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Une recherche-action sur le jeu pédagogique

Un article repris de https://www.cahiers-pedagogiques.co...

Participer à un projet de recherche-action collaborative peut-il vraiment nous faire évoluer dans nos pratiques et notre rapport avec les élèves ? Pour ces enseignants, travailler avec des chercheurs était une première. Choisir son thème de recherche aussi. Finalement, ce sont les élèves-testeurs qui bénéficient de ces nouvelles pratiques.

Participer à un projet de recherche-action collaborative peut-il vraiment nous faire évoluer dans nos pratiques et notre rapport avec les élèves ?

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Le concept de recherche-action collaborative est apparu dans les années 80 [1]. Il repose sur l’idée de situer la recherche en cœur de classe, au plus près de la réalité professionnelle de l’enseignant. Le professeur devient un praticien réflexif en participant à un projet de recherche en tant qu’acteur et sujet d’étude. Ce statut de néochercheur rejoint les enjeux de formation initiale et continue et le référentiel de compétences de l’enseignant. Au final, l’objectif est de répondre aux besoins des élèves, le mieux possible.

De notre point de vue, le jeu pédagogique pouvait nous fournir un sujet de recherche-action idéal. En classe, le jeu pose de nombreuses questions : sur sa valeur ajoutée pédagogique, sur la motivation des élèves ou encore la gestion du groupe…

Les enseignants qui produisent et animent le jeu sont quelquefois déçus par le résultat. Parfois, cela s’explique par leur manque de connaissance des mécanismes de création ou d’animation d’un jeu. Parfois même, l’aspect ludique disparait carrément.

En réalité, n’est pas game designer (concepteur de jeu) ou game master (maitre de jeu) qui veut. Ces métiers nécessitent souvent une très bonne culture du jeu, des compétences d’animateur, voire un lâcher-prise assumé. En ce sens, pour un enseignant créateur de jeux, il est intéressant de monter en compétences par exemple en game design (GD) et en design d’expérience utilisateur (UX pour User eXperience). Si le sujet du jeu est porteur, le choix d’une question de recherche précise qui fasse consensus est crucial pour engager toute l’équipe (enseignants, chercheurs) dans un projet de recherche-action.

Poser une question de recherche, plus facile à dire qu’à faire !

Qu’est-ce qu’une question de recherche « pertinente » ? Antoine Taly, chercheur au laboratoire de biochimie théorique (CNRS), cofondateur du diplôme universitaire « Apprendre par le jeu » à l’Inspé Lille Nord de France, et Stéphanie Mader, enseignante-chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et game designer, ont accompagné les enseignants, les aidant à éliminer des questions déjà traitées ou impossibles à étudier dans la temporalité imposée.

Parmi toutes les questions émanant du groupe, nous avions des propositions aussi variées que : « Comment mener un débriefing de jeu efficace ? », « Qu’apporte la création du jeu par les élèves eux-mêmes ? » ou encore « Comment intégrer tous les profils d’élève autour du jeu ? »… À la dernière minute, l’équipe, un peu poussée par le temps il est vrai, a réussi à converger vers cette problématique de recherche : « Concevoir différents rôles au sein d’une séquence ludique, quel gain de compétences chez les enseignants ? » Les enseignants devaient donc créer des jeux avec des rôles, et tenter collectivement d’identifier les compétences qu’ils auraient acquises.

Deux ans d’engagement

Notre cohorte d’enseignants avait été constituée pour couvrir le territoire breton et assurer une mixité des niveaux (1er et 2nd degrés), des disciplines et des filières (collège, lycée – général, professionnel et technologique). Nous souhaitions enrichir les échanges et la recherche par la variété des parcours et de l’expérience. La moyenne d’âge du groupe était de 43 ans, et le nombre moyen d’années d’expérience 17 ans.

Durant ces deux années, l’équipe a alterné des temps de session à distance, des lectures d’ouvrages sur le jeu, des formations en game et UX design, et en évaluation de jeu pédagogique. Elle a conçu et produit des jeux dont elle a réalisé les playtests [2].

La recherche-action, c’est du sport !

Cette première année scolaire 2020-2021 s’est achevée par une gamejam regroupant les enseignants et des game designers professionnels. En plein mois de juillet, les enseignants avaient tous créé un premier jeu de société avec des rôles. Marie, enseignante d’espagnol de notre groupe, témoignait à l’issue de la gamejam : « Mes collègues m’ont demandé pourquoi je travaillais pendant les vacances. Pour moi, collaborer avec des gens totalement différents, ce n’est pas du travail ! » La seconde année a été consacrée à la création, à l’expérimentation d’un jeu avec des rôles en classe et à son évaluation.

Nathalie synthétise les cartes rôles qui peuvent servir en mode jeu ou cours

Très rapidement, les enseignants ont intégré leurs élèves dans le test et l’évaluation du jeu, parfois même dans la conception. Les retours des élèves évaluateurs (playtesteurs !) ont permis d’acquérir des certitudes sur les mécaniques de jeux à utiliser. Déborah note ainsi que « les élèves aiment les rôles mystères qui ajoutent de la dynamique, et pas seulement le rôle du traitre ». Elle améliore son jeu en ajoutant du bluff, puis demande à ses élèves leur avis : un de ses élèves a trouvé le bluff « très pratique mais (avec) un désavantage : il peut arriver que le bluff ne marche qu’une fois », un autre lui répond que « c’est mieux avec le bluff, même si ça nous fait douter, ça donne du suspense ».

Impact pour les enseignants et apports pour leurs élèves

Les enseignants ont tous dû se soumettre à l’exercice du bilan réflexif en fin de projet. Les observations de l’équipe de recherche notent plusieurs évolutions de leurs connaissances et posture professionnelle. Lâcher-prise, gestion du risque, implication des élèves sont visibles dans les bilans des enseignants aussi bien que dans leurs échanges avec leurs pairs.

Par exemple, Philippe a travaillé la différenciation des niveaux sur ses terminales maths expert : « Pour certains, c’est la technique de base qui manque, je peux me servir des rôles pour faire des groupes de niveau. » Il partage aussi des astuces de gestion de groupe : « S’il y a débat, j’arrête tout le monde et je mets en commun. » Julie, de son côté, conseille de « ne pas avoir peur de l’excès de motivation des élèves ». Mélanie note aussi un véritable plaisir de jeu chez ses 6e comme ses 3e grâce aux cartes de Bad Power : « Ahahah ! C’est trop bien, je vais gagner c’est sûr ! » Utiliser sa carte « pouvoir » au bon moment apporte une vraie réflexion stratégique sur les zones de jeu au badminton.

Les enseignants de notre équipe de recherche ont tour à tour été chercheurs, designeurs, expérimentateurs, évaluateurs, conférenciers. Une vraie richesse en termes de postures et de comportements ! Anne traduit cette posture de lâcher-prise par : « Observer mes élèves jouer a permis d’effacer les doutes que j’avais sur certains. »

Les enseignants ont développé davantage de confiance envers eux-mêmes grâce à la prise de risque et aux retours positifs de leurs élèves. En témoigne l’enthousiasme des élèves de Cédric et Bertrand : « c’est un jeu très poussé », « ce serait super d’en refaire », « la complexité est intéressante ».

Les enseignants participants sont disposés à impliquer leurs classes dans l’évaluation d’une séance, à mutualiser et partager entre pairs le fruit de leur travail. C’est dans cette dynamique vertueuse que de nouvelles compétences professionnelles sont apparues progressivement.

Et après ? Notre ambition serait de pouvoir poursuivre la recherche dans un nouveau cycle de deux ans et de l’élargir en impliquant les enseignants participants. Certains d’entre eux utilisent déjà les outils créés lors de la recherche-action pour former leurs collègues en formation initiale et continue.

Nous souhaiterions développer un kit pédagogique auprès d’une communauté élargie d’enseignants, ou de « rolicartes » qui seraient comme des mécanicartes [3] pour les rôles dans les jeux pédagogiques. Cet outil, ou plutôt cette boite à outils, leur permettrait d’intégrer un jeu avec des rôles en classe. La première année serait consacrée au développement de ce kit. La seconde année porterait sur son expérimentation par des enseignants volontaires.

Affaire à suivre…

Laurent Foucher ; Enseignant et formateur à l’Isfec Bretagne

Pauline Kimmel-Gomy, Désigner interactif et animatrice pédagogique de la licence générale informatique parcours jeu vidéo du Cnam Enjmin

Licence : CC by-nc-nd

Notes

[1Joëlle Morrissette, « Recherche-action et recherche collaborative : quel rapport aux savoirs et à la production de savoirs ? » Nouvelles pratiques sociales n° 25(2), 2013, p.35–49. https://doi.org/10.7202/1020820ar

[2Processus par lequel un game designer teste un nouveau jeu pour détecter les erreurs et défauts de conception pour y apporter les corrections nécessaires.

[3Mécanicartes, cartes présentant des mécaniques de jeu créées par Prismatif et disponibles en ligne :

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