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Pédagogie inversée en classe préparatoire intégrée.

16 novembre 2015 par François Kany Retours d’expériences 1111 visites 0 commentaire

Pédagogie inversée
en classe préparatoire intégrée.

François Kany
ISEN-Brest, France
kanyfrancois [at] hotmail.com


Résumé

Nous présentons le bilan d’une année de pédagogie inversée en sciences physiques dans une classe de MPSI (CPGE).
Mots-clés : Pédagogie inversée.


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Introduction

Le problème de la pédagogie classique est bien connu. En classe, le professeur enseigne de façon magistrale pendant que les élèves recopient passivement le tableau sur leur cahier. En fin de séance, l’enseignant donne des exercices à chercher pour le cours suivant. Le soir, les étudiants se retrouvent seuls devant leur feuille. C’est souvent à ce moment là qu’ils réalisent qu’ils n’ont pas parfaitement compris le cours et qu’ils se posent des questions. Malheureusement, l’enseignant n’est pas là pour répondre à leurs interrogations.
La pédagogie inversée, formalisée et popularisée par Eric Mazur à la fin des années 1990 [Marzur, 1997], consiste à inverser les temporalités : les temps de « cours » se déroulent à la maison tandis que les temps de recherche des exercices ont lieu en classe.

Remise en cause de la pédagogie classique

Les conséquences de la profonde transformation du lycée

Peu importe ce que l’on pense des réformes des contenus des programmes des lycées, des modifications des volumes horaires, des évolutions des compétences des élèves,... les enseignants de CPGE reconnaissent unanimement que les étudiants ont de plus en plus de mal à suivre le rythme soutenu des cours magistraux en classes préparatoires scientifiques.
Les enseignants de première année doivent, plus que jamais, s’adapter à leurs nouveaux publics. La mise en place des notions fondamentales doit être particulièrement progressive, notamment au premier semestre. En conséquence, le professeur court le risque de prendre du retard sur la progression qu’il avait initialement envisagée. Ce retard ne pourra se combler au second semestre qu’au prix d’une forte accélération qui risque d’être fatale pour les élèves les plus fragiles.

Un changement qui s’impose

Qu’il soit « pour » ou « contre » les pédagogies innovantes, l’enseignant confronté à cette nouvelle population d’élèves voit ses pratiques pédagogiques remises en cause. Constatant que mes séances de « cours » ne passaient plus auprès de mes élèves, j’ai décidé de changer ma façon d’enseigner.

Un enseignant cobaye

Les nouvelles technologies (vidéo, ordinateur, tableau numérique interactif,...) permet à l’enseignant d’imaginer différents supports pour pratiquer la pédagogie inversée.
Avant de me lancer dans la production de cours « en différé » que les élèves pourraient suivre chez eux, j’ai voulu expérimenter par moi-même des cours à distance que l’on peut trouver sur Internet. Il ne s’agissait pas de visionner une simple conférence d’une heure mais l’ensemble d’un module (20 à 30 heures) et de faire les exercices pour se mettre réellement dans la situation d’un élève.
J’ai testé la session du printemps 2007 du cours d’électronique 6.002 du MIT [MIT, 2007]. Il s’agit d’un cours classique (au tableau, à la craie) filmé en amphithéâtre. Dans le même esprit, la session de l’automne 2005 du cours d’algorithmique 6.046J du MIT [MIT, 2005] est une captation d’un cours mais dans une salle de classe.
Sur le fond, ces cours sont excellents et ils m’ont convaincu que l’on peut enseigner (et apprendre) à distance. Même s’il est moins complet qu’un livre universitaire, le support vidéo aide véritablement à la compréhension. (Le cours [MIT, 2005] correspond d’ailleurs à un livre célèbre [Cormen et al, 1990] et en facilite grandement l’accès).
Néanmoins, sur la forme, ces enregistrements vidéo nécessitent la présence d’un caméra-man pour pouvoir suivre les explications au tableau (mouvement de caméra, zoom,...). De plus, l’interaction avec la salle est difficile à suivre pour le spectateur car les élèves n’ont pas de microphone.
Dans un esprit différent, j’ai suivi en MOOC la session de l’été 2013 du cours de mécanique et d’algorithmique quantique CS-191x de Berkeley [Berkeley, 2013]. Là, le professeur n’a pas de public ; il est assis seul devant son ordinateur ; il capture une partie de son écran où il donne des explications à l’aide d’une palette graphique. Le contenu est très agréable à suivre, c’est la méthode que j’ai choisie d’appliquer.

La mise en place pratique

L’organisation horaire.

A la rentrée 2013, j’ai demandé à ma hiérarchie de modifier l’emploi de sciences physiques de ma classe de MPSI afin que les cinq heures de cours hebdomadaires soient réparties sur les cinq jours de la semaine. Mis à part pour les séances de travaux pratiques, les élèves n’avaient plus de bloc de deux ou trois heures consécutives.

L’organisation matérielle.

La production des vidéos nécessite un logiciel de capture d’écran (par ex : Camtasia studio ; on peut en télécharger une version de démonstration utilisable quelques jours à l’adresse http://camtasia-studio.softonic.fr/) ; une web-cam munie d’un microphone ; une palette graphique et un logiciel de dessin (par ex : Gimp téléchargeable à l’adresse http://www.gimp.org/).
A l’aide du logiciel de dessin, on crée une grande feuille vierge ; on ajuste la fenêtre de capture d’écran aux dimensions de la feuille blanche ; on sélectionne un crayon dans la boite à outils du logiciel de dessin (par ex : Dynamic Pencil Generic avec une épaisseur de 5) ; on écrit sur la feuille de dessin à l’aide de la palette graphique comme sur un tableau et on enregistre simultanément les commentaires audio.
Si on a des illustrations (image, photo, vidéo,...), il suffit de les faire glisser dans la partie d’écran que l’on capture au moment où l’on en a besoin.
Avec un peu d’entraînement, il faut 2 heures pour produire 1 heure de vidéo : capture d’écran, montage avec le logiciel, sauvegarde dans un format standard (.avi), mise en ligne sur l’ENT de l’école.

Le contenu des vidéos.

Le week-end et le lundi matin, j’enregistre les cours en vidéo pour toute la semaine à venir. Ces enregistrements durent entre 1 heure et 1 heure 30. Je refais l’intégralité du cours in-extenso, en prenant bien le temps de faire les démonstrations, en essayant d’être le plus complet possible. (Les calculs sont, par exemple, extrêmement détaillés). Les cours vidéo ainsi que les supports numériques sont téléchargeables sur le site interne de l’école ; une version imprimable (qui reprend le même contenu mais sous forme plus compacte) est également disponible.
Je demande aux élèves de visionner les vidéos comme un vrai cours : en prenant des notes sur un cahier. S’il reste des points obscurs malgré les « replay », les étudiants doivent placer une annotation dans la marge.

Le déroulement d’une séance

Je commence par demander s’il y a des questions sur la vidéo au programme. Je ne réponds qu’aux questions précises (je veux bien refaire une démonstration mais pas question que je refasse l’intégralité du cours). Généralement, ce sont toujours les mêmes élèves qui posent des questions. Cela dure 10 à 20 minutes.
Tout le reste de la séance est dédié aux exercices : j’ai le temps de laisser les élèves réfléchir au brouillon, de passer dans les rangs pour les débloquer individuellement, de faire passer au tableau ceux qui ont trouvé (ou bien ceux qui ne cherchent pas au brouillon pour les forcer à jouer le jeu),...
Au second semestre, j’ai un peu évolué en demandant aux élèves de se réunir par groupes de 3 ou 4 afin de réfléchir ensemble à un problème. Je donnais alors mes indications au groupe. Le volume sonore de la classe s’en est ressenti : il y avait beaucoup plus de bruit.
A la fin de l’heure, j’indique quelle vidéo il faut regarder pour la prochaine séance.
Finalement, contrairement au programme officiel de MPSI qui précise que le volume horaire de physique-chimie est de 5 heures de cours et 1 heure de TD, les élèves reçoivent une heure de cours et 5 heures de TD.

Le bilan

Le bilan de l’enseignant.

L’intérêt des vidéos est que l’on a pas besoin de reprendre plusieurs fois la même explication. J’ai ainsi préparé des « vidéo-méthodes » sur des points techniques précis : manipulation de vecteurs, utilisation des nombres complexes, résolution d’équation différentielle,... J’ai pu y faire référence dans la suite du cours (par exemple en cinétique chimique, en électricité en régime transitoire, en dynamique du point matériel,... j’ai renvoyé directement les élèves vers la vidéo « méthode pour les équations différentielles »).
C’est hélas le seul point positif. La préparation des vidéos demande énormément de travail. La démarche elle-même suscite beaucoup de scepticismes. J’ai eu le malheur d’exposer mon projet sur un site de professeurs de classes préparatoires : j’ai récolté beaucoup de critiques et de sarcasmes. Mon initiative a également soulevé de nombreuses interrogations chez les parents d’élèves. (Néanmoins, la réunion parents-profs m’a permis d’expliquer la démarche et, finalement, les parents se sont montrés plus ouverts que certains collègues).

Le retour des élèves.

Les élèves ont été extrêmement déstabilisés par cette méthode ; d’autant que j’étais le seul enseignant à pratiquer la pédagogie inversée. Beaucoup d’étudiants auraient souhaité que je fasse un cours classique. Je pense que, quelque part, le rôle de scribes passifs les réconfortait ; le fait de les forcer à être actifs en classe les bousculait dans leurs habitudes.
Les élèves ont également trouvé les vidéos trop longues. Il faut probablement faire des séquences plus courtes (peut-être des tranches de 20 minutes), ce qui nécessiterait un redécoupage du cours. Néanmoins, si l’on veut faire l’intégralité du programme, le volume total ne saurait être comprimé. J’ai tenté d’expliquer aux élèves que, s’ils saturaient, ils avaient la possibilité de mettre la vidéo en « pause » et de la reprendre à un autre moment. Mais, j’ai plutôt l’impression que le problème se situe ailleurs : les élèves n’ont pas 1 heure à consacrer tous les soirs au visionnage d’un cours (même par tranches de 20 minutes).
De plus, si la pratique de la pédagogie inversée devait se généraliser, les élèves ne pourraient pas regarder le flux de vidéos qu’on leur imposerait.
La conséquence de ce dispositif a été qu’au bout de quelques mois, certains élèves ne jouaient plus le jeu et négligeaient de regarder les vidéos. Pour ces élèves, les séances d’exercices n’ont pas été pleinement profitables : difficile de traiter un problème lorsqu’on n’a pas suivi le cours et qu’on essaye de trouver les réponses en feuilletant des documents imprimés que l’on n’a pas lu attentivement.
Finalement, une partie de la classe s’est mis à décrocher ce qui était l’inverse de l’effet escompté. Le but des vidéos était, au contraire, de permettre aux élèves les plus lents de visionner le cours à leur rythme et de dégager du temps en classe pour faire plus d’exercices et donc mieux comprendre. Ce sont, en réalité, les élèves les plus en difficultés qui ont le moins profité de la méthode.

Des satisfactions tout de même...

Cette année scolaire aura tout de même apporté des satisfactions à l’enseignant. Parmi elles, un groupe d’élèves très faibles mais méritantes qui a joué le jeu : elles regardaient les vidéos, elles posaient des questions en début de cours, elles cherchaient les exercices pendant les séances. Elles ont bien progressé pour atteindre un niveau tout à fait correct.
Par ailleurs, un groupe d’élèves forts (souvent d’anciens élèves ayant échoué en CPGE classique, en IUT ou en médecine) n’a pas regardé les vidéos mais a travaillé directement sur le polycopié imprimable. Ils ont pleinement profité des séances d’exercices. A la fin de l’année, ils avaient un excellent niveau (comparable aux meilleurs élèves que j’ai eu dans les classes préparatoires à concours).

Les résultats scolaires.

La promotion de l’ISEN-Brest compte deux classes de MPSI (les élèves sont répartis par liste alphabétique, il n’y a pas - a priori - de biais statistique) ; mon collègue et moi faisons des DS communs ; chacun corrige une moitié de DS pour toute la promotion (il n’y a pas – a priori - de biais de notation). Au bilan, les deux classes (pédagogie classique et pédagogie inversée) ont la même moyenne (faible) à 0.2 point près. Seule différence : l’écart-type est beaucoup plus grand dans ma classe. Les élèves sérieux ont bien progressé mais beaucoup d’élèves sont restés à un niveau très faible.

Comment améliorer cette pédagogie ?

Un enseignant ne peut pas se permettre d’avoir une partie de sa classe qui décroche. Comment améliorer cette pédagogie ? En faisant des interrogations écrites en début de cours pour s’assurer que les élèves ont bien regardé la vidéo ou lu le polycopié ? Cela m’a semblé aller à l’encontre de la méthode : le groupe de filles faibles mais méritantes avait vraiment besoin de la séance de questions en début de cours ; je me voyais mal les pénaliser en les interrogeant sur quelque chose qu’elles n’auraient pas compris d’elles-mêmes.

Conclusion

Je suis convaincu que la proportion de cours et de TD ne convient pas à la nouvelle population d’élèves qui entre en CPGE. Les élèves ont besoin de pratiquer pour que les notions nouvelles se mettent en place. Malheureusement, la pédagogie inversée reste encore à améliorer pour éviter qu’une partie de la classe ne décroche.

Références

Berkeley (2003), Prof. Umesh V. Vazirani https://www.edx.org/course/quantum-mechanics-uc-berkeleyx-cs-191x

Cormen T., Leiserson C., Rivest R. (1990). Introduction to Algorithms. The MIT Press, Cambridge, Massachusets.

Mazur, E. (1997). « Peer Instruction, A User’s Manual », Prentice Hall Series in Educational Innovation Upper Saddle River.

MIT (2005), Leiserson C., http://videolectures.net/mit6046jf05_introduction_ algorithms/

MIT (2007), Prof. Anant Agarwal http://ocw.mit.edu/courses/electrical-engineering-and-computer-science/6-002-circuits-and-electronics-spring-2007/video-lectures/ (les vidéos datent de la session de l’automne 2000)

Licence : CC by-sa

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