Un articlede Par Claude Gauvreau du 8 juin 2023 repris d’actualités UQAM
Pour faire face aux crises systémiques actuelles – crise climatique, crise du logement, hausse du prix des aliments, épuisement des ressources naturelles –, existe-t-il une troisième voie entre le tout-au-marché et le tout-à-l’État ? Selon la doctorante en sciences de l’environnement Marie-Soleil L’Allier (M.Sc. sciences de l’environnement, 2016), il est possible d’envisager un nouveau contrat social entre les collectivités et les institutions.
« Ce qu’on appelle “les communs” désignent des groupes de citoyennes et de citoyens qui, sur une base autonome, cherchent à produire, à partager et à gérer collectivement des biens, des ressources et des services nécessaires à leur épanouissement, et ce, dans divers domaines, comme ceux de l’environnement, du logement, de l’alimentation, de la santé, de l’éducation ou du transport », explique Marie-Soleil L’Allier.
Membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique, la jeune femme consacre sa thèse de doctorat aux communs, sous la codirection du professeur du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale René Audet, titulaire de la Chaire, et de Jonathan Durand-Folco, professeur à l’Université Saint-Paul. Le 19 mai dernier, elle a publié avec ce dernier un texte d’opinion dans Le Devoir qui expose les grandes lignes de ce nouveau modèle d’organisation sociale.
« Les communs s’inscrivent dans une logique d’échanges et d’entraide, sans passer par la propriété privée ou la gestion étatique centralisée, dit la chercheuse. L’accessibilité à des services en matière de logement ou de nourriture, par exemple, est liée au fait d’appartenir à des réseaux de coopération. »
Un mouvement urbain et rural
Depuis 15 ans environ, plusieurs initiatives citoyennes associées aux communs ont émergé au Québec, en Europe et en Amérique du Sud, tant en milieu urbain que rural. « Au Québec, on a vu apparaître, notamment, des coopératives de santé et des épiceries autogérées dans différentes régions, observe Marie-Soleil L’Allier. Dans certaines municipalités qui ont perdu leur école de village, des groupes de parents se sont mobilisés pour assurer l’éducation des enfants en faisant appel à des enseignants professionnels et bénévoles ainsi qu’à des personnes retraitées, avec l’appui des autorités municipales. »
À Montréal, la doctorante cite en exemple le projet du Bâtiment 7, vestige des ateliers ferroviaires du Canadien National dans Pointe-Saint-Charles. Mis en place par le Collectif 7 à Nous, un organisme à but non lucratif qui réunit des citoyennes et citoyens ainsi que des représentants de groupes culturels et communautaires issus de l’économie sociale, le Bâtiment 7 abrite une épicerie offrant des aliments de base et des fruits et légumes frais à prix abordables, une coopérative, Press Start, qui se veut un lieu de rassemblement, de divertissement et de débats autogéré par et pour les jeunes de 14 à 21 ans, des ateliers collectifs (mécanique, bois, céramique, sérigraphie) et une brasserie artisanale. D’autres projets prévoient qu’on y accueille un Centre de la petite enfance et un centre de santé communautaire.
D’autres communs sont axés sur la transition socio-écologique, perçue comme un processus de transformation qui intègre des enjeux de justice sociale, de logement abordable et de lutte contre la pauvreté. C’est le cas de Transition en commun, une alliance entre des organisations de la société civile, des groupes de recherche universitaires et la Ville de Montréal, mise en place en novembre dernier afin de favoriser la transition socio-écologique dans les quartiers de la métropole. À Métis-sur-Mer, l’organisme à but non lucratif CMétis, reconnu pour son expertise en développement immobilier écologique, vient d’établir un partenariat « public-collectif » avec la municipalité pour développer un écoquartier avec et pour la population locale.
« Tous ces exemples, observe la doctorante, montrent que, pour les communs, le développement social et économique ne repose pas sur l’accumulation de capital et de marchandises, mais sur la satisfaction de besoins essentiels et la multiplication des réseaux d’entraide. »
Un sujet peu exploré
Dans le cadre de sa recherche doctorale, Marie-Soleil L’Allier a pour objectif de faire avancer les connaissances sur les communs, un sujet qui a été peu exploré jusqu’à maintenant dans la littérature scientifique.
« J’étudie 70 projets de communs urbains et ruraux couvrant près de 20 domaines d’activités, apparus au Québec depuis la dernière crise financière en 2007-2008, afin d’établir une typologie des pratiques de communalisation », explique celle qui a pu compter sur l’une des 15 bourses de la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau, d’une valeur de 180 000 dollars, remises à des doctorantes et doctorants en sciences humaines et sociales s’étant distingués par l’excellence de leur dossier académique et leur engagement communautaire.
La chercheuse entend analyser le mode de financement des collectifs et de leurs projets, leur type de gouvernance – horizontale dans certains cas et plus centralisée dans d’autres –, la façon dont les décisions y sont prises, les liens avec d’autres types d’organismes, le rôle des populations locales et des autorités gouvernementales. « Les communs ne forment pas un ensemble homogène, note Marie-Soleil L’Allier. Certains collectifs cherchent à collaborer d’égal à égal avec les municipalités, par exemple, alors que d’autres, plus radicaux et adoptant une posture anticapitaliste, demeurent réticents à ce type de collaboration. L’État et les différents paliers de gouvernement peuvent offrir des infrastructures et financer les communs, mais plusieurs collectifs de citoyens tiennent à définir eux-mêmes leurs règles de fonctionnement et leurs méthodes de gouvernance, et à fixer les prix de leurs services. »
Un nouveau modèle québécois ?
Au Québec, les communs s’inscrivent dans une longue tradition en matière d’économie sociale et d’autogestion, qu’il s’agisse des caisses populaires Desjardins et des coopératives agricoles lancées au début du 20e siècle, ou des cliniques communautaires et des garderies populaires des années 1960 et 1970, gérées par leurs usagères et usagers. Ces dernières furent ensuite institutionnalisées sous la forme de CLSC et de CPE pour devenir des composantes du modèle québécois.
« Le hic est que cette institutionnalisation s’est accompagnée d’une professionnalisation et d’une centralisation, affectant l’autonomie de ces organismes et contribuant à la bureaucratisation, estime la doctorante. Aujourd’hui, il faut mener un large débat de société pour penser les fondements d’un nouveau modèle québécois. Et les communs offrent un socle à ce nouveau modèle. Même s’ils présentent des profils diversifiés, ils ont un potentiel fédérateur, pouvant rassembler des groupes environnementaux, des organismes communautaires, des entreprises d’économie sociale et des collectifs de citoyens. »
De l’informatique aux communs
Marie-Soleil L’Allier a suivi un parcours pour le moins atypique. Détentrice d’un baccalauréat en informatique et génie logiciel, elle a travaillé dans ce domaine à titre de programmeuse et d’analyste pendant une dizaine d’années, avant de retourner aux études à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQAM, alors qu’elle était dans la mi-trentaine. « Au début des années 2010, la crise environnementale m’interpellait et j’avais le sentiment que mon travail ne correspondait plus à mes valeurs, confie la doctorante. Entreprendre une maîtrise en sciences de l’environnement me permettait de ralentir la cadence et de prendre du recul. »
En 2014, avec d’autres étudiantes en sciences de l’environnement, elle fonde Loco, la première chaîne d’épiceries écologiques zéro déchet au Québec. « C’était la suite logique de mon cheminement, alors que mon mémoire portait sur la nouvelle génération d’entrepreneurs engagés dans la transition socio-écologique », raconte Marie-Soleil L’Allier. Le projet Loco consistait à proposer des produits alimentaires biologiques et équitables ayant un faible impact environnemental et à favoriser les petits producteurs locaux.
Alors qu’elle participe au festival Virages, à Sainte-Rose-du-Nord, qui réunit chaque année des citoyennes et citoyens venus des quatre coins du Québec pour rêver à un monde plus juste, plus vert et plus solidaire, elle entend parler des communs pour la première fois. « J’ai découvert que ce mouvement était une manière de répondre aux besoins de se nourrir et de se loger en misant sur d’autres règles que celles du marché. J’y voyais aussi un moyen de générer un changement social plus structurant. »
Parallèlement à recherche doctorale, Marie-Soleil L’Allier consacre une partie de ses énergies à Projet collectif, une plateforme web lancée au début de 2023 visant à documenter des initiatives dans différentes régions du Québec. Elle est aussi membre du Collectif de recherche sur les initiatives, transformations et institutions des communs (CRITIC). Réunissant une vingtaine de chercheuses et chercheurs universitaires ainsi que des représentants d’organisations de la société civile, le CRITIC se situe au croisement de la recherche et de la pratique. Il agit comme un catalyseur de savoirs en faisant connaître les expériences de communs à l’échelle locale et internationale, et en développant des liens avec les acteurs concernés.
Pour le moment, Marie-Soleil L’Allier n’envisage pas une carrière de professeure-chercheuse. « J’aime être sur le terrain, dit-elle. Je souhaite continuer à faire de la recherche, mais à l’extérieur de l’université. Je me verrais très bien chercheuse en résidence dans un organisme ou un collectif. Mon objectif est de contribuer à ouvrir les imaginaires, à créer des espaces de solidarité, bref à expérimenter une autre relation au monde, ici et maintenant. »
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