Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Faire et se faire au moyen d’apprentissages formels, non formels, informels : le cas d’un dispositif pédagogique innovant de licence en sciences de l’éducation d’une université de l’est parisien

Lafont Pascal, Pariat Marcel, Deulceux Sandrine, Bacha Zohra
LIRTES - UPEC

Introduction

La recherche présentée été conçue à partir de la réponse à un appel à projets pédagogiques : « Investissements d’avenir », programme national du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui incite les universités à faire évoluer leur offre de formation pour améliorer la réussite des étudiant.e.s (Filatre, 2017) et relever les défis des enjeux de l’enseignement supérieur. L’incitation vise des approches pédagogiques nouvelles. « PROPULSE » est dispositif novateur initié dès la 1ère année de licence en sciences de l’éducation au sein d’une université de l’Est parisien ; aussi, constitue-t-il le terrain d’étude et d’observation d’une recherche conduite de 2018 à 2021 dans le cadre de laquelle il s’agit d’appréhender la manière dont les apprenants font, et se font, pour, et par leurs apprentissages formels, non formels et informels.

La formation mise en œuvre au sein du dispositif « PROPULSE » s’adresse chaque année à un groupe spécifique d’une trentaine d’étudiant.e.s ; il est composé de primo-entrant.e.s dans l’enseignement supérieur, peu favorisé.e.s, provenant de cursus variés et d’origines économique, sociale et culturelle diversifiées ; et, la formation a pour objectif la préprofessionnalisation aux métiers de l’éducation et du social, et pour finalité le développement de l’autonomie et de la responsabilité de chaque apprenant.e dans l’acquisition des savoirs et des compétences.

L’ambition est d’appréhender à la fois ce qui se passe du côté de la construction d’un dispositif de formation et d’apprentissage universitaire, et d’autre part ce qui se passe du côté de la construction des sujets étudiant.e.s en situation de formation et d’apprentissage universitaire. En effet, ces constructions/transformations (faire et se faire) semblent dans l’ensemble conjointes mais invisibles ; aussi, l’attention portera plus particulièrement sur les parcours d’expérience, l’art d’écrire son journal comme vecteurs de construction de soi tant sur le plan individuel que collectif.

Eléments méthodologiques et population d’enquête

La démarche méthodologique prend appui sur une étude longitudinale au cours de trois années (2018 à 2021), et elle s’apparente en partie à une recherche-action (Lewin, K. 1951 ; Barbier, R. 1996) qui vise l’analyse des effets des transformations des pratiques pédagogiques, des conditions et des limites de transférabilité à travers l’essaimage et la création de passerelles. La population d’enquête est composée de trois cohortes d’étudiant.e.s (90 en tout), 12 enseignant.e.s, et enseignant.e.s-chercheur.e.s, 4 responsables institutionnels.

La perspective méthodologique retenue emprunte en partie à la sociologie de l’intervention socio-pédagogique (Hess, 1981) et à l’ethnométhodologie de l’éducation (Coulon, 1993) dans la mesure où les postures des chercheur.e.s sont imprégnées de celles de l’observation participante à laquelle est associée une forme de contrôle au sens analytique du terme. Parmi les chercheur.e.s, il y a lieu de mentionner le responsable du dispositif et des enseignant.e.s et enseignant.e.s chercheur.e.s intervenant au sein du dispositif de formation, ainsi qu’un chercheur, observateur externe, extérieur la mise en œuvre du dispositif, qui peut de ce fait adopter une position d’observation distanciée ; cela lui permet d’inciter les membres de l’équipe à adopter une démarche distanciée et critique visant à leur faire prendre conscience de leur rôle pour qu’ils évoluent progressivement vers une posture de « praticien réflexif  » au sens où l’entend Schön (1983).

Outre des entretiens d’admission qui sont réalisés systématiquement avec chacun.e des candidat.e.s souhaitant être admis.e dans le dispositif, le protocole de recherche comprend l’analyse des journaux de formation individuels et des journaux d’apprentissages de chaque étudiant.e durant trois années, mais aussi l’analyse thématique des comptes rendus d’une quinzaine de réunions de l’équipe pédagogique, ainsi que celle d’une douzaine d’entretiens d’approfondissements conduits avec des apprenant.e.s étudiant.e.s et des enseignant.e.s, enseignant.e.s chercheur.e.s, et des séquences d’évaluation/bilan du dispositif avec les étudiant.e.s.

L’interprétation des résultats repose sur un triptyque conceptuel « innovation, apprentissages (formels, non formels, informels), transformation » qui prend notamment tout son sens par rapport à la relation à l’expérience telle qu’elle est traitée à travers l’écriture du journal de formation comme d’apprentissage.

I – Dispositif innovant

Le dispositif « PROPULSE » est porteur de perspectives nouvelles et affiche une volonté d’essaimer des pratiques inclusives en milieu universitaire. La pédagogie qui y est mise en œuvre relève d’une démarche pédagogique active, et les enseignements proposés sont conçus sur la base d’une architecture modulaire et pluridisciplinaire qui vise à développer l’autonomie et la responsabilité des sujets apprenants étudiants dans le rapport qu’ils entretiennent à l’apprentissage du savoir à travers l’écriture d’un journal.
Le journal, qu’il soit de formation ou d’apprentissage joue un rôle essentiel au sein du dispositif dans la mesure où il est appréhendé comme un outil de recherche et de formation de soi. Il peut en effet être gardé pour soi, mais il peut aussi être partagé avec des proches, les membres d’un groupe de pratique ou de référence. En notant ses expériences, y compris d’apprentissage, l’auteur se cherche et se forme dans un mouvement régressif-progressif qui lui permet d’approfondir son chemin (Hess, R. Mutuale, A., Caille, C., Comery, A-C., Gentes, D., 2016). C’est d’ailleurs pour cela que le journal prend appui sur l’histoire et le projet de chaque apprenant.e étudiant.e, ce qui lui permet, grâce à un accompagnement réflexif, de croiser les éléments expérientiels avec un corpus de textes d’auteurs référencés. C’est d’ailleurs pour cela que la démarche pédagogique vise le (re)positionnement des étudiant.e.s au cœur de leurs apprentissages. ; aussi, un accent la valorisation des apprentissages issus de l’expérience scolaire et sociale de chaque apprentant.e étudiant.e au moyen du journal de formation et ou d’apprentissage. Ainsi, sont introduits dans le cadre formel des apprentissages, des acquis non formels et informels révélateurs de modalités pédagogiques innovantes, vecteurs de médiation et de transaction par rapport au savoir (Beillerot & Mosconi, 2014 ; Denave, 2015), mettant au jour un mode de faire pédagogique (Pineau, 2000).

Questionnement(s)

Il s’agit d’appréhender les effets de la modularisation pédagogique (Belkacem, Gallot & Mosconi, 2019), notamment lors de l’analyse des phénomènes éducatifs et sociaux propres aux thèmes étudiés grâce à des croisements disciplinaires, ainsi qu’à une démarche pédagogique qui place le journal de formation et d’apprentissage au centre du processus de construction et d’appropriation des connaissances, des savoirs, et des compétences des apprenant.e.s étudiant.e.s. Et, ce qui est plus particulièrement objet d’intérêt, c’est en quoi et comment la démarche pédagogique innovante contribue-t-elle à la construction identitaire personnelle et sociale de chacun.e d’entre eux, elles ?

Comment les étudiant.e.s de ce dispositif innovant « PROPULSE » expriment-ils, elles leur modes d’apprentissage au travers de l’écriture de leurs journaux pédagogiques ? L’objectif est d’interroger un mode d’apprentissage qui met les apprenant.e. étudiant.e.s en situation d’activité et de production de savoirs, tout en questionnant les transformations qui en découlent. Quels sont dès lors les effets des transformations issues de cette démarche pédagogique innovante, notamment pour les apprenant.e.s, et, ce d’autant plus, dans la mesure où une innovation est une invention réussie dès lors que son déploiement trouve un prolongement dans une mise en pratique (Cros, 2017) ?

II – Faire l’expérience de l’innovation et de l’apprentissage pour que se fassent des transformations pédagogiques et identitaires

Les établissements universitaires d’enseignement supérieur ont en principe, selon un modèle dominant, pour finalité traditionnelle de transmettre le savoir hautement spécialisé de la science en train de se faire ; la définition des contenus y est d’ailleurs opérée en fonction des contraintes de la discipline concernée, et les situations d’apprentissage sont organisées en fonction du cours de l’enseignant quelle qu’en soit la forme. Plus globalement, le modèle de référence est celui selon lequel le Maître faisait partager le résultat de ses recherches à ses disciplines, et les travaux dirigés, voire pratiques consistaient en des applications du cours confié à des enseignants dits de rang inférieur, charge alors l’étudiant d’assimiler le contenu du cours par son travail individuel ; quant à l’évaluation elle se confondait, et elle se confond encore le plus souvent, avec la validation par des examens.
Mais, les évolutions ont été, et sont, telles que les missions de l’enseignement supérieur ont progressivement été confrontées à l’accroissement significatif des effectifs d’étudiant.e.s et d’une spécialisation scientifique qui ont mis au jour l’inadéquation du modèle dominant. Dès lors, les cours ne peuvent plus être, sauf au niveau du troisième cycle et exceptionnellement du deuxième cycle, nourris du résultat des recherches personnelles des enseignants chercheurs. Ainsi, le modèle semble-t-il se vider progressivement de sa cohérence, ce qui a pour effet de mettre en évidence une organisation de la situation pédagogique qui paraît inadaptée par rapport à un public plus nombreux, plus hétérogène, peut-être moins motivé ; cela pourrait bien alors appeler un traitement multidisciplinaire des phénomènes éducatifs et sociaux plus favorable à l’acquisition de savoirs et de compétences ainsi que la mise en place de situations d’apprentissage en situation réelle.
Au fil de ces évolutions et de la prise de conscience des difficultés auxquelles les étudiant.e.s de premier cycle universitaire sont confronté.e.s, la recherche d’une remédiation paraît s’être finalement plus tournée vers la didactique que vers la pédagogie. Or, pour faire innovation et apprentissage, c’est le point de vue de la dialectique qu’il convient de privilégier.
Par ailleurs, « l’équipement instrumental et méthodologique, l’engagement dans les études, l’élaboration d’un projet professionnel et de vie… » (Annie Noirfalise, 1983) semblent essentiels pour remédier à l’hétérogénéité des étudiants qui estiment souvent trop théoriques et trop abstraits les contenus proposés, et ce d’autant plus qu’ils ne sont généralement pas préparés au travail universitaire. Aussi, les contenus relèvent-ils le plus souvent de disciplines très éloignées les unes des autres sur le plan universitaire, ce qui entraine que l’on tende vers l’interdisciplinarité plutôt que vers la pluridisciplinarité. Néanmoins, d’un point de vue cognitif, certains travaux montrent que les capacités opératoires d’un sujet évoluent avec l’ensemble de ses expériences (Sorel, 1987) ; pour Bertrand Schwartz (1989), « le rôle de la formation est de permettre aux individus de transformer leur vécu en expérience, leur expérience en savoirs et savoir-faire ».
Le dispositif de formation (Propulse) prédispose l’étudiant.e pour qu’il puisse d’une part, transformer ses rapports au savoir à un rapport libérateur d’apprentissage au moyen de la prise de conscience des déterminismes qui pèsent, ou qui ont pesé, sur leur parcours scolaire et social ; et d’autre part, mettre en discussion la portée innovationnelle que suppose la mise en œuvre d’un tel dispositif. Autrement dit, c’est par le truchement de la formalisation de l’expérience que s’opère la valorisation des apprentissages non formels et informels.
Les apprentant.e.s étudiant.e.s s’avèrent inévitablement sensibles aux questions qui touchent à leurs vies individuelles et aux manières dont celles-ci influent sur leur mode d’acquisition et d’apprentissage, au point d’en être parfois tributaires, et allant jusqu’à renvoyer à des formes particulières que prennent les oppressions imbriquées dans l’expérience vécue par les apprenant.e.s étudiant.e.s de la population d’étude, ou encore « par des individus et la matrice de la domination pour désigner des organisations sociétales » (Collins 2000, p.18).
Ainsi, outre la difficulté à mettre en adéquation les acquis de l’expérience avec le contenu des diplômes, voire d’opérer un détour par le passage à l’écrit, la démarche pédagogique expérimentale se double, à travers le retour sur des expériences passées, d’une mise en question de soi. Il s’agit là de s’intéresser à un temps particulier au cours duquel la personne doit mettre à distance son quotidien, interroger, ce qui peut ouvrir à des questionnements d’ordre philosophique sur le sens de la vie (Negroni, 2005). En ce sens, cette mise en question de soi peut être à l’origine d’un véritable bouleversement biographique car cela renvoie l’individu à son propre positionnement par rapport au monde. De ce point de vue, la validation des acquis des apprentissages formels et non formels suppose un « véritable travail sur soi » source possible d’insatisfaction, d’angoisse, ou de découragement (Baubion-Broye et Hajjar, 2006 : 2006,167–183), qui peut conduire à interroger le rapport que l’apprenant.e entretient à l’espace et au temps (Pineau, 2000).

Pour les institutions universitaires, il s’agit bien de promouvoir l’innovation et la transformation des pratiques pédagogiques en vue de surmonter l’épreuve de la discontinuité qui se manifeste au niveau de la formation par l’expérience, de la valeur relative des savoirs constitués et hors champ scolaire, et de la transformation des connaissances à laquelle sont confronté.e.s tant les enseignant.e.s que les étudiant.e.s.
L’innovation renvoie au développement de méthodes pédagogiques inédites au sens où dans le cadre du dispositif « PROPULSE » les contenus, l’organisation et le fonctionnement ont été pensés en adéquation avec les besoins exprimés par les étudiant.e.s et les moyens attribués par l’institution dans le cadre d’un appel d’offre « PULSE ». Et, elle soutient des changements relatifs aux actions de certification « qui ne poursuivent pas forcément des objectifs officiellement assignés, ou, tout du moins, en accordant pas la priorité présentée par les décideurs patentés » (Cros, 2009, p. 584). Dans le cadre de ce dispositif, des potentialités innovationnelles peuvent être associées « au sens de l’individualisation, entendue comme une obligation d’initiative et de responsabilité individuelle et d’une nouvelle conception de la certification » (Maillard, 2007, p. 106).

Apprendre de façon informelle libère l’étudiant.e apprenant.e des contraintes environnementales ou institutionnelles (Mezirow, 2001). Ce pouvoir que se donne l’étudiant.e de mener une réflexion, sur soi, de prendre du recul, d’effectuer une « transformation » de l’environnement par la reconnaissance de son expérience en lien avec ses acquis formels, informels et non formels, serait donc de nature à lui permettre de s’autonomiser, de se libérer, de s’éloigner des situations d’hétéronomie auxquelles il/elle peut être soumis.e. Si cette prise de pouvoir par soi, et pour soi, sur ses apprentissages est une première transformation, il en existe une deuxième qui est celle de la reconnaissance requise et sollicitée aux yeux des autres ; c’est donc cette reconnaissance qui se trouve au centre de l’innovation du dispositif « PROPULSE » dont le journal constitue un moyen de reconnaissance des acquis de l’expérience et des compétences issues d’apprentissages formels, informels et non formels. Il s’y joue en effet à la fois une transformation des rapports sociaux basés sur la symétrie, la mutualité, la parité et la réciprocité, une transformation des rapports aux savoirs, au pouvoir, à l’autorité et une transformation des représentations par transformation/production de savoirs, transformation/production de sens. Enfin, la perspective transformatrice de l’apprentissage a vocation à intégrer et à confronter les expériences des apprenant.e.s en vue d’un changement à la fois individuel et collectif, ainsi qu’à articuler des dimensions auto-formatrices, co-formatrices et transformatrices de cet apprentissage ; le processus innovationnel vise donc alors non seulement le changement institutionnel, mais également individuel et collectif (Mezirow et Taylor, 2009).

Le dispositif « PROPLUSE » envisage la démarche pédagogique comme une modalité de coordination d’une liberté d’expression – narration des identités -journaux- pour interroger la dépendance aux institutions aux savoirs normés -rapport à l’université- et entreprendre une organisation modulaire -réduction de la dysmétrie des pouvoirs entre champs disciplinaires-.

III - Ce que les apprenant.e.s étudiant.e.s disent du « faire » et « se faire »

Les journaux pédagogiques favorisent l’appropriation des connaissances et des savoirs – savoir-être, savoir, savoir-faire dans la mesure où l’architecture des enseignements proposés est organisée à l’aune de thèmes qui permettent de problématiser des phénomènes éducatifs et sociaux dans une perspective inter et pluridisciplinaire.

Le journal comme outil de liberté de pensée et de construction d’idées :
S’autoriser à écrire demande de se faire confiance. En effet, pour entrer dans l’écriture, il faut déjà passer une phase, celle de s’accepter tel que l’on est, c’est-à-dire, se désaliéner des contraintes sociétales et des obligations institutionnelles ou académiques, non pas pour les évincer à jamais, mais pour les acquérir par l’expérience de l’écriture. C’est en cela que le journal peut devenir un outil au service de l’apprenant.e. étudiant.e pour qu’il puisse par lui-même comprendre comment il fonctionne, ses difficultés et ses forces, et le poids des dominations qui l’entourent.

« J’ai aussi apprécié cette liberté de pouvoir écrire, répondre aux questions et apporter ma réflexion quand je le souhaitais car je profitais des moments où j’étais dans de bonnes conditions et au top de ma performance pour pouvoir rédiger du contenu qualitatif. »

Comment se découvrir la capacité d’entrer dans une analyse critique de ses représentations par l’écriture du journal ?

« Maintenant, je vais parler d’un autre sujet qui est celui des bienfaits que le groupe Propulse m’a apporté. Depuis le début de l’année, je vois une évolution de pensée et une évolution dans les différents écrits que j’ai pu rendre, car grâce au journal j’ai une facilité à rédiger. »

Le journal est identifié comme un outil de construction de la pensée dans la mesure où il favorise la visibilité des moments d’acquisition et des modes d’apprentissage. Il permet en effet de mettre à l’écrit ce qui est possible, ce qui pourrait l’être, mais surtout ce qui semble pour le scripteur impossible sur le moment. Il rend possible cette introspection de pouvoir dépasser l’écrasement des obligations -évaluation, conditions d’écriture, pouvoirs et dominations diverses liées à l’institution- qui bloquerait le simple fait de s’autoriser à avoir des idées et de les exposer, et donc cette autorisation que l’on se donne ou pas à écrire.

« Au début, comme je n’étais pas familière avec l’écriture, je ne comprenais pas le principe et je ne savais pas ce que je devais écrire. Maintenant, quand je compare le premier et le deuxième semestre, je vois une énorme différence, que ça soit dans la rédaction qui est beaucoup plus avancée, ou même dans les résumés des exposés, j’ai fait un travail énorme et je suis quand même plutôt satisfaite de moi. Avoir écrit ce journal m’a permis d’avoir des qualités d’écriture que je n’avais pas avant, même si dans certains passages je me suis relâchée vu la masse à écrire. Et j’ai également eu l’occasion d’approfondir les cours qui se sont déroulés, et de vérifier si j’avais réellement bien compris. »

Le journal se présente aussi comme un instrument révélateur de progression, puisque l’apprenant.e étudiant.e s’autorise à s’autoévaluer, non seulement il, elle identifie sa progression, mais il, elle parvient à mettre en relief ce qu’il, elle remarque dans la réussite des autres, non pas dans un objectif de compétition, mais afin de se situer par rapport aux autres, source d’un autre mode d’apprentissage et de rapport au savoir :

« J’ai encore des difficultés à bien m’organiser pour l’oral mais ce jour-ci je voulais tout faire pour rendre un travail remarquable mais il faudrait que je fasse plus d’effort par exemple j’ai constaté le travail des autres ils/elles ont donné des exemples qui ne sont pas forcément en rapport avec le chapitre c’est-à-dire ils/elles ont cités des exemples qui ne figurent pas forcément dans le chapitre. Dans la partie du développement de notre chapitre, nous aurions peut-être dû mettre autre chose que des mots clés par exemple nous pouvions mettre des phrases ou un schéma pour ensuite passer à l’explication. »

Ainsi, l’implication de l’apprenant.e étudiant.e dans l’élaboration, la construction de son journal, lui permet de percevoir ses possibilités d’écriture, qui au départ ne lui étaient pas visibles, et au fur et à mesure de son avancement de se découvrir et de découvrir la pertinence de ses propos. Il, elle ose enfin s’écouter en se lisant… laissant place à la possibilité de voir s’éclore et se développer l’estime de soi :

« J’ai pris l’habitude d’écrire dans le journal et je me sens de plus en plus à l’aise de vous parler à travers lui et de me parler à moi-même pour mieux comprendre. »

En écrivant, l’apprenant.e étudiant.e peut se saisir de sa pensée, la travailler à nouveau, et ainsi prendre conscience de son mode d’appropriation des savoirs par l’écriture :

« In Fine, ce journal m’aura permis de mieux comprendre mes cours, car écrire est pour moi la meilleure façon de parfaire son apprentissage. En reprenant les notes, en essayant de les comprendre le plus clairement possible et en les réécrivant à ma manière, j’ai pu aussi attraper des petites informations que j’avais manquées durant le cours. »

IV – Effets et mise en œuvre du dispositif

Les modalités de recrutement

Outre une étude préalable des candidatures, des entretiens sont conduits auprès des candidat.e.s à l’entrée dans le dispositif afin de cerner leur intérêt et leur sensibilité pour des pédagogies alternatives ; aussi, cela ouvre-t-il l’opportunité à l’équipe pédagogique d’échanger sur les motivations des étudiant.e.s intéressés par le dispositif. L’équipe pédagogique, composée d’enseignant.e.s et d’enseignant.e.s chercheur.e.s, appréhende alors les contours identitaires et des profils des candidat.e.s. Certain.e.s disent par exemple avoir eu un « parcours scolaire chaotique  », être peu porté.e.s sur les études, avoir « du mal à se situer dans un grand groupe », être confronté.e.s à des situations personnelles difficiles, dont certaines ont pu les conduire jusqu’à des « tentatives de suicide ». Ce qui se dégage dans l’ensemble, c’est une fragilité, voire une vulnérabilité des candidat.e.s qui explique leur souhait d’intégrer ce groupe expérimental afin de bénéficier d’un rapport aux autres moins distendu, mais aussi pour être encadré.e.s, « un peu comme au lycée ».

Le changement induit par la transformation du mode d’évaluation de connaissances,

La modification du mode d’évaluation qui mobilise l’approche par compétences, nécessite l’élaboration de référentiels de compétences qui offre l’opportunité d’évaluer les acquis au regard des compétences et de leur degré de maîtrise. Et, cela implique la prise en compte des différents modes d’acquisition des connaissances et des savoirs, de manière formelle, informelle, et non formelle. De plus, sur le plan de la conception et de l’organisation pédagogique, cela engendre la mise en œuvre d’un suivi individualisé des apprenant.e.s étudiant.e.s qui appelle un auto-positionnement de leur part, répondant ainsi à l’objectif d’autonomisation et de responsabilisation personnelle dans le processus d’apprentissage. Ce type de démarche, en cohérence avec la pédagogie du journal, offre l’avantage de tenir compte des rythmes et des progressions de chacun.e, et de croiser les résultats de l’évaluation effectuée par les apprentant.e.s avec celle réalisée par les enseignant.e.s, tout en tenant compte des échanges conduits au sein des réunions de synthèse pédagogique par l’équipe enseignante.

La banalisation des cours dits « magistraux » (CM) en enseignements dits de « travaux dirigés » (TD), sans distinction de nature, associée à celle d’une forme d’intersectionnalité pédagogique, fondée sur le volontariat et l’engagement collectif de l’équipe pédagogique est mise au service d’une pédagogie active centrée sur des thèmes relatifs à des phénomènes éducatifs et sociaux, ces derniers étant traités à partir de croisements disciplinaires. L’objectif est, dans le cadre de modules, de mettre ces thèmes en travail à partir de textes supports d’analyse et de l’écriture d’un journal de formation et d’apprentissage visant à faire prendre conscience à chaque apprenant.e étudiant.e de sa capacité de réflexion, et par voie de conséquence de ses acquis en termes de connaissances, de savoir, savoir-être, savoir-faire. En ce sens la banalisation des enseignements CM/TD est de nature à favoriser l’appropriation des connaissances, des savoirs, et des compétences, dans la mesure où elle permet non seulement aux apprenant.e.s d’être en situation active, mais aussi de faire un lien entre théorie et pratique, et de conscientiser leurs apprentissages.

Conclusion
Si l’avis favorable de la direction de la Faculté et l’assentiment des collègues en réunion de département ont été requis pour répondre à l’appel à projet au sein de l’Université, et bénéficier d’un financement permettant de compenser un surcoût maquette, l’équipe pédagogique aussi bien que les étudiant.e.s ont été confrontés à des représentations individuelles et ou collectives d’enseignant.e.s et d’enseignant.e.s chercheur.e.s non impliqué.e.s dans le dispositif qui s’apparentent à des résistances à l’innovation, à la reconnaissance des apprentissages formels et non formels, aux transformations qui dérogent aux règles de la formation universitaire au sens traditionnel du terme. En ce sens, « faire » et « se faire » paraissent, pour ces dernier.e.s, engendrer un risque de dévalorisation de la formation universitaire, et par voie de conséquence du diplôme, et des exigences requises.
De ce point de vue, le cas d’étude du dispositif « PROPULSE » atteste des rapports qu’innovation et transformation entretiennent, une forme de rapport conflictuel dès lors que la résistance au changement est envisagée comme frein à la dynamique d’innovation, rapport stratégique et parfois dissimulé quand l’innovation sert un changement promu. En ce sens, cette expérimentation pourrait bien faire écho à un imaginaire social qui valorise la modernité (Giddens, 1994), car tout en s’apparentant à une injonction à l’innovation pédagogique et au changement social, elle tend à mettre en relief un potentiel effet transformateur, et éclaire l’émergence de confrontations relatives à la possibilité de repenser les formations, marquant ainsi les enjeux individuels et institutionnels.

Références bibliographiques
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