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PEDAGOGIE PAR PROJET : Réalisation d’un manuel d’informatique

2 octobre 2015 par François Kany Retours d’expériences 1526 visites 1 commentaire
Nous présentons la mise en place d’une pédagogie par projet dans une classe d’étudiants en informatique de niveau L2. Nous analysons les réussites et les échecs de cette initiative.

Mots-clés  : Pédagogie par projet, travail collaboratif.



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PEDAGOGIE PAR PROJET

Réalisation d’un manuel d’informatique

François Kany, Jean-Pierre Gerval, Nathalie Rousselet

ISEN-Brest, France

kanyfrancois [at] hotmail.com

I. INTRODUCTION

La pédagogie par projet est une pratique de pédagogie active qui permet de s’approprier des savoirs par la réalisation d’une production concrète. Cette méthode, formalisée par W. H. Kilpatrick [Kilpatrick, 1918], est fondée sur l’adhésion des élèves à un projet, source de motivation. Initialement cantonnée à l’école primaire, cette pratique se développe pour, aujourd’hui, s’étendre jusqu’à l’enseignement supérieur. Elle se substitue aux traditionnels cours magistraux auxquels les élèves sont de plus en plus réfractaires.

II. ANALYSE DE LA SITUATION

II.1 Etat des lieux
La filière « Cycle Informatique et Réseaux » (CIR) a été créée, par l’Institut Supérieur d’Electronique et du Numérique de Brest (ISEN-Brest), à la rentrée 2010 sur les campus de Brest et de Rennes. C’est aujourd’hui une formation très demandée ; elle attire des étudiants souhaitant devenir ingénieur informaticien (niveau M2) sans passer par les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE). Le succès de cette filière permet maintenant de sélectionner des élèves avec un niveau correct. Néanmoins, lors de la mise en place de cette nouvelle formation, les premiers recrutements ont été difficiles : élèves d’un niveau scientifique faible, indisciplinés, peu motivés, incapables de se concentrer en cours, allergiques aux cours magistraux, passifs en séances de Travaux Dirigés (TD). Les enseignants de mathématiques, de sciences physiques et de sciences industrielles avaient, l’année précédente, plus ou moins baissé les bras devant tant d’inertie. Bref, la classe était à la dérive. Que faire de ces premières promotions ?

II.2 Profil des étudiants
La classe se compose de dix-sept élèves, majoritairement recrutés au niveau Bac avec un dossier scolaire moyen. Certains ont été réorientés dans cette filière suite à un échec en CPGE.
Au cours de leur première année d’étude, ils reçoivent une formation intensive en informatique : algorithmique, langage C, Java, HTML pour un total de 200 heures de cours et de 150 heures de Travaux Pratiques. La formation est complétée par 240 heures de mathématiques, 140 heures de sciences physiques, 60 heures de formation humaine et 60 heures d’anglais.

II.3 Une opportunité
Nous sommes en 2012 et, à la rentrée 2013, les programmes d’informatique de CPGE changent. Les logiciels de calcul formel (type Mathematica® ou Maple®) seront remplacés par le langage Python. Cette modification des programmes va demander un effort de formation pour tous les enseignants concernés par la réforme.
Les élèves du CIR n’ont aucune connaissance particulière en Python ; néanmoins, ils ont de solides compétences en C et en Java, deux langages proches.

III. LE CHOIX DE LA PEDAGOGIE PAR PROJET

L’idée a été de proposer aux élèves de réaliser un manuel de Python. En effet, même s’il existe des livres d’initiation à ce langage [Swinnen, 2012], ceux-ci ne sont pas réellement adaptés aux programmes scientifiques des CPGE.

III.1 Effets attendus
La démarche consiste à s’appuyer sur les connaissances et les capacités des élèves - l’informatique - pour les amener à faire des choses qu’ils aiment moins comme les mathématiques et les sciences physiques.
Ce projet permettait, d’une part, d’illustrer le programme d’informatique en résolvant numériquement des problèmes d’ingénierie très concrets et, d’autre part, de remotiver les élèves autour d’une production concrète - un livre accompagné d’un CD-Rom - qui répondait à un besoin réel.

III.2 Organisation du travail
Nous avons mis à la disposition des élèves le projet de réforme des programmes d’informatique (le texte définitif n’est paru qu’en 2013 [BO, 2013]) ainsi que quatre-vingt dix sujets de TD, adaptés au niveau des élèves de L2 et balayant l’ensemble du programme scientifique de CPGE : chimie, mécanique, astronomie, électricité, électrostatique, magnétostatique, optique, onde, mécanique des fluides,... Chaque TD présentait brièvement la description d’un problème ; la solution consistait à programmer en Python une méthode de résolution numérique en s’inspirant du code Mathematica®.
L’ensemble des sujets a été mis en ligne sur un espace numérique de travail. Un élève (PZ) a créé un tableau de bord où les sujets étaient classés par thème. Les étudiants ont pu s’inscrire librement : certains étaient plus attirés vers les applications graphiques, d’autres vers les problèmes d’astronomie, d’autres encore vers des problèmes purement algorithmiques comme la résolution de Sudoku,...
La mise en place de cet outil collaboratif a permis à chacun de surveiller en temps réel l’avancement global du projet, de savoir qui travaillait sur quel TD, de lister les bugs ou les difficultés rencontrées,...

III.3 Déroulement des séances
De la fin des vacances de février au début des vacances de Pâques, les élèves ont participé, chaque semaine, à trois séances de deux heures.
Les étudiants se sont révélés très autonomes. Ils ont utilisé la documentation en ligne pour résoudre les difficultés techniques. (Cette forme d’auto-apprentissage est très courante en informatique). Lorsqu’ils étaient confrontés à des problèmes particuliers, ils pouvaient consulter le tableau de bord pour vérifier si un autre élève n’avait pas été amené à résoudre un problème similaire. Cette méthode a permis de créer des coopérations entre étudiants : chacun expliquant à l’autre le morceau de code qu’il avait créé. Ainsi, petit à petit, une véritable base de données s’est constituée pour recenser les différentes expertises, ce qui a permis de résoudre les TD de plus en plus rapidement.
L’ensemble du livre et des codes de calcul a été terminé juste avant les vacances de Pâques. Nous tenions à finir le projet à cette date car elle correspond au début de la période des écrits des concours pour les élèves de Mathématiques Spéciales ; les professeurs sont libérés des cours et commencent à anticiper la rentrée suivante. Il fallait donc que l’ouvrage soit disponible à ce moment là.

III.4 Coût du projet
Ce projet a eu un coût non-négligeable. L’impression du livre à 500 exemplaires a coûté 3 212 euros. Le pressage du CD-Rom à 500 exemplaires s’est élevé à 584 euros. Les frais d’expédition (enveloppe, affranchissement) sont de 5 euros par exemplaire. Le prix de vente du livre a été fixé à 20 euros ; le seuil de rentabilité est estimé à 253 exemplaires.
L’ISEN-Brest ayant un statut d’association à but non lucratif (type loi 1901), il était hors de question de dégager le moindre bénéfice de cette opération. Si les ventes devaient dépasser le seuil rentabilité, il a été décidé que les bénéfices seraient reversés à une fondation qui aide les jeunes ingénieurs : la fondation Norbert Ségard (sous l’égide de la fondation de France).
A ce jour, les ventes sont de 215 exemplaires. Elles se répartissent géographiquement sur tout le territoire métropolitain (et la Belgique).

IV. BILAN

IV.1 Les réussites
Le premier objectif a été partiellement atteint : les élèves ont progressé en sciences physiques ; pas autant que nous l’espérions, mais tout de même. Accessoirement, les élèves ont appris un nouveau langage informatique ; ce qui ne peut être que bénéfique sur un curriculum vitae.
Incontestablement, le second objectif a été pleinement atteint. Les élèves ont été remotivés ; ils se sont réellement impliqués dans leur travail ; certains plus que d’autres, certes, mais tout le monde (à l’exception d’un élève AB) a « joué le jeu ». Les étudiants n’ont pas hésité à prolonger leur travail bien au-delà des séances programmées en continuant à coder jusque tard dans la soirée.
Les élèves sont vraiment fiers d’avoir participé à cet ouvrage collectif. De plus, écrire un livre à destination des élèves et des professeurs de classes préparatoires représente une belle revanche pour ces élèves non admis en classe de Mathématiques Supérieures ou bien réorientés dans la filière CIR après un échec en CPGE. Que de chemin parcouru depuis notre première rencontre avec ces étudiants : « M’sieur, c’est pas d’ vot’ faute ; on est nuls c’est comme ça ! ». Cette expérience confirme la constatation de R. Shankland [Shankland, 2009] : le fonctionnement cognitif ne peut être séparé des motivations qui le suscitent, des émotions et sentiments qui l’accompagnent.
L’expérience pédagogique a également apporté des choses plus inattendues. La réalisation de la couverture du livre avait été confiée à un élève (AB) très faible en informatique, nous espérions - par ce biais - réussir à l’associer au projet. Malheureusement, cet élève nous a, une fois de plus, déçu. Le dernier jour, lorsqu’il a transmis son travail, nous nous sommes aperçus que son graphique était bâclé et qu’il était impossible de l’utiliser pour une impression en quadrichromie. La classe était assez en colère de voir son travail collectif ainsi saboté. C’est un étudiant (CD), un peu à l’écart du groupe, mais très à l’aise avec les logiciels de PAO, qui nous a sauvé en réalisant, en quelques minutes, la couverture du livre. L’élève a été chaleureusement félicité par tous ses collègues. C’est une des bonnes surprises de ce projet : réussir à intégrer l’élève CD à la classe.
Il y a eu d’autres sources de satisfaction comme un élève (YO), très faible en physique, ayant peu participé à la réalisation de programmes en Python, qui a réalisé la page HTML pour indexer tous les fichiers sur le CD-Rom. En quelques heures, il a su créer une page de 270 liens vers tous les énoncés et tous les programmes.
Après la publication du livre, quelques professeurs nous ont contacté pour des problèmes spécifiques d’installation de logiciels sur d’autres systèmes d’exploitation (Linux, MacOS®). Les élèves ont dû assurer le service après-vente en répondant par courrier électronique aux questions des utilisateurs. Ceci a constitué une excellente initiation à leur futur métier d’ingénieur. Les cours de « gestion de la relation avec les clients » ont immédiatement pris une tournure très concrète !

IV.2 Les échecs
A part le cas de l’élève AB qui n’a réalisé ni programme, ni la couverture demandée, il n’y a pas réellement eu d’échec.
Certes, initialement, nous avions un projet encore plus ambitieux. Nous souhaitions que les élèves se chargent eux-mêmes de l’impression du livre, du pressage du CD-Rom, de la réalisation du site en ligne pour la vente du manuel, de la gestion des commandes et des obligations légales (numéro ISBN, autorisation de la SDRM,...). C’était peut-être un peu trop présomptueux ; nous avons été obligés de prendre le relais.
Un élève (KJ) a tout de même fait des démarches pour contacter des imprimeurs. Originaire d’Egypte, il proposait d’imprimer l’ouvrage sur place, pendant les vacances, pour un coût dérisoire. Nous avons dû abandonner l’idée pour des problèmes de logistique : la situation politique locale et les tracasseries douanières pour exporter une palette de livres nous ont fait renoncer. Néanmoins, l’intention était louable.
De même, la réalisation d’un site de vente en ligne aurait constitué l’aboutissement ultime du projet. Cet objectif était tout à fait réaliste car, après les vacances de Pâques, les élèves de Brest et de Rennes sont regroupés sur le campus de Brest pour participer à un projet WEB. La création du site aurait pu se faire dans ce cadre, les élèves en ont les compétences. Les professeurs d’informatique ont estimé, à juste titre, qu’il était difficile de demander aux élèves de Rennes de s’impliquer dans un projet auquel ils n’avaient pas participé dès le début.

V. CONCLUSION

La réalisation de ce projet a permis de remotiver une classe un peu à la dérive. Les élèves ont même eu droit aux honneurs de la presse locale (Télégramme de Brest). Ce livre a pu leur servir de passeport pour trouver un contrat d’alternance en troisième année ; l’ouvrage démontre les capacités des étudiants auprès de leur futur employeur.
Si nous devions embaucher trois de nos étudiants pour créer notre propre société d’informatique, nous savons - maintenant - quels élèves nous choisirions. Un de ces trois élèves (PZ) est effectivement un « bon élève » et nous aurions immédiatement songé à lui ; en revanche, nous n’aurions pas pensé spontanément aux deux autres. L’un (TA) était très effacé, très passif en cours, il s’est révélé particulièrement intéressé par le projet et s’est fortement impliqué. L’autre (KJ) au contraire était très expansif, voire incontrôlable : plus d’une fois, ses professeurs de mathématiques ou de sciences industrielles ont dû se résoudre à le mettre à la porte pour pouvoir faire cours dans des conditions normales. Le projet a permis de canaliser l’énergie de cet étudiant : il s’est mis à travailler jour et nuit (les heures de dépôt sur l’espace numérique de travail l’attestent). C’est la très bonne surprise de ce projet.

Nous remercions Monsieur Marc Faudeil, Directeur de l’ISEN-Brest, pour son soutien.

REFERENCES

BO (Bulletin officiel spécial) (2013), Programme d’informatique des classes préparatoires scientifiques, n°3, 30 mai, p. ESRS1306084A

Kilpatrick, W. H. (1918), « The Project Method », Teachers College Record (New York), vol. XIX, n°4, sept. pp. 319-335.

Shankland, R. (2009), « Pédagogies nouvelles et compétences psychosociales : de l’apprentissage à l’école à l’entrée dans l’enseignement supérieur », L’Harmattan (Paris).

Licence : CC by-sa

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