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A la une Le chantier IA de l’Ecole

5 septembre 2025 par Michel Briand IA, Chat GPT et formation 138 visites 0 commentaire

Rentrée 2025 : l’Intelligence Artificielle est déjà là. Avec comme conséquence une industrialisation de la triche dans l’Ecole du 21ème siècle ? La simplicité, l’efficacité, l’indétectabilité des IA facilitent à tel point le copier-coller qu’un sentiment de toute-puissance s’est emparé de bien des élèves et une impression d’impuissance de bien des collègues. Face à l’IA, ne faut-il pas choisir la raison plutôt que la fascination ou la peur, la confrontation au réel plutôt que les grands discours, la pédagogie plutôt que l’inaction ? Car si l’IA est perçue comme une possible entreprise de démolition de l’Ecole, en particulier des modalités traditionnelles d’évaluation, alors il nous faut envisager une reconstruction. Le chantier est ouvert pour les années à venir : en guise de vadémécum de rentrée, voici quelques pistes d’actions collectives pour éviter que l’IA ne favorise la paresse cognitive des élèves, pour qu’à l’âge de l’IA l’Ecole augmente toujours leur capacité à découvrir, écrire, réfléchir, créer, partager.

Un articlerepris du café pédagogique, 21 propositions très intéressantes par Jean Michel Le Baut qui concernnent tout aitant l’enseignement supérieur et la formation tout au long de la vie

1 Résister à la tentation d’interdire l’IA à l’Ecole : un combat perdu d’avance, contraire au sens de l’Histoire (la plume, le stylo, la machine à écrire, le traitement de texte, la génération de texte…) et à l’intérêt même des élèves (qui dans leurs études et leurs métiers futurs devront savoir manipuler l’IA au mieux).

2 Montrer aux élèves qu’on sait utiliser (intelligemment) l’IA : manipuler l’IA en classe pour éviter de laisser croire qu’il va être aisé de duper des enseignant·es en voie d’obsolescence programmée ; montrer et expliquer aux élèves nos usages professionnels de l’IA ; intégrer dans nos séquences des usages pédagogiques de l’IA par les élèves.

3 Amener les élèves à douter de l’IA  : construire des séances de travail pour en éclairer le fonctionnement, les hallucinations, les manques, les biais ; favoriser ainsi une distance critique face aux propositions de l’IA, l’estime par les élèves de leur propre intelligence, voire une reconnaissance d’une certaine autorité de l’enseignant·e sur les savoirs.

4 Développer à l’Ecole une culture réflexive du droit d’auteur·e en expérimentant bien des questions et enjeux : que sont le droit patrimonial et le droit moral ? y a-t-il une « exception pédagogique » ? l’enseignant est-il propriétaire de ses cours ? l’élève est-il propriétaire de ses productions scolaires ? l’IA est-elle propriétaire de ses réponses ? des principes et sanctions en cas de falsification ou de violation de la propriété intellectuelle sont-elles explicitées dans le règlement intérieur de l’établissement et/ou par l’Education nationale ? que sont les Licences libres, les Communs, les Ressources Educatives Libres ? …

5 Interroger avec les élèves les notions de « plagiat » et de « triche »  : se demander où commence la tromperie, expliciter ce qui est inapproprié / acceptable / pertinent. Par exemple : est-ce de la triche ou non si j’utilise l’IA pour corriger mes erreurs orthographiques ? rechercher des idées ? trouver un plan avant de rédiger par moi-même ? reformuler une phrase que j’ai écrite et que je trouve maladroite ? copier-coller un passage entier généré par l’IA dans mon devoir ? le copier-coller en mettant des guillemets et en indiquant la source ? demander à l’IA d’écrire toute la rédaction ? composer un texte à partir de différentes réponses générées par une ou plusieurs IA ?…

6 Coconstruire dans les établissements scolaires des chartes d’usages de l’IA : à la lumière des interrogations précédentes, définir collectivement ce qu’on a le droit ou non de faire dans le cadre d’un devoir évalué, établir ces règles collectives dans un document officiel et partagé, amener les élèves à signaler précisément sur leurs travaux leurs éventuels usages de l’IA.

7 Intégrer aux « grilles d’évaluation » et « échelles descriptives » les usages éventuels de l’IA, du moins élaboré au plus élaboré : simple consommation passive ? adaptation de contenus IA ? création ou cocréation ? réflexion critique ?…

8 Repenser l’articulation entre le travail en classe et le travail à la maison  : relocaliser les activités de production en faisant de la classe le lieu du savoir, de l’appropriation des connaissances et bien sûr de l’évaluation.

9 Former les élèves à exploiter le potentiel de l’IA pour qu’elle soit réellement au service des apprentissages : apprendre à l’utiliser comme assistant de recherche ; apprendre à prompter ; apprendre à toujours reformuler, vérifier, corriger et compléter ; placer en particulier l’écriture de travail au cœur des activités de classe, en amenant l’élève à considérer que l’IA ne lui fournit qu’un brouillon, sans cesse à transformer, enrichir, personnaliser.

10 Évaluer moins le produit fini que le processus de production : favoriser une logique de portfolio où l’élève garde trace de ses recherches, prompts, outils, essais, échecs, réussites, témoigne de sa capacité à concevoir, comparer, interroger, évaluer, contester, exploiter, améliorer.

11 Faire de l’IA un outil au service non de la reproduction mais de la créativité  : apprendre à lui donner des consignes les plus précises et pertinentes possibles pour générer des images, des textes littéraires, des musiques, pour ensuite les commenter, les comparer, les transformer, les exploiter, les dépasser.

12 Développer les pratiques collaboratives avec l’IA : gagner en intentionnalité et en esprit critique grâce aux interactions et négociations dans les temps de recherche, d’élaboration, de tâtonnement, de coévaluation, d’évaluation par les pairs ; remettre l’échange, le lien, l’humain au cœur de la culture et de l’Ecole.

13 Faire désormais de l’originalité un critère d’évaluation important, à rebours de la tradition scolaire qui tend à valoriser la conformité avec des modèles normés, à contrepied de l’IA qui repose sur la captation et l’imitation.

14 Favoriser les questions qui demandent de faire le lien avec l’expérience personnelle et réelle, les productions qui exigent un engagement subjectif dans la réflexion, la lecture, la création, à rebours d’une Ecole qui bride l’expression authentique et formatrice de soi, à contrepied d’une IA qui se nourrit d’opinions toutes faites par d’autres.

15 Favoriser les évaluations qui portent moins sur la restitution de connaissances que sur des tâches complexes, sur la confrontation à des situations-problèmes conduisant les élèves à expliciter et justifier les étapes et ressources nécessaires à leur résolution.

16 Inviter à créer des contenus multimédias qui à l’inverse des habituelles productions papier obligent à transformer et donc à s’approprier les connaissances : vidéos, cartes mentales, infographies, podcasts, webradio, écritures web

17 Renforcer la place de l’oral dans l’évaluation  : par-delà les copies, mémoires, dossiers (désormais dans l’ère du soupçon ?), évaluer la capacité de l’élève ou des groupes d’élèves à les présenter et les commenter, à témoigner de leur appropriation réelle des connaissances en jeu, à expliciter leurs démarches de travail, y compris d’usage éventuel de l’IA en montrant combien a eu lieu un intense et fécond travail d’amélioration et de personnalisation, combien s’est fortifié le regard critique jusque sur l’IA.

18 Développer à l’Ecole une éthique et une didactique de la transparence : inciter les enseignant·es aussi à révéler procédures, sources, « secrets de fabrication » ; dire ce que l’on fait (pour réaliser ce cours, utilisation de telle ou telle IA, livre, site, manuel, proposition de collègue… ?), pourquoi on le fait (gain de temps et d’efficacité, volonté d’approfondissement, travail d’équipe… ?), comment on le fait (montrer les brouillons du cours, les prompts et leurs résultats, les documents-sources …) ; inviter les élèves à participer à la fabrique d’un nouveau cours.

19 Sortir d’une école pronote : cesser de faire de la note, autant dire de la performance et de la compétition, la finalité du travail scolaire, amener à ne plus considérer que cette fin justifie tous les moyens (piller aujourd’hui l’IA comme hier une fiche Wikipedia ou jadis un Profil d’une œuvre), valoriser les attitudes (l’engagement, l’autonomie, la responsabilité, l’esprit coopératif …, y compris dans les usages de l’IA), évaluer les gestes d’apprentissage (rechercher, sélectionner, critiquer, supprimer, contextualiser, réécrire, amplifier …) et les progressions, restituer saveurs et enjeux au travail scolaire des savoirs.

20 Mettre en œuvre une pédagogie qui amène l’élève moins à consommer (via les cours, les manuels, l’IA …) qu’à produire (des savoirs, des ressources, des processus, des œuvres…) : donner la capacité et le pouvoir de se sentir acteur·ice d’une société de la connaissance, d’une culture participative, d’une Ecole wikipédienne.

21 Prendre en considération l’impact environnemental de l’IA : responsabiliser en incitant une génération sensible aux questions écologiques à limiter l’usage de l’IA aux seuls cas où elle sera vraiment utile et pertinente ; s’interroger comme enseignant·e sur la nécessité ou non d’utiliser pour préparer ses cours des plateformes qui font gagner du temps de travail mais perdre du temps de vie pour la planète.

Immense, le chantier est bel et bien devant nous : il s’agit de reconstruire, enfin, massivement, nos modalités de travail et d’évaluation. Ces modalités, beaucoup d’ailleurs les appellent de leurs vœux depuis longtemps. Des établissements, en particulier du supérieur, ont d’ores et déjà commencé à les mettre en œuvre. Des dispositifs comme les TPE, jadis heureuse réponse éducative à l’avènement d’internet, les avaient même anticipées et préparées.

Le défi est essentiel : il s’agit de nous confronter à une Intelligence Artificielle qui potentiellement « comble le désir de savoir et tue le désir d’apprendre » (Philippe Meirieu). Un tel défi ne sera relevé que si, par-delà les vœux pieux d’annonces ministérielles de rentrée, une formation réellement continue (non ponctuelle, non virtuelle) vient armer techniquement, pédagogiquement, culturellement les enseignant·es en les initiant au fonctionnement de l’IA, à ses possibilités, ses enjeux et ses dérives, aux postures et dispositifs à repenser. Nul doute d’ailleurs que des temps de travail communs aux professeur·es et aux élèves seraient bienvenus dans les établissements tant il serait fécond pour tous et toutes de partager en la matière les pratiques, les interrogations et les réflexions.

Bref, pas de panique, morale, mais, comme toujours, de l’action, résolument pédagogique !

Jean-Michel Le Baut

Biblio

Analyses et pratiques dans le dossier IA du Café pédagogique

Le rapport 2025 de l’Inspection Générale sur l’IA

Sur le site ministériel : « Le cadre d’usage de l’IA en éducation »

Sur le site de l’Université de Bretagne Sud : « Repenser ses évaluations à l’heure des IA Génératives »

Sur le site de l’UQAM : « 6 stratégies pédagogiques pour s’adapter aux défis de l’IA »
Sur le site de l’université de Beyrouth : « 10 stratégies pour éviter le plagiat lors de l’utilisation d’un agent conversationnel »

Sur le site de la DRANE Lyon : Evaluer les usages des élèves d’une IA Générative

Jean-Michel Le Baut

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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