Innovation Pédagogique et transition
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Non, la pédagogie et le travail collaboratifs n’ont pas que des avantages !

Un article repris de http://theconversation.com/non-la-p...

Collaboratif… Pixabay

Le recours à des techniques de créativité et d’apprentissage collaboratifs de diverses natures a littéralement explosé ces dernières années : tableau blanc physique ou virtuel, Post-its, pâte à modeler, maïs soufflé, boîtes en carton, prototypage 3D, etc. Les outils et supports utilisés sont variés, permettant de multiples niveaux d’abstraction et/ou de matérialisation des idées exprimées en groupe.

Ayant participé à de très nombreuses séances de ce type, et en ayant moi-même organisé dans le cadre de mes cours, je souhaite partager ici quelques réflexions vis-à-vis de l’enthousiasme apparemment généralisé entourant ces méthodes collaboratives. Avant d’aller plus loin, j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit en aucune manière de ne pas en reconnaître les avantages, mais qu’il est nécessaire prendre du recul à leur égard, afin d’éviter ou de limiter les déceptions liées à leur usage.

Les limites de ces modèles

Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques limites que ces expériences personnelles m’ont permis d’identifier :

  • Le risque est important d’aboutir à un « consensus mou », peu créatif et porteur de peu d’apprentissages mutuels pour les membres du groupe. Cela peut être dû à une faible diversité dans le groupe (profils, objectifs, âges, formations, etc. trop proches).

  • Les sessions collaboratives peuvent donner lieu à des discussions à bâtons rompus sur des sujets divers et variés, parfois fort éloignés de l’objet initial de la session. Potentiellement positif pour la créativité, cela porte aussi le risque d’absence de résultat.

  • L’animation reposant sur des activités rythmées par tranches de 10 à 40 minutes minimise le risque précédent. Mais cette cadence peut poser problème si plusieurs équipes participent à une même séance de travail collaboratif. Chacune ayant ses modes de fonctionnement et d’avancement propres, il arrive que l’une d’elles soit coupée en plein avancement de ses travaux, afin de respecter le timing imposé à tous.

  • Alors que les lieux et supports matériels utilisés ont un rôle essentiel dans les activités collaboratives, l’usage (quasi) systématique d’open spaces peut nuire à l’activité collective en raison du niveau sonore qui y règne, troublant la concentration individuelle et les échanges. L’acoustique des salles joue un rôle crucial, hélas souvent insuffisamment pris en compte.

  • Enfin, l’apprentissage mutuel résultant des échanges nécessite 1°) une explication ex-ante de ce que vont faire les participants et de ce que l’on attend d’eux, puis 2°) une explicitation ex-post de ce qui a été fait et de la manière dont cela a été fait (phase réflexive sur les apprentissages et les actions individuelles et collectives). Or, les séances collaboratives jouent souvent sur la divulgation d’un minimum de règles (ou leur divulgation progressive au fur et à mesure de leur déroulement) pour laisser émerger les modes de fonctionnement propres aux groupes, ou sur l’absence de débriefing et d’explicitation approfondie pour laisser les participants procéder eux-mêmes à cette analyse.

Il convient donc de questionner ces pratiques collaboratives, et certainement de tempérer le discours ambiant qui, dans le milieu de l’enseignement ou de l’entreprise, tend à en faire un one best way, sorte d’alpha et d’oméga de la créativité, de l’apprentissage et/ou de la réalisation de projets.

Pour caricaturer à l’extrême, « l’on ne saurait être plus créatif (ou performant) que si l’on collabore » semble être devenu un mantra qui ne souffre (presque) aucune contestation.

Le collaboratif ne s’applique pas partout

Pourtant, il est nécessaire d’attirer l’attention tant des formateurs, que des professionnels qui les appliquent en entreprise, sur les limites de ces pratiques. En effet, les influences réciproques entre méthodes pédagogiques et modes de travail en entreprise ont tendance à alimenter une spirale du travail collaboratif sans prendre toute la mesure de ses limites.

Celui-ci ne semble pas adapté à toutes les situations. La temporalité du projet (son niveau d’avancement à travers différentes phases), les types de participants et la nature des projets paraissent être trois facteurs contingents qui requièrent d’alterner dynamique collective et dynamique individuelle, afin d’accroître les chances d’atteindre les objectifs poursuivis. En d’autres termes, il s’agit de prendre de la distance vis-à-vis d’une innovation managériale dont la dimension contingente est souvent omise.

  • La temporalité du projet : le travail collaboratif, ou co-élaboratif, ou co-créatif (la liste des adjectifs désignant ces projets est potentiellement longue, mais toujours « co ») n’est pas forcément pertinent à tous les stades d’avancement d’un projet ou d’un processus d’apprentissage. En effet, certains peuvent nécessiter un éclatement ponctuel du groupe, le temps que chacun mûrisse sa réflexion, approfondisse ses recherches, etc. Or, les méthodes collaboratives, empreintes de l’inspiration californienne de vitesse et d’instantanéité, oublient parfois cette temporalité, dictant d’aller plus vite en groupe que de se presser chacun de son côté.

  • Le type de participants : Au cours d’une session de travail collaboratif, certains membres du groupe peuvent avoir besoin de s’isoler pour réfléchir. Ce recul temporaire peut être un puissant levier au service du groupe. Or, l’accent mis sur les avantages de la collaboration est actuellement si aigu qu’il peut provoquer une auto-censure des membres ressentant ce besoin. Ou à l’inverse, donner aux autres l’impression que la personne qui s’est temporairement « exclue » du groupe n’a cure du projet collectif – ce alors que ce comportement correspond à une grande implication ! Enfin, « forcer » les gens à collaborer peut amener des individus à agir contre nature, ou à mal vivre cette façon de travailler. Par exemple, les personnes introverties ne prenant pas la parole peuvent cependant contribuer de mille autres manières (cf. le livre et le Ted Talk de Susan Cain sur le « pouvoir des introvertis »).

  • La nature du projet : tous les projets ne se prêtent pas forcément à un travail collaboratif. Du moins, 1/rien ne garantit que le résultat collaboratif sera supérieur au travail individuel quel que soit le type de projet, ni que 2/le type de collaboration ou les méthodes collaboratives doivent être identiques d’un projet à un autre.

Pour prendre un exemple peut-être simpliste, même si un écrivain se nourrit de ses échanges avec une multitude de personnes diverses, il reste in fine seul créateur de son œuvre. Par ailleurs, la « puissance » d’un groupe peut aussi étouffer l’intuition d’un individu dont est issu un projet. À moins de disposer d’une conviction chevillée au corps et/ou d’une grande capacité de persuasion, si une seule personne porte une intuition dans un groupe, elle peut se retrouver mise en minorité par le groupe qui ne partage pas les mêmes grilles d’analyse, est moins visionnaire ou préfère des solutions plus « conventionnelles ». On en revient au risque de « consensus mou » évoqué plus haut.

Enfin, n’oublions pas les coûts organisationnels et individuels induits par l’excès de collaboration. Ceux-ci ont été mis en avant en 2016 dans un article de la Harvard Business Review, justement intitulé « Collaborative Overload », et une étude publiée en 2017 par le cabinet Bain & Company. De la même manière, la surabondance d’outils dont l’objet est de simplifier la collaboration devient un véritable problème, qui touche tant les entreprises que le milieu de l’enseignement.

Une nouveauté à remettre en perspective

Au final, il s’agit ici de faire prendre du recul quant à un enthousiasme peut-être (certainement ?) exagéré, empêchant tout équilibre entre dynamique individuelle et dynamique collective, source de potentielles déconvenues. De même que dans le milieu de la formation, le blended learning, mix entre l’e-learning et le « bon vieux cours présentiel » (lui-même devenu protéiforme) semble avoir montré sa supériorité sur chacune de ces deux modalités prises individuellement, combiner travail collectif et travail individuel semble le meilleur moyen d’apprendre (seul et collectivement) et de mener des projets.

Cela peut paraître une évidence, mais ce ne serait pas la première fois que l’enthousiasme collectif, quasi-mimétique, vis-à-vis de la « nouveauté » en ferait oublier les limites et les inconvénients. Rappelant cela, cet article met également en avant quelques éléments de contextualisation facilitant l’identification de situations où la recherche de l’équilibre individuel/collectif est indispensable.

The Conversation

Loïc Plé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

Licence : CC by-nd

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