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Badges et certifications : ressentis d’apprenants ayant suivi des MOOC

26 décembre 2017 par Thierry Gobert Retours d’expériences 979 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/2049

Le nombre d’offres d’enseignement en ligne est en croissance forte dans l’hexagone. Le gisement de ressources s’est amplifié depuis que de grandes écoles, des médias et des portails tels que Fun (France université numérique) s’impliquent dans leur développement. Désormais, les MOOC délivrent des attestations, des badges et des certificats. Ces formes de reconnaissance gagnent en notoriété. Certaines sont reconnues dans le monde économique et seraient même perçues comme une offre concurrente des cursus classiques. Dès lors, nous nous interrogeons sur l’évolution des représentations de la validation de ces formations. L’enjeu de ce questionnement est important. Il touche l’ensemble de la population active et la structuration des offres de formation entre établissements publics et industries des médias de la formation. Cet article apporte des éléments de réponse à partir des résultats d’analyse d’un questionnaire en ligne et d’un corpus d’entretiens semi-directifs effectués auprès de sujets ayant finalisé des MOOC.

Un article de Thierry Gobert, repris de la revue "Distances et Médiations des Savoirs", une revue publiée sous licence CC by sa

Introduction

Les MOOC (Massive Online Open Courses – cours en ligne massifs et ouverts) ont gagné en légitimité dans l’espace social depuis qu’ils sont portés par des établissements bénéficiant d’une forte notoriété. Ils délivrent des badges, des attestations, des certificats et des certifications. Ces dispositifs constituent une offre parallèle et parfois considérée comme concurrente des cursus effectués en présentiel et sanctionnés par un diplôme. Les motivations du choix entre les uns et les autres semblent relever de phénomènes d’opportunité et d’intériorisation des cadres institutionnels aux contours mal connus. La popularité des MOOC invite à s’interroger sur les perceptions de ceux et de celles qui les ont effectivement suivis dans leur intégralité.

C’est pourquoi après avoir évoqué la dimension de reconnaissance sociale attachée aux diplômes et les adaptations récentes des universités qui les délivrent, l’article aborde dans un premier temps le creuset concurrentiel contemporain de la formation où représentations, imaginaires et biais d’optimisme participent de la concurrence entre les dispositifs. Dans un second temps, un questionnaire centré sur la perception des MOOC est administré à une population d’une centaine d’apprenants et croisé avec des entretiens semi-directifs.

Éléments de contexte et objectifs de l’étude

Le diplôme, une reconnaissance sociale

De nombreux pictogrammes représentant des diplômes sont visibles sur les médias numériques. Ils apparaissent sous forme de trophées dans les jeux vidéo et dans les chartes graphiques des sites Internet les plus divers. Employés dès l’apparition des premiers cliparts, ils symbolisent le succès ou la perspective d’une réussite. Ainsi, des icônes illustrées par un chapeau de docteur ou un titre nobiliaire parsèment la toile dans des contextes parfois éloignés des préoccupations de l’enseignement. Ils sont utilisés sur les attestations, les badges et les certificats dans la formation à distance.

Le diplôme, reprenant l’apparence des brevets royaux et des parchemins, est matérialisé par un document écrit, unique et nominatif. Cette « pièce officielle conférant un titre, un grade » (Rey, 2000, p. 1092) est délivrée par une autorité habilitée telle qu’une école, un institut, etc. Le baccalauréat, par exemple, est le premier grade universitaire tandis que le doctorat en est le plus élevé. Le diplôme symbolise ainsi la finalité heureuse d’un investissement personnel dans le déroulement d’un parcours d’acquisition de connaissances. Il bénéficie d’une forte valeur symbolique. Simultanément « un titre […] et une norme » (Poullaouec, 2010, p. 41) cet « objet idéal convoité […] nous pousse à dépasser notre paresse naturelle, […] sous peine d’être condamné à être un “sans diplôme” » (Deswaenne, 2004, p. 63).

Pour la presse, « l’obsession du diplôme […] serait une particularité bien française » (Brafman, 2013) [1]. Il a « longtemps marqué le passage de l’inscription d’étudiant vers la vie professionnelle » qui est souvent considérée comme une entrée dans l’âge adulte (Galland, 1995, p. 33). Mais désormais, « s’établit un continuum entre le temps des études et le temps professionnel ; comme si la frontière était appelée à s’estomper » (Gleyze, 2013) [2]. Déjà, la création des instituts universitaires de technologie (IUT) par décret du 7 janvier 1966 avait partiellement flouté les frontières entre l’université et l’entreprise. Ce n’était qu’un début. La loi Faure de 1968 introduisit la formation continue dans les missions de l’université. Celle-ci fut confirmée dans le texte « Savary » [3] qui l’adressa « à toutes les personnes engagées ou non dans la vie active [4] » et introduisit la validation des acquis. Perçu comme une « seconde chance » (Szymankiewicz et al., 2014, p. 165), ce procédé permet aujourd’hui d’accéder aux grades et titres universitaires qui « apportent une reconnaissance sociale » [5] (Denantes, 2004 : 4).

La littérature identifie traditionnellement quatre voies d’accès à la certification : la formation initiale, continue, en alternance et la validation des acquis qui « cherche un “second souffle” […] car nombre de candidats assimilent le processus à un parcours du combattant » (Pinte, 2014, p. 141). C’est pourquoi l’annonce fortement médiatisée de la création du portail Fun (France université numérique) en 2013 a pu être considérée comme une cinquième voie potentielle. Les cours magistraux allaient-ils être remplacés par des Mooc ? (Gobert, 2015) Ces interrogations statutaires étaient l’arbre qui cache la forêt. La réaffectation éventuelle des missions des enseignants-chercheurs dissimulait un questionnement d’une portée tout autre. Qu’en est-il des diplômes, réputés universalistes dans le contexte d’une massification des certifications de compétences ?

Toutes proportions gardées, dans la limite de variations liées aux catégories professionnelles, sociales et culturelles, un point aveugle pourrait être au cœur du noyau des représentations. Les diplômes sont considérés de manière ambivalente. La perception de la protection (Peugny, 2010) qu’ils offrent en termes d’employabilité entrerait en conflit avec leur intérêt sur le plan des savoirs et des connaissances. En d’autres termes, l’inscription dans le temps long de la formation initiale et du livre [6] favoriserait une réalisation de soi, tandis que l’investissement dans le temps court de l’acquisition des compétences en ligne aurait une visée pragmatique. Ces compétences peuvent être comprises comme la « mobilisation ou l’activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte donnés » (Le Boterf, 1995). Elles se manifestent notamment par des capacités d’adaptation à la vie et aux missions professionnelles qui « semblent “sous-produites” par les systèmes d’enseignement supérieur » (Romainville, 2007, p. 49).

Cette ségrégation est certainement influencée par l’anamnèse des sujets. L’histoire personnelle de chacun aurait d’autant plus d’influence sur les ressentis que « le soutien parental serait positivement lié à l’obtention du diplôme postsecondaire » (Baril, Bourdon, 2014, p. 152). Le diplôme est en lien étroit avec le passé, l’enfance, l’ensemble du parcours. Son absence est sensible. Elle peut nouer des tensions. À moins que le non-diplômé ait réussi professionnellement et déclare ne « devoir son ascension qu’à lui-même », il a tendance à rejeter la cause d’un défaut de titre sur la situation qui était la sienne dans sa jeunesse. Il doute parfois de l’utilité des parchemins et prend l’exemple de la formation initiale en sciences humaines dont les aboutissants ne sont pas explicites. Ne vaut-il pas mieux obtenir un « bon » diplôme d’infirmière ou un BEP d’électricien, voire une certification effectuée avec un MOOC ? (Quentin, 2016).

Une adaptation en profondeur des établissements d’enseignement supérieur

Face à l’évolution du contexte social, l’université s’adapte. Elle s’est toujours adaptée en évitant une suradaptation qui lui aurait fait renoncer à ses valeurs. Depuis plusieurs années, pourtant, les étudiants n’hésitent plus à manifester le désir qu’on leur enseigne des savoirs utiles – des compétences – ou qui répondent à une préoccupation immédiate (Gobert, 2012). La question « à quoi ça sert ? » est devenue récurrente. Le profil des apprenants a évolué et les murs de l’institution ne sont pas étanches aux préoccupations de la société. La possibilité d’effectuer des stages (obligatoires dans certaines filières), la valorisation des projets tutorés sous la direction d’un maître d’œuvre, l’implication des services d’orientation et la présence de représentants extérieurs dans les conseils centraux ne sont que quelques-uns des signes qui témoignent des évolutions structurelles des établissements. La loi d’autonomie [7] et la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) [8] ont conduit à une logique de financiarisation de la formation et de commercialisation de l’expertise académique. Les conventions de partenariat comportent désormais un volet exposant des conditions quasi marchandes de coopération avec les autres acteurs.

Comme l’établissement, une partie des produits proposés se sont adaptés à la demande. Si certaines filières semblent éloignées de la réalité économique, l’université les dispense malgré tout dans leur intégralité. Le crédo assumé d’une supériorité du niveau atteint sur le choix disciplinaire est considéré comme un facteur de réalisation de soi. Quelle que soit la matière choisie, il est possible d’effectuer un cursus complet qui, malgré la précarité des professions intellectuelles, débouchera vers l’emploi [9]. En parallèle, les établissements d’enseignement supérieur se sont investis dans les MOOC, la formation continue et les diplômes d’université (DU). Ces formations, dont le nombre d’heures est allégé, sont fréquemment orientées vers l’acquisition directe de compétences professionnelles. Même les plus petites facultés, considérant qu’elles font partie du cercle des employeurs à l’échelle locale et bénéficient d’une influence significative, pilotent de tels projets dits « innovants ». L’innovation n’y est plus seulement numérique ou environnementale mais entrepreneuriale.

Le questionnement sur les certifications des compétences n’est donc pas étranger aux universitaires, même si quelques-uns résistent. Désormais, la formation est devenue un marché concurrentiel. Sur le versant présentiel, la concurrence se joue sur les réseaux de relations érigés auprès des organismes financeurs et prescripteurs comme les régions, pôle emploi et les OPCA10. Avec le numérique, la palette des acteurs s’est enrichie. Les constructeurs de matériel informatique, après avoir commercialisé des machines, se sont engagés sur le créneau de la pédagogie et de la régulation bibliométrique (Google Scholar). De grandes écoles et des groupes de presse proposent leurs contenus en ligne sous forme de MOOC pour lesquels l’accès aux ressources est gratuit (ou tout au moins, ne nécessite qu’une inscription) mais qui sont adossés à des procédés de certification de plus en plus fréquemment payants. Ces certifications sont généralement des attestations de suivi qui reposent sur la notoriété de la marque ou de la raison sociale de la structure qui les dispense.

Les établissements d’enseignement supérieur, en attestant des formations courtes et en ligne qui portent leur estampille, alimentent la construction d’une cinquième voie. Toutefois, il ne s’agit généralement pas de leurs diplômes, quand bien même les MOOC seraient reconnus comme des crédits d’enseignement (ECTS) [10]. Dans l’idéal, les apprenants accumuleraient ces formations pour construire, à la carte, un parcours qui pourrait trouver des articulations avec des formations en présentiel (Cisel, 2016) comme avec le MOOC C2i (Mocquet et al., 2016). Cette démarche n’est pas illégitime : depuis la Seconde Guerre mondiale, des formations à distance, qui ne se sont qualifiées ni de MOOC ni de projets innovants [11], ont permis à des milliers de personnes de préparer leurs diplômes habituellement dispensés en présentiel. L’étape suivante a déjà été franchie : le groupe HEC a mis en place depuis mars 2017 un master qu’il est possible de suivre partiellement ou dans son intégralité via la plateforme Coursera [12].

Des MOOC et des certifications

Le contexte contemporain d’apparition des procédés de certification au sein des MOOC interpelle le chercheur. Voici des projets (ou des produits) dont la communication met en avant l’acquisition de compétences plutôt que des savoirs. Il s’agirait de briques qui, une fois assemblées, pourraient composer un profil, voire un niveau de diplôme, au gré des desiderata de chacun. La conception et la gestion du cursus seraient déléguées à l’apprenant en fonction de la perception qu’il a de ses besoins. Il est possible qu’il se concentre sur des préoccupations immédiatement utiles, au détriment de la logique de découverte accompagnée, où l’enseignant guide les étudiants dans le dédale des cheminements qu’ont emprunté les sciences et la raison. Mais l’histoire, même courte, de ces enseignements particuliers fait coexister les deux logiques. D’une part, les premiers MOOC avaient pour objet « d’apprendre avec le web et les autres [13] » et, d’autre part, 44 % des 148 335 comptes sur la plateforme Fun disposent déjà d’un master (Mongenet, 2014) et suivent en moyenne 2,67 cours » (Fun, 2016) [14].

Toutefois, la majorité des stratégies de communication sur les MOOC, telles qu’elles sont décryptables sur Internet, font peu référence à la notion de cursus. Elles les présentent plutôt comme des modules indépendants, même lorsqu’ils valident des ECTS. Soit cette stratégie postule d’une absence de volonté des impétrants de construire un parcours, soit « personne n’y songe […] mais on y viendra » (William Dab cité par Guiomard, 2015) [15] bien que la plateforme Coursera soit certainement conçue pour cela. L’objectif pourrait être de se cultiver, de maîtriser une pratique, parfois pour l’utiliser dans le cadre d’un loisir, mais également pour choisir sa formation professionnelle (Quentin, 2016).

Le diplôme est une voie de la certification, mais la certification n’est pas le diplôme. Elle fait référence à l’institution et elle se trouve aussi dans les représentations qu’on se fait de l’institution. L’administration « certifie » des documents et produit des certificats. La « norme ISO », apparue en 1987, propose la monstration de la mise en place de procédures de management de la qualité attestée par un organisme extérieur. Son objet est de fournir une assurance de conformité pouvant éventuellement favoriser l’émergence d’un « effet de label » (Bourdieu, 1977, p. 79) qui rassure le consommateur et lui inspire confiance. L’emprunt au latin certificatio, « assurance, confirmation [16] » rappelé par le Trésor de la langue française (Imbs, 1982) est toujours d’actualité.

La formation s’est emparée des certificats. Depuis 1950, les professeurs capétiens sont titulaires d’un certificat dit d’« aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES) » [17]. Les élèves passaient le certificat d’études primaires (CEP) [18] en fin de cours élémentaire. De même, le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) a posé les bases d’une unification des contenus théoriques dispensés aux apprentis et dans l’enseignement professionnel [19]. Cet « ajout d’école [20] » (Moreau, 2012, p. 32) fit « des savoir-faire de métiers longtemps pensés comme une propriété privée (Kaplan, 2001), un bien public » (Moreau, ibid., p. 34). Il préfigure l’ambition de massification qui fera florès dans la deuxième moitié du xxe siècle [21].

La multiplication des « certificats » n’est donc pas contemporaine des dispositifs de formation en ligne. À notre connaissance, les MOOC délivrent encore peu de diplômes, sinon des « diplômes de participation ((http://www.mon-diplome.fr/382073-Diplome-de-Participation-au-MOOC-EDULIB-HEC-Montreal&hspart=Lkry&hsimp=yhs-SF01]] », mais des « badges » et des « certificats ». Leur développement « viendra, sous des formes différentes, compléter une offre de formation diplômante » (CNAM, 2016) [22].

C’est pourquoi nous faisons l’hypothèse que la délivrance d’attestations, de badges et de certificats, basée sur des approches par les compétences plutôt adaptées au monde économique, pourrait être perçue comme une voie médiane située entre l’absence de diplôme (Deswaenne, 2004) et l’inscription dans un cursus. Dans les débats concernant l’utilité des diplômes, cette voie trouverait une légitimité en atteignant ses objectifs implicites : faciliter l’intégration dans la vie professionnelle soit par un complément de formation soit par la composition d’un profil ad hoc. C’est pourquoi nous proposons d’interroger des personnes ayant accompli l’intégralité d’un ou plusieurs MOOC afin d’inférer les représentations et les motivations qui les ont conduites et soutenues lors de leurs parcours jusqu’à la certification de leur(s) Mooc.

Méthodologie

La méthodologie de l’étude fait se succéder un questionnaire en ligne et des entretiens semi-directifs. Dans un premier temps, l’outil Google Form [23] a été utilisé pour identifier des sujets qui s’interrogent sur la certification des MOOC. Les répondants avaient la possibilité de recevoir les résultats de l’enquête et prendre ainsi une part active dans la séquence de recherche en laissant leurs coordonnées. Ils ont été contactés pour participer aux entretiens semi-directifs, réalisés soit en face à face, soit à distance par téléphone. Les matériaux ainsi récoltés constituent un corpus mixte de résultats quantifiés et qualitatifs.

Le questionnaire a été reçu avec un taux de 28 %, c’est-à-dire 104 réponses. Ce résultat est certainement lié à la présélection des sujets potentiels avant leur sollicitation par mail ou via les réseaux sociaux. Cette présélection a été réalisée pour partie en envoyant le lien du questionnaire à des personnes identifiées par les traces qu’elles ont laissées sur des sites Internet, des forums et des groupes actifs sur Tweeter. L’analyse des fils de discussion permet, en effet, de classer les participants en fonction des thématiques des écrits déposés sur ces supports accessibles à tous. Le chercheur bénéficie ainsi d’éléments tangibles sur lesquels il peut appuyer ses travaux.

Cette pratique, quoique séduisante, a des limites. Elle peut provoquer un biais de méthode car l’échantillon ainsi construit n’est pas randomisé. Il n’est pas non plus représentatif d’une population élargie mais de personnes déjà concernées par la formation à distance et suffisamment intéressées pour participer à des discussions entre pairs. Le risque est grand de recueillir des opinions et des témoignages de sujets influencés par les courants d’idées et les paradigmes qui traversent les diverses activités du secteur. En d’autres termes, une prudence est de rigueur pour éviter de ne recueillir que des éléments de langage ou les idées dominantes du moment à propos de la certification. C’est pourquoi un groupe contrôle constituant un quart de l’effectif global (26 individus) a été établi. Ce groupe est destiné à évoquer les propos de personnes n’ayant pas suivi de formation en ligne et se percevant comme peu concernées. Le fait de participer à cette étude semble d’ailleurs les avoir sensibilisés aux potentialités des MOOC.

De plus, des chercheurs [24] engagés dans l’animation de formations à distance ont été sollicités afin d’évoquer leur approche de la certification et recueillir des coordonnées de sujets acceptant de participer à l’étude. La diversité des milieux de pratique de ces collègues, outre leur qualité, permet de rechercher des invariants dans les résultats issus d’horizons différents. Ce choix méthodologique n’est pas sans conséquence. Les chercheurs semblent avoir tendance à recommander les sujets leur ayant fourni le plus de retours sur les formations qu’ils ont animées. Cela introduit donc des discours d’experts dont le statut doit être identifié pour coder le profil des sujets. Cette codification est présentée dans les résultats entre parenthèses après les citations sous la forme suivante :

Genre : F, M – Âge – Niveau d’études : B(ac), L, M, D – inscription à un Mooc : M (Oui) N (non) – type de lieu de résidence : R(ural), V(ille), Certification Mooc : T(erminé), N(on), E(xpert).

Lorsque les résultats font appel aux données recueillies sur le questionnaire, les pourcentages arrondis au nombre entier sont précisés. Quatre facteurs ont été particulièrement scrutés :

  • Le premier facteur concerne le suivi complet de la formation. Lors des présélections, le plan d’étude a imposé un taux minimal de 50 % d’individus ayant obtenu l’attestation de participation à l’intégralité du MOOC. Il est en effet possible que le regard porté sur la certification par des sujets ayant renoncé ou réorienté leur intérêt vers d’autres objets ne soit pas identique à celui d’une personne ayant accompli tout le cursus.
  • Le second facteur se rapproche directement des questionnements sur la certification. Les sujets ont-ils obtenu une reconnaissance en fin de MOOC ? L’ont-ils réclamée ? La nature de cette reconnaissance est discriminée : s’agit-il d’une attestation, de badges, de certificats, de certifications, voire de diplômes ? Les perceptions des différences entre ces documents sont potentiellement éclairantes sur les motivations du choix des postulants au moment de s’engager pour les six semaines que durent en moyenne les propositions d’acquisitions de compétence en ligne. Le « diplôme » a-t-il une importance au moment de l’inscription sur un MOOC ?
  • Le troisième facteur répond à des préoccupations institutionnelles liées à la complémentarité entre les cursus classiques et à distance. Il permet de répondre à des interrogations sur la motivation. Implicitement, il questionne les qualités d’autonomie au regard de la capacité à suivre un parcours dans son intégralité.
  • Le quatrième facteur permet d’interroger le rôle des biais d’optimisme (Milhabet et al., 2002) tels que les illusions de contrôle et de compétence dans l’acquisition de moyens de reconnaissance et d’intégration sociale. Les modalités associées sont déclinées selon des manifestations observées dans des contextes variés présentés dans la littérature en environnement (Moser, 1992) ou dans l’entreprise (Langer, 1975) et identifiées sur des terrains éducatifs avec le numérique (Gobert, 2016).

Enfin, l’ensemble de l’étude est ombré par les représentations que se font les sujets des diplômes et de leur rôle dans l’institution comme dans la société. L’étude a implicitement rappelé, s’il en était besoin, que la thématique n’est pas neutre. Il semble que « le diplôme donne confiance [25] ». Il éveille de fortes réactions chez ceux et celles qui n’en possèdent pas ou n’ont pas atteint le niveau qu’ils estiment avoir pu atteindre en d’autres circonstances. Nous touchons ici à l’humain dans ses composantes de fragilité. C’est pourquoi, selon les profils des sujets, le guide d’entretien oral a été légèrement infléchi, de manière à ne pas éveiller de sentiments douloureux.

Les résultats présentés sont principalement extraits des séquences d’entretiens semi-directifs. Les questionnaires effectués en ligne ont principalement servi à identifier des interlocuteurs et posent d’une part le problème de leur nombre insuffisant (104) pour une exploitation quantitative et d’autre part celui de leur mode d’administration en ligne. L’uniformité relative des supports numériques entre Google Form et des plateformes de formation ne peut à elle seule gommer les incidences méthodologiques de l’absence physique de l’enquêteur : réponses trop courtes, délai de réflexion tronqué, influence de l’interface, moyens de saisie hétérogènes, gestion de l’entourage, qualité du réseau, etc. Du fait de sa dimension qualitative, l’étude n’est pas généralisable. Toutefois, les éléments théoriques convoqués et introduits dans le plan de méthode ont été travaillés dans d’autres contextes de sciences sociales (Langer, 1975 ; Moser, 1992 ; Milhabet et al., 2002) et de sciences de l’information et de la communication (Gobert, 2016) sur des populations statistiquement significatives. Il s’agit donc de l’importation d’approches éprouvées sur un terrain éducatif « innovant » porteur de forts enjeux sociétaux.

Résultats et discussion

En amont de la certification

L’identification des sujets susceptibles de participer à des entretiens semi-directifs sur la base des formulaires en ligne a fonctionné. Le fait de répondre à l’intégralité du questionnaire a été conçu comme un procédé de « pied dans la porte » (Joule et Beauvois, 2010) tel qu’il est abordé en communication engageante (Bernard, Joule, 2004) et inclus dans la méthodologie. Quelques personnes contactées ont d’ailleurs pris une précaution d’usage en exprimant à l’oral ou par écrit qu’elles étaient « très bavardes ». Cela s’est confirmé lors des entretiens, ce qui a permis d’approfondir les réponses et de percevoir le très fort intérêt pour les questions sur la formation à distance. Aucun refus n’a été opposé au déroulement de la séquence. L’étude semble avoir été ressentie comme une action logique, « dans la continuité des retours » (F, 29, M, R, E) qui ont déjà été apportés en interne dans les diverses formations. Parler des MOOC qui ont été « terminés » est vécu comme un moment plaisant. Pour le chercheur, ce fut un temps de partage sympathique et constructif.

Tout d’abord, en amont du choix de la thématique de formation, il y a celui de sa modalité d’administration. L’apparition en 2012 du premier MOOC « connectiviste » français « ItyPA » (Gilliot et al., 2013) est encore récente. Deux sujets ayant participé à l’étude ont « fait » un MOOC précurseur anglophone. Quand des projets en langue française sont apparus, la curiosité et plus encore ce qu’ils représentaient en tant que nouvelle modalité d’accès au savoir, ont attisé le nombre de candidats. Depuis, « l’intérêt pour le sujet est la raison principale d’inscription pour 9 répondants sur 10 » sur la plateforme Fun [26]. Sur les 16 entretiens semi-directifs réalisés pour l’étude, cinq l’ont été avec des personnes inscrites dès la première heure. Presque tous les sujets étaient informés de l’existence d’ItyPA à partir de 2013 (13 sur 16), ce qui tendrait à montrer que l’apprenant à distance est particulièrement efficace dans son activité de veille avec le numérique.

Tableau 1. : Motifs du choix de MOOC (choix multiples)

Le thème de la formation proposée 82,6 %
Le fait que ce soit une formation en ligne 52,2 %
Acquérir des compétences professionnelles 43,5 %
Me perfectionner dans la pratique d’un loisir 4,3 %
Autres 17,4 %

La question du design des plateformes n’a pas été soulevée directement par les sujets. En revanche, la majorité d’entre eux s’accorde à saluer l’évolution des dispositifs. Manon, 29 ans, exprime les difficultés qu’affrontaient les apprenants lorsque la formation à distance s’appuyait sur l’envoi de documents en version Portable Document Format (pdf) et que « les non-initiés (en économétrie) ne pouvaient pas comprendre ce qui était écrit » (F, 29, M, R, E). L’apport de la vidéo et des interactions entre pairs sur les forums et les réseaux sociaux a été abondé par la totalité des sujets. La même enquêtée précise à cet égard, il « vaut mieux ne pas faire un MOOC tout seul […] même si c’est avec des inconnus de Facebook que l’on ne rencontrera jamais […] pour regarder les cours ensemble et les commenter » (F, 29, M, R, E).

C’est pourquoi nombre de formations à distance ont, dès le départ, planifié des rencontres entre apprenants et avec l’équipe. La maîtrise NTIDE [27], de Aix-Marseille université, en 2003, avait fait le choix d’une interface dépouillée mais imposé des réunions physiques en début et fin de formation. C’était un aspect « très important. Je m’étais fait des copains avec lesquels on travaillait » (F, 48, M, V, T). Il semble que la qualité de l’accompagnement soit primordiale : l’animatrice d’une formation à distance en philosophie le précise « je fais très attention aux décrochages. Quand je vois que quelqu’un n’intervient plus, je lui envoie un mail ou je l’appelle par téléphone. La voix, ça fonctionne, même si ça prend du temps. J’interviens également sur le forum » (F, 49, D, V, N). Ils sont unanimes. La participation des référents pédagogiques dans les fils de discussion est indispensable. Elle humanise le numérique et motive personnellement celui qui a reçu une réponse sur un retour collectif. « J’étais fière qu’un membre de l’équipe pédagogique ait répondu à un de mes retours […] ça m’a motivée encore plus » (F, 29, M, R, E). Pour qu’un MOOC fonctionne, « il faut l’animer. […] Le professeur est au centre du dispositif ! » (F, 59, L, V, E)

Pour les chefs de projet, la motivation est une préoccupation, car elle prélude aux résultats à la certification. En cela, il n’y a pas de différence significative avec les préoccupations des responsables pédagogiques de diplômes en présentiel. Dominique Boullier (2014) analysait qu’une proportion infime des inscrits à un MOOC le terminait. Lorsqu’il y a 150 000 inscrits, cela peut ne pas prêter à conséquence et même générer du traitement automatique des données innombrables (TADI) ou big data. En France, la réalité est toute autre. Les chiffres sont moindres. Le phénomène d’abandon a une incidence mécanique sur le volume final de certificats délivrés. « Bien sûr, les directeurs se disent que le butinage, c’est le jeu […], car le MOOC, c’est comme un livre, c’est la liberté. » (F, 59, L, V, E) Un seul individu déclare avoir fini tous les MOOC commencés dans l’enquête par questionnaires. Les autres en ont tous suivi au moins un, partiellement, ou en candidat libre.

L’inscription en ligne, la gratuité (même si des achats internes sont possibles), la distance, l’absence d’horaires et de lieux contraints sont simultanément considérées comme une souplesse d’utilisation (98 %) et un défaut de cadre (34 %). Aucun reproche n’est formulé à ce niveau, y compris dans les entretiens. La quasi-totalité des sujets exprime la nécessité pour l’apprenant de disposer de compétences non techniques pour remédier aux conséquences de cette souplesse et « aller jusqu’au bout » (H, 21, L, V, T). Ces qualités sont relatives à l’autonomie, la motivation, la curiosité et la persévérance. Il faut être capable de « ne pas avoir besoin de professeur » (F, 29, M, R, E), de « connaître ses compétences sans les surévaluer ni les sous-évaluer » (H, 37, B, V, T).

La perception de la certification est directement liée à cette compétence d’obstination. Le badge, l’attestation, le certificat signent la capacité de l’apprenant à effectuer l’ensemble d’un cursus (76 %) bien davantage que l’acquisition des compétences auxquelles les MOOC sont pourtant associés par ceux qui les ont suivis (82 %). Ces résultats correspondent aux écrits d’Éric Bruillard qui rappelle qu’il « ne s’agit pas de montrer l’acquisition de connaissances ou de compétences, mais bien d’attester d’un suivi » (2014). Cela peut sembler paradoxal, mais les MOOC, pour la plupart, ont été conçus et médiatisés en communiquant sur l’acquisition rapide de savoirs applicables. Pour les recruteurs, ils pourraient devenir le nouvel « emblème des savoirs utiles et des méthodes efficaces » (Savoie, 2000, p. 49) [28]. Complémentaire d’une formation déjà solide, le MOOC attesté montre une volonté d’adaptation aux spécificités d’un poste et pourrait permettre de se distinguer de la concurrence. La durée moyenne de six semaines ne semble en effet pas perçue comme suffisamment significative pour se suffire à elle-même, mais, pour 34 % des répondants, la certification ajoute une ligne susceptible de faire la différence sur un CV.

Les MOOC, pour retrouver le plaisir d’apprendre

Au-delà d’un certain nombre de MOOC, la volonté d’adapter un CV ne suffit plus à entretenir la motivation. Pourquoi certains font-ils 15, 20, 25 MOOC ? Vincent, après en avoir suivi 44, confie un retour d’expérience [29]. Sa curiosité l’avait conduit à « collecter de nombreuses données, sans toutefois en extraire une quelconque analyse ou synthèse, [réunissant] ainsi toutes les conditions pour détruire son plaisir d’apprendre […] dans une infobésité croissante […] Le MOOC a permis de structurer cette veille. […] Il est devenu un outil stratégique de gestion des connaissances ». Les apprenants, outre leur curiosité et leur envie d’apprendre mise en avant par 92 % des répondants au questionnaire, développent une véritable compétence de clarification de leurs attentes en matière de formation.

L’objectif professionnel et la certification ne sont pas nécessairement une priorité, notamment chez les retraités et chez certains étudiants qui effectuent un cursus diplômant par ailleurs : « Que la formation soit validante ou non n’affecte pas le nombre d’inscriptions » (F, 49, D, V, N). Le MOOC rencontre un certain succès chez les bénévoles qui souhaitent être formés pour être plus utiles. Chez les jeunes retraités, cela peut être une préoccupation, car certaines associations « font passer un véritable entretien d’embauche » (H, 61, L, V, N). Pour ces publics qui bénéficient déjà d’un bon niveau de formation, le diplôme n’est pas ou peu un critère de choix. Une exception toutefois est observée : celle de l’effet de label (Bourdieu, 1977, p. 79) ou de marque.

L’étude confirme l’existence d’un impact puissant de la notoriété de l’établissement organisateur sur les processus décisionnels de choix d’inscription. Ainsi, la célèbre école fondée en 1881 par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris propose un catalogue coursera [30] qui rencontre le succès : « J’ai par exemple un certificat d’un MOOC d’HEC, n’est-ce pas la classe ? ! » (F, 29, M, R, E) Les résultats du questionnaire confirment cette tendance. À la question « préféreriez-vous suivre en ligne une formation proposée par… », les réponses, par choix multiples accordent la primeur aux universités et aux grandes écoles qui bénéficient de la meilleure légitimité sur ce secteur.

Tableau 2. : Établissements sélectionnés en priorité pour suivre un MOOC (choix multiples)

Une université 61,7 %
Une grande école 44,7 %
Une plateforme de formation 17 %
Une entreprise connue du secteur concerné 10,6 %
Une personne référente dans le milieu concerné 4,3 %
L’origine n’a pas d’importance 25,5 %
Autres 14,9 %

Il ne nous appartient pas de nous interroger sur les motifs de cette légitimité. Toutefois, elle constitue un vecteur de développement et de diversification des activités du fait de son lien indissociable avec la délivrance de diplômes qui constituent, dans les représentations, les cœurs de métier de ces institutions (référence).

Attestations, badges, certificats et certification

La valeur des éléments de reconnaissance proposés par les Mooc serait liée à la notoriété des établissements. Cet effet de label (Bourdieu, 1977, p. 79) pourrait influencer le choix d’accéder à la certification dans les formations en ligne. Si le gestionnaire n’est pas ou peu connu, l’attestation pourrait ne pas avoir une grande importance, à moins que la thématique ne soit très rare. Inversement, la réputation favoriserait la motivation à solliciter le « diplôme » (F, 49, D, V, N). En rapprochant ces considérations de la question « Avez-vous choisi de vous inscrire préférentiellement dans une formation en ligne (ou MOOC) parce qu’elle proposait un certificat ou un badge en fin de formation ? », une corrélation positive apparaît : l’intérêt pour la certification grandit avec la notoriété de la structure.

Les apprenants se déclarent massivement prêts à cautionner le procédé d’un accès gratuit à la formation adossé à une certification payante. Les plus expérimentés évoquent toutefois la problématique de l’international, même dans le cadre de la francophonie. « 50 euros, pour nous, c’est un effort. Mais dans notre groupe, il y avait une femme de Madagascar. Pour elle, c’était beaucoup trop » (F, 59, L, V, E). Le principe semble faire recette. « Chez Rue 89, la formation est gratuite, mais il faut payer pour accéder à l’étude de cas et donc à la certification » (F, 45, M, V, T). Ce site, fondé en 2007 et qui a rejoint le groupe L’Obs en 2011, bénéficie d’une forme de légitimité différente de celle des universités et des grandes écoles. Les MOOC qu’il propose depuis avril 2014 concernent exclusivement son périmètre d’expertise reconnue : « informer et communiquer sur les réseaux sociaux [31] », « écrire et produire une vidéo », etc. (Jardin, 2016) [32]. Elle s’appuie sur la confluence entre son activité principale d’information et les projets associés de formation.

Les modalités de reconnaissance héritent, comme les diplômes, de la notoriété – ancienne ou récemment acquise – des structures qui les délivrent. Les MOOC en proposent principalement trois : les attestations, les badges et les certificats. Les premières ratifient la présence de l’apprenant pendant une période donnée. Elles démontrent la capacité d’organisation et la volonté de l’apprenant pour se former. C’est pourquoi certains candidats les font figurer sur leur CV comme la validation d’un centre d’intérêt approfondi. Les badges auraient été conçus à l’origine pour valider des apprentissages informels et des compétences non techniques. Ils peuvent être accumulés pour former des collections. Christine Vaufrey reprend les travaux de Henry Jenkins et en pointe les règles d’usage : ce ne « sont pas des récompenses, […] ils ne devraient pas être distribués par des “autorités supérieures”, mais par les pairs, […] et ne doivent pas être monnayés » (2013). Ces considérations correspondent aux pratiques décrites par les sujets. Quoique légitimées par l’expérience, elles ont leur revers. Pour les apprenants aguerris, « les badges, c’est de la gnognote » (F, 29, M, R, E). Souvent « ils sont utilisés pour valider une semaine de présence qui ne correspond pas forcément à une compétence. […] D’ailleurs, « on devrait faire des badges ludiques pour récompenser le meilleur tchateur, offrir des promotions […]. Il faut les repenser car ils sont difficiles à exporter alors que le but c’est de les montrer ! » (même enquétée, F, 29, M, R, E). « Mozilla a d’ailleurs travaillé dans ce sens avec Open Badges [33]. Le badge atteste d’une compétence, l’attestation indique qu’on a suivi le MOOC et la certification, qui peut devenir payante et être contrôlée (caméra vidéo, analyse des frappes au clavier, présence d’un tiers, etc.), sanctionne le parcours et l’acquisition de la compétence. » (F, 59, L, V, E)

Tous les apprenants ne se repèrent pas ainsi dans les modalités de reconnaissance en ligne. 61 % d’entre eux expriment une incapacité à les différencier et 16 % n’ont pas répondu. La différence entre badges, attestations et certifications n’est pas claire, sinon pour un faible pourcentage d’utilisateurs expérimentés qui ont été sensibilisés à l’ingénierie de la formation en ligne en faisant des retours sur la pédagogie et les contenus de cours dans les forums et sur les réseaux sociaux. Ils acceptent d’évoquer leur expérience sans difficulté. Tout se passe comme si le phénomène des MOOC était en capacité d’engendrer une sorte de nouveau loisir avec son activité principale, son univers de référence, ses références sociales, ses pratiques et usages, sa socialité particulière. Les MOOC disposeraient de qualités d’acculturation gagnant en force au fur et à mesure que les sujets les pratiquent.

Biais d’optimisme, illusions de contrôle et de compétences

Les résultats montrent que les procédés de certification à distance suscitent de l’espoir. L’existence de ces dispositifs suffit à alimenter un imaginaire fait d’imprécision où les modalités pratiques inhérentes aux formations en présentiel qui relevaient de la contrainte inenvisageable (déplacement, coût, âge, etc.) se métamorphosent en quelque chose de possible. De plus, les plans de communication, en valorisant les thématiques dispensées sous forme de compétences, les rendent intelligibles à tout un chacun. Les MOOC sont porteurs de valeurs de démocratisation de la connaissance. Ils participent de la volonté d’éducation et de massification des savoirs. Cet ajout de démocratisation des compétences alimente la perception d’un accès pour tous à la formation qui lui-même engendrerait des biais d’optimisme qui se manifestent par des illusions de contrôle (Langer, 1975) et de compétence (Kahneman, 2012 ; Gobert, 2016).

Les illusions de contrôle sont des projections de capacités décisionnelles personnelles sur des événements qui n’offrent pas de prise. Elles ont pour objet de réduire le stress immédiat et de se défendre contre la pression du moment en réalisant des actes sans conséquence ou en reportant l’ajustement d’un comportement (Moser, 1992). Avec le numérique, les illusions de contrôle se manifestent notamment par des occupations non productives, la délégation du travail à un groupe ou à un outil, la procrastination. L’expression d’une certaine liberté – ou d’une échappatoire – reste possible, même si c’est au conditionnel : « si je voulais vraiment, alors je pourrais… » (Gobert, 2016)

Dans l’étude, les illusions de contrôle se sont manifestées en corrélation avec l’environnement numérique des MOOC et au regard des procédés de certification. Attentismes divers devant les ordinateurs, butinages peu productifs, absence de structure, activités commencées et non terminées ont été évoqués sous des angles positifs mais bien réels. Le fait de terminer des formations à distance est vécu comme une victoire, surtout pour les premières : « Je l’ai fait ! » (F, 45, M, V, T) Pour y parvenir, il aura fallu de l’organisation, de la régularité, de la persévérance et une qualité de gestion du temps incompatible avec l’acquisition de savoir en ligne. Le MOOC fonctionne « comme une bulle. […] Moi qui suis toujours en dead line, j’ai réussi à rendre à chaque fois mes travaux dans les temps » (H, 23, L, V, T).

Pour ceux qui n’ont pas encore débuté un MOOC, il peut également alimenter une illusion de contrôle en repoussant dans le temps des acquisitions qui sont pourtant perçues comme intéressantes et utiles. « Ce n’est pas que je m’interdis de réussir, mais je le ferai plus tard. » (F, 36, M, V, N) L’apprentissage implique de prendre du temps pour soi et parfois de le justifier. La pression de l’environnement est bien réelle. L’existence des dispositifs de formation accessibles et de la certification associée est perçue comme un espoir. Comprise comme une cinquième voie, moins contraignante que la formation initiale, continue, en alternance et la validation des acquis, la formation avec des MOOC entretient une autre forme d’illusion basée sur la compétence (Kahneman, 2012).

Complémentaire du report dans l’avenir de comportements et de décisions trop engageantes ici et maintenant, l’illusion de compétence se manifeste par la croyance que se former est devenu si simple qu’il n’y aura plus qu’à apprendre. Cette illusion est très active avec le numérique dont les modes d’emploi, réputés inutiles, ne sont imprimés que partiellement. Les badges, présentés comme des reconnaissances ludiques de compétences non formelles entretiennent ce type d’illusions du fait de leur imprécision qui masque la complexité cachée des phénomènes d’apprentissage et de la facilité avec laquelle ils sont acquis. La médiatisation des MOOC, basée sur les compétences et non les connaissances, entretient un processus identique. Elle laisserait accroire que le progrès et l’innovation suppléent aux déficits individuels.

Enfin, pour ceux qui ont terminé une ou plusieurs de ces formations, le principe du pied dans la porte (Joule et Beauvois, 2010) pour des répondants ayant terminé un premier MOOC fonctionne. Ils continuent à effectuer une activité de veille augmentée « pour voir s’il y a quelque chose d’intéressant, même si tout est intéressant et que l’on ne peut pas tout faire » (H, 37, B, V, T). Les MOOC délivrent des compétences, mais ne suffisent pas nécessairement à se percevoir comme compétent, car « tout dépend de ce que l’on appelle compétence et de l’idée que l’on a de la profondeur de la compétence attendue » (F, 49, D, V, N). Ils rejoignent en cela les logiques des plans de communication du numérique qui proposent un outil mais pas le contexte de savoir-faire professionnels qui entourent son usage. Ces formations courtes n’en sont qu’au début de leur progression, même si elles s’inspirent de réalités d’enseignement à distance aussi anciennes que le timbre-poste.

Conclusion

Au cours de cet article, nous nous sommes intéressés aux perceptions de la certification proposée par les MOOC chez des personnes ayant accompli une formation dans son intégralité. Les discours des experts et des apprenants mettent en lumière l’importance du contexte de la diplomation et l’espoir suscité par les modalités de la distribution en ligne par le numérique. La méthodologie a croisé les résultats d’un questionnaire administré en ligne avec des entretiens semi-directifs pour nourrir une approche de nature qualitative.

Les MOOC ont gagné en notoriété dans l’espace social. Les choix de formation mettent en lumière des effets de label associés aux marques portées par les établissements d’enseignement supérieur et de nouvelles formes de légitimité des responsables pédagogiques en fonction de leurs compétences initiales. Les badges, les attestations et les certificats, dont les différences ont été, dans la mesure du possible, explicitées, portent l’imaginaire du diplôme et l’espoir d’une cinquième voie. Ce faisant, ils alimentent ainsi des illusions de contrôle et de compétence, à l’œuvre pour réguler les effets de stress liés aux processus de reconnaissance institutionnels.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thierry Gobert, « Badges et certifications : ressentis d’apprenants ayant suivi des MOOC », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 20 | 2017, mis en ligne le 21 décembre 2017, consulté le 25 décembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/dms/2049 ; DOI : 10.4000/dms.2049

Auteur
Thierry Gobert

Université de Perpignan Via Domitia
Laboratoire CRESEM EA 7397
thierry.gobert@univ-perp.fr

Articles du même auteur

Ressentis sur les Mooc dans une université[Texte intégral]

Une recherche-action effectuée auprès d’enseignants-chercheurs

Paru dans Distances et médiations des savoirs, 10 | 2015

Licence : CC by-sa

Notes

[3Loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur.

[5« […] mais n’a commencé à devenir mesurable qu’à partir de 1998 » (Denantes, 2004, p. 4).

[6L’expression « temps long du livre » est empruntée à Jean-Pierre Marson, qui associe cette temporalité à une démarche pédagogique différente de celle du « temps court en ligne » (Marson, 2014).

[7Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

[10L’European Credits Transfer System (Système européen de transfert et d’accumulation de crédits) est destiné à permettre d’obtenir des diplômes par accumulation.

[13« ITyPA, premier MOOC francophone nous convie à une découverte sociale pour découvrir ensemble à s’organiser et comment apprendre avec le web et les autres ». En ligne : http://www.mooc.fr/ITyPA.html

[16http://atilf.atilf.fr/ puis saisir « certificat » dans le champ de recherche du TLF.

[17Ce concours a été créé par Gustave Monod en 1950.

[18Créé par Victor Duruy en 1866 et abrogé en 1989.

[19Le CAP a été créé en 1919 par la loi Astier.

[21Cette tendance à la massification, déjà présente sous Louis-Philippe, fut accentuée par Jules Ferry en 1886.

[24Nous remercions notamment Chrysta Pellissier (Praxiling, UMR 5267), Vasssiliki-Piyi Christopoulou (ICP, Axe philosophie morale et politique) et Yves Chevaldonné (CRESEM, UPVD).

[25Le Pellec Muller A. (2016). Discours de remise des diplômes du BIA. Perpignan : AES, le 10/12/ 2016

[27Nouvelles technologies de l’information pour le développement de l’entreprise, Aix-Marseille 3, CCRM.

[28Créé par Victor Duruy en 1866 et abrogé en 1989.

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