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Enseignement supérieur : faut-il parler d’une révolution numérique ?

Un article repris de http://theconversation.com/enseigne...

Le numérique est un des moteurs de la transformation de l’enseignement, mais pas le seul. Pexels

Depuis l’antiquité, l’enseignement repose sur un triptyque constitué d’une institution (le lycée pour Aristote, l’académie pour Platon) dans laquelle se rencontrent enseignants et élèves. Ce triptyque est-il en train de disparaître ou d’évoluer en profondeur ? Peut-on parler d’une révolution numérique dans l’enseignement, et notamment dans l’enseignement supérieur ?

Pour répondre à cette question, plusieurs points demandent à être clarifiés : si révolution il y a, le numérique n’en est qu’un des éléments ; quand on l’évoque, on parle surtout des MOOC (massive open online courses), mais le numérique permet bien d’autres formes d’enseignement ; il faut enfin revenir sur les mythes liés à cette « révolution ».

Le numérique, un moteur de changement parmi d’autres

Trois phénomènes sont sans doute en train de se combiner au niveau de l’enseignement supérieur. Le premier, sans doute le plus important, est la massification. Le marché mondial est évalué à 4,3 trillions de dollars en 2015. En une douzaine d’années (2000-2012), les effectifs d’étudiants ont quasiment doublé, passant de 100 à 196 millions.

L’Inde connaît par exemple une croissance exponentielle en ce domaine. Le deuxième est la certification. Des organismes se sont mis en place pour certifier et accréditer les institutions d’enseignement. Enfin, les technologies numériques semblent appelées à occuper une place croissante même si elle est aujourd’hui très limitée (2 % du marché mondial).

Lorsque l’on évoque le numérique dans l’enseignement, on met en avant les MOOC qui permettent de donner accès à des vidéos, des quiz, des activités collaboratives et ont l’avantage d’offrir de la flexibilité : l’étudiant apprend à son rythme et valide chaque étape. Cependant, il existe également les classes inversées (l’étudiant acquiert les connaissances hors de la salle de cours, sur des supports numériques, et le professeur échange avec lui lors du cours, en présentiel ou sur écran), les jeux sérieux (serious games), les dispositifs hybrides qui combinent cours traditionnels et techniques numériques, ou l’apprentissage collaboratif (souvent via les pairs, c’est-à-dire les étudiants entre eux, échangeant par exemple sur des forums).

Le numérique pour quoi faire ?

Quatre facteurs peuvent jouer dans l’adoption du numérique dans l’enseignement. Il permet tout d’abord des innovations pédagogiques comme, par exemple, l’apprentissage par le jeu. Mais est-ce vraiment si nouveau ? Deuxièmement, le numérique entraînerait des économies. On peut en douter. Les chiffrages montrent que la mise au point d’un MOOC varie entre 30 000 et 100 000 euros selon la discipline.

Troisièmement, il y aurait, pour l’institution, la possibilité d’un gain en notoriété à passer à l’enseignement en ligne. Concrètement, la quantification de ces gains potentiels est difficile à établir. Enfin, l’enseignement en ligne serait une demande des étudiants. Pour l’instant, les seules études qui existent montrent que, pour un même enseignement, les étudiants sont plus satisfaits quand ils l’ont reçu en présentiel que quand ils l’ont eu en ligne.

L’enseignement numérique se répand donc sous l’effet de facteurs apparemment peu fondés en raison.

Quelle légitimité ?

L’enseignement numérique pose trois types de problème de légitimité. Le premier touche à la relation entre l’institution d’enseignement et l’enseignant. À qui appartient un MOOC ? Au professeur qui l’a conçu ou à la direction des systèmes informatiques de l’institution qui l’a réalisé ? Si l’enseignant change d’institution, peut-il partir avec son MOOC ou doit-il le laisser dans l’institution où il l’a réalisé ?

Dans certains cas, la réalisation d’un MOOC est partie intégrante des missions prévues dans le contrat liant l’enseignant et l’institution qui l’emploie. Mais dans d’autres cas, elle fait l’objet d’un contrat spécifique. Pour l’enseignant, la digitalisation de ses cours apparaît comme une contrainte supplémentaire imposée par l’institution en plus d’une multiplication des tâches déjà lourde et une dévalorisation de son statut, les ingénieurs en informatique et en pédagogie devenant de plus en plus centraux.

On pourrait penser que les étudiants, vivant dans un monde digitalisé depuis leur enfance maintenant, sont en attente de son développement dans l’enseignement. Il est vrai que l’interactivité les attire. Néanmoins, ils restent en réalité très attachés (au moins pour l’instant) au contact direct avec le professeur et ne sont pas prêts à accepter la disparition de ce lien. De même, les échanges sur les forums ne remplacent pas les échanges directs, avant et après les cours.

La digitalisation met enfin en cause la relation entre l’institution et les élèves ou leurs familles. Les coûts de l’enseignement supérieurs sont vécus comme très élevés : avec le développement des enseignements en ligne, les familles ont le sentiment de ne pas en avoir pour leur argent. Les établissements sont alors pris dans un dilemme : pour attirer plus d’étudiants et accroître leur réputation, ils investissent dans l’enseignement en ligne ; cet investissement est élevé et il est assuré par une augmentation des frais d’inscription et des levées de fonds ; les familles paient de plus en plus cher pour un service de plus en plus standardisé et qui apparaît minimal.

On voit se profiler un modèle dans lequel des établissements prestigieux (Harvard, MIT, Oxford, Cambridge) maintiendront le contact direct entre des étudiants et des professeurs prestigieux, alors que d’autres se spécialiseront dans l’enseignement en ligne de masse.

Course au numérique et lente transformation

Pris dans l’étau d’une concurrence de plus en plus intense, dans un contexte de globalisation et de massification de l’enseignement supérieur, les établissements se sont lancés dans une course à la digitalisation de leur enseignement, dont l’issue demeure incertaine. La vision selon laquelle la digitalisation entraînerait quasi mécaniquement une amélioration qualitative de l’enseignement, une baisse des coûts et un gain en termes d’image apparaît pour l’instant largement utopique.

Plutôt qu’une révolution, ce que l’on voit se dessiner pour l’instant relève plutôt d’une transformation lente de l’ensemble du système d’enseignement (mais qui pourrait s’accélérer brusquement), la digitalisation n’étant qu’une des composantes de cet ensemble, aux effets difficiles à évaluer pour l’instant.


Référence : Ghozlane Samia, Deville Aude & Dumez Hervé (2016) « Enseignement supérieur : mythes et réalités de la révolution digitale », Gérer et Comprendre, n° 126, pp. 28-38.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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