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Quelle éducation aux images à l’heure des réseaux sociaux ?

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Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd

Dans un monde saturé d’images, il y a en effet urgence pour que, face à elles, nos réponses dépassent l’émotionnel. En effet, sans guide d’analyse, c’est la fascination qui l’emporte, d’autant que les images, sorties de leur contexte, deviennent virales ce qui rend leur évaluation extrêmement difficile. Toutes les manipulations sont alors possibles sachant que chacun peut désormais au quotidien non seulement regarder des images, mais aussi à les reproduire et à les diffuser.

« Les individus d’aujourd’hui sont à la fois des regardeurs et des regardés mais également des producteurs et des diffuseurs d’images, surtout les plus jeunes. En d’autres termes, ils voient et sont vus mais, surtout, ils voient et ils montrent, créent des photos, des vidéos qu’ils aiment partager. […] Le citoyen devient le complice d’une société qui montre à tous ceux qui veulent voir », résume le sociologue Jocelyn Lachance dans Les images terroristes, la puissance des écrans, la faiblesse de notre parole.

Jocelyn Lachance, « Les images terroristes » (éditions Erès).

Et même si la loi de prévention de la délinquance (2007) prend en compte ces différentes formes d’interactions en punissant « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine », le problème tient d’abord à ce que les enfants, et beaucoup d’adolescents, ne sont pas capables de distinguer ces images.

La compréhension, au double sens que lui donnent l’étymologie de « prendre ensemble » (le latin cum-prehendere) et le sens commun, implique de s’intéresser aux motivations des auteurs de l’image, d’entrer dans leurs modes de pensée et d’action, et cette compréhension est nécessaire pour pénétrer l’espace symbolique, à la fois ouvert et résistant du savoir.

L’école a un rôle à jouer pour initier les jeunes à cette approche réfléchie des images, d’autant que de plus en plus de très jeunes enfants, dès l’âge de 6 ans ou 7 ans d’après l’étude de l’institut de sondage YouGov sur les habitudes de la génération alpha), sont exposés aux réseaux sociaux. Les images surgissent sur leurs écrans de manière inopinée et les jeunes les consomment et les relayent sans distinction, sans évaluer les messages qui s’offrent à eux et sans prendre en compte les conséquences de leur partage.

Ce que fait l’école

L’Éducation nationale a fait de l’éducation aux médias et aux images une priorité avec la création de ressources pour aider les enseignants à interroger la presse et les images. Le Centre pour l’éducation aux Médias et à l’Information (CLEMI), par exemple, diffuse des fiches pédagogiques pour « permettre aux élèves d’apprendre à lire, à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie ».




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Dans ce cadre, de nombreuses classes participent à des ateliers lors de la Semaine de la presse, où les jeunes rencontrent des journalistes, montent des émissions de radio, décryptent des « unes »… Mais toutes ces actions tendent à dissocier le « i » de « information » avec le « i » de « image ». Cela tient sans doute, en partie, au poids du verbal dans l’institution.

L’image à l’école reste encore en rupture avec les normes de l’enseignement et de la pédagogie classique, basée surtout sur l’écrit où il y a « prédominance des signes et des discours sur l’expérience directe et […] de l’intelligence abstraite sur les savoirs pratiques », ainsi que l’expliquent les chercheuses Christine Delory-Momberger et Béatrice Mabilon-Bonfils.

Il faut aussi prendre en considération la place ambiguë de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) dans la formation initiale des enseignants, notamment du premier degré, sachant que l’EMI n’est pas considérée comme un objet d’enseignement à part entière et que la pratique artistique a presque complètement disparu des maquettes de formation.

L’éducation à l’image doit toutefois revenir à sa valeur d’image ou, pour le dire autrement, s’éloigner des compétences linguistiques constamment ramenées en avant, parce que jugées essentielles à l’insertion professionnelle des jeunes. Par ailleurs, la polysémie de l’image est encore souvent mise de côté alors qu’il s’agit d’un système dont les subtilités communiquent des façons de voir, de savoir, de comprendre, mais aussi parfois de ne pas comprendre…

L’impact des images sur nous et nos enfants, interview de Serge Tisseron.

L’image offre des pistes tout en laissant libre de tirer ses propres conclusions et les enseignants – traditionnellement détenteurs du savoir – sont gênés par cette perte de contrôle. Or l’ouverture de l’école à cet univers a des implications proprement « politiques », permettant à l’altérité de devenir sensible, et participant en cela à cette éducation à la citoyenneté essentielle à une vie en démocratie.

Comprendre par la pratique

Le CLEMI préconise d’autres entrées que langagières : par la pratique, en indiquant que c’est en faisant des images qu’on apprend à les comprendre. Dans ce cas, l’image devient une méthode pour aborder l’image dans son « altérité » fondamentale. Et si l’école n’a pas toujours l’envie et l’habitude de le faire, il est indispensable qu’elle s’y mette dans la mesure où aujourd’hui, pour le plus grand nombre d’enfants, c’est le seul lieu où cette éducation peut se faire. C’est la position d’Alain Bergala qui participe à l’instauration du plan Lang pour les arts à l’école dans les années 2000. Pour lui en effet « [L’école] se doit de le faire, quitte à bousculer ses habitudes et sa mentalité ».

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Il défend cette dimension expérimentale du faire ou « Learning by doing », qui permet de comprendre les codes visuels en actes, en les testant concrètement. Mais cette méthode est en décalage avec une école chargée, comme le rappelle la philosophe Blandine Kriegel, dans son étude des droits des citoyens, d’un rôle « d’inculcation de valeurs communes ».

Les enseignements très égalisateurs sont en effet structurés à partir d’un « socle commun de compétences et de connaissances (SCCC), et d’une « culture commune ». Et la transmission de savoirs communs, partagés avec les individus qui composent la communauté, a une fonction directement sociale et politique, l’État y joue sa pérennité et on comprend que cette mission d’unité et de cohésion soit au cœur des « éducations nationales ».

Or, toujours selon les sociologues Christine Delory-Momberger et Béatrice Mabilon-Bonfils cette « conception politique du savoir et de son statut dans l’édifice éducatif et pédagogique français » connait un certain nombre de difficultés depuis une quarantaine d’années. « L’école du savoir », qui définit par excellence l’école de la République, postule de fait un modèle universaliste et rationaliste construit sur un principe d’homogénéité et d’unité touchant à la fois le savoir et l’enseignement, l’élève et l’apprentissage. Et c’est bien ce modèle qui est de plus en plus souvent mis en échec dans l’école française actuelle.

Une éducation citoyenne

À l’heure de la désinformation et des fake news, l’éducation à l’image par la pratique permet aux enfants de s’approprier ce médium de manière singulière, sans accepter passivement une interprétation donnée une fois pour toutes. Elle introduit cette « indiscipline » inhérente aux savoirs émergents, non encore finalisés et instables, à l’écart des écoutes déférentes et en dehors des connaissances et des savoirs établis.

Cette pratique est parfois risquée dans la mesure où elle peut donner lieu à des associations inattendues et parfois violentes. Mais elle offre un espace dynamique d’expérimentation adapté à une réalité toujours en mouvement. Cet espace d’exception où la transmission passe par d’autres voies que le discours et le savoir – parfois sans discours du tout – est idéal pour se frotter à des informations qui sont comme des organismes vivants.




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Cette transmission en groupe-classe rompt enfin avec la découverte de plus en plus solitaire des images sur Internet. Elle conduit à questionner la façon dont ce que nous recevons détermine nos choix et nos actions et développe des savoirs sources d’engagement réfléchi. Elle empêche l’adhésion, sans distanciation qui conduit à accepter et à reprendre les messages sans interprétation.

Face aux images, il faut apprendre aux enfants à se décentrer en introduisant une pluralité de points de vue, en questionnant leur nature d’extraits isolés d’une histoire complexe et en interrogeant leur pouvoir de domination. Malheureusement, les enseignants se sentent encore très mal à l’aise pour introduire cette éthique du regard en discutant des pratiques informationnelles et médiatiques avec les élèves. En effet, eux-mêmes n’ont pas été éduqués aux médias et à l’information et ils sont paralysés à l’idée de gérer des difficultés liées à des questions vives de société.

Pourtant il faut accepter de faire entrer dans l’école l’univers informationnel des adolescents d’aujourd’hui parce que « ne pas savoir initier un regard à sa propre passion de voir, ne pas pouvoir construire une culture du regard, voilà où commence la vraie violence à l’égard de ceux qu’on livre désarmés à la voracité des visibilités », selon les mots de la philosophe Marie-José Mondzain.

The Conversation

Geneviève Guétemme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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