand écho dans les médias et une partie de la société. Nous avons, dans une étude récente de la revue Tréma, esquissé une analyse de la définition et des contours de cette galaxie hétéroclite.

Quel point commun entre une école « traditionnaliste » religieuse et une école Montessori, entre une école Freinet et le homeschooling ? Analyser cette nébuleuse, c’est tenter d’établir les principes fédérateurs de ces mouvements sans sous-estimer les oppositions entre les acteurs des différents courants. C’est aussi souligner le rôle effectif des initiateurs, des soutiens et des ramifications idéologiques et financières.

L’éducation nouvelle en héritage

L’idée d’alternative n’est pas récente puisque les courants d’éducation nouvelle issus des pédagogues Célestin Freinet, Maria Montessori, Rudolf Steiner et Ovide Decroly sont présents en France depuis la première moitié du XXe siècle et se sont construits en réaction à l’école traditionnelle. Les pédagogies alternatives du XXIe siècle apparaissent différentes dans leurs finalités politiques, leurs modalités et leurs assises scientifiques.

Vu qu’elles se composent principalement d’établissements privés hors contrat, la question des liens avec l’institution scolaire est posée. En étudiant les discours des différents courants, on se rend bien compte que les « attaques » contre l’enseignement public ne sont pas toutes de même nature.

Les militants de l’instruction à domicile sont dans une opposition de principe à l’école mais d’autres mouvements, comme les écoles démocratiques, prônent des stratégies de contournement ou de concurrence au nom de la liberté pédagogique. S’agit-il d’une résistance conjoncturelle ? Cela participe-t-il à la libéralisation et la privatisation de l’éducation ? Ces questions restent encore en suspens.

Les neurosciences en arrière-plan

Dans son dernier ouvrage, Philippe Meirieu a précisé avec lucidité les enjeux des débats actuels entre les tenants d’une école « traditionnelle », les militants de l’éducation nouvelle et les militants des pédagogies alternatives actuelles qui souhaitent de façon radicale redéfinir l’ensemble des relations pédagogiques par une condamnation de la domination adulte. Philippe Meirieu les définit comme des « hyperpédagos », ce qui peut être discuté, car certains militants refusent l’idée même de pédagogie perçue comme outil de domination de l’enfant.

Derrière cette typologie se décèle un clivage politique. Les mouvements Freinet, mais aussi dans une moindre mesure Decroly, revendiquent une finalité émancipatrice et une transformation politique de l’éducation, alors que les mouvements alternatifs actuels se disent le plus souvent « apolitiques » en mettant en avant « l’évidence » du développement personnel légitimé par les neurosciences. Cependant, ce refus d’être « étiqueté » n’empêche pas un discours et des pratiques qui renvoient à des univers politiques et pédagogiques bien identifiés.

Les pédagogies alternatives du XXIe siècle, qu’elles soient hors ou dans l’école, se revendiquent implicitement ou explicitement des courants d’éducation nouvelle du début du XXe siècle. Elles en sont parfois des émanations directes, comme c’est le cas pour les écoles Montessori ou les classes Freinet. Néanmoins, les assises scientifiques des deux courants, ne sont pas les mêmes.

Les courants d’éducation nouvelle sont issus des réflexions et des pratiques de la psychologie de l’enfant et de la psychologie sociale. Les pédagogies alternatives du XXIe siècle, tout en reprenant une partie de ce corpus, légitiment leurs pratiques par les avancées des sciences cognitives et en particulier des neurosciences. On assiste d’ailleurs à une sorte d’alliance entre neuroscientifiques et militants des pédagogies alternatives face à l’enseignement public.

Sortir des mythes

Notre analyse de la galaxie des pédagogies alternatives met en avant trois archipels aux finalités politiques divergentes voir antagonistes.

  • Le premier archipel est celui des courants historiques de l’éducation nouvelle (Decroly, Montessori, Steiner ou Freinet), bien présents aujourd’hui dans le paysage éducatif français public et privé. Il ne s’agit aucunement d’un « front » commun. Les idéaux de mixité sociale et de transformation de l’éducation restent des points d’ancrage forts dans la mouvance Freinet et Decroly alors que les courants Steiner et Montessori mobilisent avant tout le développement de la personnalité.

  • Le second archipel propose un projet pédagogique centré sur la « tradition », sur la transmission des savoirs avant toute socialisation. Cet ensemble est principalement composé d’écoles catholiques traditionnalistes. Ces écoles sont idéologiquement en opposition avec la plupart des écoles alternatives prônant une transformation sociétale. Néanmoins, cette mouvance perçoit dans certaines écoles alternatives, une convergence dans ce contournement de l’enseignement public et dans cette libéralisation de l’éducation.

  • Enfin, le troisième archipel, qui aujourd’hui se développe, est une nébuleuse regroupant tout un ensemble d’expériences pédagogiques, d’associations et d’acteurs qui s’appuient sur les concepts d’éducation familiale, de développement personnel et de neurosciences. Son essor reste quantitativement négligeable mais médiatiquement et politiquement très offensif. L’un des aspects nouveaux est cette captation de l’idée d’innovation par des écoles ou expériences qui ne s’attachent pas à une forme éducative particulière. On y assiste à un tiraillement entre un repli individualiste et une volonté de transformer le système en place.

Hier comme aujourd’hui, l’école est bien évidemment un enjeu politique. La difficulté des réformateurs de l’intérieur du système éducatif public est bien de défendre l’idée d’une école du bien commun, tout en étant critique de ce système éducatif. Cela ne signifie pas que la situation est immuable mais il nous semble qu’il faut sortir des mythes.

L’éducation nouvelle n’est pas un mouvement uniforme, elle n’a pas irrigué de son « pédagogisme » le système éducatif français – les réformateurs restent marginalisés au sein de l’enseignement public. Le combat pour définir une éducation émancipatrice est encore davantage d’actualité face à un individualisme social grandissant et un nationalisme exacerbé.

The Conversation

Sylvain Wagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

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