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Entretien avec Mathieu Nebra, cofondateur du site de e‑learning OpenClassrooms

2 janvier 2018 Retours d’expériences 862 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/2072

Un article repris du site Distances et Médiations des Savoirs, un site sour licence CC by sa

Entretien conduit par Viviane Glikman et Pierre-Jean Loiret le 25 novembre 2016, à Paris

Quelle est l’origine d’OpenClassrooms et qu’est-ce qui caractérise les formations proposées ?

Mathieu Nebra : J’ai conçu OpenClassrooms à l’âge de 13 ans quand je voulais apprendre la programmation et que je ne trouvais pas les ressources adéquates pour un débutant comme moi. À l’époque, le site s’appelait « le Site du Zéro » pour que tout le monde puisse apprendre en partant de zéro. Le contenu était gratuit et financé par de la publicité. Pierre Dubuc m’a rejoint à l’âge de 11 ans.

Le site OpenClassrooms a été créé en novembre 2013. Les formations proposées sont accompagnées d’un mentorat individuel et concernent essentiellement les compétences numériques. Elles permettent d’acquérir des certificats de cours et des diplômes de niveau enseignement supérieur (équivalent bac + 2 à bac + 5) dans une optique professionnalisante. Aujourd’hui OpenClassrooms compte plus de 2,5 millions de membres dans le monde et plus de 70 employés. Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis les débuts avec notamment, en juin 2015, le lancement de notre premier parcours diplômant complètement en ligne, « Cheffe de projet multimédia », en partenariat avec IESA Multimédia, une école privée de multimédia à Paris. À la fin de cette année, nous en aurons quasiment cinquante en français, anglais et espagnol.

Je reviens sur un élément important qui nous définit, c’est qu’on a construit dans l’entreprise une mission et une vision pour savoir où on va. Sinon, en éducation, on peut aller dans tous les sens et ne jamais savoir où s’arrêter. La mission, c’est quelque chose de très global qu’on ne change jamais, c’est rendre l’éducation accessible à tous. Parfois, on a un projet, une décision importante à prendre et on se repose cette question de la mission : on se dit « est-ce que ça correspond ? » Ensuite, il y a une vision plus « pratico-pratique » qui nous permet de piloter dans les cinq prochaines années – ça c’est l’implémentation de la mission – et cette vision, c’est aider les individus à trouver un emploi ou à évoluer dans leur emploi. Et on se base sur cette vision pour gérer la métrique principale qui est le nombre de personnes qu’on a aidées à trouver un emploi. Si on veut faire augmenter cette métrique, il faut nécessairement qu’on informe les gens pour être prêts à aller vers des emplois qui recrutent, avec énormément de métriques disponibles qui peuvent être celles de Pôle Emploi ou de différentes branches qui nous guident très bien aussi sur les attentes et on va chercher les métiers les plus en tension, rechercher des professeurs du domaine qui vont eux-mêmes aller trouver des gens, des recruteurs, etc. pour comprendre les compétences attendues et on vise ces compétences – on fonctionne uniquement par compétences, il n’y a pas de notes. On écrit des projets que les étudiants devront faire pour prouver qu’ils ont les compétences et, seulement quand on a fait les projets, on décide quels cours on va faire. Les cours arrivent vraiment à la fin, c’est ce qui permet de préparer les gens à faire les projets qui vont démontrer les compétences pour aller vers un métier.

C’est aussi comme ça que vous réglez le processus d’évaluation, c’est-à-dire qu’il est en contrôle continu ?

N.B. C’est bien ça, toutes les semaines on voit l’évolution et il y a une soutenance à la fin de chaque projet. Il y a six projets sur un parcours classique. Si on fait la formation en un an, ce qui est possible, tous les deux mois en gros, il va y avoir une échéance de projet à rendre.

En quoi consiste un projet ?

N.B. Le projet dépend du domaine. Je vais vous donner un exemple standard pour nous. Pour former au métier de développeur web, le premier projet, c’est de créer le site web de sa ville. Au départ, on simule, puis, plus on avance, plus ça devient proche du monde professionnel et l’avant-dernier projet, notamment, a vocation à avoir une utilité sociale. Il impose à l’étudiant d’aller sur le terrain rencontrer quelqu’un qui a un besoin, qui pourrait bénéficier de ce qu’on va faire, souvent des associations, de recueillir ce besoin, de réaliser le projet en faisant des allers-retours et de donner toutes les preuves de ce qu’il a fait au mentor qui l’accompagne. C’est toujours validé par deux personnes : d’abord le mentor qui a accompagné l’apprenant, qui l’a vu chaque semaine et qui décide s’il peut passer la soutenance. Et là, intervient un deuxième mentor de la plateforme qui fait une session de soutenance qui est enregistrée et qui est soumise au jury à la fin, de même que tous les projets qui ont été réalisés et que tous les commentaires formulés par les mentors.

Qui compose le jury ?

N.B. Comme tout jury du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), ça va être des personnes mentors d’OpenClassrooms et des professionnels du secteur qu’on invite. Six personnes au total. C’est le jury de toutes les écoles privées, mais la différence ici, c’est que la soutenance n’a pas lieu devant le jury : le jury regarde les dossiers parce que les étudiants ne sont pas là, on ne peut pas les synchroniser et, s’il a un doute, il demande à voir l’étudiant ou demande un projet supplémentaire. Ce cas ne s’est pas encore produit, mais ça peut arriver.

L’accès aux ressources est libre et gratuit, mais l’accès au mentorat est payant ?

N.B. Il y a le « premium solo » et le « premium plus ». En « solo », il n’y a pas de mentor. On propose le téléchargement gratuit de vidéos en ligne et des ressources écrites et la validation se fait sur chaque cours par QCM et correction entre pairs. On atteste les compétences de la personne, mais il n’y a pas de contrôle d’identité. Mais ce qui marche le plus pour nous, c’est l’offre la plus chère, parce qu’elle est diplômante et se rapproche du professionnalisant. Un cours, c’est bien, mais ça ne fait pas forcément un métier. C’est un abonnement en fait. Les gens peuvent commencer quand ils veulent et finir quand ils veulent, quand ils ont fini le parcours. Il y a des gens qui finissent en 9 mois, d’autres en 12, d’autres en 13, parce qu’il y a cet accompagnement individualisé qui permet de personnaliser l’apprentissage, donc le rythme.

Quand ils s’inscrivent au premium solo, c’est pour accéder aux certificats des cours et pour avoir la possibilité de voir plus de vidéos dans la semaine. Toutes les ressources écrites, vous pouvez y avoir accès autant que vous voulez sur le site, alors que les ressources vidéo, vous en voyez cinq ou dix maximum par semaine. Si vous payez, vous en voyez autant que vous voulez. Les séquences vidéo durent environ trois minutes, mais on essaie de les réduire à une ou deux minutes. Les cours eux-mêmes ont tendance à être plus courts. L’hébergement technique des vidéos se fait sur Viméo.

Comment contrôlez-vous la qualité des ressources ?

N.B. Un professeur extérieur fait son contenu, mais on a systématiquement, à l’interne, un autre professeur qui fait du peer review et qui lui donne des conseils avec un regard extérieur. Ensuite, on présente régulièrement les ressources qu’on produit à un comité pédagogique étendu dans lequel il y a des gens d’OpenClassrooms, mais aussi des professeurs d’école, d’université, des patrons d’organismes de formation assez variés qui observent l’évolution des ressources et qui donnent des commentaires sur la méthodologie et sur ce qui a été fait plus globalement. Ensuite, un élément très important du contrôle de qualité, ce sont les étudiants eux-mêmes, c’est-à-dire qu’on va mettre le contenu en ligne assez tôt pour avoir des retours des mentors et des étudiants. Une fois que ce contenu est publié, on a systématiquement des retours et on en tient compte pour le faire évoluer et, du coup, ce contenu va rarement rester plus de deux ou trois mois sans bouger. Il y a toujours des petits ajustements quand on nous signale une erreur ou quelque chose qui n’est pas clair. Par exemple, on a publié un cours qu’on est en train de faire évoluer en tenant compte des retours qualitatifs des étudiants, mais il nous manque encore des retours quantitatifs, type notations, etc. Mais le qualitatif nous apporte déjà énormément d’informations. Il suffit d’écouter, avec un système de chat, ce que les gens ont à nous dire, le bon comme le mauvais.

Est-ce que vous avez défini des catégories de profils de vos étudiants ?

N.B. Je vais vous citer le profil dont on parle le plus en ce moment, c’est le demandeur d’emploi, plutôt longue durée, 17 mois de chômage en moyenne, qui est en reconversion professionnelle. Il peut venir d’horizons très divers, par exemple, hier, on a remis un diplôme à une ancienne pâtissière qui est devenue développeuse à son compte et à un ancien soudeur. Ils sont plutôt en province, avec des enfants, très heureux de pouvoir travailler de chez eux, de façon plus libre et autonome et d’être accompagnés par un mentor.

Deuxième cas de figure, l’étudiant d’environ 20 à 25 ans qui fait ses études sur OpenClassrooms. La plupart du temps, il fait juste ça : c’est extrêmement chronophage cette formation. Au départ, ils ont tendance à sous-estimer la quantité de travail parce que c’est à distance. Donc, maintenant, avant de les accepter, on leur fait signer un papier où ils acceptent les règles, comme le nombre d’heures de travail, le fait qu’ils doivent écouter leur mentor, etc., ce qui permet de cadrer un peu les choses. Les étudiants, c’est ¾ de personnes en formation continue et ¼ en formation initiale, ceux dont je vous parle. Ils sont moins nombreux parce que généralement, ce sont les parents qui paient et les parents n’ont pas encore vraiment confiance dans un système de formation à distance, entièrement en ligne. Ça va venir, mais ça met du temps...

Il y a un autre sujet très important, c’est la question de la rencontre physique et de la vie étudiante, qui est très attendue par les étudiants, ce qui est compréhensible, et que, pour l’instant, on ne propose pas. On n’a pas forcément vocation à créer des campus, je ne dis pas qu’on ne le fera pas, mais je n’y crois pas... On a déjà fait des regroupements deux fois ici et on va en ouvrir à Lyon, à Grenoble... C’est plutôt à l’initiative des étudiants, on ne veut pas que ce soit un mentor qui le fasse, sinon ça va se transformer, par habitude, en salles de classe et on veut que ce soit juste un lieu où les étudiants travaillent ensemble et puissent parler un peu de tout et de n’importe quoi, parce qu’on considère qu’une grande partie de la pédagogie se fait aussi dans le contact, dans la proximité réelle. C’est plutôt dans cette voie-là qu’on va aller plutôt que de monter des murs, des salles de classe et des amphis, ce qui n’est pas vraiment ce qu’on a envie de faire ici.

Par ailleurs, on a entre 25 et 30 % de femmes, ce qui est à la fois beaucoup, par rapport à des écoles d’ingénieurs où il y a 96 % d’hommes, et trop peu. On a créé en interne un groupe de recherche sur la diversité pour observer comment on produit, comment on crée les contenus... Ce qu’on fait pour augmenter ce pourcentage, c’est qu’on privilégie les enseignantes femmes et on a quasi uniquement des femmes qui enseignent la programmation informatique, même si on ne l’a pas fait tout à fait exprès.

Est-ce que les étudiants sont au courant que d’autres étudiants sont inscrits en même temps qu’eux ?

N.B. Oui, ça passe par des chats, des forums et ils font aussi des projets à plusieurs. Parfois, ils sortent aussi de la plateforme et vont voir ailleurs. Il arrive que les mentors le leur conseillent, pour aller chercher d’autres ressources, de la documentation... Les cours sont de très bons points de départ.

Avez-vous des statistiques sur vos inscrits ?

N.B. Le site existe depuis 1999. On a deux millions de membres, c’est-à-dire de gens qui ont un compte (il y a des gens qui circulent sur la plateforme et qui n’ont pas de compte) et on est presque à mille inscrits à « premium plus », avec une croissance de plus de 20 % par mois. On a plus de mille cours. Le nombre de personnes qui visitent chaque mois est à peu près de trois millions, y compris des « invités », dont 60 % hors de France, essentiellement de pays francophones. On s’est ouverts en anglais, en espagnol et, donc, on commence à avoir des personnes un peu partout dans le monde. À part la France, le deuxième pays c’est le Maroc, le troisième, c’est la Belgique, après il y a la Suisse, le Québec, beaucoup de pays de l’Afrique subsaharienne aussi, dont les inscrits sont très impliqués, pour eux, l’impact est encore plus fort.

Pour l’instant, nous avons eu trois diplômés en novembre 2016, mais ça va très vite. On voit le volume, on voit les gens qui sont en train de terminer... Au début, c’était en friche...

Pour les trois premiers diplômés, l’un avait une bourse d’études pour suivre un master, les deux autres soit avaient leur propre boite, soit étaient employés. On a déjà une vingtaine de personnes qui avaient trouvé un emploi avant de finir la formation. Du coup, il y a des gens qui arrêtent la formation avant d’avoir fini parce qu’ils ont trouvé un travail qui leur convient.

Pour revenir aux certifications, elles sont donc de deux types : celles qui portent sur un cours, et qui correspondent à peu près à une attestation de suivi, et celles qui portent sur un cursus avec des projets successifs ?

N.B. Tout à fait. Les premières sont soit délivrées par OpenClassrooms, soit par un partenaire avec qui le cours a été fait. Ça peut être une grande école, comme Polytechnique ou Centrale, une université... On a travaillé avec plein de gens et quelques dizaines de milliers de certificats de cours ont été délivrés.

Et les diplômes de fin de cursus ?

N.B. Ça dépend. En gros, les sujets sur lesquels on a beaucoup d’expérience et une légitimité, on préfère les faire en interne et quand ce sont de nouveaux sujets, on les fait en partenariat comme le parcours qu’on propose avec l’IESA Multimédia. Celui qu’on va créer avec Centrale, ce sera un diplôme de type Centrale et celui de développeur d’applications, c’est juste OpenClassrooms.

Ces diplômes sont-ils identifiés comme ayant été obtenus à distance ?

N.B. Non, il n’y a aucune différence avec un diplôme traditionnel. Par exemple, celui qu’on délivre avec l’IESA Multimédia, c’est le même papier, donc le recruteur ne voit aucune différence.

Comment recrutez-vous les mentors ?

N.B. On n’a aucun mal à trouver des mentors à l’heure actuelle. C’est du travail, mais ce n’est pas si difficile. On les recrute par bouche-à-oreille parce que des mentors en ont parlé à leurs collègues. Ils apprécient énormément le mentorat parce que c’est une mission qui a du sens, qui est flexible (on peut avoir plus ou moins d’étudiants à mentorer) et que la rémunération est intéressante : en fonction du nombre d’étudiants que vous avez, vous pouvez être payé quelques centaines d’euros par mois ou plusieurs milliers. Ce sera peut-être plus difficile de trouver des mentors pour des niveaux plus avancés ou des professions plus rares, il faudra probablement les payer plus cher.

Pourquoi avez-vous choisi le terme « mentor » ?

N.B. Parce que ça traduisait assez bien la notion de quelqu’un qui a déjà de l’expérience, qui a réussi, un peu « le sage au sommet de la montagne ». Très peu de temps du mentorat est alloué à réexpliquer une notion, alors que tout le monde croit que le mentor va, comme le professeur traditionnel, « recracher » le cours, en fait 2/3 de leur temps est consacré à « comment ça va ? », « comment tu t’y es pris ? », « OK », « tu as eu un décès dans ta famille, d’accord... ». Et surtout, le mentor va observer à quelle vitesse l’étudiant avance et va lui donner des objectifs adaptés à son niveau. Un élément extrêmement important, c’est la personnalisation de l’apprentissage, chacun doit être traité comme une personne différente, même s’il y a cent mille étudiants, c’est un facteur clé de la réussite massive.

Dans les tableaux de bord, on prend en compte toutes ces métriques, savoir quel est le niveau de demande des étudiants, des mentors, quelle est l’appréciation du mentor par l’étudiant, de l’étudiant par le mentor, de façon à prendre des décisions éclairées et, si possible, avant qu’il y ait des dégâts ! Mais des dégâts, il y en a partout, il y a toujours deux ou trois étudiants qui prennent 80 % de l’énergie !

Quels sont les points forts et les points faibles d’OpenClassrooms ?

N.B. Les points forts : l’accompagnement personnalisé, à distance, le fait d’être reconnu, d’avoir une volonté professionnalisante et qui amène vers un emploi, au rythme de chacun ; ça coûte quand même beaucoup moins cher que l’éducation privée traditionnelle ; pouvoir faire en un an un bachelor qui normalement demande trois ans... Je dirais bien que nos cours sont de qualité, mais tout le monde va dire ça, alors je préfère parler des autres métriques, mais clairement, la qualité de la production audiovisuelle et des contenus, c’est un élément très crucial chez nous.

Les points faibles : ça coûte quand même 300 euros par mois pour être accompagné par un mentor, tout le monde ne peut pas se l’offrir. On est confronté à des gens qui n’ont pas encore totalement intégré ces nouvelles façons de fonctionner et même si la loi dit que Pôle Emploi peut financer des formations à distance, nous avons tous les jours des gens qui nous téléphonent pour nous dire « Mon conseiller Pôle Emploi m’a dit qu’il ne finançait pas parce que c’est de la formation à distance ». C’est une grosse machine très difficile à faire évoluer... En plus les conseillers Pôle Emploi ne connaissent pas les métiers auxquels nous préparons, ils vont plutôt les rediriger vers des formations, qui sont très bien aussi, d’aide à la personne, de carreleur, etc. Quel gâchis !

Et même quand c’est financé, les délais d’obtention de ce financement sont très aléatoires et dépendent de la personne de Pôle emploi à laquelle vous avez à faire. Donc le coût reste non négligeable, mais il peut être financé par des acteurs, Pôle emploi ou des OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé (organisme paritaire collecteur agréé). Les discours présidentiels n’ont pas eu d’impact à court terme dans ce domaine, mais en auront probablement à long terme.

Un autre point faible, peut-être, est que nous nous centrons uniquement sur les formations professionnelles là où les universités vont être un peu plus ouvertes sur les humanités. L’histoire de troubadours au Moyen-Âge, typiquement, c’est un cours que nous ne ferons jamais, même s’il a probablement des raisons d’exister ! Ça pose la question de savoir à quoi sert l’éducation : est-ce qu’elle sert à amener les gens vers l’emploi ? Est-ce qu’elle sert à leur ouvrir l’esprit pour qu’ils soient les citoyens de demain ? On a choisi l’emploi pour des raisons économiques, parce que ça crée un cercle vertueux économique et qu’on sent qu’il y a un besoin assez fort à ce niveau-là et qu’il faut y aller... On ne couvre donc qu’une portion de ce qu’on pourrait enseigner. Le reste, on a choisi de ne pas le faire.

Vos formations font-elles partie du RNCP, le Répertoire national des certifications professionnelles ?

N.B. Oui. Globalement, on s’attendait à ce que ce soit plus compliqué que ça pour une formation entièrement en ligne et, au contraire, le fonctionnement de la Commission était très bien adapté à notre façon de faire. Elle ne s’intéressait pas tant aux cours qu’à la façon dont on validait les compétences pour aller vers un métier. On était faits pour s’entendre ! Ça a quand même été beaucoup de dossiers administratifs qui ont été mille fois trop longs à remplir...

Est-ce que vous avez des échanges de pratiques avec d’autres organismes comparables au vôtre ?

N.B. Oui. Le lien avec les universités, ce sont les comités pédagogiques que l’on organise tous les trois mois avec une quinzaine ou une vingtaine d’acteurs de la formation très variés, grandes écoles, universités, personnalités politiques... Un deuxième élément, plus au quotidien, ce sont les meet up éducation (rencontres informelles auxquelles on s’inscrit gratuitement et qui ont généralement lieu en soirée dans une entreprise) qu’on a commencé à organiser et qui ont énormément de succès, on fait salle pleine ! On invite à intervenir des gens qui nous inspirent dans le domaine de l’éducation et qui ouvrent l’esprit sur différentes façons de percevoir l’éducation et ça intéresse des gens vraiment très variés.

Voyez-vous d’autres choses à dire sur les qualifications ?

N.B. Sur le futur des qualifications, oui. Nous, notre modèle a bien décollé depuis qu’on propose des diplômes reconnus, un peu sur le modèle traditionnel de l’éducation. Depuis que c’est reconnu, il y a eu beaucoup plus de gens qui ont été spontanément intéressés par un nouveau diplôme bac + 3 qu’ils pouvaient montrer à leur employeur. À Londres, sans diplôme, on peut facilement trouver un emploi et cette différence culturelle entre pays m’a frappé. Donc, nous sommes très concentrés sur le diplôme, mais ce que j’observe, c’est que c’est bien pour nous, pour susciter l’intérêt, faire venir les gens, vendre... mais, ma conviction, c’est que les diplômes vont être très fortement challengés, en tout cas tous ceux qui ne sont pas du « top tiers » des écoles les plus connues (du type Harvard, etc.). Les autres peuvent se poser la question de la place du diplôme traditionnel. Pourquoi ? Parce que les diplômes traditionnels niveau master que vous obtenez aujourd’hui vers 23 ans vont attester de réelles compétences, mais qui ne seront plus celles dont vous aurez besoin dans cinq ans, parce que les métiers évoluent très vite, de manière accélérée. Le diplôme qui a été obtenu à 23 ans ne peut donc pas être valorisé, comme c’était le cas avant, à 43 ans ; je pense même qu’à 32 ou 33 ans, il sera largement dépassé. L’avenir est plus à des microdiplômes tout au long de la vie. Il faut donc affiner le diplôme, il est trop gros, trop lourd, trop long et il faut des petites mises à jour de trois mois, six mois, un an, selon les besoins, très flexibles, très ajustables, qui vont attester de certains apprentissages régulièrement tout au long de la vie, alors que trois à cinq ans, c’est déjà du long terme.

Je pense d’ailleurs que la séparation entre formation initiale et formation continue va être fortement challengée à l’avenir. Chez nous, par exemple, elle n’existe plus : des étudiants de 18 ans côtoient des personnes de 45 ans en reconversion et le jeune de 18 ans peut aider une personne de 45 ans qui, elle-même, va aider un jeune de 20 ans. Il y a donc une assez formidable variété des profils qui ne se rencontrent pas dans les salles de classe qui sont assez homogènes au niveau des âges. À plus long terme encore, je pense que l’on ne parlera plus de microdiplômes, tout va se jouer au niveau du portfolio de la personne, de la démonstration de la valeur qu’elle peut apporter dans un milieu et qu’on va aller vers une granularité extrêmement fine. C’est un peu ce que la VAE (valorisation des acquis de l’expérience) tente de faire, mais d’une manière qui est encore très lourde et que peu de gens font. Mais j’ai moins la vision badges associés à des connaissances qu’à des réalisations.

Quel est le modèle économique d’OpenClassrooms ?

N.B. En très grande majorité, nos ressources viennent des inscriptions, une petite minorité vient aussi des partenariats avec les établissements pour lesquels, avec lesquels on crée des cours qu’on met sur la plateforme. Dans ce cas, il y a cofinancement, mais honnêtement, c’est anecdotique. Aujourd’hui, il faut que les étudiants paient la formation pour que ce soit viable.

Est-ce que vous tenez compte des problèmes de débit des connexions avec l’Afrique ?

N.B. Pas assez. En fait, on n’a jamais ciblé l’Afrique, ce sont eux qui sont venus à nous. Il est possible qu’on commence à essayer de s’adapter au marché africain dans les prochains mois, on y pense, mais on n’a pas encore ouvert le dossier. Actuellement, ils sont tellement intéressés qu’ils se débrouillent, quitte à ce qu’un téléchargement prenne trois jours !

Y a-t-il concurrence entre OpenClassrooms et les établissements d’enseignement supérieur qui font des formations dans les mêmes domaines que vous, hormis ceux avec lesquels vous avez des partenariats ?

De l’extérieur, on peut avoir l’impression qu’il y a concurrence lorsqu’il s’agit de formations en ligne, mais formations en ligne, c’est large et nous n’avons pas forcément les mêmes visées. L’objectif principal de FUN, par exemple, c’est de mettre leurs cours en ligne, mais ici il y a un dispositif d’accompagnement avec le mentorat, de validation avec le jury, que FUN ne prend pas vraiment en compte. Ils commencent tout juste à parler de certification des cours, mais, ça, c’est le discours que nous avions, nous, il y a quatre ans. La concurrence ne serait pas vraiment avec l’Europe, mais avec les États-Unis où il y a des gens qui ont un peu les mêmes visées, la même démarche que nous. Avec les établissements français, on pense sincèrement qu’on n’a pas d’énergie à dépenser dans une démarche concurrentielle et on pense que si, au contraire, on peut partager et aider des gens à plus ou moins répliquer notre démarche, on aura gagné. On a donc plutôt des visées additives que de confrontation. On pense souvent à un marché extrêmement rapide, féroce, concurrentiel, mais dans la culture d’OpenClassrooms, il ne s’agit pas de gagner le plus d’argent possible, le plus vite possible. Il faut gagner de l’argent pour être viable financièrement, mais on pense que si on garde la visée de ce qu’on fait pour l’étudiant et si on réussit ça, naturellement, on s’en sortira bien. Le truc pour lequel je me lève le matin, ce n’est pas de me dire que nous sommes numéro un ou numéro deux, mais qu’il y ait de plus en plus de gens qui puissent dire « Ma vie a changé grâce à vous, ça a marché. Merci. », parce que ça, c’est de la création de valeur qui se traduit forcément, d’une manière ou d’une autre, par une équation économique viable.

Quelle perception avez-vous de l’image que les employeurs ont d’OpenClassrooms ?

N.B. Trop peu d’employeurs connaissent encore OpenClassrooms et on est en train de construire la marque, ce qui est un gros travail, mais l’astuce qu’on a trouvée, c’est de repartir sur des diplômes reconnus par l’État qui font le pont entre la formation habituelle et celle qu’on propose. Du coup, au fil des années, mais ça prend du temps, ils vont entendre parler de nous...

Pour l’instant, ce que veut dire pour l’employeur avoir une certification de cours, ça dépend de l’employeur. S’il connaît les cours en ligne, ça va aider, s’il ne les connaît pas, il va trouver ça bizarre, mais il va reconnaître quelque chose, c’est que l’étudiant est motivé et qu’il est capable d’apprendre par lui-même. Mais il y a aussi des employeurs bornés qui s’en tiennent à leur grille et ne tiennent compte que des diplômes de grandes écoles, cependant, dans le domaine du digital, ils ont souvent une plus grande agilité d’esprit.

Pour citer cet article

Référence électronique

« Entretien avec Mathieu Nebra, cofondateur du site de e‑learning OpenClassrooms », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 20 | 2017, mis en ligne le 19 décembre 2017, consulté le 02 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/dms/2072

Licence : CC by-sa

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