Innovation Pédagogique et transition
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La société apprenante, un impératif démocratique

Un article repris de http://theconversation.com/la-socie...

Apprendre à apprendre. NCHS Library/Visualhunt, CC BY-NC-SA

Le 4 avril dernier, François Taddei, directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI), a remis aux ministres du Travail, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation un rapport intitulé « Un plan pour co-construire une société apprenante ». Les auteurs de ce rapport (Catherine Bizot, Guillaume Houzel, Gaëll Mainguy, Marie-Cécile Naves et François Taddei) publient dans The Conversation France une série d’articles pour en présenter les principaux axes et propositions.


« Si vous pensez que l’éducation coûte cher, attendez de voir combien l’ignorance coûtera au XXIe siècle » (Président Barack Obama en 2013, en référence à la célèbre citation d’Abraham Lincoln)

Il peut sembler trivial de dire que la démocratisation de l’éducation et de la connaissance doit être une priorité politique. La circulation et l’échange de savoirs, la promotion et la diffusion de la science ne font cependant pas l’unanimité. Partout en Europe, aux États-Unis et ailleurs, la société apprenante, pour paraphraser Karl Popper qui parlait des ennemis de la « société ouverte », a ses adversaires.

Des tentations autoritaires, parfois au sommet même de l’État, menacent la liberté de s’informer, d’apprendre, de faire de la recherche, plus globalement d’accroître son niveau de connaissances. Certains, pour défendre une idéologie obscurantiste ou des intérêts mercantiles, sont prêts à dénigrer ou falsifier des résultats scientifiques, comme on l’a vu sur le tabac et comme on le voit sur l’environnement, sans parler des thèses créationnistes. Le procédé des « fake news », dont les formes seront sans doute de plus en plus inventives à l’avenir, en est un vecteur. Quant aux écoles, elles sont des cibles privilégiées pour les terroristes et des dictateurs.

L’éducation, la formation tout au long de la vie, le développement professionnel et la construction des nouvelles compétences nécessaires aux métiers de demain, dont beaucoup sont encore inconnus de nous, sont indispensables au progrès économique et social et représentent un véritable enjeu de durabilité, de stabilité et donc d’égalité.

L’ONU, par exemple, définit dix-sept objectifs de développement durable, dont un consistant à « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Les pouvoirs publics doivent donc agir pour garantir durablement l’inclusion sociale et l’insertion professionnelle de tous les individus, la mise à jour des connaissances et le développement des intelligences individuelles et collectives, l’amélioration de la qualité de vie et l’épanouissement de toutes et de tous.

Comme l’expliquent en effet les économistes Joseph Stiglitz – prix Nobel – et Bruce C. Greenwald dans leur ouvrage Creating a Learning Society, l’évolution des technologies de la connaissance changent les manières d’apprendre et doit nous amener à transformer notre société. Pour eux, non seulement l’apprentissage fonde la croissance et le développement de longue durée, mais « une des avancées des économies modernes a été l’amélioration de leurs processus d’apprentissage, elles ont appris à apprendre ».

Les deux chercheurs expliquent que l’avènement progressif de nos sociétés de l’apprentissage a eu plus d’impact sur le bien-être humain que l’accumulation des ressources. De fait,

« l’évolution des techniques, dans la production comme dans l’acquisition des savoirs, a changé la façon dont nous apprenons et dont nous devons apprendre. Une société de l’apprentissage qui fonctionne bien s’adapte à ces changements. »

C’est pourquoi il est nécessaire de repenser et redessiner les moyens, les méthodes et les parcours de formation tout au long de la vie.

Face aux mutations du travail, faciliter les apprentissages de tous

Pour faire face à ces nouveaux défis et aux mutations très rapides de la société, induites notamment par le développement du digital, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle (IA), nous devons tous avoir accès à des outils et procédures nous permettant d’apprendre à apprendre tout au long de notre carrière. Ni le diplôme de formation initiale, ni le CDI ne suffisent à garantir une sécurité de l’emploi.

Il faut non seulement éviter que les métiers les moins qualifiés disparaissent, mais aussi inventer les métiers de demain. Il en va de l’épanouissement professionnel, et non pas uniquement du profit économique. Et ce, d’autant que les prévisions en ce domaine ont toujours sous-estimé la vitesse et l’ampleur avec lesquelles les machines allaient transformer notre travail comme notre rapport au travail.

La mise en place de « labs des métiers de demain », ouverts à tous ceux qui souhaitent contribuer à les inventer, ainsi que les formations correspondantes, est une piste qui intéresse déjà plusieurs décideurs, comme le commissaire européen à la recherche, à la science et à l’innovation. Salariés, apprentis, demandeurs d’emploi, étudiants pourront venir s’y former par la recherche interdisciplinaire, l’expérimentation, le tâtonnement, le partage d’approches et l’échange de pratiques développées en France ou à l’étranger.

En France, le numérique et l’IA, en particulier, font peur. Mais cette peur ne freinera nullement leur expansion. Si l’IA ne fait l’objet d’aucune appropriation par les pouvoirs publics, c’est le marché non régulé qui, seul, en tirera profit, sans nécessairement se soucier des conséquences humaines, sociétales, environnementales. Au contraire, l’IA peut être un atout pour le développement professionnel et personnel.

La machine peut être utilisée pour soulager le salarié de tâches répétitives ou chronophages et lui permettre de se concentrer sur des activités plus gratifiantes ou de dégager du temps pour se former. Selon le neurobiologiste Pierre-Marie Lledo, le cerveau humain a précisément besoin de continuer à apprendre pour produire des neurones. Lorsque nous externalisons une partie de nos fonctions cognitives vers la machine, c’est aussi une occasion de nous concentrer sur ce qui nous intéresse le plus.

Les compétences dites « sociales », « émotionnelles » et « soft » (littéralement « sensibles ») ne sont pas duplicables par des ordinateurs. Empathie, patience, plus globalement intelligence relationnelle, mais aussi capacité d’adaptation, d’initiative et d’organisation, motivation, intuition, sens artistique sont par exemple concernés.

Comme le note le « rapport Villani » (« Donner un sens à l’intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne », Rapport pour le premier ministre, 29 mars 2018), la principale « compétence matricielle dans un monde en perpétuelle évolution » est la créativité humaine.

C’est du reste pour cela que, selon plusieurs observateurs, certains métiers continueront d’être plébiscités, à l’instar des métiers de la vente, de la coiffure ou encore du bien-être, pour ne citer qu’eux.

Le besoin d’échanges humains devrait empêcher, dans une économie de services compétitive, de remplacer complètement plusieurs métiers par des machines. Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, « sans acceptation sociale, tous les progrès technologiques ne seront pas saisis, même quand ils entraînent un gain par ailleurs ». Il donne un autre exemple en apparence anecdotique mais en réalité tout à fait parlant – et dont l’impact est important : celui de l’arbitrage sportif, alors que le spectacle sportif, et footballistique en particulier, a beaucoup été décrit comme un lieu d’expression des émotions.

Promouvoir une société apprenante

Ces progrès ne peuvent se faire qu’au sein d’une société apprenante. Véritable révolution culturelle, celle-ci a précisément pour but de faciliter les apprentissages individuels et collectifs, de faire en sorte que les apprentissages des uns permettent à d’autres d’apprendre plus facilement.

Ainsi, pour lutter contre les « fake news » et globalement « l’infobésité » et la « malinformation », on pourrait imaginer de nouvelles générations de navigateur sur le web qui détectent et marquent les informations douteuses, et facilitent l’évaluation et l’argumentation par différents publics identifiés par leur compétence (chercheurs, étudiants, journalistes, etc.).

Nous pourrions collectivement identifier les informations les moins fiables et ralentir les « épidémies » de « fake news », comme on freine un virus, et même prévenir les personnes qui les propagent pour les aider à être moins crédules à l’avenir. L’inverse serait vrai pour les informations fiables, qui seraient ainsi plus facilement partagées.

La confiance, l’ouverture, le partage et la coopération sont des valeurs essentielles de la société apprenante ; elles favorisent la mise en commun des expériences de chacun, pour faciliter le progrès de tous. La société apprenante couvre l’ensemble du parcours d’une personne ou d’un collectif, de la petite enfance à la fin de la vie.

La mise en place, au niveau national, d’une « fête de l’apprendre » déclinée progressivement dans tous les territoires, pour célébrer l’ensemble des apprentissages tout au long de la vie, serait un moyen de documenter ces derniers et de valoriser les pratiques, les lieux et les acteurs de ces apprentissages, dans et hors de l’institution scolaire.

Loin d’être une notion abstraite, éloignée des réalités de terrain, la société apprenante s’appuie déjà sur des individus, des initiatives privées – associations, entreprises – et des institutions publiques – écoles, établissements scolaires, universités, rectorats, villes, métropoles, régions, etc. –, qui progressent et font progresser les professionnels qui y travaillent comme les publics qu’elles servent, et œuvrent pour l’équité.

La société apprenante s’inspire des dispositifs vertueux qui ont vu le jour partout dans le monde. Il existe en effet, aux niveaux national, régional, local, en France, en Europe et ailleurs, des milliers d’expériences et d’innovations qui développent recherche et co-recherche collaboratives, créent des incitations, des lieux et des temps pour ceux qui inventent, transmettent et reçoivent du savoir. Il est urgent de les faire connaître et de faire en sorte que toutes et tous puissent en bénéficier et y participer, pour ne laisser personne sur le bord du chemin.

The Conversation

Marie-Cécile Naves est membre de Sport et CItoyenneté.

Catherine Becchetti-Bizot, François Taddei, Gaëll Mainguy et Guillaume Houzel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

Licence : CC by-nd

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