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La rédaction de cas par les étudiants : expérience de classe renversée en cours de stratégie

7 juin 2018 par Karen Retours d’expériences 450 visites 0 commentaire

Un article repris de https://innovation-pedagogique.iscp...

Un article d’Alexis Pokrovsky et Karen Delchet-Cochet, professeurs de stratégie, repris des carnets de l’innovation pédgogique, du groupe ISC Paris

L’envie de renverser la classe

Comment transmettre ? Quelles méthodes pédagogiques utiliser pour que les étudiants apprennent avec plaisir et retiennent réellement ce qu’ils ont appris ? Mieux encore comment faire pour que les enseignements partagés transforment leurs pratiques ?

Ces questions, récurrentes chez les enseignants et pédagogues se trouvent renforcées par le profil de nos étudiants, ultra connectés. Comme le rappelle Michel Serres, les étudiants d’aujourd’hui, tels petite poucette, tiennent en main le monde par leur smartphone. Leur accès à la connaissance est quasi infini[1]. Mais l’accès à la connaissance brute ne préjuge pas de la maîtrise de cette connaissance ni de l’expression d’un esprit critique. Si cette évolution technologique et sociologique interroge le rôle des enseignants, elle ne les fait pas disparaître. Bien au contraire, leur responsabilité s’en trouve renforcée et donne lieu à un questionnement relatif aux méthodes pédagogiques à mobiliser. Le rôle de l’enseignant évolue du modèle descendant de sachant vers apprenant vers le rôle d’un encadrant. Il est dès lors primordial d’instaurer les conditions d’un dialogue, la classe devenant un lieu d’expression et d’expérimentation.

Quel format de classe inversée ?

Le modèle de classe inversée « part d’une idée très simple : le précieux temps de classe serait mieux utilisé si on s’en servait pour interagir et travailler ensemble plutôt que de laisser une seule personne parler » (www.classeinversee.com). Mais la classe inversée n’est pas qu’un espace de dialogue ou de débats et la transmission de connaissances reste la motivation principale. C’est en fait la façon de transmettre qui évolue. Ainsi, en théorie, dans le cadre d’une classe inversée, tout ce qui est classiquement fait en classe est fait à la maison, quand tout ce qui est fait à la maison se retrouve fait en classe (Lage, Platt & Treglia, 2000[2]). Plus largement, il s’agit de consacrer le temps de classe, encore appelé face à face pédagogique à des activités interactives et de s’appuyer sur les ressources numériques pour le temps hors classe. Il est donc aussi question d’organisation du temps, du rapport à l’enseignant et de l’outil de médiation.

Il n’existe pas une mais des classes inversées. Elles sont propres à chaque domaine et à chaque enseignant. Marcel Lebrun[3] évoque un continuum entre des pratiques plutôt centrées sur l’enseignant et d’autres centrées sur l’apprenant. Ainsi, il est même envisageable de passer d’une classe inversée à une classe renversée. Cette approche ultime de la classe inversée permet aux apprenants de devenir pédagogue et aux pédagogues d’être apprenants. Autrement dit les étudiants vont aller jusqu’à produire du matériel pédagogique et par cela contribuer à la construction de la connaissance.

Pour apprendre la stratégie autrement

Le besoin de dynamiser les cours et de donner envie d’apprendre ont été les points de départ de notre réflexion pédagogique pour le cours de stratégie de Master 1 de l’ISC Paris. Partant du principe que la maîtrise des principaux outils de la stratégie passe par la capacité à en expliquer le fonctionnement et les finalités, le déploiement d’un cours sous forme de classe inversée nous est apparu évident.

Notre objectif était simple : que les étudiants, par équipe et à tour de rôle, fassent cours à la classe, qu’ils transmettent leurs connaissances de façon intéressante et argumentée. La première année (2016-2017), nous avons structuré le cours comme suit : les notions de cours théorique et leur application étaient travaillées par les étudiants organisés en groupes et étaient présentées en classe à tour de rôle. L’intervention des professeurs se limitait à animer les présentations et corriger le cas échéant les notions mal acquises ou mal restituées. Lors de l’évaluation du cours les étudiants étaient globalement plus motivés et impliqués, mais nous étions restés sur notre faim. En effet, si en Master 1 d’une grande école, les idées des étudiants sont souvent pertinentes et audacieuses l’exercice se résumait principalement à une restitution mimétique et symétrique d’un cours déjà formalisé sur les supports fournis.

De la classe inversée à la classe renversée

Or nous souhaitions vraiment impliquer les étudiants dans la construction des connaissances et les mettre dans le rôle d’un pédagogue. Nous avons pensé qu’il fallait qu’ils produisent leurs propres matériaux pédagogiques afin d’endosser pleinement le rôle de l’enseignant. Notre classe inversée s’est donc renversée en 2017-2018 lorsque nous leur avons demandé de changer de rôle. Non plus répondre à des questions de cas, mais créer ces cas et nous poser, à nous les professeurs, les questions.

Le renversement des rôles dans le cours s’est organisé en 2 phases. Une première phase d’apprentissage en classe inversée reprenait l’organisation de l’année passée. La seconde phase sous format de classe renversée, a été consacrée à la création des outils pédagogiques par les étudiants. Afin de renforcer leur motivation dans cette seconde phase un challenge du meilleur cas a été organisé avec récompense des trois cas primés.

Un dispositif pensé très en amont

Organiser un cours en classe inversée nécessite une préparation très détaillée en amont bien avant les premières séances. Voici les principaux points qui nous semblent incontournables :

 Identifier quelles connaissances et compétences clefs les étudiants doivent mobiliser, en lien pour nos institutions avec les AOL de l’AACSB
 Créer des supports et matériaux pédagogiques ciblés et dématérialisés
 Aménager un espace de travail numérique qui regroupe très en amont l’ensemble de ces supports
 Définir un calendrier précisant la ventilation entre face à face pédagogique et hors présentiel
 Préciser quels seront les modes et critères d’évaluation

Une posture différente des enseignants mais aussi des étudiants

Dans un module de classe renversée, certains des rôles affectés aux deux parties sont redistribués. Les étudiants doivent pouvoir évoluer de façon autonome et séquentielle : ils apprennent, transmettent, restituent, et surtout créent. Ils sont progressivement amenés à problématiser, proposer des solutions, et imaginer des formats comme en témoignent ces étudiants filmés lors d’une des séances.

De leur côté les enseignants encadrent voire recadrent, organisent et surtout incitent les groupes à évoluer dans leur démarche en instaurant un dialogue avec eux.

L’organisation du challenge inter groupes crée une émulation à l’intérieur de chaque groupe : les membres dépassent la simple distribution des tâches habituelle dans les travaux collectifs et s’engagent dans des discussions animées sur le format, les objectifs et la pertinence de leur projet.

Enfin, les sollicitations auprès du professeur débordent le contexte usuel de la salle de classe : les étudiants envoient de nombreuses questions au professeur par mail ou sur le forum d’échanges du projet.

La classe renversée, classe ouverte (dans l’espace, le temps, les interlocuteurs)

Un des effets les plus marquants de cette classe renversée est de bouleverser l’organisation matérielle et temporelle de la classe. Tout d’abord l’espace est appréhendé de façon différente : plus de hiérarchie ni d’estrade, mais des regroupements et des forums de discussions qui s’organisent de façon finalement assez ordonnée dans le lieu classe. Nous pilotions nos 2 ateliers en parallèle, et passions de temps en temps dans la salle du collègue pour échanger au fur et à mesure. Les profs devenaient aussi apprenants en temps réel. Cela s’opérait dans une grande concentration de tous, bien loin d’une image d’anarchie !

Cette organisation concerne à la fois les rendez-vous en présentiel, mais implique aussi de nouvelles formes de travail en « on line ». Les échanges sont nombreux sur le forum ou via email. Les étudiants font preuve d’un degré d’exigence accru vis à vis de leurs professeurs.

Dans le temps, les rythmes s’organisent selon plusieurs phases : le travail est très concentré dans les phases d’apprentissage mais surtout de création. Ce continuum perdure après les évaluations formelles (partiels ou notes) pour les étudiants qui attendent avec impatience le grand amphi de nomination des résultats.

Il convient donc de penser ces dispositifs matériels, humains et numériques bien en amont. Tout d’abord des salles de classe organisées autour de plots dotés de matériel de connexion semble une solution idéale. Ensuite, piloter à deux professeurs nous paraît un minimum requis. Enfin, l’environnement numérique doit être parfaitement adapté, notamment la mise en place d’un système d’échange des données ; le mail est à proscrire selon nous car il ne permet pas de construire un dialogue régulier.

La classe renversée : devenir acteur de ses apprentissages et repenser l’institution

Une expérience de classe renversée redéfinit les frontières du cours à l’intérieur de l’institution. De nombreux auteurs ont ainsi souligné la portée critique d’un tel enseignement, notamment dans les sciences de gestion et en management. Ainsi Isabelle Huault et Véronique Perret mettent en avant la dimension politique d’un renversement des rôles, le potentiel d’émancipation de ce rééquilibrage ainsi que l’attitude paradoxale des institutions face à des approches critiques (Huault et Perret, 2011[4]).

Notre expérience a également introduit une forme de perturbation au sein de l’institution : la classe inversée puis renversée s’est progressivement imposée par rapport à d’autres enseignements de la même période ; certains cours dispensés ont ainsi été concurrencés à cause de l’engagement que mettaient nos étudiants dans le cours de classe renversée. Ainsi, toute choses égales par ailleurs, une conclusion pourrait être que, dans une situation de renversement des rôles, les étudiants privilégieraient le cours dans lequel l’autonomie, la prise en compte d’une égalité des savoirs et la construction d’une connaissance sont les plus affirmés. Reprenant ici une lecture politique, les étudiants plébisciteraient les modes d’émancipation sur les modes de transmission traditionnels des savoirs. Mais ceci reste une hypothèse à tester plus finement.

Mais pour autant, dans notre expérience, les étudiants n’ont pas bouleversé les finalités pédagogiques que nous avions assigné à cet exercice : apprendre, se dépasser et construire des connaissances qui seront partagées par tous et mises en commun.

Le résumé en vidéo.

Pour s’inspirer

Vidéo Ted de Jean-Charles Cailliez : https://www.youtube.com/watch?v=KMAONv3BPhs

[1] Serres Michel (2012), Petite Poucette, Editions Le Pommier, Paris, 84p

[2] Lage, M. J., Platt, G. J., & Treglia, M. (2000). Inverting the classroom : A gateway to creating an inclusive learning environment. The Journal of Economic Education, 31(1), 30–43

[3] Les classes inversées, vers une approche systémique, Marcel Lebrun & Gemma Serrano (The conversation)

[4] Isabelle HUAULT et Véronique PERRET (2011). L’enseignement critique du management comme espace d’émancipation : Une réflexion autour de la pensée de Jacques Rancière, M@n@gement, 14(5), 281-309.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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