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Tour d’horizon des facteurs du non-recours

Tout au long de cet article, nous allons voir que le non-recours reste un phénomène complexe, influencé par divers facteurs, qui ne peut se restreindre à la seule responsabilité individuelle.

En France, l’intérêt autour du non-recours s’est développé concomitamment avec l’évolution du système de sécurité sociale. Initialement liées aux demandes d’aides sociales, les études scientifiques se sont par la suite, généralisées pour y intégrer les domaines de la santé, de la justice et de l’insertion (Warin, 2016 ; Domingo & Pucci, 2013). C’est à partir de 1998, que l’accès aux droits fut élevé au rang de politique publique prioritaire, à travers la loi d’orientation, relative à la lutte contre les exclusions [1].

L’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) définit le non-recours comme “toute personne qui ne reçoit pas – quelle qu’en soit la raison – une prestation ou un service auquel elle pourrait prétendre”. Une typologie du non-recours a également été dressée par l’ODENORE. Nous y retrouvons un phénomène lié à la non-connaissance des offres, à la non-demande des ayants-droits malgré sa connaissance, à la non-réception malgré la demande et à la non-proposition au public par les agents.

Le non-recours est communément perçu comme un manque : un manque à gagner pour les ayants-droits potentiels, ou pour la société dans sa globalité, si les ressources ne semblent pas utilisées de manière efficace pour aider ceux qui en ont besoin. Le non-recours est cependant un phénomène plus complexe à appréhender. Effectivement, l’usager est un acteur qui ne perçoit pas forcément sa décision, ou sa « non-décision » (Domingo, 2013), comme créatrice d’un manque. Partant de ce constat, nous allons, de manière holistique, nous interroger sur les différents facteurs qui peuvent accroître le phénomène du non-recours.

Pour cela, nous allons tout d’abord mettre en exergue le poids des facteurs politiques dans la propension au non-recours. Dans un second temps, nous verrons que la complexité du système administratif a également des conséquences sur ce phénomène.
Nous terminerons notre analyse en démontrant que la combinaison de
ces facteurs affecte les comportements et les représentations individuelles, intensifiant de nouveau le non-recours.

1. Les facteurs politiques du non-recours

De plus en plus d’enquêtes visant à dénombrer les non-recourants sont ponctuellement lancées par des instances publiques telles que la Direction de l’Animation et de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES). A titre d’exemple, en 2011, ce sont 68 % des ayants-droits du RSA Activité qui n’en ont pas fait la demande (Warin, 2011). Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène.

Tout d’abord, il est nécessaire de mesurer qu’une politique publique se construit à partir de l’identification d’un problème. Ce dernier peut avoir été mal caractérisé et les prestations qui en découlent ne seraient donc pas adaptées (Domingo, 2013). De plus, la légitimité de l’offre n’est évaluée qu’à travers la volonté de « l’Etat souverain » (Warin, 2009), évinçant parfois la réalité des besoins individuels.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’une politique publique peut, à travers ses orientations structurelles, être l’instigatrice de non-recours. Par exemple, depuis 2007, la volonté politique est de dématérialiser les services publics. Cependant, la fracture territoriale et numérique préexistante, additionnée à un manque d’accompagnement du terrain, conduit à des situations de non-recours [2]

Le phénomène de non-recours est également directement impacté par les moyens alloués aux différents dispositifs (Okbani, 2013). La formation des agents est d’ailleurs un des critères déterminants à l’aboutissement des démarches (Warin, 2013).

2. Les facteurs liés à l’organisation des administrations

Dans un même temps, les « barrières administratives » complexifient les démarches (Warin, 2013), allant jusqu’à démotiver certains individus. L’ensemble des dispositifs ou des prestations existantes pouvant être difficiles à connaître, à comprendre, voire à obtenir (Domingo, 2013). Dans notre exemple, le RSA Activité est assez méconnu [3] des ayants-droits potentiels, qui identifient le RSA comme étant un dispositif uniquement pour les sans-emploi, alors que le RSA activité est prévu pour les personnes qui travaillent, mais qui ont un faible revenu.

De plus, le développement polycentrique et multi-acteurs accroît l’émiettement administratif, ce qui complexifie également la lisibilité de l’offre pour les agents et les bénéficiaires (Warin & Mazet, 2014).

3. Les conséquences liées au cumul de ces facteurs

Les facteurs énoncés ci-dessous peuvent conduire à la mauvaise compréhension des critères d’inclusion au dispositif (Deprès, 2008), mais aussi des modalités de son renouvellement (Warin, 2013) par les potentiels ayants-droits, biaisant alors la perception de leur propre éligibilité (Domingo, 2013). Elisa Chelle (2014) caractérise ce phénomène comme étant de la « bureaucratie de l’éligibilité ».

De même, les craintes et les réticences vis-à-vis des systèmes d’aides (Domingo, 2013), le risque de perte de statut ou de stigmatisation liée aux représentations sociales établies, sont également des facteurs de non-recours. Un conflit représentationnel peut par exemple naître lorsque la norme sociale à laquelle la prestation est rattachée ne semble pas acceptable aux yeux du potentiel demandeur (Warin & Mazet, 2014).

Le non-recours possède ainsi des dimensions complexes, qui ne peuvent se comprendre qu’à travers un ensemble de facteurs pluriels et sociétaux et dont les liens de causalité ne sont pas saisissables, puisqu’ils fluctuent dans le temps. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la décision de s’engager dans un dispositif reste un processus temporel qui doit cheminer chez les individus concernés (Vollet et Zaffran, 2022).

La loi 3DS de 2022 [4] portant sur la simplification de l’action publique, prévoit par ailleurs une expérimentation sur 3 ans sur des « territoires non-recours aux droits sociaux », afin d’essayer de lutter efficacement contre ce phénomène. Il sera alors intéressant d’observer les mesures adoptées et leurs effets réels sur celui-ci.

Bibliographie

Desprès, C. (2008). Le non-recours aux droits : l’exemple de la protection sociale. Vie sociale, 1, 21-96. https://doi.org/10.3917/vsoc.081.0021

Deville,C. (2017). Réflexions à propos de la notion de “non-recours” aux politiques sociales. Dans Sciences et Actions Sociales, n°7, pages 78 à 89. DOI 10.3917/sas.007.0078

Domingo, P. & Pucci, M. (2013). Les vecteurs du non-recours au revenu de solidarité active du point de vue de l’usager. Informationsociales, 178, 72-80. https://doi.org/10.3917/inso.178.0072

Okbani, N. (2013). Focus – L’influence du territoire et le rôle des institutions dans le non-recours au RSA activité. Informations sociales, 178, 82-85. https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2013-4-page-82.htm?contenu=article

Vollet, J. & Zaffran, J. (2022). Les trois temps du non-recours : Le cas des décrocheurs scolaires et l’offre de formation. Revue des politiques sociales et familiales, 144, 41-56. https://www.cairn.info/revue-des-politiques-sociales-et-familiales-2022-3-page-41.htm

Warin, P. (2013). Mieux informer les publics vulnérables pour éviter le non-recours. Informations sociales, 178, 52-62. https://doi.org/10.3917/inso.178.0052

Warin, P., Mazet, P. (2014). La lutte contre le non-recours : des enjeux pour la production des politiques sociales. Regards, 46, 75-82. https://www.cairn.info/revue-regards-2014-2-page-75.htm?ref=doi

Licence : CC by-sa

Notes

[1Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions

[2Dossier de Presse | Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics | 2019

[3Loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale Site Vie Publique https://www.vie-publique.fr/loi/279815-loi-3ds-decentralisation-deconcentration-collectivites-locales

[4Enquête quantitative sur le RSA réalisée par la Dares fin 2010, début 2011. Source : Les dossiers de la DREES "Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats" N° 92 Février 2022 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-02/DD92.pdf

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