La Covid-19 a fragilisé la situation, déjà précaire, de millions d’enfants dans le monde. Elle est l’occasion de réaffirmer, partout, leurs droits à la santé, au bien-être et à l’éducation, et d’accompagner leur participation aux prises de décision qui les concernent.
« Quel avenir pour les enfants du monde ? » Le rapport de la commission Lancet de l’OMS et de l’Unicef, publié en février 2020, explique combien la santé des plus jeunes, partout sur la planète, est en danger à cause de la pollution, du changement climatique et des maladies chroniques liées au stress, aux addictions et aux surconsommations.
Si cette étude a paru avant la Covid-19, tout laisse présager que la pandémie actuelle a aggravé et va continuer d’aggraver les menaces sur les droits des plus jeunes.
Tous les quatre ans, l’enquête internationale Health Behaviour in School-aged Children (HBSC), menée dans 44 pays ou régions d’Europe et au Canada, publie ses résultats sur les « comportements de santé et bien-être des élèves de 11, 13 et 15 ans ». Les données de 2018 révèlent que, si les enfants et adolescents vont globalement bien et le reconnaissent, ils souffrent de plus en plus d’anxiété scolaire. De plus, l’usage du numérique, notamment des réseaux sociaux, tend à mettre en péril leur bien-être et leur sociabilité.
Par ailleurs, ajoute cette enquête de référence, « un nombre croissant d’adolescents signalent des problèmes qui affectent leur santé mentale » – sensation de déprime, troubles du sommeil –, les inégalités sociales et genrées persistent, et « de nombreux aspects de la santé et du bien-être se détériorent avec l’âge ». Un aspect conforté par une autre étude, publiée le 4 septembre 2020 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), et qui met en avant la dégradation de la santé mentale chez 13 % des élèves de troisième en France.
Comme dans l’enquête HBSC, c’est surtout vrai des filles. Notons tout de même la dimension déclarative de l’enquête, qui peut laisser supposer une plus grande difficulté pour ceux-ci que pour celles-là d’exprimer leur ressenti, ce qui est aussi un problème.
Des menaces toujours présentes
Les mesures exceptionnelles liées à la Covid-19 ont également jeté un nombre important de jeunes dans un grand mal-être, qui ne fait que s’ajouter à l’angoisse et à l’inquiétude de nombreux jeunes sur l’avenir de la planète, le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
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L’Unicef a exprimé des inquiétudes quant au fait que la pandémie ne devienne une crise des droits de l’enfant. De fait, ce sont les plus fragiles socio-économiquement, culturellement et psychologiquement qui en paient aujourd’hui le prix le plus lourd. C’est particulièrement vrai pour l’accès à l’éducation, qui est remis en cause.
Au pic de la crise, 1,5 milliard de jeunes ont vu leur établissement scolaire ou universitaire fermer du jour au lendemain. Dans certains pays, comme l’avaient déjà démontré d’autres crises sanitaires récentes (Zika, Ebola, etc.), les filles risquent d’être les premières victimes de l’abandon scolaire, une régression terrible, inacceptable.
Les droits des jeunes à protéger
Or, le droit à une éducation de qualité pour tous les enfants et adolescents, qui définit le quatrième Objectif de développement durable des Nations unies pour 2030, est non seulement une question éthique, un devoir collectif, mais aussi un moyen essentiel de lever l’hypothèque sur l’avenir de nos sociétés dans leur ensemble.
Le monde a besoin d’un cadre d’action ambitieux, unifié et multisectoriel pour que ce droit soit respecté sur l’ensemble de la planète. Des politiques de ciblage efficaces, des moyens conséquents, des études d’impact s’appuyant sur la recherche et des mécanismes de passage à l’échelle s’avèrent indispensables pour un tel dispositif. Les jeunes eux-mêmes devraient avoir leur mot à dire.
C’est du reste ce que dit le rapport de l’Unicef et de l’OMS de février dernier, qui invite à réécrire les Objectifs de développement durable à partir du point de vue des jeunes et de leurs droits dans la perspective de l’Agenda 2030.
La Covid-19 questionne plus globalement l’accès aux apprentissages. Au-delà de la reprise des cours, dont les modalités et les dates varient selon les lieux, et qui reste fragile, y compris dans les pays développés, l’occasion peut être saisie de se projeter à plus long terme et de changer notre regard sur l’éducation. Non seulement pour anticiper les suites de la crise actuelle, en devancer de futures résurgences ou nouvelles émergences, voire d’autres crises planétaires, mais aussi pour agir de manière structurelle.
Il s’agit de penser la transformation de la situation hors du commun vécue par les jeunes et d’en faire une occasion d’imaginer collectivement, avec eux, comment relever les défis de notre temps.
Des engagements précurseurs
Du collège Catts Pressoir en Haïti, dont les élèves s’impliquent dans le développement de leur communauté, au dispositif Design for change en Inde, en passant par les Savanturiers où les jeunes développent leurs projets de recherche avec l’aide de mentors scientifiques, ou le Lobby de Poissy dans lequel des collégiens de REP sont engagés pour les droits de la planète ; des grèves scolaires pour le climat aux plaintes déposées devant la Cour européenne des droits de l’homme, des exemples innombrables illustrent combien les jeunes s’engagent pour la planète, pour la défense d’une vie digne et supportable. Dans et hors l’école, ils sont des acteurs à part entière de nos sociétés mais ce qu’ils font demeure peu considéré.
Selon le philosophe Maurice Blondel, l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ; c’est pourquoi la jeunesse doit bénéficier de conditions adaptées pour exprimer sa vision de cet avenir. En faisant appel à leurs connaissances, leurs savoir-faire, leur expérience, leur imagination collective, enfants et adolescents pourraient écrire, en particulier, un nouveau récit sur l’école, de la maternelle à l’université, et les manières d’apprendre en dehors du cadre scolaire, en collaboration mais aussi en autonomie.
Il est important de leur permettre d’être en capacité de prendre conscience et de s’approprier les savoirs qu’ils ont acquis, quels qu’ils soient, pour que chacun s’émancipe à son rythme, et puisse aider les autres afin de relever ensemble les défis de demain.
Pour penser une année scolaire et universitaire extraordinaire, nous pouvons prendre au mot nos dirigeants lorsqu’ils voient dans la crise de la Covid-19 une chance de se réinventer et de créer de la solidarité. Un tel projet ne se pensera pas, ne se construira pas sans la jeunesse, et l’éducation fera indubitablement partie du champ de nos réflexions et des leurs.
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« Et si » ils se sentaient légitimes et s’autorisaient à proposer des contextes et conditions d’apprentissage adaptés à leurs besoins, à leurs attentes, à leur vision de l’école, de l’université et de la société de demain ? Des lieux qui seront, peut-être, plus à l’écoute de leur bien-être et de leurs idées, qui les inviteront à collaborer, à faire preuve d’empathie, d’entraide, de partage, de curiosité, sans être moins exigeants sur le niveau de connaissances à acquérir. Et c’est aussi le rôle des enseignants qui doit être repensé, et dans tous les cas davantage valorisé, mieux reconnu.
Les engagements démocratiques de la jeunesse
Avant la crise, l’Unesco avait lancé une initiative mondiale pour penser les futurs de l’éducation, qui sont encore à construire. Elle prend une nouvelle dimension d’urgence aujourd’hui alors que nous vivons l’une des plus grandes ruptures dans l’histoire de l’éducation, tout en ayant inventé d’autres façons d’apprendre, de s’entraider et de créer des liens pour partager les savoirs.
C’est aussi une réponse, parmi d’autres, à la crise démocratique, une participation à la construction d’un « monde d’après » qui commence dès maintenant.
Début octobre débutera, au parlement français, un débat sur l’abaissement du droit de vote à 16 ans. Celui-ci permettra de revenir sur le désir et la capacité d’engagement de la jeunesse pour le bien commun, et sur les leviers que les décideurs, enseignants, familles, et les adultes de manière générale peuvent mettre à la disposition de cette envie et de ce savoir-faire.
L’empowerment solidaire de la jeunesse est sans nul doute une richesse immense pour rendre la démocratie plus inclusive. Comme l’expliquait Condorcet, éducation, citoyenneté et participation active à la démocratie sont indissociables. Parce qu’elle forme les futurs citoyens, l’école a un rôle décisif à jouer dans la mise en place de ce qu’on pourrait qualifier de « citoyenneté fractale ».
Marie-Cécile Naves est directrice de recherche à l’IRIS
François Taddei et Gaëll Mainguy ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
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