Marie Bluteau,
Centre National Pédagogique et de Ressources des MFR, Association Nationale pour la Formation et la Recherche pour l’Alternance,
La loi, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », au-delà d’affirmer le rôle de chacun dans sa trajectoire, (re)donne une place à la formation en situation de travail et affirme l’opportunité de se saisir de la formation à distance pour évoluer quel que soit son âge. Le contexte sanitaire mondial participe à une mise en avant d’expériences pédagogiques de l’urgence qui invitent à approfondir les investigations (Caron, 2020), (Peraya & Peltier, 2020).
Dans cette actualité, les Maisons Familiales Rurales expérimentent l’intégration de formation à distance au sein de leurs dispositifs de formation par alternance. En effet, l’introduction du numérique dans les formations n’est pas sans questionner en quoi une mise à distance de certaines activités d’apprentissage influencerait leur mise en œuvre (Charlier et al., 2006), les interactions vécues (Jézégou, 2010) et leurs effets (Lebrun et al., 2014). Ces questionnements et recherches, partagés entre tous dispositifs, semblent accrus ou complexifiés compte tenu de la nature hybride initiale des formations par alternance. Celles-ci étant, en effet, originellement fondées sur une pluralité d’espaces temps et d’acteurs au service de la formation. Notre recherche se focalise ainsi sur les reliances permises par les dispositifs hybrides par alternance sur leurs concepteurs.
Engagée dans notre terrain de recherche, nous avons pu, dans le cadre d’expérimentations passées, constater d’isolement des initiateurs de changement au sein de leur organisation. Nous envisageons que les dispositifs de formation par alternance intégrative prescrivent des reliances à la fois pour les alternants mais également pour leur initiateur. C’est pourquoi, dans un premier temps, il nous a été nécessaire de produire un cadre de lecture de ces dispositifs et de leur contexte d’émergence, puis de questionner les liens vécus par leurs initiateurs au travers des activités et instrumentations mises en œuvre.
Dans une première partie nous explorons les recherches sur les profils d’identités situées, les dispositifs hybrides, à distance et par alternance, puis les reliances. La seconde partie revient sur les investigations empiriques. Nous présentons enfin les résultats et l’analyse de ces investigations du point de vue de la reliance professionnelle.
1 Etat des recherches et cadre théorique mobilisé
Considérant les dispositifs étudiés comme innovants, nous avons mobilisé différents cadres de lecture. Tout d’abord les profils de ces initiateurs, puis les dispositifs et enfin les reliances.
1.1 Les profils des initiateurs
Situé dans les théories de l’innovation, Rogers (1962) identifie différentes catégories d’usagers ou de consommateurs en fonction de la manière dont ils se saisissent d’une innovation lorsqu’elle est diffusée. Il propose une courbe mettant en évidence la diffusion d’une innovation technologique (Rogers, 1962). Cette approche a été approfondie par Moore dans « crossing the chasm » (Moore, 2014). Il présente un cycle d’introduction des innovations. En écho à l’approche de Moore, la méthode CAUTIC, Conception Assistée par l’Usage pour les Technologies, (Mallein &Peyrin, 1998) est une classification des types de client dans le domaine de la gestion de projet. Cette méthode définit quatre profils d’utilisateurs. En 2013, il identifie quatre profils d’identité située par rapport aux NTIC (Mallein et al., 2013) ; les « fan », les détracteurs, les utilisateurs, les humanistes. Cette identification de profil nous parait intéressante pour mieux situer les acteurs et leurs rapports aux nouvelles technologies. Nous la complétons par celle de Forest (1999). Nous mobilisons deux cadres complémentaires pour identifier le rapport à l’innovation et le rapport aux technologies des initiateurs.
1.2 Vers un cadre de lecture des dispositifs de formation par alternance hybrides
1.2.1 Le dispositif dans l’organisation
Nous prenons appui sur les travaux de Chalier et al. (2006) pour situer les dispositifs de formation dans leur institution :
- L’enclave comme un dispositif innovant qui correspond à l’enkystement présenté ci-dessus. Il développe des pratiques en rupture avec l’institution mais n’affecte pas l’organisation qui « l’héberge ».
- La tête de pont est un dispositif qui, malgré le fait qu’il soit en rupture avec l’institution, possède des effets sur celle-ci.
- La « pratique ancrée » correspond au dispositif totalement intégré dans l’institution pour lesquelles les pratiques sont ou sont devenues les pratiques dominantes.(Charlier et al., 2006, p.480)
Cette approche des dispositifs innovants dans l’organisation nous permet de situer leur place dans leur contexte.
1.2.2 Le dispositif
Albero (2010) considère que « Le dispositif est l’instrument d’une intention (politique, économique, culturelle éducative, thérapeutique, judiciaire, religieuse), conçu dans une visée de conformation, positive ou négative, du sujet individuel aux intentions par les objets techniques contemporains et l’usage dominant qui en est fait » (Albero, 2010, p.54). Elle identifie une approche ternaire du dispositif de formation combinant à la fois le dispositif idéel, fonctionnel et vécu. Paquelin (2009) distingue différents états : prescrit, perçu, prévu et vécu. L’état prescrit correspond au dispositif tel qu’il est conçu par leur créateur et porteur d’une prescription ou intention d’usage.
Nous retenons que le dispositif est un construit qui articule des éléments techniques, symboliques et relationnels au sein duquel les acteurs et leurs activités sont centraux. Nous faisons le choix de conserver l’approche d’Albero (2010). Ainsi, nous considérons que le dispositif est une combinaison sans cesse actualisée par les dispositions des acteurs et porteur de prescriptions implicites.
1.2.3. Les dispositifs hybrides
Charlier et al. (2006) précisent que les dispositifs hybrides intègrent un environnement techno-pédagogique et mobilisent des médiations et médiatisations. A la suite de ces travaux, le collectif Hy-sup propose une définition d’un dispositif hybride de formation (Lebrun et al., 2014) composé de 14 composantes réparties en 5 dimensions : l’articulation présence distance, la médiatisation, la médiation, l’accompagnement et l’ouverture. Ces 14 composantes permettent de définir une typologie des dispositifs hybrides selon 6 configurations : 3 centrées sur l’enseignement (Type 1 à 3 ), 3 sur l’apprentissage (Type 4 : l’équipage, Type 5 : le métro et Type 6 : l’écosystème).
Cette étude pose les premières caractéristiques de ce type de dispositifs. Cependant, nous considérons ce cadre incomplet au regard des particularités des formation par alternance.
1.2.4 Les dispositifs hybrides et par alternance
Notre travail de recherche se situe dans le cadre d’une alternance qualifiée d’intégrative (Bourgeon, 1979). Celle-ci s’appuie sur les liens qui s’y construisent entre les espaces temps de formation, l’expérience et les savoirs, les acteurs.
Nous identifions les ruptures et continuité des espaces temps de formation, ses temporalités, l’expérience et la production de savoirs dans le processus spiralaire d’apprentissage et d’articulation théorie/pratique comme des composantes de ces dispositifs (Pineau, 2000) (Bougès, 2013) (Gérard, 2000) (Geay, 2002) (Lerbet, 1993) (Chartier, 1982).
En complément Boudjaoui et Leclercq (2014) rappellent le caractère ensemblier des dispositifs de formation par alternance et proposent une structuration des sous dispositifs fonctionnels : partenariat, travail, ressources, accompagnement, production de savoirs.
En prenant appui sur les travaux du collectif Hy Sup, mais aussi sur les recherches plus spécifiques sur les dispositifs alternés (Boudjaoui & Leclercq, 2014), nous proposons un cadre de lecture des dispositifs hybrides de formation par alternance (Bluteau, 2020).
1.3 Reliances et formation
1.3.1 Reliance
La reliance, définit en tant que reliance sociale, est « la création de liens entre des acteurs sociaux séparés, dont l’un au moins est une personne » (Bolle de Bal, 2003). Relier étant l’acte de « créer ou recréer des liens, établir ou rétablir une liaison entre une personne et soit un système dont elle fait partie, soit l’un de ses sous-systèmes » (Bolle de Bal, 2003, p.103).
Dans une conception anthropologique la reliance est considérée à la fois dans sa dimension identitaire en tant que reliance à soi (reliance psychologique), solidaire en tant que reliance aux autres (reliance sociale), citoyenne en tant que reliance au monde (reliance culturelle, écologique ou cosmique) (Bolle de Bal, 2003).
Nous retenons que les reliances sont de triple nature (processus de médiatisation, structure de médiation, lien) et ne peuvent exister sans système médiateur qui les produisent. Celui-ci est soit un système de signes (langue, objets...) ou de représentations collectives (croyances, culture...) permettant les communications et les échanges, soit une instance sociale déterminant et modelant les rapports.
1.3.2 Reliance et alternance
Le concept de reliance est peu mobilisé en sciences de l’éducation, les recherches les plus récentes portent sur la reliance sociale et la confiance dans les dispositifs médiatisés (Bailly et al., 2018), (Plateau et al., 2019). A l’instar de Clénet (2016), nous identifions des enjeux de reliances/déliances potentielles aux différentes échelles des dispositifs de formation par alternance pour et entre ses acteurs. Aussi, c’est à partir de la conception anthropologique de la reliance (Bolle de Bal, 2003) que nous avons considéré les reliances sociale, personnelle et praxéologique dans les dispositifs de formation par alternance aux échelles micro et méso :
La reliance personnelle caractérise le processus, la structure et le lien qu’une personne établit avec les différentes instances de sa personne. Elle comprend la reliance à soi, psychologique, identitaire.
La reliance sociale caractérise le processus, la structure et le lien qu’une personne établit avec les autres, qu’ils soient des individus ou des groupes.
La reliance praxéologique caractérise le processus, la structure et le lien qu’une personne établit avec ses pratiques.
Nous nous focalisons sur les concepteurs des dispositifs hybrides de formation alternée.
1.3.3 Reliance professionnelle
L’alternance fait partie des dispositifs « finalisés par des intentions de professionnalisation » (Clénet, 2016). Fernagu-Oudet précise que cette alternance peut être apprenante car « porteuse d’effets retours pour ceux qui la conçoivent, l’animent et l’évaluent, la vivent et la font vivre » (2010, p.93). Cette dimension de professionnalisation peut être considérée comme un des effets des reliances perçues par les formateurs engagés dans ces dispositifs. Cette conception de la reliance professionnelle rejoindrait alors les travaux engagés sur la professionnalisation (Wittorski, 2008) (Wittorski, 2009) et sur le développement professionnel (Lameul et al., 2014).
Dans le cadre de cette étude, nous cherchons à identifier les reliances professionnelles perçues par les initiateurs des nouveaux dispositifs de formation. Cette reliance professionnelle se compose de reliances sociale, personnelle et praxéologique. Nous considérons la reliance professionnelle davantage comme une combinatoire des trois précédentes. Nous identifions des indicateurs de celles-ci au travers des liens perçus par les acteurs. Pour ce qui concerne la reliance sociale dans le cadre professionnel, nous retenons la collaboration avec l’équipe pédagogique, la reconnaissance de son action et le développement de nouvelles relations. Pour la reliance personnelle en lien avec l’activité professionnelle, nous considérons la motivation professionnelle, le sentiment d’efficacité personnel, le sentiment de congruence. Enfin, pour ce qui concerne le reliance praxéologique, nous retenons la perception des évolutions de ses pratiques professionnelles, de ses réflexions sur ces pratiques et des relations dans le dispositif.
2 Question de recherche, hypothèses et investigations
Nous proposons ici les questions de recherche, hypothèses, puis, la méthodologie utilisée.
2.1 Question de recherche et hypothèses
Dans le cadre de l’organisation nationale des MFR, nous avons identifié une stratégie visant à initier des expériences de conceptions et usages du numérique intégrés dans une pédagogie de l’alternance (Bluteau, 2020). Dans le cadre de cette recherche nous nous focalisons sur les dispositifs hybrides et par alternance. Nous choisissons de nous centrer sur les initiateurs de ce type de dispositifs afin d’identifier en quoi cette mise en œuvre favoriserait ou non une reliance professionnelle.
Nous envisageons que les dispositifs hybrides de formation par alternance, en fonction de leurs caractéristiques et contexte d’émergence, produisent des reliances pour les acteurs qui les conçoivent. Ainsi, ce serait parce que l’initiateur du dispositif y trouve un intérêt qu’il continue de produire et de maintenir le dispositif. Nous supposons ici qu’un des intérêts perçus est celui d’une reliance professionnelle. Ce serait parce que l’initiateur du dispositif a créé certains liens sociaux, praxéologique ou personnel qu’il donne du sens à son action, qu’elle représente un gain pour lui et qu’il la maintient dans la durée.
Notre travail de recherche s’articule donc autour de la reliance professionnelle vécue par les initiateurs des dispositifs au travers de la conception de ceux-ci à la fois dans son acception sociale, praxéologique et personnelle. Dans la partie suivante, nous présentons la méthodologie d’investigation.
2.2 Méthodologie
Nous avons tout d’abord identifié les MFR mettant en œuvre des dispositifs hybrides de formation par alternance. Pour cela nous avons questionné les participants à nos activités de formations, les usagers du LMS national et les fédérations. Cette investigation a permis de repérer 18 MFR début 2020.
Nous avons construit notre travail de recherche dans une logique mixte à des fins de triangulation méthodologique (Mucchielli, 1996). Ainsi, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès d’initiateurs ayant répondu positivement à notre sollicitation. Ces entretiens portaient sur les origines du dispositif, sa conception, sa mise en œuvre et la perception de ses effets. A l’issue des entretiens, nous utilisons une forme de questionnaire pour collecter des données majoritairement quantitatives pour lesquelles nous réalisons un traitement qualitatif.
La population questionnée est composée de 13 initiateurs de dispositifs de formation hybrides et par alternance au sein des MFR. Chaque entretien s’est déroulé à distance pendant la période du premier confinement français. 11 initiateurs ont répondu au questionnaire. Nous prenons appui sur le cadre de lecture de la reliance professionnelle structuré autour de trois reliances : sociale, personnelle et praxéologiques. Dans le cadre de cette étude, nous nous focalisons sur les reliances perçues.
Pour analyser les données collectées, nous avons réalisé un traitement des entretiens et des questionnaires dans un premier temps. Puis nous avons assemblé les données dans une fiche de cas reprenant la lecture du contexte (émergence, stratégie, profil des initiateurs) et la reliance professionnelle perçue par les initiateurs. Chaque fiche rédigée, nous avons pu faire des croisements pour l’analyse.
3 Résultats
Nous présentons les résultats concernant le profil des initiateurs, les dispositifs et les reliances perçues.
3.1 Profils des initiateurs et place des dispositifs
Même s’il parait difficile de mettre des personnes « dans des cases », les indicateurs des profils nous permettent de positionner a posteriori les initiateurs, au regard de leurs propos sur le changement et sur le rapport aux NTIC. La majorité de la population se situe dans une position soit « utilitariste » par rapport au numérique soit « Fan ». Parmi les fans, personne qui présente le plus grand enthousiasme par rapport au numérique, notre population est composée de passionnés ou de pragmatiques en ce qui concerne les innovations. Dans le même temps le groupe des utilitaristes est plus hétérogène, car il comprend à la fois des passionnés, des pragmatiques et des suiveurs par rapport à l’innovation. Ce sont d’ailleurs ces suiveurs qui se situent également dans des dispositifs qualifiés d’enclavés au sein de leur organisation.
Nous observons que 8 des 13 dispositifs de formation ont été créés les trois dernières années. Le phénomène s’accélère, cela nous invite à la prudence quant à l’interprétation de la place du dispositif dans l’organisation.
- 4 dispositifs « enclave » (nombre restreint de personnes mobilisées, faible volume d’activité, faible volonté de développer ces dispositifs au sein de l’organisation).
- 5 dispositifs « têtes de pont » (stratégie de développement affirmée par l’organisation, initiateurs passionnés ou pragmatiques avec une mission, équipe mobilisée).
- 4 dispositifs ancrés (majoritairement plus anciens, équipe plus nombreuse, d’autres dispositifs de même type sont développés dans l’organisation).
Dans les entretiens, nous percevons le caractère d’infusion ; même si le dispositif ne fait pas l’unanimité, de nouvelles idées émergent, en lien avec cette expérience. Ici, la petite taille des organisations semble être un élément particulièrement favorable à ce transfert. Au-delà, nous notons également que pour les dispositifs ancrés, les stratégiques politiques et hiérarchiques semblent favoriser leur déploiement dans l’organisation. Les dispositifs qui constituent notre panel montrent un effet d’ancrage avec le temps. Plus le dispositif est ancien plus il semblerait s’ancrer. Nous identifions que le profil de l’initiateur semblerait lié à la place du dispositif dans l’organisation.
3.2 Caractéristiques des dispositifs
Nous pouvons considérer qu’une des caractéristiques d’un dispositif de formation par alternance hybride est la mobilisation de trois espace-temps de formation : la formation en présence, à distance et sur le terrain socio-professionnel. Dans une description générale des dispositifs, nous mettons ici en évidence leur répartition au regard des catégories de l’étude Hy-sup (cf. Figure 1). Nous constatons de la forte représentation des dispositifs de type écosystème ou métro dans notre panel.
Type | Dispositif |
---|---|
Ecosystème | 1, 2, 4, 8, 10, 11 |
Métro | 6, 7 |
Ile | 3, 13 |
Figure 1 : Les dispositifs étudiés au regard de la typologie Hy-sup
Après cette rapide description des dispositifs, nous abordons plus spécifiquement les éléments collectés au travers de notre cadre de lecture.
3.3 Sur la reliance professionnelle
3.3.1 Du point de vue de la reliance sociale
Nous avons cherché à identifier le lien social que les initiateurs avaient perçu au travers de la conception et mise en œuvre du dispositif. Pour ce faire, nous avons pris appui sur trois indicateurs : les relations avec leurs collègues, la reconnaissance et le développement de nouveaux liens.
Pour ce qui concerne les relations avec les collègues et leur équipe pédagogique, nous constatons un double discours :
- D’une part une forme de reconnaissance des actions plus ou moins importante par l’équipe. A minima, cette reconnaissance est restreinte à l’équipe engagée dans le dispositif, mais peut aussi être davantage partagée au sein de l’équipe de la MFR. Le renforcement du travail d’équipe et d’ingénierie pour les personnes engagées dans le dispositif est également affirmé.
- D’autre part, des freins, des réactions de replis, des résistances qui affectent plus ou moins les initiateurs en fonction de leur place dans le dispositif et leur engagement dans son développement. Ici, nous percevons clairement la dimension sociale de l’innovation.
Les initiateurs perçoivent certaines reconnaissances à la fois au travers des retours des alternants, dans la dimension pédagogique, mais également par la gouvernance en termes de développement de l’organisation ou des collègues pour le soutien qu’ils apportent. Un des indicateurs de cette reconnaissance est l’évocation de missions, de postes et de responsabilités qu’ils sont nombreux à mentionner. Au-delà, les initiateurs identifient le développement de leur réseau soit dans la dimension locale avec les professionnels ou les autres organismes de formation de leur territoire, soit au sein de l’institution. La sollicitation faite, dans le cadre de cette recherche est également perçue comme une reconnaissance. Cette perception de reliance sociale est la moins homogène entre les différents initiateurs de dispositifs.
3.3.2 Du point de vue de la reliance praxéologique
La reliance praxéologique a été observée à travers les évolutions de pratiques pédagogiques, les réflexions sur ces pratiques et les perceptions des relations dans le dispositif. Nous notons que cette dimension est plus homogène que la précédente. Au travers des entretiens les initiateurs identifient des évolutions : d’ingénieries , d’animation pédagogique , de posture , d’accompagnement . Certains identifient des changements dans leur mise en œuvre de l’alternance : « je me dis que peut-être que j’exploite plus l’alternance qu’auparavant. Je l’exploitais déjà pas mal mais je pense que je l’utilise encore davantage avec la formation à distance. (...) je leur dis d’exploiter des expériences vécues. Peut-être que si je faisais uniquement du présentiel, je ne l’aurais pas fait de la même manière ou pas si systématiquement... (l412-419 entretien 8) ». Certains allant même à considérer que : « la marche d’après et j’en suis convaincu c’est qu’il faut qu’on réinvente l’alternance (L.544 entretien 10) ».
Enfin, dans une dimension plus réflexive, « en fait cela m’a fait faire moi un gros travail au niveau pédagogique et j’ai énormément appris. Je ne sais pas si je suis très bon aujourd’hui encore, mais je sais au moins analyser ma pratique, ça c’est pas mal quand même. Je suis capable de te dire : « voilà, sur telle séquence, j’ai fait telle chose cela a donné tel résultat. J’ai fait des erreurs et je peux l’améliorer ainsi. » Aujourd’hui j’ai cette autonomie là et ça, c’est bien (l.461-475 entretien 10) ».
La modalité « à distance » incite à questionner les mises en œuvre pédagogiques. Dans chacune des situations, l’intégration de cette nouvelle modalité entraine un renouvellement de ses pratiques, même dans les animations pédagogiques des autres dispositifs, non hybrides. Cependant, ces données mériteraient d’être affinées car les non réponses peuvent également représenter des perceptions complètement différentes de ces reliances. En effet, la perception par exemple, au travers de l’entretien 9, mentionne des retours concordants sur les évolutions de pratiques mais divergent sur la perception de la relation à distance.
L’émergence d’un tiers espace-temps de formation au sein des dispositifs renforcerait une nécessité de mobiliser différemment les ingénieries de formation et pédagogique ou de les reconstruire. L’intégration de ce nouvel espace-temps questionne les articulations et le construit du dispositif, incitant à davantage formaliser et rendre visibles et lisibles les intentions et le sens donné aux différentes activités.
3.3.3 Du point de vue de la reliance personnelle
Nous avons, ensuite, cherché à identifier la reliance personnelle qui avait pu se développer au travers de la création de ce type de dispositif. Les dimensions que nous avons plus particulièrement observées concernent à la fois la motivation professionnelle, le sentiment d’efficacité personnelle, la perception d’une cohérence avec ses propres valeurs.
Cette reliance est clairement perçue de manière la plus homogène parmi des trois observées. La motivation professionnelle est manifestement très forte, quel que soit le profil de l’initiateur, la place du dispositif dans l’organisation. Le sentiment d’efficacité personnel est également assez élevé. Ici, nous pouvons envisager que la durée de l’expérience pourrait avoir des incidences : « Il n’y a pas si longtemps que ça que je suis beaucoup plus sereine quand je débarque dans une formation à distance (l271-272 entretien 8) ». Le sentiment de cohérence avec ses propres valeurs ou celles de l’institution semblent également partagée.
Il semblerait que cette perception de reliance soit davantage liée au fait même de concevoir et de mettre en œuvre le dispositif. Ainsi, cette dimension mettrait, peut être en évidence un caractère créatif, de conception, d’invention, qui, pour lui-même, entrainerait une satisfaction des initiateurs. Nous pouvons également considérer que cette perception de reliance serait à croiser avec les profils des initiateurs qui sont majoritairement des fans et des premiers adeptes et pour lesquels les convictions, l’intuition, l’attrait pour l’innovation et le numérique sont forts. Ainsi, la création du dispositif représenterait alors une mise en cohérence entre ses propres valeurs et celles de son institution. Ces ingénieries nouvelles permettant de davantage s’y retrouver, prendre une place active dans son développement et celui de la MFR.
4 Discussion
Nous avons envisagé que la création ou l’adaptation de dispositif de formation par alternance, selon des modalités hybride, permettrait le développement d’une reliance professionnelle composée de reliances sociale, personnelle et praxéologique. Nous avons constaté d’une forte perception de ces reliances.
Du point de vue de la reliance sociale, la conception et la mise en œuvre de ces dispositifs possède un caractère possiblement déliant pour son initiateur. Ce caractère clivant, au sein d’une équipe, est lié à l’aspect émergent et novateur qui peut également expliquer cette perception mitigée de reliance sociale par les initiateurs de dispositifs. En ce sens, il nous semblerait pertinent de pouvoir mener une étude de manière plus longitudinale. Nous pouvons en effet considérer que la place de l’initiateur dans l’organisation et la perception sociale du dispositif sont ancrés dans des moments, des cultures d’organisation et des stratégies qui sont évolutives. Sur un panel plus large, il nous semblerait important de croiser ces perceptions de reliance sociale, notamment avec l’évolution de la place du dispositif dans l’organisation.
Par rapport à la reliance praxéologique, par la nouveauté de l’intégration d’activités à distance, les initiateurs sont incités à questionner leurs ingénieries pédagogiques voire de formation et font évoluer leurs pratiques. Les possibilités offertes par la médiatisation, l’obligation de clarifier les intentions et de les formaliser pour les rendre plus lisibles favorisent la mise en évidence d’intentions, d’attendues qui, jusqu’alors, étaient davantage implicites. Nous constatons donc une forme de professionnalisation des initiateurs par le développement d’une pratique réflexive enrichie par de nouvelles situations professionnelles.
C’est la reliance personnelle qui est la plus fortement renforcée par la création de dispositif pour leur initiateur. Cette perception de reliance personnelle est liée à la création d’un nouveau dispositif, au profil de l’initiateur, à l’ingéniosité, la mobilisation de sa propre veille, de ses idées, compétences et convictions. Elle ne parait pas liée à la complexité de l’ingénierie. L’identité de l’initiateur, la créativité et la liberté de conception du dispositif, les retours des usagers et des personnes engagées participent de cette reliance personnelle.
Dans cette communication, nous avons précisé les cadres de lecture des identités des initiateurs, des dispositifs et de la reliance professionnelle. Nous avons ensuite présenté la méthodologie utilisée et les résultats qui révèlent des reliances professionnelles perçues par les initiateurs de dispositifs. Les différentes variables identifiées semblent effectivement avoir des relations. Ainsi, il semble que la stratégie de l’organisation ait des effets sur la reliance sociale de même que la place du dispositif dans l’organisation. De même, le profil de l’initiateur semble davantage en lien avec ses reliances personnelles. Cependant, une étude sur un panel moins réduit et de manière plus longitudinale permettrait de préciser ces premières constatations.
Ces nouvelles ingénieries pédagogiques représentent des occasions de nouvelles expériences professionnelles pour leurs initiateurs. Au travers de ces expériences, ils éprouvent de nouvelles pratiques et réflexions pédagogiques, apprécient d’expérimenter de nouvelles modalités qui leur permettent d’être davantage en cohérence avec leur intentions, intuitions et convictions pédago-éducatives. En fonction de leur contexte d’exercice, ces ingénieries nouvelles rencontrent, plus ou moins de reconnaissance et favorisent des reliances à soi et aux autres. L’ingénierie des dispositifs hybrides de formation par alternance représente, pour leur initiateur, des occasions de professionnalisation. Celles-ci seraient ainsi à étudier au regard de l’organisation, plus ou moins capacitante, le professionnel (profil, développement professionnel), le dispositif, les reliances vécues et leurs combinaisons. Au-delà, nous pouvons nous questionner sur les effets de ces reliances pour les personnes en formation qui habitent le dispositif.
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