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Comment associer citoyens et experts aux décisions politiques ?

Un article repris de https://theconversation.com/comment...

Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd

La récente affaire McKinsey, du nom du cabinet de consultants auquel plusieurs ministères ont eu recours ces dernières années, témoigne du recours massif de l’État, mais aussi des collectivités territoriales, à ceux que l’on nomme les experts. Dans le cas de McKinsey, une des causes de la polémique tient au coût jugé élevé de la prestation au regard du service apporté. Les responsables politiques se défendent en invoquant le caractère toujours plus technique de certaines décisions ou les lacunes propres des services publics.

Divers domaines clefs ont recours à l’expertise extérieure, notamment académique comme pour la gestion de la crise liée au Covid, très médiatisée. Le secteur de l’éducation aussi.

Or cette place grandissante faite aux experts interroge les citoyens, qui comme le montre la recherche, peuvent eux aussi se révéler experts dans la construction des politiques publiques mais sont moins sollicités.

L’Éducation nationale en exemple

Dans le secteur éducatif par exemple, depuis une quarantaine d’années, chaque ministre met en place un conseil scientifique pour préparer ses réformes. Économistes, sociologues, chercheurs en sciences de l’éducation, psychologues, neuroscientifiques sont mobilisés pour contribuer à la construction des décisions. Ce fut notamment le cas avec Jean-Michel Blanquer, ministre sous le premier quinquennat Macron qui avait mis en place le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN).

Prenons un cas précis, celui du redoublement. Les décideurs, sur la base d’études scientifiques, tendent à limiter ou faire disparaître le redoublement du fait qu’il serait injuste socialement et inefficace, mais aussi coûteux. Pourtant les enseignants eux voient dans le maintien du redoublement la possibilité d’accroître leur autorité ou encore de gérer l’hétérogénéité des classes

Quand les décideurs politiques voient dans la suppression du redoublement une réduction des flux d’élèves dans le système éducatif, donc une économie de moyens, les parents peuvent également souhaiter ne pas se voir imposer ce redoublement, mais ils peuvent aussi vouloir conforter les acquis de leur enfant afin qu’il puisse accéder à des filières qui exigent de « bonnes moyennes ». Ici, les problèmes tels que se les posent les acteurs politiques ne sont pas ceux que se posent les acteurs opérationnels ou les usagers du service public.

Enfin, comme le notent les chercheurs en sciences de l’éducation Guy Lapostolle et Xavier Riondet les acteurs opérationnels, notamment les enseignants, résistent souvent aux recommandations politiques qui sont fondées sur des connaissances majoritairement fabriquées par la science.

Une désaffection pour la vie politique

Ce recours toujours plus fréquent à des experts dépossède les citoyens de la possibilité d’agir sur les décisions qui les concernent. Se sentant moins entendues par les élites politiques, moins associés aux décisions, les citoyens se sentent aussi moins investis dans la vie politique.

Les taux d’abstention croissants aux élections,notamment chez les plus jeunes pourraient être les révélateurs de ces différentes manières d’envisager ou plus exactement de construire les problèmes politiques.

Alors, comment faire en sorte de redonner la parole aux citoyens, comment entrer dans cette forme de partage et d’exercice du pouvoir qu’est la démocratie participative ?

Des philosophes, des sociologues, des chercheurs en sciences politiques proposent un certain nombre de réflexions et d’études qui peuvent nous aider à penser ce problème. Le philosophe allemand Jürgen Habermas a établi l’idée d’un espace public de délibération. Il s’agirait de concevoir un lieu de politique participative et des conférences dans lesquelles seraient présents des scientifiques et auxquelles tous les citoyens pourraient participer : soit en répondant à des questions, soit en posant leurs propres questions.

Politique participative et conférences citoyennes

La confrontation entre chercheurs et citoyens permettrait de faire émerger des problèmes mais également des décisions politiques susceptibles de prendre en compte à la fois les connaissances produites par les chercheurs mais également les réalités auxquelles sont confrontés les citoyens.

Dans le domaine de l’environnement, de nombreuses recherches montrent l’intérêt de ces modalités de travail. La prestigieuse revue Nature a d’ailleurs recensé en 2018 tous les bénéfices que les sciences avaient jusque-là pu tirer de cette confrontation/collaboration entre scientifiques et citoyens.

Les conférences citoyennes pourraient partir du principe que tout citoyen peut se faire un avis argumenté s’il prend le temps de s’informer et s’il peut avoir accès à la pluralité des manières de voir. Elles feraient appel au pari de l’intelligence collective. Notre société peut apprendre sur elle-même par la délibération, la réflexion et le travail collectifs. Ces conférences pourraient s’étendre sur plusieurs mois et réuniraient tous ceux qui sont intéressés par une question. Les conférences citoyennes, sur le modèle danois réunissant des citoyens (et pas des professionnels) pour accompagner un processus politique n’ont pas vraiment été mises en œuvre en France sauf de manière anecdotique réunissant une vingtaine de personnes sur des questions écologiques ou au niveau local.

Sortir de la science confinée

Les modalités de production des connaissances que ces sciences mettent en œuvre sont cruciales. En effet, pour que les connaissances scientifiques puissent prétendre à une certaine objectivité, la parole et l’expérience des professionnels et des usagers de l’école sont bien souvent mises à distance du processus de construction de ces connaissances. Or, cette objectivité de la science est fondée sur une « rupture épistémologique » ainsi que le formulent les sociologues Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron. Ils affirment que pour produire une connaissance réellement scientifique sur un fait social, il faut dans le processus de construction de cette connaissance, mettre à distance les opinions qui pourraient conduire à des interprétations erronées.

C’est à cette condition que la connaissance produite peut prétendre à une certaine objectivité. Par exemple, les évaluations externes en éducation, fondées sur des études statistiques, sont présentées comme plus objectives que les avis des enseignants. Le travail scientifique est en quelque sorte un travail de décontamination de toutes les opinions potentiellement néfastes à la construction des connaissances scientifiques.

Cette conception de la science est sans aucun doute féconde mais elle présente un inconvénient majeur pour être immédiatement utile politiquement. Les problèmes soulevés par cette science ne font pas nécessairement sens pour ceux qui ont à mettre en œuvre les réformes, ni pour les usagers de l’école.

Les sociologues Guy Paillotin, Michel Callon, Pierre Lascoumes, Michel Berry évoquent à ce sujet une recherche « confinée » qui s’oppose à une recherche de « plein air ». Vivant en vase clos, les chercheurs ne prennent pas l’exacte mesure des enjeux qui préoccupent leurs contemporains.

Créer des cercles d’intéressement

Depuis une dizaine d’années, les sciences participatives impliquant des « non-scientifiques-professionnels » ont connu une évolution rapide : augmentation du nombre de projets de recherche et croissance du nombre de publications scientifiques afférentes. Les sciences participatives sont des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non scientifiques professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, contribuent de façon active et délibérée.

Il s’agit de créer des liens entre savoirs issus de la recherche, pratiques sociales et politiques publiques. La question se pose avec une particulière acuité dans toutes les sciences humaines et sociales et tout particulièrement en sciences de l’éducation et de la formation.

Une démarche originale peut être pensée, fondée sur la notion de « cercle d’intéressement ». L’idée de cercle d’intéressement est issue de la sociologie de la traduction. Pour le sociologue Michel Callon, la réussite d’une découverte scientifique tient plus à l’intérêt qu’elle suscite auprès des acteurs intéressés par cette réussite qu’à sa valeur épistémologique intrinsèque. Il en est de même dans le domaine des innovations techniques. Madeleine AKrich, Michel Callon et Bruno Latour montrent, en s’appuyant sur des cas historiques, que l’accueil réservé par les acteurs intéressés à une innovation technique a toujours été déterminant pour le succès de cette dernière.

Ce concept transféré dans le domaine de la politique pourrait nous conduire à définir le cercle d’intéressement en ces termes : un cercle d’intéressement est un lieu dans lequel tous les acteurs concernés – et pas seulement les scientifiques – par une décision potentielle sont invités à en débattre afin de la reconfigurer, de sorte que leurs propres intérêts soient pris en compte dans la version finale et définitive de la décision. Ce concept de cercles et qu’ils soient véritablement producteurs de politiques publiques partagées.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

Licence : CC by-nd

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