Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

ChatGPT : un nouveau rapport au savoir pour l’enseignement

Un article repris de https://tipes.wordpress.com/2023/02...

ChatGPT est un agent conversationnel grand public qui a des capacités de rédaction d’un niveau d’un étudiant d’université sur à peu près tous les sujets. C’est donc un outil nouveau qui est mis à la disposition de tous, et qui pose de multiples questions, notamment sur l’enseignement et qui donne le sentiment d’une nouvelle crise pour l’enseignement supérieur.

Colin de la Higuera a rédigé un billet qui est celui que j’aurai aimé être capable d’écrire sur la question : L’intelligence artificielle au quotidien : quelle position pour l’enseignant.e ? Je vous invite à le lire, si ce n’est déjà fait, et à revenir ici pour la synthèse et quelques compléments.

En résumé donc, la question n’est pas que ChatGPT, mais bien l’arrivée d’une multiplicité d’outils utilisant les technologies IA qui sont diffusées. Si la question de l’IA n’est pas nouvelle dans l’éducation (voir la traduction par François Bocquet d’un excellent article de référence récent sur le sujet), l’arrivé de ces outils va nous imposer de repenser nos formations. Ces outils seront, ou sont déjà, utilisés dans un cadre professionnel, ils s’imposent donc d’eux mêmes dans un cadre de formation. Il s’agit donc bien de savoir comment apprendre à les utiliser et comment les utiliser pour soutenir les apprentissages. La mise à disposition d’outils puissants peut être une source d’opportunités, ou si ils sont ignorés être vus comme des concurrents indépassables par les étudiants (voir l’exemple de Aicha dans le billet de Colin).

Une premier aspect est celui de l’évaluation et de son pendant la triche, qui pose un vrai problème, tant certains ont constaté que ChatGPT répondait mieux que leurs étudiants que ce soit pour la rédaction ou la programmation même sur des sujets considérés comme compliqués (c’est aussi vrai pour un traducteur en ligne comme deepl pour un exercice de langue). Il existe sans doute d’autres moyens de « tricher » pour d’autres matières.

Un second aspect est d’apprendre (par les enseignants) à utiliser ces outils pour son enseignement, de partager ses expériences et d’analyser (par les chercheurs) les différentes pratiques, et de s’en saisir comme une opportunité. Pour vous en convaincre, vous pouvez consulter cet autre billet écrit par Pascal Vangrunderbeeck Une compréhension critique de ChatGPT.

Retenons également que ces outils sont encore jeunes, et très évolutifs. Des défauts constatés aujourd’hui, autour desquels on pourrait trouver des limites quant à leur capacité de réponse à une évaluation, ou un moyen de créer du débat seront sans doute corrigés à terme, tout comme l’encyclopédie Wikipedia s’améliore constamment.

J’ai eu par ailleurs la chance d’assister à une table ronde sur le sujet, proposé par l’université du Luxembourg Usages pédagogiques de ChatGPT. Sur la question de l’évaluation et du travail à la maison délégué à une IA, si certains trouvaient des limites à ces outils, il s’avère clairement que ces limites ne s’appliquent pas dans tous les cas (j’aurai même tendance à dire pas souvent). Par contre il semble impensable d’interdire tout outil numérique aujourd’hui dans les formations. Le contrôle généralisé, que ce soit par des outils anti-triche ou de surveillance (proctoring) portent sans doute des risques encore plus grands sur nos manières d’enseigner. Il est donc urgent d’attendre pour prendre des décisions et urgent de réfléchir pour s’approprier ces outils et de réfléchir à comment faire pour évoluer (ou évaluer).

Sur les nouvelles pratiques, des premières pistes sont proposées d’aide pour les étudiants, pour les enseignants, pour renforcer l’esprit critique, pour les interactions entre enseignants et étudiants, mais ce ne sont pour l’instant que des premiers pas pour s’approprier et comprendre ces outils. Si la calculette n’a pas supprimé la nécessité d’apprendre les concepts des 4 opérations, mais évite de devoir s’entraîner trop longtemps, la diffusion de la calculette scientifique a modifié la manière de dérouler un cours de maths ou de physique. Sur une calculette les fonctions disponibles sont explicites. Les étudiants les découvrent progressivement, apprennent à les utiliser, et d’autres savoir-faire tirent parti de ces automatisations. La difficulté principale est que les fonctions ne nous paraissent par encore explicites, qu’il nous faut les découvrir, apprendre à les maîtriser et comment en tirer parti. Wikipedia permet aux étudiants de disposer d’une base pour démarrer un travail, de remettre en question un écrit, voire de l’améliorer et permet d’apprendre à citer ses sources, mais il a fallu du temps pour intégrer cela dans les apprentissages.

Deux autres points sont soulevés par ces nouveaux outils qui vont au-delà de l’enseignement et qui posent plus largement la question de la place de l’université dans la société.

Le premier est la construction des savoirs. Comment une IA construit son résultat, sur quelles bases. En quoi son résultat est-il valide ? De nombreux retours montrent que ces outils peuvent donner des résultats faux, voire « délirant » tout en gardant un ton d’autorité qui masque ces défauts. La construction de ces savoirs repose également sur des méthodes très différentes que celles de la construction de sens validés, puisqu’il s’agit d’accumulation de ressources qui se répètent, plutôt que d’analyse. Caroline Muller dans la table ronde semblait avoir des idées là dessus. Elle abordait également la question de la neutralité affichée, qui masque pourtant des choix, et affichait un bel optimisme en disant que le discours universitaire est « un discours de niche » (et donc d’apprendre à construire un discours) alors que ChatGPT relayait « un discours dominant » (basé sur la répétition).

Ces nouveaux outils soulèvent sans doute un autre risque, celui de la marginalisation du discours universitaire (et donc de ses modes de construction). Nous risquons d’affronter une nouvelle forme de discours parallèle, tout comme l’université se retrouve confrontée à des discours de doute et d’ignorance organisés pour diffuser des vérités alternatives.

Cela nous amène au second point qui est celui de comment sont construits et validés les savoirs générés par les IA. Car sous une apparence de neutralité, ces IA sont effectivement construites dans un cadre particulier. Certaines ont été retirées car elles intégraient un discours inacceptable (en devenant raciste) de manière trop visible. Les données et autres textes utilisés, ainsi que les ajouts choisis sont également potentiellement porteur de biais (ChatGPT pourra parler d’un docteur et d’une infirmière) qui seront moins apparents. Mais surtout, si Wikipedia a été construit de manière collective avec des valeurs d’universalité constamment discutées, renouvelées et de manière ouverte, ces IA sont au contraire construites par des entreprises privées dont les intérêts sont d’abord financiers (pour ne pas dire de pouvoir), avant que de poursuivre des valeurs humanistes. Il y a par ailleurs la réutilisation de sources en ne respectant pas les droits d’auteur, une collecte de données sauvage, et une construction d’informations basée sur du digital labor. Le risque est ici de la privatisation de la construction du savoir, par des entreprises qui contrôlent déjà souvent les médias de diffusion.

Pour une conclusion partielle, si les médias dominants mettent en avant les triches rendues possibles par ces nouveaux outils dans une forme de déni, j’ai au contraire constaté au travers de mes quelques lectures et de mes rencontres avec mes pairs que l’heure était à l’expérimentation, à la réflexion et à la volonté de partage pour avancer ensemble. La riposte à cette crise devra effectivement être collective. Se posera également la question de la construction d’alternatives au mouvement de contrôle des données et maintenant des savoirs.

Crédit photo : Chat par Pittou2 – licence CC-by-nc-2

Licence : CC by

Portfolio

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom