Si le diplôme de PhD est une référence à l’international, son équivalent dans l’Hexagone, le doctorat, n’a pas encore l’aura qu’il mérite sur le marché de l’emploi français. Il s’agit pourtant d’un vecteur potentiel d’innovation et de développement économique. Sa valorisation constitue ainsi un leitmotiv des politiques publiques de l’État français.
L’un des actes récents de cette reconnaissance réside dans l’inscription en 2018 de ce diplôme au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), la base de données qui liste les diplômes reconnus par les entreprises et les compétences qui y correspondent. Facteur de compétitivité, le doctorat intéresse également les collectivités locales, d’autant que l’enseignement supérieur et la recherche s’ancrent de plus en plus dans les territoires.
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Porté par HESAM Université, le dispositif « 1 000 doctorants pour les territoires » en est une illustration. Il vise notamment à inciter les régions, villes et départements à recourir plus souvent aux Conventions Industrielles de Formation par la recherche (ou CIFRE). Encore plus récemment, une autre initiative témoigne de cet intérêt du monde territorial : « Paris Région PhD ».
Un ciblage thématique
Avec ce tout nouveau dispositif, la Région Île-de-France compte soutenir jusqu’à 100 projets jusqu’en 2022, à hauteur de 100 000 euros par projet de recherche doctorale de 36 mois – soit un total de 10 millions d’euros engagés à échéance. Pour en bénéficier, les projets doivent s’appuyer sur un partenariat entre un laboratoire public de recherche et un acteur du monde socio-économique (entreprise, association, collectivité).
Autre condition : relever d’enjeux liés à la transformation numérique et de domaines d’intérêt majeur (DIM) identifiés par la région. Des maths à la thérapies génique en passant par l’astrophysique, ceux-ci sont au nombre de treize, en résonance avec des enjeux socio-économiques. Les sciences humaines y ont aussi toute leur place, dès lors qu’elles incluent une dimension numérique (rappelons au passage que, dans le cas des CIFRE, 28 % des projets soutenus relèvent des SHS).
Le dispositif de la région Île-de-France se distingue toutefois des conventions CIFRE par son ciblage thématique. Dans son principe, sans présumer des projets qui auront été retenus dans le cadre de la première année de fonctionnement, cette orientation vers le numérique autorise toutefois à soutenir des projets très différents, compte-tenu de la diversité des enjeux : compétences des personnels, présence sur des marchés plus vastes, logistique, développement de produits innovants…
Autre différence : l’appel à projets comporte un tropisme pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), évoquant « une attention particulière » à leur endroit. En comparaison avec les CIFRE, où la part des PME dans les bénéficiaires est bien un sujet d’attention, elle n’en constitue pas pour autant un critère orientant le choix d’un projet plutôt qu’un autre. En revanche, la région Île-de-France témoigne de la volonté d’aider en particulier ces entreprises, tout en mentionnant que les cabinets de conseil, qui peuvent bénéficier des CIFRE, n’y sont pas éligibles.
Des contrats de droit public
Les projets soutenus par « Paris Région PhD » conduiront au recrutement de doctorants non par l’entreprise partenaire (ce qui est le cas pour les CIFRE), mais par une institution publique. Ce faisant, les doctorants seront titulaires d’un contrat doctoral de droit public.
Cette distinction est importante pour comprendre le positionnement vis-à-vis des CIFRE, auxquelles de nombreuses entreprises, malgré le succès du dispositif, hésitent à recourir. Parmi les explications se croisent la peur de monter un dossier, le manque de ressources pour mener ces démarches administratives, les craintes quant aux risques de porter soi-même le financement du projet.
« Paris Région PhD » permet donc à des entreprises d’accéder à la recherche en supportant moins de risques directs, sans exclure la possibilité pour ces entreprises de contribuer au financement du projet. Plus particulièrement, on peut imaginer voir des entreprises financer une rémunération accessoire pour le-la doctorant.e, d’autant plus qu’elle serait alors éligible au titre du Crédit d’Impôt Recherche et donc défiscalisable.
Si l’effectivité de cette hypothèse reste à apprécier, les rémunérations du secteur du numérique sont à comparer à celles des contrats doctoraux classiques. La ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal vient justement de reconnaître la nécessité de les réévaluer. Aussi, l’avenir permettra de se demander si ce type de dispositif peut contribuer à orienter des étudiants brillants de Master vers le Doctorat dans le secteur du numérique.
Enfin, le portage du contrat par un opérateur public de recherche comporte des conséquences en matière de propriété intellectuelle et industrielle, avec une négociation à opérer entre l’employeur et le partenaire socio-économique. Dans ce cadre, le financement du doctorant étant très largement public, le dispositif prévoit (conformément à la loi) que « l’ensemble des publications issues des travaux de recherche devra être accessible en archives ouvertes afin de garantir l’accès aux données en résultant ».
Une évaluation à anticiper
Le dispositif de la région Île-de-France adopte donc une philosophie qui, si elle rappelle celle des CIFRE, peut plutôt être appréhendée comme venant en complément, avec des modalités spécifiques. Il se distingue aussi des pratiques habituellement mises en œuvre par les collectivités régionales.
En effet, la plupart d’entre elles proposent en général des aides ou des appels à projets pour le financement de contrats doctoraux, comme en Bretagne ou dans les Hauts-de-France. Cette dernière propose également de soutenir les activités de recherche portées conjointement par une université et une entreprise, à l’instar de la région Occitanie qui soutient également de tels projets partenariaux, avec en outre un bonus de 5000€ pour les laboratoires qui encadrent des CIFRE.
Ainsi, la pertinence de « Paris Région PhD » sera jugée à l’aune de son articulation avec les autres dispositifs en place, mais aussi de son impact sur le territoire. Compte tenu des moyens financiers conséquents prévus par la région Île-de-France, il restera à en évaluer le succès à l’aune de ses objectifs : quels profils des candidats ? Quels sont les profils des entreprises (thématiques, PME, ETI…) ? Quels impacts économiques concrets pour ces dernières, à la fois pour leur développement et pour l’emploi scientifique en leur sein ?
Le dispositif aura-t-il un effet sur les carrières des docteur·e·s après leur thèse ? Contribuera-t-il au développement de la connaissance en général, en terme de compétences et de forces scientifiques, pour les laboratoires et les entreprises d’île-de-France en particulier ? Les résultats de la première année de l’appel à projets apporteront sans nul doute quelques premières réponses intéressantes à ces questions.
La Région Ile-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez iledefrance.fr/education-recherche.
Romain Pierronnet est chercheur associé à l’IRG (Créteil) et consultant chez Adoc Mètis. Il est élu local à Nancy, chargé de la recherche et de l’enseignement supérieur.
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