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Apprendre une langue sur le web : la révolution de l’IA se fait attendre

Un article repris de http://theconversation.com/apprendr...

Des établissements du supérieur aux pure players de l’IA, l’apprentissage des langues en ligne attire de nombreux acteurs. Shutterstock

Matthieu Cisel, chercheur spécialisé dans les apprentissages en ligne, et Aurélie Djavadi, cheffe de rubrique Éducation, sont les invités de l’émission 7 milliards de voisins diffusée sur RFI ce vendredi 17 janvier, de 11h à 12h.


De Duolingo à Babbel, en passant par Busuu ou Qioz, on ne compte plus les applications permettant d’apprendre des langues sur Internet, chez soi, sur son ordinateur, ou sur son portable, entre deux stations de métro. Avec l’enseignement de la programmation, c’est sans doute l’un des domaines les plus porteurs dans le champ de l’éducation en ligne.

Les acteurs qui dominent le marché ont chacun leur marque de fabrique. Duolingo, qui fait la course en tête en termes d’audience avec plusieurs centaines de millions de comptes créés, s’est spécialisé dans les exercices simples, comme les textes à trous ou les QCM, visant à assimiler le vocabulaire de base.

D’autres applications ont une dimension sociale plus affirmée. C’est le cas de Busuu, qui met en lien les utilisateurs du site et les incite à engager la conversation sur des thèmes précis. En quelque sorte, ils doivent s’improviser tuteurs les uns pour les autres. Quant à Qioz, un acteur français, il joue davantage la carte de l’apprentissage avec les séries.

Même les grandes écoles et les universités sont désormais de la partie, à travers les MOOC, ces cours en ligne gratuits dispensés sur des plates-formes comme Fun ou Coursera. Dans leur offre, les MOOC de langues sont ceux dont les audiences sont les plus importantes.

Elles ont atteint parfois le demi-million d’inscrits, et dépassé les 100 000 utilisateurs pour certains cours de français langue étrangère, un record. À titre de comparaison, le nombre moyen d’inscrits pour les MOOC français oscillait généralement entre 5 000 et 10 000 lors de leur âge d’or.

De cette popularité et de cette diversité d’approches, peut-on conclure que l’apprentissage des langues s’est démocratisé ? La situation n’est naturellement pas aussi simple, comme le montrent les travaux de chercheurs qui se sont penchés sur le fonctionnement de ces sites. Les potentialités offertes par le numérique sont certes explorées, mais restent sous-exploitées.

Les limites des applications classiques

Les évaluations d’applications spécialisées dans les questionnaires à réponses multiples, du type de Duolingo, pointent régulièrement le caractère superficiel des apprentissages effectués par ce biais. En d’autres termes, l’application permet une première initiation, mais dès lors que l’on s’intéresse à la maîtrise effective des règles de grammaire, à la conjugaison, ou à la connaissance approfondie d’expressions idiomatiques, on ne peut s’en contenter.




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En ce qui concerne les applications centrées sur la communication, comme Busuu, l’efficacité reste là aussi limitée. Il est difficile de rendre fructueuses des conversations écrites entre utilisateurs, et ce de manière parfaitement automatisée pour des millions de personnes.

Reste un enjeu de taille, qui constitue l’une des vieilles promesses de l’intelligence artificielle et aussi sans doute un eldorado pour l’apprentissage des langues : pouvoir recommander aux utilisateurs des exercices adaptés à leur niveau, afin de leur créer des parcours sur mesure.

Pour l’heure, la personnalisation s’arrête souvent encore à la mise en place d’une répétition espacée. Pour optimiser la révision du vocabulaire et favoriser la mémorisation à long terme, un même mot reviendra à intervalles réguliers dans les questions proposées, en fonction des bonnes et mauvaises réponses de l’apprenant. Nombre d’applications, de Babbel au projet Voltaire, ont recours à ce processus, utilisant le terme ancrage mémoriel pour le décrire.

Mais répétition espacée ne signifie pas adaptation au niveau de l’apprenant, et les applications font généralement ou l’un ou l’autre. Même si certains chercheurs ont envisagé de combiner les deux, l’industrialisation de ces approches se fait attendre, les applications grand public se cantonnant au mieux à de petits algorithmes de recommandation.

Lingvist ou Duolingo ont par exemple commencé à personnaliser les séquences d’exercices à partir d’un diagnostic du niveau de l’apprenant, proposant des exercices correspondant à ce niveau. Néanmoins, les progrès restent à bien des égards embryonnaires. Ceci tient vraisemblablement au fait que ces entreprises sont spécialisées dans l’apprentissage en ligne sur Internet, plus que dans l’IA.

Les tentatives de « pure players » de l’IA

Qu’en est-il du côté des entreprises spécialisées dans l’IA ? Vu le marché colossal qu’il représente, elles se sont penchées sur l’apprentissage des langues. Leurs projets n’ont pas néanmoins pas encore eu le succès escompté, comme l’illustre l’échec de Knewton. Dopée aux dizaines de millions de dollars de venture-capitalists, cette start-up new-yorkaise s’était positionnée sur le créneau en produisant du contenu en langues, au lieu de contractualiser avec des éditeurs scolaires ou parascolaires.

Cependant, l’entreprise a enchaîné les déconvenues et a fini par être rachetée pour la malheureuse somme de 17 millions de dollars par l’éditeur Wiley – somme à comparer aux centaines de millions investis. Là où l’Occident a échoué, l’Asie réussira peut-être.

L’Empire du Milieu s’est en effet également lancée dans la course à l’IA éducative, et des entreprises comme SquirrelAI débauchent les sommités américaines du domaine pour développer des applications, à destination du marché chinois pour le moment. Pour peu qu’ils continuent leur croissance, s’ouvrent sur le monde, et poussent un jour jusqu’au bout la démarche suivie brièvement par Knewton, ils pourraient bouleverser le paysage de l’apprentissage des langues en ligne. Un acteur à surveiller donc…

Intelligence et éducation (Interview de Jean‑Marc Labat, Ludovia Magazine).

Pari académique

Les solutions bon marché qui portent des promesses en termes de personnalisation, tout en satisfaisant les attentes d’un public exigeant, se font donc toujours attendre. Nous en sommes au point où certains académiques passionnés de langues et de technologie éducative, et j’en fais partie, se disent qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Il y a dix ans, avec quelques amis, nous avons tenté de combler les lacunes de l’écosystème en produisant des applications « à la Duolingo », mais avec un contenu plus riche et un algorithme de recommandation performant. Nous nous sommes heurtés au défi qui consiste à mener de front développements technologiques et production de contenu linguistique.

L’échec d’alors nous avait alors amenés à nous demander s’il était pertinent de repartir de zéro, compte tenu du fait que de nombreux sites produisent du contenu en licence libre qui peut être adapté à peu de frais pour de telles applications.

Sur le plan technologique, les outils open source se multiplient dans le domaine des IA éducatives, suscitant l’espoir qu’un jour, l’on puisse mobiliser ce type d’approche sans avoir à injecter des millions dans le code. De billets de blogs en webinaires, nous portons la question suivante : Est-il désormais possible de bricoler à peu de frais des applications plus performantes et plus ambitieuses que les applications actuelles en combinant les technologies les plus récentes à des contenus libres de droit ?

Les IA à portée de main ont fait d’énormes progrès ces derniers temps. Il serait dommage de ne pas explorer davantage l’horizon des possibles. Il ne s’agit pas de concurrencer les géants de l’apprentissage des langues – le service public n’en a pas les moyens, et ce n’est pas le métier des laboratoires. Néanmoins, si l’on pouvait atteindre une taille critique suffisante pour susciter le débat, inspirer des start-up, et peut-être rompre le statu quo, ce sera déjà une petite victoire en soi. Affaire à suivre.

The Conversation

Matthieu Cisel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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