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Entre utopie et dystopie, créer un langage végétal

Un article repris de https://theconversation.com/entre-u...

L’homme entretien une relation intime, affective mais aussi ambiguë avec la nature. Image by Free-Photos from Pixabay, CC BY

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Cet article a été co-écrit avec Camille Reidt, Designer plasticienne, diplômée de l’École nationale supérieure d’art de Limoges et Idelette Plazanet, Docteure de l’Université de Limoges, responsable R&D SAS InPlanta.


L’homme entretient une relation intime, affective mais aussi ambiguë avec les plantes qu’il perçoit tout à la fois comme utiles, mais aussi indispensables à l’équilibre de notre écosystème tout comme à la préservation de la biodiversité. Une illustration de cette ambiguïté réside dans le rapport qu’entretient aujourd’hui la société avec le monde agricole, entre l’agriculture bio vs zéro phyto et l’agriculture intensive vs green bashing… Comment exploiter durablement les plantes sans altérer la qualité de l’environnement et nuire à la biodiversité ?

Le sentiment d’une nature dégradée, d’un environnement souillé par l’activité humaine est aujourd’hui insupportable à une société qui exige la révision des pratiques agricoles et industrielles. La question de l’exploitation et de la valorisation durable des ressources naturelles, notamment végétales, s’inscrit désormais dans un contexte politique qui pèse sur les choix de la société et que la recherche universitaire peut traduire en innovations parfois surprenantes tout comme en messages adressés à la société.

Le Laboratoire PEIRENE de l’Université de Limoges est né de cette ambition. Profitant de la création du laboratoire de recherche La Céramique comme expérience de l’Ecole nationale supérieure d’art de Limoges, et des projets d’étude réalisés dans ce cadre, artistes et chercheurs ont souhaité ouvrir une passerelle entre art, technique et science et traiter de la question du langage végétal.

Capacité d’adaptation

Comment faire parler les plantes ? Comment leur permettre d’exprimer qu’elles sont une composante indispensable du vivant, l’ingrédient nécessaire d’une harmonie entre l’homme et l’environnement ? Cette dialectique végétale inscrite en filiation de la pensée naturaliste hégélienne est née de cette recherche transdisciplinaire entre chercheurs en sciences végétales spécialistes de la valorisation durable des ressources végétales et artiste plasticienne qui questionne la fragilité de notre société en puisant son inspiration dans l’interaction des plantes avec la matière.

C’est en s’invitant dans le périmètre de l’art conceptuel, qu’artistes et chercheurs ont fait naître ce langage végétal. Les pistes d’étude empruntées à l’occasion de ce dialogue interculturel ont été restituées au travers de deux œuvres majeures :

Ensemble, au cours de leurs échanges préalables, chercheurs et artistes font le constat que les végétaux sont des organismes fixés et que cet immobilisme les invite à une grande capacité adaptative destinée à préserver la vie de l’organisme face aux agressions du milieu. La multiplication végétative est une illustration de cette faculté adaptative souvent observée chez les organismes végétaux qui sont parfois capables de se multiplier de manière asexuée par fragmentation, bouturage ou encore marcottage.

Plante d’urgence – Verre soufflé au chalumeau, impressions 3D plastique, plante : Kalanchoe daigremontiana (Kalanchoé mère de famille), gélose In-Planta, longueur 40 cm, diamètre 4 cm, 2018. Notice réalisée en collaboration avec Gaël Potié. Vue de l’exposition L’Arbre de Darwin, la céramique comme expérience, FRAC Artothèque du Limousin, 2019. Frédérique Avril

Cette extraordinaire capacité due à la totipotence de la cellule végétale – cette propriété que présente potentiellement toute cellule végétale de régénérer un nouvel organisme – a été très largement exploitée par la recherche universitaire pour développer les techniques contemporaines de culture in vitro végétale. Placés dans un espace clos, à l’abri de toute contamination chimique et microbiologique, disposant des quantités de nutriments et d’eau nécessaires à leur croissance, les végétaux vont pouvoir se développer durablement, sans aucune intervention humaine.

Cet univers végétal que tout à chacun pourra considérer comme artificiel s’avère presque utopique pour l’artiste. Il questionne l’imaginaire, il idéalise la plante lui donnant un air tellement parfait que cela s’avère presque irréel, impossible. Il devient la représentation d’un univers idéal, sans défaut. Dans une démarche presque contemplative il donne enfin à voir les plantes, à en apprécier l’esthétisme des formes. Pour parfait qu’il soit, cet univers demeure fragile : la moindre contamination biologique tout comme le simple dérèglement des conditions environnementales (température, lumière, déséquilibre hydrique) et tout bascule.

Processus créatif

Ce qui est une angoisse pour le chercheur se transforme alors pour l’artiste en allégorie dystopique d’un monde apocalyptique né de l’insouciance des Hommes face aux enjeux du réchauffement climatique et son corollaire, la perte de biodiversité.

Essentia – Verre soufflé, porcelaine, impression 3D stéréolithographie, plante : Sequoiadendron giganteum (Séquoia géant), gélose In-Planta. Diamètre 13 cm, H : 36 cm. Vue de l’exposition Formes Vivantes, Musée National Adrien Dubouché, 2019.

Cette nature artificielle totalement préservée et contrôlée par le scientifique se transforme progressivement dans l’esprit de l’artiste en promesse d’avenir. La promesse d’un recommencement, la possibilité d’un réensemencement des écosystèmes dégradés. Les plantes ainsi cultivées s’affichent alors comme le salut possible de l’humanité.

L’art conceptuel qui a servi de fil conducteur aux échanges entre chercheurs et artistes présuppose que le processus créatif et ses différentes étapes (esquisses, études et/ou conversations) ont autant de valeur que l’objet qui sera réalisé et finalement exposé. À partir de quand l’objet conçu à l’occasion de ce processus créatif devient-il une œuvre d’art ? Chacun pourra se prononcer après avoir exploré le travail de l’artiste, compris la portée symbolique de son message et peut-être – et finalement – écouté les plantes !

À mi-chemin entre la capsule temporelle et l’étui reliquaire, il n’en demeure pas moins que ces œuvres vivantes sont constitutives d’une démarche artistique originale et séduisante qui fait naître un véritable langage végétal. Elles expriment au grand public tout comme aux passionnés d’art l’idée d’une nature fragile, protégée et à protéger. Ces œuvres ont elles-mêmes vocation à préserver et transmettre la diversité végétale. Elles représentent en tout cas un hymne à la beauté végétale, à la biodiversité, à sa préservation, à sa valorisation.

The Conversation

Vincent Gloaguen est fondateur de la SAS InPlanta, spin off du Laboratoire PEREINE de l’Université de Limoges.
Il a reçu des subventions du Conseil Régional Nouvelle Aquitaine et de BPI France.

Michel Paysant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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