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Clionautes, réseau coopératif des professeurs d’histoire géographie : Interview de Bruno Modica, Président des Clionautes

25 septembre 2014 par Michel Briand Retours d’expériences 275 visites 0 commentaire

Un article repris de http://www.pratiques-collaboratives...

a l’occasion d’un échange avec Bruno Modica, je lui ai proposé un interview pour Pratqiues collaboratives et a-brest, je le remercie d’avoir pris le temps de répondre à ces questions et de nous donner un aperçu de Clioanautes
Michel Briand

1) Pouvez vous présenter le réseau Clionautes des professeurs d’histoire géographie et son fonctionnement

Le réseau des Clionautes s’est développé dans la deuxième moitié des années 90, à partir d’une liste de diffusion qui était la propriété d’une seule personne. Cela s’est transformé en une association à partir de 1998 qui réunissait quelques pionniers de l’utilisation de l’ordinateur et Internet en classe. Dans cette association, de 1998 à 2012, de très nombreux débats ont eu lieu sur la part respective des usages numériques et des contenus disciplinaires. Peu à peu nous avons pu résoudre cette contradiction apparente, entre la forme, l’utilisation des TICE, et le fond, les contenus disciplinaires. Cela s’est traduit par une réorganisation de l’association à partir de 2012. En quelques mois nous avons pu sortir d’une sorte d’amateurisme pour nous imposer durablement dans le paysage pédagogique en histoire et en géographie. Cela est passé par la mise aux normes administrative, juridique et fiscale de l’association.

2) Comment faites vous pour encourager le partage et la coopération entre enseignants ? (ce qui vous motive, les principaux freins à surmonter ? les satisfactions ..)

Encourager le partage et la coopération entre enseignants, c’est une forme de challenge de tous les jours. Il y a plus de consommateurs que de contributeurs. Alors nous essayons, en permanence, d’apporter des contenus disciplinaires, je pense à la Cliothèqueet à la veille éditoriale, des propositions de séquences, des croquis avec Clio Carto des images avec Clio photo et tant d’autres fiches de lecture, avec Clio prépas

Ce qui nous motive, c’est d’abord et avant tout, et cela est le marqueur fort de la présidence que j’assume, la volonté de continuer à enseigner l’histoire et la géographie, disciplines scientifiques et de formation. Je me suis battu au sein de l’association, ce n’était pas facile en 2006, pour que cela soit intégré dans nos statuts. Mais lorsque nous parlons d’enseigner l’histoire-géographie ce n’est pas avec ce discours nostalgique ou passéiste qui tient le haut du pavé avec des auteurs qui réinventent « nos ancêtres les gaulois ».

Nous voulons que l’enseignement de l’histoire et de la géographie porte la compréhension du monde, qu’ils soit riche de la diversité d’un monde qui bouge, et que les contenus disciplinaires soient portés par les moyens actuels d’information et de communication.

Les principaux freins à surmonter sont ceux de l’institution à laquelle nous appartenons, pour l’immense majorité de nos adhérents. L’éducation nationale à un fonctionnement pyramidal, et elle le reproduit aujourd’hui dans la généralisation des usages numériques qu’elle essaie de promouvoir. Cela ne fonctionne pas, et l’échec de la généralisation des espaces numériques de travail, n’est pas seulement technique, il est aussi pédagogique.

Il y a d’autres freins qui en découlent. Celui d’une forme de sujétion hiérarchique qui limite les contributions publiques et ouvertes des collègues qui craignent le regard de l’inspection notamment, mais aussi de leurs pairs. Tout cela favorise une sorte d’individualisme frileux, de repli sur soi et même d’indifférence.

L’activité enseignante, les réformes successives encouragent cette démarche, aurait tendance à se limiter à la répétition de recettes issues d’injonction académiques à partir de ces fameux « documents d’accompagnement » qui accompagnent les programmes. Le professeur n’est plus celui qui maîtrise des contenus les médiations pour les transmettre, mais une sorte de répéteur.

Les satisfactions, il y en a dans l’action et le travail collectif, dans ces échanges permanents, par l’intermédiaire de la liste de diffusion ouverte « HG Clionautes » que nous allons d’ailleurs sortir progressivement du système de googlegroups, pour en retrouver la maîtrise.

Des satisfactions il y en a lorsque la suite d’une simple question posée sur la liste de diffusion, des colistiers apportent leurs éclairages, leur contribution, leurs propositions de méthode et de progression.

Parmi les satisfactions, Il en est une à laquelle je suis particulièrement sensible, car lorsque j’étais minoritaire parmi les dirigeants de l’association, avant 2010, la Cliothèque, la veille éditoriale, était le lieu privilégié d’échanges et de partage des savoirs. Lorsque je vois que la Cliothèque est devenue pour 170 éditeurs, un lieu de passage obligé, que les auteurs, universitaires et pas des moindres, nous sollicitent, je me dis que nous faisons la démonstration que l’on peut développer des méthodes pédagogiques innovantes sans concession sur les contenus scientifiques.

3) La coopération c’est aussi la possibilité de travailler ensemble dans un lieu si possible convivial. Que pensez vous de l’idée de tiers lieux espaces ouverts de travail pour les enseignants à l’échelle locale d’une ville ?

C’est une idée d’autant plus enthousiasmante que depuis maintenant trois ans, sous le coup des nécessités, nous construisons cette sorte de « tiers lieu d’espaces ouverts de travail » pendant les rendez-vous de l’histoire de Blois. Dans le gîte que nous occupons, où nous vivons pendant les quatre jours de cette manifestation majeure, nous partageons, en temps réel, les contenus que nous « captons » en les mettant en ligne.

Cette année nous allons encore plus loin, pour l’édition 2014, qui a pour thème « les rebelles ». Nous sommes en charge de la captation vidéo sur la WebTV, des conférences et tables rondes de cette manifestation. La mise en forme et la diffusion de ces contenus se fera à partir de cet « espace ouvert de travail » temporaire, qui est devenu notre gîte sur les bords de Loire. C’est évidemment un lieu convivial, car les Clionautes qui viennent de toutes les régions de France partagent aussi leurs spécialités gastronomiques.

4) Les usages du numérique et l’abondance de contenus disponibles (sources, textes, photos, data..) modifient l’enseignement des disciplines, qu’en est-il pour l’histoire et la géographie qui semblent particulièrement concernées notamment dans le champ des données ouvertes ?

La réponse à cette question pourrait tenir en une phrase ou en un ouvrage de 500 pages.

Essayons de trouver un moyen terme. La matière première de l’historien se présente sous forme de textes dans la plupart des cas mais aussi d’images et de sons. Le numérique rend accessible de très nombreuses sources qu’il convient de plus en plus de « trier », d’organiser, de mettre en forme, pour les inscrire dans un processus d’apprentissage. Mais nous devons nous garder de fabriquer « des sortes de kit pédagogiques » clés en mains qui apparaissent comme des freins à une démarche originale. Pour reprendre précisément la question sur les données ouvertes, j’ai envie de comparer celles-ci à une sorte de jardin où l’on trouve toutes sortes de légumes. Le professeur, c’est celui qui, maîtrisant la matière viendra y prélever ce dont il a besoin pour réaliser son plat. Comme un chef de cuisine qui associe les saveurs, il saura optimiser sa collecte pour construire son processus d’apprentissage et le transmettre.

Si je prends un exemple plus concret, lorsque je vois toute une série de cartes et de croquis, et il y en a de plus en plus, le problème est de « mettre en scène », par un simple diaporama, par une animation flash, cet ensemble cartographique. Mais il faut également bâtir un scénario, et c’est le rôle du professeur, parce qu’il maîtrise la globalité des informations dans son contexte. Cela, c’est ce qui est déjà réalisé, et qui se développe très rapidement d’ailleurs, avec Clio Carto et les animations flash de Jacques Muniga.

5) Quels sont les nouveaux projets de Clionautes qui vous tiennent à coeur ?

Depuis 2012 il y a eu « deux nouvelles étoiles dans la galaxie » des Clionautes. Il y avait la Cliothèque, Clio ciné, Clio photos, Clio expos, Clio conférences, et bien d’autres. En 2013, nous avons pu créer Clio prépas et Clio Carto. Nous avons également totalement relooké le site et, comme tous les sites de ce type, procédé à un nettoyage de la base de données qui représente tout de même 20 Go.

Les nouveaux projets s’inscrivent dans une logique de présence.

Présence comme interlocuteurs avec les instances disciplinaires tout d’abord mais également les services de l’éducation nationale en charge du numérique. Ce n’est pas évident car les enjeux de pouvoir, parfois d’ego, la complexité des arcanes des services, sont multiples.

Au-delà de l’éducation nationale, nous avons entrepris une démarche d’ancrage territorial.

Nous voulons que nos enseignements sortent des salles de classe et participent de la vie de la Cité. Dans les débats récents, ouverts en 2005 avec le projet de loi sur « le bilan positif de la colonisation » qui a mobilisé les historiens, la question de la mémoire, ou plutôt des mémoires concurrentes, sur tel ou tel sujet a été posée. Il a souvent été dit qu’à ce « devoir de mémoire », il fallait opposer « le besoin d’histoire ».

Mais ce besoin d’histoire il ne doit pas se limiter à quelques tribunes dans les pages « débats » de quotidiens nationaux. Le numérique, le Web 2.0, sont également des outils pour transmettre ce besoin d’histoire. Mais ils ne sont pas exclusifs.

On ne peut pas se limiter à alimenter quelques blogs, ou des pages Facebook. Nous avons entrepris, à partir du département de l’Hérault, mais également dans l’ouest et le nord du pays, une approche des collectivités territoriales, des élus locaux, pour mettre en place différente formes d’intervention « physiques », pour « apporter l’histoire et la géographie dans la Cité ». Cela permet de créer du lien social, mais aussi de montrer qu’il n’y a pas de vérités toutes faites, et ce sont les méthodes de l’histoire, les représentations de la géographie, qui permettent d’échanger sur toutes les questions.

Je prendrai un exemple aujourd’hui, dans l’actualité du jour, à propos de l’Ukraine. Une personne qui assisterait à une conférence, assortie d’une vidéo projection, sur les cartes de ce conflit, sur les représentations de ce territoire au fil de l’histoire, ne serait-elle pas mieux à même de comprendre les enjeux actuels pour l’Europe ?

La même approche pourrait avoir lieu sur le conflit israélo-palestinien. Et cela permettrait sans doute d’amener des points de vue opposés et contradictoires à dialoguer. Cela n’est-il pas urgent ?

Le troisième projet serait, seulement en apparence, plus technique. Avec le Web 2.0 nous sommes devenus une sorte de matière première pour différents groupes dont la vocation est la collecte de données à des fins commerciales. Nous sommes bien entendus utilisateurs des réseaux qu’il mettent à disposition en conservant le contrôle.

Je souhaiterais, dans le cadre d’une coopération avec tous les acteurs intéressés, que nous sortions de cette logique. Pour notre liste de diffusion professionnelle, je souhaiterais mettre en place un serveur de listes indépendant et en même temps pérenne. Au-delà de cet exemple je souhaite doter les Clionautes des outils les plus performants possibles, serveur de listes, serveurs physiques, les mettre en réseau, et tout cela en disposant des moyens de notre indépendance, qui sont bien entendu des moyens financiers. Notre volonté d’ancrage territorial permet de réaliser ces objectifs.

6) Qu’attendez vous de l’éducation nationale pour favoriser des dynamique de travail en réseau et d’implication des enseignants ?

Si je voulais répondre de façon provocatrice, je dirais « plus rien », tant nous avons pu, et bien au-delà des Clionautes, investir dans la création de ces réseaux, que ce soit au niveau académique, au niveau de l’administration centrale. Cet énorme investissement humain, le plus souvent bénévole ou faiblement reconnu, qui a pourtant coûté très cher, comme les espaces numériques de travail, n’a sans doute pas été valorisé. Combien de temps passé en réunions ? Combien de lancements de plates-formes numériques avortés ou tombés dans l’oubli, combien de sites académiques disciplinaires qui ne sont plus alimentés ?

Au moment où un nouveau ministre prend ses fonctions, j’ai envie de m’adresser directement à elle.

Madame le ministre, vous héritez d’une administration qui obéit depuis top longtemps à sa propre logique, sans que vos prédécesseurs n’aient pu véritablement agir dessus. Faites confiance aux femmes et aux hommes qui sont sur le terrain, et ne vous fiez pas « aux remontées » d’une hiérarchie attachée à son auto conservation.

Du ministère aux rectorats, jusqu’aux inspections académiques départementales, il convient de développer un véritable réseau, peut-être à partir des associations, mais pas seulement, pour rassembler et diffuser les initiatives d’une grande richesse qui sont développées sur le terrain.

Cela doit reposer sur la confiance, et si les structures administratives existent, elles doivent mettre en avant les différentes réalisations, plutôt que de chercher à exercer un contrôle infantilisant, qui est déjà dépassé par les usages des réseaux numériques. Les sites académiques doivent cesser cette prétention à la diffusion d’une vérité officielle et validée, pour entamer un véritable dialogue avec les acteurs de terrain, sans chercher à les instrumentaliser. Mais ce sont des investissements humains qui sont nécessaires.

La dynamique de travail en réseau et d’implication des enseignants doit, pour être mise en œuvre, casser cette logique du fonctionnement pyramidal et cela passe par un véritable débat, mais aussi, Madame le ministre par des décisions, sur le fonctionnement de l’inspection, sur son rôle, des inspections générales dans les disciplines aux inspections pédagogiques régionales dans les académies.


Et pour terminer une petite présentation des Clionautes issue de leur document

Les Clionautes sont une association regroupant des praticiens, enseignants d’histoire et de géographie, professeurs des écoles, professeurs documentalistes, universitaires.

Les Clionautes se fixent comme but : la promotion et la défense de l’enseignement de l’histoire, la géographie, l’éducation civique, ainsi que la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie.

Pour atteindre ces buts l’association utilise :

Les Clionautes souhaitent intervenir dans le débat public sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie, leur place dans tous les ordre d’enseignement et promouvoir l’utilisation des technologies numériques dans ces disciplines.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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