Permettre à toute personne qui le souhaite d’assister au cours des plus prestigieuses universités, sans condition préalable de diplôme et depuis les quatre coins du monde, telle est la perspective alléchante qu’ouvrait l’essor des massive open online courses (MOOC) à partir de 2012. Pour soutenir les établissements dans la conception de ces programmes en ligne, le ministère de l’Enseignement supérieur lançait dès 2013 sa propre plate-forme en ligne, France Université Numérique (FUN). Les éloges fusaient sur cette démocratisation inédite du savoir et les écoles et universités se penchaient sur ces possibilités de rayonnement inédites.
Quelques années plus tard, force est de constater que l’enthousiasme est retombé. « Les MOOC font pschitt ? » titrait Le Monde en octobre 2017, tandis que France Culture orchestrait pour la rentrée un débat autour de la question : « Qui a mis K.O. les MOOC ? ». Qu’en est-il réellement ? Les MOOC ont-ils réellement échoué à tenir leurs promesses ? Probablement, et voici en quelques éléments d’explication fondés sur plusieurs années de recherche.
Un gain de qualité en vidéo
En premier lieu, dressons un rapide état de la situation. Certes, le brouhaha médiatique s’est estompé, le contraire eut été étonnant. Mais en France, des MOOC continuent à être diffusés et à engranger des inscriptions. Cependant, si l’on est un peu regardant, l’offre s’est réduite comme peau de chagrin. Les plates-formes américaines qui dominaient la scène mondiale ont largement renoncé à la gratuité, tout au plus peut-on trouver les vidéos des cours sans payer, en cherchant un peu. Le modèle original du MOOC, alliant vidéos, activités et attestations gratuites, est moribond. Il vivote encore un peu en France, mais va finir par disparaître.
En caricaturant un peu, si l’on raisonne à l’échelle internationale, nous en sommes à peu de choses près revenus à l’époque des « Open Coursewares », ces vidéos de cours gratuites, alors même que les MOOC promettaient justement, au-delà de simples ressources en libre accès, d’offrir des scénarios pédagogiques construits. En cause : la difficulté à mettre en œuvre un modèle économique viable. Ceci dit, les vidéos diffusées dans les MOOC sont généralement pensées pour le Web, au lieu d’être de simples cours magistraux filmés. Voilà qui a permis de diversifier l’offre proposée et de gagner en qualité, mais l’on ne peut pas parler de révolution.
Et quid de la situation de l’enseignement supérieur ? Il n’est pas rare de voir des MOOC reconnus dans tel ou tel cursus académique, dans telle ou telle école doctorale. Des progrès ont été faits, néanmoins, faute de recherches quantitatives sur la question, personne n’a la moindre idée de l’ampleur du phénomène. Il est vraisemblable que les choses n’aient guère progressé autant que l’on aurait pu l’espérer, et l’on peut identifier au moins deux raisons à cela.
Un manque de stratégie
Tout d’abord, il y a eu un défaut de réflexion stratégique sur les questions d’hybridation des MOOC avec les cursus académiques. L’heure était à la communication. Il s’agissait de ne pas rater le coche et de participer au raout mondial, l’heure était à « l’innovation », il fallait se faire la main sur l’enseignement avec le numérique. Repenser les cursus, mutualiser une offre pour rationaliser l’investissement ? Cette préoccupation qui aurait dû être essentielle est passée au second plan.
C’est bien dommage, car nous étions en pleine phase de regroupement d’établissements d’enseignement supérieur, au sein de ce que l’on nommait les COMUE, ou Communautés d’établissements. Cela signifiait que l’on pouvait plus facilement atteindre une masse critique permettant de légitimer d’investir dans la numérisation des cours communs aux différents cursus, à condition que ceux-ci ne soient pas trop obsolètes – faire un MOOC de programmation sur les environnements de développement d’Apple, c’est risqué si ces derniers bougent tous les six mois.
On aurait pu penser à l’échelle du consortium au moins, à défaut de penser à l’échelle nationale ou internationale. Eh bien non. On a privilégié des projets de communication, pour interpeller le grand public. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi il ne faut pas s’étonner que l’enseignement supérieur n’en ait pas été transformé en profondeur.
Des blocages logistiques
Deuxième point, on est restés dans une logique de formation synchrone, avec une date de début et une date de fin, et une faible visibilité sur la pérennité des projets. Difficile dans ces conditions, pour l’équipe pédagogique d’une formation académique, de planifier quoi que ce soit. La seule solution pour prévenir une éventuelle annulation, et avoir le contrôle sur ces détails logistiques, c’est d’être l’auteur du cours. Quelques institutions ont hybridé leurs propres MOOC et mutualisé les ressources entre les cursus. Néanmoins, rares sont celles qui ont intégré les MOOC d’autres établissements, sans doute aussi pour les raisons susmentionnées.
C’est dommage, d’autant que la plupart des MOOC ne sont que des vidéos avec des quiz, et qu’il n’aurait pas coûté grand-chose de les laisser accessibles en permanence. L’argument qui consiste à dire qu’il faut être présent sur les forums pour répondre aux questions – et qu’on ne peut pas faire ça tout au long de l’année – est faible. Alors quoi, on aurait saboté le mouvement MOOC pour les quelques internautes qui se battent en duel sur les forums de discussion ?
Il eut été facile de faire des attestations de suivi délivrées automatiquement quand tous les exercices étaient faits. Les activités proposées n’auraient pas été très palpitantes, mais vu que c’était déjà le cas de toute façon, au moins aurait-on pu mieux valoriser les investissements réalisés. Comme il était compliqué d’organiser une session où toute l’équipe est présente, la plupart des gens ont fini par se démobiliser. Il ne reste plus que quelques militants de la première heure pour continuer à organiser deux sessions par an. Mais jusqu’à quand ?
En somme, la situation n’est pas glorieuse, et je pense que l’absence de vision à long terme et la volonté de préserver le statu quo y sont pour beaucoup. Trop d’esbroufe – c’était à qui aurait le plus gros MOOC – et pas assez de réflexion sur ce que l’on pouvait changer dans notre enseignement supérieur. On a pensé à tort que l’on avait affaire à une révolution technologique, alors que c’était là une révolution organisationnelle potentielle, qui aurait permis de rationaliser la production de ressources pédagogiques et l’aménagement des cursus.
Matthieu Cisel a reçu des financements de l’ENS Paris-Saclay pour réaliser sa thèse sur le sujet des MOOC
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